En cette rentrée, la chanteuse Clara Ysé sort son premier album Oceano Nox. Un disque qui se situe dans la continuité et la rupture de son premier EP. L’occasion pour la Face B de rencontrer l’artiste.
La Face B : Après la sortie d’un premier EP (Le monde s’est dédoublé, 2018) tu sors aujourd’hui ton premier album, qu’est-ce que cela représente pour toi de sortir ?
Clara Ysé : Alors déjà, je suis très heureuse. J’ai travaillé dessus depuis plus de trois semaines. Après, le mouvement n’est pas le même car j’avais fait l’EP à un moment particulier de ma vie. Il a été autoproduit rapidement, dans une cave avec des amis. Alors que la construction de cet album s’est faite sur un temps beaucoup plus long. Chaque chose est pensée de manière assez précise… C’est un peu mon premier bébé ! [Rires]
LFB : Et justement, est-ce que le fait d’avoir un nouvel objet un peu plus produit, t’as poussé à refaire le titre Le Monde ?
Clara Ysé : J’avais envie de garder Le monde s’est dédoublé [ndlr. Précédent nom du morceau Le Monde]. Le titre représente pour moi le départ de ce projet, il compte beaucoup pour moi. C’est une façon de garder un fil rouge avec le précédent EP, une manière de raconter mon cheminement. Puis, j’ai aussi l’impression qu’à travers l’arrangement, le titre n’est plus le même… comme si je ne le possédais plus. Que seule reste la déchirure que l’on ressent dans ce morceau : l’accompagnement des voix, les cordes, il y a un rapport sensible à ce qui m’a permis de traverser la mélancolie.
LFB : A contrario du Monde, le titre L’Océan n’est pas sur l’album alors qu’il a pu être joué en live.
Clara Ysé : Il sortira, il est même quasiment fini ; mais non, je n’avais pas envie de le mettre dans l’album parce je voulais vraiment travailler sur une idée de fil rouge. J’ai dû retirer certains morceaux.
LFB : La sortie d’un album est souvent accompagnée de concerts mais aussi de clips. J’ai vu que tu a réalisé le clip de Douce.
Clara Ysé : C’est ce que je fais depuis les premiers titres de l’EP. Douce a d’ailleurs été co-réalisé avec ma meilleure amie Lou du Pontavice. C’est quelque chose que j’adore puis c’est une chance dingue de faire un métier qui nous permet de partiellement toucher au cinéma. Et aujourd’hui, il une telle importance de l’image. Les gens découvrent une musique avec l’image !. Elle est très forte et impacte la façon de recevoir la musique. C’est aussi une manière pour moi de rester sincère, de penser de bout en bout comment traduire ce que je veux dire.
LFB : Et par rapport au prochain clip, qui illustre l’Etoile, l’as-tu aussi réalisé ?
Clara Ysé : Oui toute seule cette fois ci ! J’ai eu envie de quelque chose de beaucoup plus simple mais d’assez épique. Je voulais faire quelque chose qui tranche par rapport à Douce, pour apporter un autre regard, une autre lumière et un autre univers. Le clip est très simple, réalisé en studio avec deux danseurs que j’adore et moi.
LFB : De quoi parle l’Etoile ?
Clara Ysé : C’est une chanson qui raconte comment l’amour continue de nous habiter dans l’absence. Elle s’adresse aux êtres que l’on aime et que l’on perd mais qui continue à nous illuminer et à nous guider dans la vie, comme des astres. A contrario, j’avais envie d’une prod plutôt dansante, que la musique puisse retransmettre la fureur de vivre. Qu’on n’entend a priori pas la mélancolie des paroles. Qu’on ne le comprenne qu’au bout de deux ou trois écoutes, comme si c’était un secret, quelque chose de caché.
LFB : Est-ce que ce juste milieu entre ombre et lumière est important pour toi ?
Clara Ysé : Complètement, j’ai l’impression que l’album qui vient, Oceano Nox, parle de réparation, de ce que l’on fait avec ce qui est brisé. Je me rends compte que la réponse est à chaque fois l’amour mais aussi de désir. Le désir sous toutes ses formes, surtout celui d’être au monde… C’est ce qui nous sauve. Et pour ce qui est de l’ombre et de la lumière, j’ai été élevé par mon père qui fait de la peinture à l’huile sur fond noir. J’ai passé mon enfance le voir faire jaillir la lumière de l’obscurité, pendant des heures. Je me rends compte aujourd’hui à quel point ça m’a marqué et que c’est une trajectoire que je reprends. La lumière qui vient d’un fond obscur n’est pas du tout la même que celle qui vient d’un fond clair. Elle a une vibration, une matière, une profondeur. C’est quelque chose qui m’intéresse de plonger dans les ombres qui nous habitent, car on y trouve de la joie, du désir.
LFB : La première contradiction qui peut venir en tête à l’écoute de l’album, se situe entre le feu et l’océan : le premier titre s’appelle Pyromanes, et l’album Oceano Nox. Ces deux éléments sont-ils en écho ?
Clara Ysé : Il n’y a pas d’échos direct et conscient. Pyromanes est une chanson hyper importante dans cet album. Elle ouvre l’album en évoquant la manière de traverser une nuit symbolique. C’est-à-dire ce qui nous fait passer d’un système lumineux à un autre. Puis, c’est une chanson qui parle quand même de l’urgence d’une génération à changer de paradigme. , la chanson questionne la manière d’accéder à de nouveaux modes de pensée autant politiquement que poétiquement .Et je pense que cette chanson évoque à la fois le désir et la peur qu’engendre ce besoin d’inventer des nouveaux mondes.
LFB : Par rapport à l’appellation Oceano Nox, qu’est-ce que cela signifie ?
Clara Ysé : Cette citation est du poète Virgile, et signifie : « La nuit s’élance de l’océan. » Cette phrase m’a beaucoup ému. Puisqu’elle évoque la traversée de l’océan, et symboliquement des choses compliqués. Puis, le latin de cette phrase rappelle un peu l’idée de l’album. Il est traditionnel, organique et très moderne, électronique.
LFB : Tu nous parle d’océans et de traversées ; nous pouvons aussi penser à ton rapport à l’ailleurs. Dans l’EP des chansons sont en espagnol et musique du monde influence l’album.
Clara Ysé : J’ai une formation de musique classique et baroque. En parallèle, depuis quinze ans, je fais des soirées musicales à la maison. J’invite des amis grecs, libanais, kurdes, azerbaïdjanais. Les instruments joués m’inspire. Alors, ça a infusé en moi et dans ma manière de composer. C’est pour cela qu’il y a des emprunts à la musique grecque, turque, arabe ou sud-américaine dans l’album. L’idée était d’utiliser ces musiques pour ce qu’elles racontent émotionnellement. Puis, quand on habite dans des villes cosmopolites, on passe son temps à écouter l’autre. Ca m’intéressait d’expérimenter cela à travers ma musique. Dans Oceano Nox¸ on peut entendre du doudouk [ndlr. Instrument à vent du Caucase et d’Iran]. Cet instrument me rappelle une sirène de bateau et me fait voyager.
LFB : On peut entendre du doudouk dans le morceau Soleil A Minuit. Est-ce que tu as pu appréhender l’écriture de ce titre ? Car comme pour un précédent morceau (Soldat) tu dis ouvertement vouloir faire l’amour à un homme.
Clara Ysé : Je n’ai pas tellement d’appréhension. Je vois l’écriture comme le moyen de dévoiler l’intimité. Parce qu’en fait, mon appréhension se situe à un autre endroit. Dans ma démarche, je plonge le plus profondément possible dans l’émotion et la sincérité. Lorsque j’écris, je ne me projette pas. Je ne me dis pas que d’autres personnes pourront m’écouter. A posteriori, j’aurais pu avoir de la pudeur sur Douce, qui est tout autant intime. Pour revenir à Soleil A Minuit. Le titre évoque le rapport au désir, des nuits qui n’en finissent pas ; d’un corps étranger qui s’offre à nous en se transformant en espèce de soleil nocturne en face de nous.
LFB : Tu parles autant de l’intime, du soi que du collectif, avec par exemple le titre Souveraines. De quoi est-il question ?
Clara Ysé : J’ai eu envie d’écrire une chanson sur des femmes qui m’entourent quotidienne. Des personnes que j’admire pour leur courage et leur force. J’ai souvent l’impression que l’histoire de ces femmes ne seront jamais racontées. Des récits de vie qu’on entend dans des discussions autour d’un verre jusqu’à trois du mat ! Je pense avoir fait un collage de toutes ces histoires de femmes. Celles qui ont côtoyé la violence. Elles ont accueilli cette haine à l’intérieur d’elle-même pour la transformer en quelque chose de beau. Alors, c’est une démarche qui pourrait paraitre engagée mais c’est d’abord un engagement intime. Et j’estime que c’est en partant de l’intime qu’on atteint le collectif.
LFB : Quelles sont tes prochains concerts ?
Clara Ysé : J’ai trois Café le danse, le 26 septembre, le 06 novembre et le 05 décembre (qui sont actuellement complets) et le 26 mars à la Cigale.
Photo : Olivier Metzger