Cette année, le célèbre festival rock parisien revenait sous l’an II de Matthieu Ducos avec une line-up rock tout aussi originale, séduisante, prometteuse, et qui nous a fait oublier les éditions en dents de scie entre 2017 et 2019. Cette édition 2023 marque surtout les vingt ans de Rock en Seine qui s’est alors offert les Strokes ou encore Billie Eilish pour notre plus grand plaisir. Une dizaine de jours est passée et certains concerts ont marqué nos esprits…
Mercredi 23 août – Tove Lo, Girl In Red, Billie Eilish
Ce premier jour du festival est un signe fort des organisateurs : 100% de la programmation du jour est composée d’artistes féminines (et de 50% sur les quatre jours). Les organisateurs s’engagent vers plus d’égalité et d’éthique, sans oublier les efforts écologiques qui restent malgré tout imparfaits pour tout type de festival de cette taille.
L’immense pop star internationale Billie Eilish représente en plus une artiste aux convictions fortes sur les droits individuels et la lutte contre le réchauffement climatique. Le festival a été astucieux pour l’enrôler dans une date unique en France. Les fans arrivent par milliers bien avant à l’heure à Porte de Saint-Cloud, lieu du festival, pour subir une longue attente et ne rien manquer de cette première journée. On regrettera que l’ouverture des portes se fasse si tard pour une soirée courte (18h-23h). D’autant plus qu’il fallait donner les fameux bracelets cashless à tout le monde pour ce premier jour. Conséquence : l’attente sous la chaleur écrasante fut un supplice et plus de la moitié des festivaliers ont raté le premier concert proposé. Tant pis, nous avons joué de notre côté à la chasse au trésor des QR codes éparpillés un peu partout sur le site du festival. Un concept bien sympa dont la motivation est portée par les cadeaux possibles : des places VIP pour l’édition 2024 et un vinyle collector des 20 ans de Rock en Seine.
En cette première soirée, seule la Grande Scène et la Scène Firestone. On boudera cette dernière pour ne pas se noyer dans cette marée humaine. On regoûte avec joie les sensations de Rock en Seine avec Tove Lo qui brille par sa présence endiablée sur scène. La suédoise joue de son charme de manière totalement assumée. L’écran en background nous affiche différentes images animées de lèvres suaves, de seins mais aussi de fesses (les intimités restent habillées). Et ça fait du bien ! Il faut le dire, c’est assez rare d’entendre des titres qui parlent d’amour, de sexe et de décadence sans tomber dans une vulgarité classique. Talking Body et Disco Tits donnent tellement envie de s’envoyer en l’air avec sa ou son (ou ses) partenaire(s). La prestation est donc fun. La musique dérive par moments sur de la dance désuète et vieillissante comme sur How Long. Tove Lo remplira son contrat en interprétant le tube Habits (Stay High) devant une vague de smartphones. Le concert se terminera par le joli No One Dies From Love dont on peut juste regretter l’intitulé de ce titre très niais.
Après une petite pause au stand HappyVore pour grignoter de la viande végétale gratuitement (oui, on est des pinces), on découvre avec impatience Girl in Red. Si les écoutes de ses morceaux en studio peuvent laisser envisager une heure de pure pop sur la Grande Scène, il n’en n’est rien.
Marie Ulven Ringheim débarque avec une joie et un sourire communicatif qui emballent d’emblée. Son tube You Stupid Bitch sonne d’entrée pour mettre les 40 000 festivaliers du jour en furie. Si bien évidemment Girl In Red met en avant son premier album if i could make it go quiet avec six autres titres dans la setlist, elle n’oublie pas ses premiers classiques. C’est d’ailleurs eux qui remporteront l’adhésion du public, notamment sur we fell in love in october pour scander une infinité de fois « My Girl ». Mention spéciale également au savoureux rock’n’roll de Big Idea qui résume parfaitement cette nouvelle esthétique pop rock des années 2000. L’artiste est remplie de joie sur scène et fait partager avec délice son extase.
Peut-être un peu trop avec ce petit guitly pleasure de Seven Nation Army joué en intro de dead girl in the pool. Mais le message est passé et l’excellente compositrice termine par la sublime ballade amoureuse i wanna be your girlfriend. On prend note.
La très jeune star de la soirée débarque sur cette scène immense en pente. Il est difficile d’être devant tant la foule, très jeune, est compacte et gigantesque. Billie Eilish commence le show de bonne humeur avec Bury a Friend. On part donc sur des pensées positives. Les fans connaissent aussi bien les paroles que leur interprète. C’est de bon augure pour le passage du grand oral du Bac 2024 option LV1 Anglais.
La musique minimaliste de son répertoire nous surprend à être suffisamment prenante et planante. Therefore I Am et le tribal Oxytocin sonnent comme des classiques de dance pop futuriste. On découvre avec un réel plaisir What Was I Made For?, bijou du soundtrack de Barbie. La production nous partage le magnifique clip en background renforçant l’émerveillement de cet instant magique. C’est certes classique mais plus marqueur que les photos souvenirs d’une artiste encore très jeune. Au milieu du set, elle invite son frère Finneas pour une session de trois titres acoustiques (i love you, Your Power, TV). Les petites affaires en famille se déroulent parfaitement aux yeux du public, même si cette parenthèse fut la plus kitschy du set en plus d’être vite lassante. On se réveille un peu quand l’artiste s’inquiète d’une fan ayant besoin de rafraîchissement sous cette forte chaleur puis appelle la sécurité pour secourir quelques fans. Attentive et sensible à son public, elle réussit par ce biais à créer une proximité bienveillante avec ce dernier. Tove Lo et Girl in Red avaient également dû interrompre leurs concerts pour les mêmes raisons, ce qui en fait beaucoup pour cette seule soirée.
Dès le rangement des guitares acoustiques, le show s’emballe davantage, notamment avec Getting Older qui est l’hymne d’une génération Z post-covid. Les larmes de nombreuses personnes coulent à flots sur cette mélodie délicieuse. On sent l’empreinte indélébile laissée par l’artiste chez ses fans. bad guy reste malgré tout l’hymne de ce set tant chacun essaie le plus fort possible dans ce concours de « casse-moi les tympans« .
Le show s’achève sur une note positive avec la montée de Happier Than Ever. Dans un show millimétré à l’américaine, Billie Eilish a émerveillé l’assistance par la variété de ses interprétations qui ne se cantonnent pas à un seul style. Elle se remue de long en large sur cette pente étendue, marquée par sa dévotion artistique, transcendée par toutes les émotions. On peut s’interroger tout de même sur des rares moments de playbacks. Mais cela ne changera rien tant la performance fut grandiose. Son dernier salut et ses accolades auprès de ses fans aux premiers rangs témoignaient d’une profonde sincérité. La première journée de Rock en Seine se termine à la perfection.
Vendredi 25 août 2023 – Turnstile, Flavien Berger, Placebo
TURNSTILE
Comment mettre des mots sur les émotions qui nous ont habités face à nos retrouvailles avec les fabuleux membres de Turnstile ? C’est difficile tant la joie semblait être à son paroxysme, un méli-mélo de sensations toutes plus fortes les unes que les autres.
Pour eux et rien que pour eux, on n’avait alors pas hésité à poser notre journée afin de les retrouver, sans l’ombre d’un regret à l’horizon. Et c’est alors que sur les coups de 14h00, nous nous sommes empressés de quitter nos vaines occupations routinières, direction le domaine de Saint-Cloud. Le temps de récupérer notre bracelet, de charger notre compte cashless, de passer le bonjour à quelques visages familiers, et voilà que le tant attendu set de Turnstile pointait déjà le bout de son nez. Pinte d’IPA en main, on file vers la Scène Cascade où les plus grands fanatiques semblent être déjà très nombreux.
Daniel Fang (batteur) suivi de ses acolytes Franz Lyons (bassiste), Pat McCrory (guitariste), et Meg Mills (guitariste) entrent en scène, suivi de près par le charismatique et secrètement introverti Brendan Yates (chanteur), le tout sous fond de nappes synthétiques tirées de Mystery. Et les morceaux qui détonnent s’enchaînent allant du bouillant T.L.C, Don’t Play, l’immanquable Underwater Boi où Julien Baker nous a fait l’heureuse surprise de débarquer sur scène, le sublime Blue By You ou encore Holiday qui a ainsi conclu l’un des meilleurs concerts de cette vingtième édition, et on pèse nos mots. Au fil du concert, Brendan Yates prend également le temps de demander à de multiples reprises si tout le monde se porte bien, nous remercie d’être fidèles au poste depuis toutes ces années, avec toujours sa bienveillance réputée.
Quarante minutes plus tard, le set touche à sa fin (c’était trop court, on sait), le groupe quitte la scène en saluant les festivaliers, à l’exception du leader qui comme à l’accoutumée, descend rencontrer le public en lui serrant la main, faisant un selfie ou en échangeant quelques mots ici et là.
Déjà plus de deux ans que Turnstile défend son dernier album en date, Glow On, et bien que le nombre de concerts au compteur s’accumule tout autant que la fatigue, le quintet ne manque jamais de donner le meilleur de lui-même, peu importe où il passe.
On n’omettra pas cette mention spéciale à ce bout d’être du premier rang qui paré de sa pancarte « I WANT TO THANK YOU » et de sa plus belle casquette, semble avoir vécu l’un des plus beaux jours de son existence. Eh oui, c’est aussi pour ça que l’on s’attache tant à la musique live et sa beauté, car elle rassemble toutes les générations dans une ambiance toujours des plus euphoriques, ce qui en fait ce quelque chose d’unique et inoubliable. Et Turnstile est, de toute évidence, de ces projets qui n’a de cesse de nous le rappeler.
FLAVIEN BERGER
Quelques deux heures trente plus tard, celui qu’on ne présente plus, frôlait cette même scène pour un concert en toute détente. Bien que nos dix doigts ne suffiront bientôt plus pour compter ses concerts auxquels nous avons pu assister, c’est sans hésitation que l’on s’empresse de le retrouver tant l’expérience reste à chaque fois unique en son genre.
Et c’est toujours seul en scène, accompagné de ses fidèles et éternelles machines évidemment, que l’artiste nous a offert un live tout à son image et où tout y était subtil et poétique. Alors si vous avez déjà vu Flavien en concert, vous savez que ce dernier ne lésine pas sur l’impro afin de créer un vrai dialogue avec son public qui finalement n’endosse pas uniquement le rôle de spectateur. Et on le remercie de se tenir à ce détail qui n’est pas moindre. L’humour était aussi de mise, et cela n’aura pas déplu au vu des nombreux sourires aperçus.
Son dernier album en date, Dans cent ans, voyage un peu partout en France depuis sa sortie et rien de plus plaisant que d’avoir pu profiter de son énième passage dans la capitale pour entendre les bribes de rêveries que sont Berzingue, Jericho ou encore Feux Follets. Sans oublier évidemment l’intemporel tube (on sort les grands mots oui) qu’est La Fête Noire et qui aura valu un public en extase, complètement obnubilé par la beauté du moment présent. C’était sublime en tout point, c’était Flavien Berger.
PLACEBO
Placebo termine ce deuxième jour en tête d’affiche. Une belle consécration pour ce groupe mythique. Brian Molko semblait plus heureux que d’habitude car il lui arrivait de sourire. Stefan Olsdal est toujours aussi impressionnant d’efficacité à la guitare. Le groupe a fourni une prestation égale à ses précédentes en un an et demi. Le son est bon et de qualité, sans jamais être trop fort. Mais la setlist ne bouge pas d’un poil : toujours pas de Special K ou de Pure Morning. Et malheureusement, les reprises de Shout et Running at the Hill en rappel. Bref, pour ce concert de Placebo, veuillez vous référer aux reports de leur concert à l’Accord Arena en novembre 2022 : c’est strictement la même chose. Oui, oui, il dit toujours dans un bon français « Ne croyez pas la propagande, ne nous sommes pas un groupe du Brexit, nous sommes un groupe européen ».
Samedi 26 août 2023 – L’Impératrice, Yeah Yeah Yeahs, The Chemical Brothers
L’IMPERATRICE
Quelle ne fut pas notre joie de retrouver nos adorés membres de l’Impératrice ! Même sous un soleil qui jouait à cache-cache, il était impensable pour nous de se refuser une bonne dose de groove. Tout comme Flavien Berger, on a déjà vanté les mérites du sextet à de nombreuses reprises, mais alors là, ce qu’il s’est passé ce 26 août était phé-no-mé-nal, à la hauteur de leur Zénith parisien.
Fin d’après-midi, toujours notre verre à la main (avec une consigne à deux euros, il est préférable de ne pas l’égarer), casquette vissée sur la tête, on retrouve alors sa majesté pour un concert des plus qualitatifs sur la Grande Scène, la seule qu’elle méritait, cela va sans dire. Après une entrée en scène au rythme d’un cœur qui bat à la cadence de plus en plus accélérée, l’Impératrice habillé de son plus beau bleu signé Salut Beauté, enchaîne avec le très efficace Off to the Side et la foule ne sait déjà plus où donner de la tête.
Hagni, Charles, David, Flore, Tom et Achille semblent s’être missionnés ce jour précis de jouer ce concert comme si c’était le dernier, et c’est mission réussie. Sur les morceaux un chouïa plus calmes (Hématome, Anomalie Bleue), le public se fait plus timide mais ne manque pas de reprendre du poil de la bête sur les iconiques Matahari, Peur des Filles ou encore Voodoo?. Et quand bien même certains festivaliers continuaient à se montrer encore quelque peu hésitants quant au lâcher-prise obligatoire, Flore Benguigui n’en n’a pas démordu et a invité chacun d’entre nous à danser comme si personne ne nous regardait, et c’est alors que le domaine tout entier a suivi l’instruction au pied de la lettre et fait de ce samedi après-midi, une grande fête inoubliable. Et c’était fabuleux, bravo l’Impératrice !
YEAH YEAH YEAHS
La nuit commence à tomber peu à peu quand le concert inédit et événementiel de la soirée débute. Les mots sont forts et assumés. Le trio new-yorkais n’avait plus joué en France depuis dix ans ! Toute une génération attendait donc avec impatience le come back réussi de leur cinquième album Cool It Down. C’est d’ailleurs l’intro de celui-ci, alias Spitting Off the Edge of the World, qui amorce ce show d’une heure.
Karen O débarque de manière majestueuse sur scène, bien après les autres membres du groupe, habillé d’un kimono futuriste. Très vite, elle se libère de ce costume, sûrement pour être plus à l’aise par la suite. Le groupe enchaîne sur deux classiques : Cheated Hearts et P*n. C’est incroyable d’entendre que ces sons n’ont pris aucune ride. La tension de la guitare reste palpable et la batterie assez crade pour nous transporter vingt ans en arrière. Après Wolf et ses notes claires et grandiloquentes, Yeah Yeah Yeahs nous gâte avec l’énergie électronique de Zero qui explose linéairement de secondes en secondes. On s’amuse avec les immenses yeux gonflables balancés au public. C’est la kermesse !
Karen O est une goth heureuse. Elle déclare plusieurs fois son amour à Paris. Il parait évident que c’est réciproque. L’atmosphère devant la Scène Cascade est assez unique. On assiste avec excitation et admiration aux sons de notre adolescence dans un décor lumineux et ultracolorés. Sur Lovebomb, le public est bouche bée devant l’autorité artistique de la célèbre musicienne et on se laisse bercer par ses rêveries. Après une grande parenthèse sur les meilleurs titres de Cool It Down, la formation finit par cinq de ses classiques.
Gold Lion sonnera comme un échauffement aux guitares rugissantes de Y Control et Maps, qui sera dédicacée à Florence and the Machine (elle va bien, rassurez-vous). Impossible de ne pas lâcher une larme à ces deux titres puissants et mélancoliques. Malgré son pantalon aux larges formes, Karen O sautille plus qu’un kangourou et maitrise parfaitement les squats, le tout avec un sourire ineffaçable. C’est la queen de la soirée. Comme si ça ne suffisait pas, la folie est rajoutée à la folie. Par une intro originale à la batterie réussie, Yeah Yeah Yeahs vient déchaîner la foule sur l’hymne des dancefloors Head Will Roll. Comme si ça ne suffisait pas encore, ils insistent en déboitant sur leur morceau dark punk phare qu’est Date With The Night. On peut parler d’ensauvagement de la société à cet instant. La joie procurée déculpe notre performance au saut sur place. La bande nous laisse une pause de trente secondes avant de relancer le refrain dans une ambiance de dingue. Il n’y a pas à dire, le retour de Yeah Yeah Yeahs s’est fait longuement attendre. Plus c’est long, plus c’est bon. En une heure, la formation a délivré la performance la plus orgasmique de ce festival. Juste merci !
THE CHEMICAL BROTHERS
Les programmateurs nous laissent aucun temps de répit puisque The Chemical Brothers déboîte sur Go aussitôt sur la Grande Scène. Le domaine de Saint-Cloud se transforme en un énorme dancefloor extérieur. Au-delà de la performance musicale, les mancuniens offrent une véritable performance visuelle époustouflante, faisant référence à la transcendance et à l’expérimental. Ils ont dû adapter leur format de performance de deux heures en une heure trente pile. De ce fait, ils ont pris l’option de découper en deux parties leur session, chacune étant sans réelle pause. Les plus grands tubes apparaissent assez vite comme Do It Again, Hey Boy Hey Girl ou encore Swoon. Le subtil enchainement Temptation / Star Guitar figure toujours sur la feuille de match pour notre plus grand plaisir. Les voir en festival diffère en salle, en particulier à cause du format. Cette foule n’entre pas en communion avec le monde qui l’entoure, préférant rester dans la bulle amicale.
Peu importe, le duo continue son sans-faute et entame sa deuxième partie qui contient plus d’anciens titres. Notons l’enchainement Escape Velocity / The Golden Path captivant, Goodbye provenant du dernier album et C-H-E-M-I-C-A-L, plutôt rare en live. Faute de temps, The Private Psychedelic Reel sera mis de côté et Block Rockin’ Beats, un classique des musiques de film d’actions, clôturera ce show extraordinaire et encore réussi. Ce choix s’avère plutôt cohérent avec la suite de la soirée qui se poursuit avec la DJ Charlotte de Witte. Les amoureux de la techno laissent en ce troisième jour quelques forces avant une dernière journée qui s’annonce mémorable. En attendant, ce samedi 26 août 2023 restera comme l’un des meilleurs soirs du festival sur ces dix dernières années.
Dimanche 27 août 2023 – The Murder Capital, Amyl & The Sniffers, The Strokes
Il y a trop de concerts à ne pas manquer ! les programmateurs ont voulu nous asphyxier de bons goûts dans cette aventure à Saint-Cloud. Et il fallait se lever tôt puisque Angel Olsen et sa troupe débutait à 13h45. Le soleil tape fort sur la Scène Cascade. L’artiste folk américaine masque bien sa joie de jouer à un horaire si précoce pour une durée d’à peine de quarante minutes. Malgré ses dires « Je suis contente d’être à Paris », nous n’avons vu aucun sourire. Comme pressenti, les deux derniers albums, peu dynamiques, ont été principalement joués. Au total, six titres de jouer ! C’est le coût d’un aller-retour express à Paris puisque l’artiste s’était produite à Londres deux jours auparavant avant de redécoller pour Leeds après la France. Dans un deal gagnant-gagnant, il aurait été judicieux que le public et le groupe puissent avoir chacun une plus grande grasse matinée.
Heureusement, Nova Twins vient nous réveiller. La performance de duo féminin est abrupte, puissante et communicative. Amy Love et Georgia South appuient fortement sur les cordes pour rendre un son gras et explosif. Il n’est que 15h pour autant de violence musicale mais l’envie de pogoter est bien là. Le groupe a autant travaillé sur l’esthétique sonore que visuelle. La projection du clip Choose Your Fighters apporte une forme de décalage sur leur noisy. Il y a là une véritable identité chez elles qui fascinent. On assiste probablement à une future tête d’affiche de festival d’ici trois ou quatre ans.
Vient ensuite Gaz Combes qui aura le droit, lui aussi, à une petite session de quarante minutes sur la Scène Cascade. Voir un concert de seulement huit titres est tout de même un peu frustrant. Cependant, l’ancien leader de Supergrass est plus enjoué que sa collègue américaine Il apporte une touche de soul à un rock classique des années 2000. Une petite pause fraîcheur s’impose durant la performance pop de Snail Mail. C’est le moment de s’asseoir sur l’herbe et de profiter d’une session indie pop relaxante. Il n’y a pas de meilleures conditions pour vibrer ainsi sur Thinning. Mais la réalité nous rattrape vite et cette guêpe XXL qui se suicide dans l’ivresse de mon verre de cidre nous éloigne de la fin de ce concert.
THE MURDER CAPITAL
Les va-et-vient entre les deux plus grandes scènes se poursuivent. Le moment en devient même plus violent avec The Murder Capital venu avec des intentions sauvages. James McGovern avec ses lunettes de soleil cache toute envie de sourire. De sa voix grave, il élance The Stars Will Leave Their Stage. Sûrement un message subtil : il ira pogoter. On le sent ultra nerveux et explosif. La scène est sa séance de boxe. Il pointe sans cesse du doigt et nous fixe souvent.
En balançant très vite les énergiques Return My Head et More is Less, la formation irlandaise nous indique très vite son envie de voir le déchainement de ses fans. On voit de loin les premiers rangs s’élancer sur des pogos dévastateurs pour tout physique fragile. Pendant que les coups de coudes sont donnés devant la scène, on ressent les souffrances des musiciens qui viennent injecter toute leur force possible. Le guitare Damien Tuit ne cesse de se tordre en deux à chaque riff de guitare. Quand Fading Fades est joué, James tire plusieurs fois la langue. Enfin, il se lance dans ce slam tant voulu. Il faudra attendre Don’t Cling to Life pour qu’il retire ses lunettes et admire la déchéance de la foule sous ses yeux. En fait, James McGovern est l’élève perturbateur de la classe et engendre tout le monde dans ses bêtises.
AMYL & THE SNIFFERS
S’il y a une personne sur cette terre que l’on admire sans retenue aucune, c’est bien Amy Taylor. Vraie pile électrique sur scène, l’australienne accompagnée de ses joyeux lurons que sont Kevin Romer (bassiste), Bryce Wilson (batteur) et Declan Mehrtens (guitariste), nous a offert un live qui restera définitivement dans les annales de Rock en Seine, un live qui nous a toutes et tous laissé.e.s bouche bée. Après une entrée remarquée sur Without Me d’Eminem, Amy introduit le concert par ces quelques mots qui tiennent de l’évidence, mais qu’il est malheureusement toujours nécessaire de rappeler à certains « If anybody falls down, you help them up but don’t touch anyone if they don’t want to be touched » Yes, please.
Sur ces belles paroles, l’explosif Control prend le relai et voit un public se laisser enivrer par l’odeur de la douce folie ambiante. Les mosh-pits sont au rendez-vous, bien qu’on aurait préféré voir un public un brin plus survolté pour contrebalancer l’énergie de l’un des meilleurs groupes punk de ces cinq dernières années (objectif revivre ce concert outre-manche dès que possible).
Comme on l’avait anticipé, sa présence scénique ne laisse personne indifférent et Got You, Security, le classique Guided by Angels, Hertz ou encore le frénétique Snakes parlent d’eux-mêmes. Sur les écrans, on y voit une Amy Taylor à la musculature saillante, tout sourire, insoucieuse et faisant de l’instant présent celui qui compte le plus, et c’est fort, très fort. Le concert se termine sur Knifey, que l’on n’aurait manqué pour rien au monde, un titre qui fait subtilement passer un message important et qu’Amy introduit ainsi : « This song is dedicated to all the ladies and my non-binary trans friends. Wear what you want to wear and think how you want to think » S’ensuit une sortie de scène toute aussi extravagante que formidable sur le titre Old Man Emu de l’australien John Williamson. Des applaudissements qui résonnent dans tout le domaine de Saint-Cloud. Ce fut grandiose.
L’hésitation de déjà s’installer pour les Strokes est là, mais on décide de passer une tête du côté de Wet Leg tout de même. Le set se révèle sans surprise mais efficace. La formation étire encore la tournée de son premier album. On sent que les morceaux joués en live sont désormais très bien rodés. Chaque titre équivaut à un tube. La petite surprise provient de la courte mais grande averse qui s’abat à la fin du concert. Sûrement pressé de se mettre à l’abris, la bande joue la version la plus rapide et énervée de Chaise Longue qu’elle n’a jamais faite. Les spectateurs courageux se sont donnés à cœur joie à danser aussi furieusement sous la pluie. Ce fut trois minutes intenses de pur plaisir.
THE STROKES
Enfin ! Il est l’heure d’apprécier à sa juste valeur le quintet le plus charismatique de l’indie rock : The Strokes. Ils n’ont pas malheureusement la bonne réputation d’être parfaits en live. Notre amour à leurs hymnes nous fait oublier les mésaventures. Sauf que le groupe new yorkais est cette personne toxique. Tu l’adores mais tu ne sais pas si c’est réciproque car elle ne l’affiche pas. Peu importe, on tente notre chance !
Le quintet arrive avec cinq petites minutes de retard. La scénographie est composée d’un écran aux lumières psychédéliques et de deux grands triangles rectangles symétriques. What Ever Happened ? lance les hostilités. Le son ne sonne pas trop fort et un peu lo-fi. C’est crade mais acceptable. Les Strokes semblent sérieux et appliqués, le public est en extase. L’enchaînement de leur deux plus gros tubes Last Nite et The Adults Are Talking emballera toute une foule qui manque un peu d’entrain. Il faut dire que le son manque clairement de puissance. On peut vite s’entendre parler… En pleine confiance, Julian Casablancas prend la parole et le masque tombe. Il installe un malaise sur scène en langue française puis demande à Nikolai Fraiture le sens de karma en français. On s’inquiète.
Mais le groupe repart de plus belle avec la jolie ballade Call it Fate, Call it Karma, Juicebox ou encore You Only Live Once. Il y a tellement de hits dans leur répertoire que chaque titre proposé est accueilli avec passion. Quand Ode to the Mets se joue, un autre couac apparait pour les fans : Julian oublie les paroles. Il n’a pas dit Drums Please, Fab ! Le coche est loupé. Mais ce n’est pas fini, la sélection des titres est de bonne qualité, des tubes manquent. Le public veut bouger davantage, Julian improvise une chanson après un discours incompréhensible de deux minutes. Lorsque Automatic Stop, Reptila et Someday sont enfin joués, la déception retombe aussi vite car le son se cut régulièrement et offre une expérience auditive désastreuse et frustrante. Certains sifflent de désespoir car personne de l’équipe technique du groupe ne semble s’inquiéter de ce problème. Sauf Julian qui nous indique qu’il reste quinze minutes. Sympa. Ils balancent un Hard to Explain saccadé et un Is This It saccagé. “Merci”, et c’est fini.
Les vingt ans de Rock en Seine se terminent ainsi de manière abrupte. Une certaine tristesse se dégage de voir ces pères de l’indie rock finir ainsi. Malgré tout, le festival a réussi à honorer son anniversaire par un choix artistique à l’identité musicale assumée et retrouvée. Près de 150 000 festivaliers se sont ainsi déplacés pour voir cette pléiade de talents sur les quatre jours. Les programmateurs ont déjà de la suite dans les idées et elles s’annoncent prometteuses. Tout ce qu’on peut dire actuellement pour la prochaine édition 2024, ce sont les dates du 21 au 25 août et le partenariat culturel avec les JO. On a hâte ! Wait and see !
© Crédit photos : Inès Ziouane