Trois albums en trois ans, et toujours cette fascinante faculté à se renouveler, tout en gardant intacte cette patte singulière. black midi a sorti le 15 Juillet dernier Hellfire, un album frénétique et cauchemardesque qui se révèle être plus déroutant encore que ses prédécesseurs.
Une chose est sûre, le troisième album d’un groupe aussi unique est bien souvent un saut dans le vide. Éviter le redite tout en essayant de conserver ce qui a fait la force des deux premiers disques réclame un tour de force. Oser le salto arrière ou retenter les mêmes figures qui ont pu fonctionner par le passé ? black midi a négocié ce saut dans le vide avec brio, et est descendu très bas pour atteindre des sommets encore inexplorés. Hellfire est un album épique, marqué par la folie d’un monde qui sombre dans l’absurdité générale et par l’urgence, qui nous court après depuis trop longtemps et commence à dangereusement nous rattraper.
Le sentiment d’urgence qui émane de ce disque nous prend aux tripes dès le titre éponyme qui fait office d’ouverture. Véritable enchevêtrement de rythmes, d’ascensions et de cascades vertigineuses de notes. Un peu plus d’1:30 minutes d’une incroyable théâtralité, pendant laquelle la voix si frappante de Geordie Greep scande à un rythme haletant une tirade démente et semble nous inviter à une pièce de théâtre dantesque… invitation qu’il est difficile de refuser.
Le décor est donc posé. Nous allons maintenant assister à un défilé de scènes mettant en avant des freaks et des salauds dans des aventures qui semblent hallucinées. Une descente en enfer, un cauchemar digne de Lynch. Il faut dire aussi que la fascination de Greep pour les représentations de l’enfer peut ici pleinement s’exprimer. Sauf qu’ici, l’enfer est bel et bien sur terre. Un bordel aux allures de temple spirituel, une salle de spectacle remplie de duchesses et de mendiants venus assister au dernier show grandiloquent et macabre d’une illustre star d’avant-guerre. Un crime commis en 2163 et un amour impossible. black midi grossit le trait sur la fresque d’un monde qui déraille. A cet égard, le talent du groupe pour le storytelling atteint sur Hellfire un niveau prodigieux.
La musique suit en effet l’histoire à la lettre. Chaque évènement, chaque personnage, chaque émotion provoque une variation rythmique et harmonique. On retrouve ainsi la folie musicale et les expérimentations de Schlagenheim, couplées au storytelling de Cavalcade. Entre rythmes fulgurants et fuites jazzy. Cependant, limiter ce disque à une suite chaotique de morceaux délirants serait une erreur. black midi aime surprendre, comme l’illustre la balade folk-country Still, ou encore Eat Men Eat, qui épouse un style unique dans l’univers du groupe, teinté de flamenco. Welcome to Hell est une déferlante punk, tandis que The Race is About to Begin oscille entre rythme frénétique et mélodies profondes. On trouvera par ailleurs des passages dignes des meilleurs music-halls dans The Defence ou Dangerous Liaison. Dans ces accès presque crooner, on croirait voir le fantôme du Bowie des derniers albums.
Hellfire est clairement déroutant, black midi est ostensiblement imprévisible. On croirait assister à une bataille épique entre le bien et le mal. Un sentiment d’urgence émane de l’album, la névrose et la folie semblent peupler chaque titre. L’un des aspects les plus marquants de ce disque est sans doute son aspect théâtral et sa force narrative. On vit l’urgence, on vit chaque aventure loufoque dans laquelle le groupe souhaite nous emmener. Brouillant les temporalités et les lieux, black midi embarque l’auditeur dans un cabaret dément, affranchi de toutes normes spatio-temporelles. D’ailleurs, on peut dire pareil de la musique du groupe. Toujours incroyablement technique, libre de toute contrainte musicale, la bande londonienne parvient tout de même à signer un disque qui se révèle légèrement moins abrupt que ce à quoi ils nous avaient habitué.
Quoi qu’il en soit, le groupe affiche un talent indiscutable pour ce qui est d’évoluer, de muter, tout en gardant cette identité unique qui fait de black midi l’un des groupes les plus fascinants de ce début de siècle.