Cameron Winter, chanteur lead du groupe new-yorkais Geese, dévoile un premier album solo qui s’extrait brillamment des contraintes de genres. Heavy Metal, comme son nom ne l’indique pas, puise ses influences dans la folk des années 60s, mais s’en détache pour proposer un son unique, sans compromis, à l’image du jeune auteur-compositeur.

UN CHAOS MAÎTRISÉ
Sorti le 6 décembre, le premier album solo de Cameron Winter a échappé aux radars des traditionnels classements de fin d’année, dans lequel il a pourtant largement sa place. Heavy Metal suit les singles Vines et Take It With You, deux ballades plus conventionnelles sorties en octobre. Celles-ci témoignaient déjà des talents d’écriture du jeune artiste, mais ne laissaient pas présager de la puissance poétique de l’album.
Inspiré par Leonard Cohen et Bob Dylan, Winter s’attache à décortiquer des sentiments complexes, des tranches de vie, des réflexions mouvantes, et à en extraire l’émotion brute. Cela donne un album à la fois remarquablement mature, et expérimental voire chaotique par moments. Mais un chaos voulu, maîtrisé, qui dit quelque chose de l’état d’esprit de l’artiste, qui traversait alors un épisode dépressif majeur. Il confie d’ailleurs dans plusieurs interviews que ce projet a été conçu et réalisé dans la douleur. Cela transparaît dans sa voix caverneuse, faussement désabusée et portant l’intensité émotionnelle d’un Nick Cave.
UNE LIBERTÉ ARTISTIQUE RARE
S’il est intéressant de retrouver dans les textes, arrangements, mélodies de Cameron Winter les traces de ses prédécesseurs, Heavy Metal est un projet profondément personnel. Il permet à l’artiste d’ouvrir quelques portes sur son univers. Un univers sombre, lyrique, jouant d’une dualité permanente entre gravité et ironie, nonchalance et sensibilité.
On est souvent pris de court par la liberté artistique du jeune compositeur. Comme dans Try as I May, qui s’enrichit petit à petit de sonorités disparates et s’achève sur un final instrumental désordonné. Ou dans Nina + Field of Cops, morceau fleuve aux paroles cryptiques, qui s’apparente à une sorte de prêche exalté. Plus globalement, rares sont les titres qui respectent la structure habituelle couplet/refrain, ou même une rythmique bien définie.
Pourtant, cela ne l’empêche pas de nous captiver dès la première écoute. Il doit cela à sa voix, qui alterne entre fragilité et vibrato puissant, apathie et envolée poignante. Ses imperfections la rendent organique, authentique. Inutile de comprendre le texte dans le détail pour ressentir l’intensité et la sincérité avec lesquelles il se dévoile. Sa poésie symboliste semble s’adresser à l’âme plus qu’à l’intellect.
SPIRITUALITÉ ET QUÊTE D’IDENTITÉ
Les chœurs qui traversent l’album, comme dans Can’t Keep Anything ou Try as I May confèrent une dimension presque spirituelle au projet. Ce n’est certainement pas anodin, la mythologie et la religion étant des thèmes récurrents de l’album. Nausicaä, par exemple, fait référence au personnage qui, dans l’Odyssée, secourt Ulysse après son naufrage et ne fuit pas face à son apparence répugnante. “Nina”, dans Nina + Field of Cops, représente une forme de divinité omnisciente qui renvoie le narrateur à sa propre stupidité.
Winter termine même le morceau $0 en proclamant l’existence de Dieu. “I’m not kidding this time I think God is actually for real” répète-t-il, brouillant encore une fois les lignes entre vérité et sarcasme. (Traduction : “Je ne rigole pas cette fois, je pense que Dieu existe vraiment”).
UN REGARD SOMBRE SUR LE MONDE DES ADULTES
La dimension spirituelle s’inscrit dans une quête plus large d’identité qui semble constituer le socle de l’album. Ayant tout juste dépassé l’âge symbolique des 21 ans, Cameron Winter entrevoit la vie d’adulte. Il paraît déçu, révolté, presque déjà lassé par ce monde qu’il rejoint. Il se compare à Brian Jones, fondateur et multi-instrumentiste des Rolling Stones au destin tragique, dans le morceau du même nom. Winter s’imagine rencontrer la version adulte de lui-même dans Drinking Age et la décrit comme une ordure. “I met who I’m gonna be / From now on / And he’s a piece of shit”. (Traduction : “J’ai rencontré la personne que je vais être / À partir de maintenant / Et c’est une ordure”).
Cette quête le pousse à s’interroger sur son époque et ses travers. Dans Cancer of the Skull où il se dit rempli de métaux lourds. Ou Nina + Field of Cops qui peint un tableau surréaliste et cynique de la société.
Elle l’amène aussi à explorer son rapport aux autres. Il évoque la difficulté (ou l’inutilité) de mettre des mots sur ses sentiments dans We’re thinking the same thing et va à l’encontre de l’amour jetable dans Love Takes Miles.
UN PREMIER DISQUE INCLASSABLE ET PROMETTEUR
Heavy Metal est un album inclassable, qui cultive l’imperfection avec brio et mérite qu’on s’y attarde, pour plusieurs raisons. Son éclectisme, entre folk lo-fi, blues et rock expérimental, qui donne à chaque titre son identité. Ses textes, qui placent Winter en digne héritier des grands auteurs qui l’inspirent. Sa voix, qui porte une charge émotionnelle rare et contagieuse.
On guettera avec beaucoup d’intérêt les prochaines productions du jeune artiste, en solo et avec son groupe Geese.
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