Cléa Vincent – Ad vitam æternamour

Avec Ad vitam æternamour, Cléa Vincent nous livre un troisième album en forme de toujours. Un toujours qui vaut aussi bien pour sa capacité à nous étonner en se réinventant perpétuellement que pour la cohérence de son écriture musicale qui fait qu’une chanson de Cléa Vincent est reconnaissable dès ses premières notes. Se réinventer sans se renier. C’est ce qui fait que les compositions plus épurées et électro de son nouvel album restent d’extraordinaires passeurs d’émotion.

Mettre des mots pour expliquer pourquoi on apprécie tant une chose s’avère toujours compliqué. Surtout dans les arts et la musique en particulier, où l’on est attiré par des éléments généralement subjectifs. On peut être attiré par une mélodie, un rythme, des intonations de voix, par tout un ensemble qui fait qu’une chanson va nous toucher. Une alchimie qui, dans sa façon d’opérer et de séduire, secoue notre for intérieur. Alors souvent, on redoute qu’à force de trop vouloir disséquer, analyser nos sensations, l’on perde la magie qui les régit.

Celle qui émane des chansons de Cléa Vincent, qui lui est propre, joue sur les ambivalences. Pas si candide qu’elle peut paraître à la première écoute. Les thèmes qu’elle aborde, simples dans la manière de les traiter, sont profonds dans leurs signifiants. Bien amenés, les messages passent sans coup férir. Pas si fragile que cela, elle fait preuve d’une incroyable ténacité, d’une force de construire immense dans son projet ou ses multiples projets auxquels elle participe en B-Side.

Une hyper activité qui la mène en duo avec Kim (avec lequel elle entretient une gémellité musicale fusionnelle), à être indispensablement (Laurence) Inutile au sein du troll-dark-depressing-boring-neurasthenic wave du groupe Les Clopes ; également à accompagner l’incroyable Jeanne Balibar dans la composition de son dernier album ou encore à tisser une complicité (Los) Fanfaron(s)esque avec Jérôme Violent dans un projet DJ set (de plus en plus) augmenté.

Un vrai foisonnement musical qui semble a priori contraster avec son projet principal pour lequel elle n’a publié « que » trois albums : Retiens mon désir(2016), Nuits sans sommeil (2019) et Ad vitam æternamour (2024). Une frugalité quelque peu en trompe-l’œil, car avec ses Tropi-Cléa (2017-2020-2022), Cléa Vincent a également sorti un triptyque solaire imprégné de bonnes ondes aux incidences vibratoires sud-américaines.

Cela nous amène à considérer chacun de ses albums comme une borne balisant une carrière qu’elle fait évoluer. A nous de découvrir les nouveaux cheminements qu’elle ouvre par sa french pop née de la synthèse d’une chanson française assumée et d’une électro façon french touch chérie.

On est à chaque fois curieux de découvrir les nouveaux (micro)sillons que la chanteuse a gravés pour nous. Curieux, voire étonnés, car Cléa Vincent excelle dans l’art de nous surprendre.

Dans Ad vitam æternamour, les compositions gagnent en apparente simplicité. Avec leurs lignes musicales et mélodiques fortes, elles savent nous toucher directement et profondément. Sa voix, claire, se fond graduellement dans le paysage sonore qu’elle dessine, à devenir partie intégrante des boucles électro dont se nourrissent les chansons. Des BPM structurés par une batterie bondissante et des basses bien rondes donnent aux morceaux leur élan groovy. Raphaël Léger est toujours maître des rythmes. Notes de piano – forcément – mais également de wurlitzer pour ses sonorités vibratoires parsemées de touches cuivrées (trompette de Raphaël Thyss et saxophone alto de Nina Beziau). On retrouve l’essence même du son de Cléa Vincent.

Pour autant, tout en s’appuyant sur ses fondamentaux, elle arrive à faire évoluer ses compositions et les amener plus loin. Sans craindre de se confronter à des univers que l’on pourrait penser distants et qui se superposent parfaitement. Qui l’aurait imaginé collaborer avec Jacques, le trublion et bidouilleur fantasque de l’électronique ? Dans État second, cette rencontre, a priori improbable, devient aussi évidente que jubilatoire. Lorsque les vortex de l’un se mêlent aux boucles de l’autre.

Fondamentalement optimiste, même si le thème porté par l’album est celui de la rupture amoureuse, Ad vitam æternamour se garde bien de verser dans le pathos ou l’amertume. Et si l’on peut ressentir une certaine mélancolie, celle-ci constitue les fondations d’une reconstruction dont les chansons de l’album témoignent.

Du constat porté par le premier titre qui a donné le nom au disque – « Ad vitam æternamour, j’t’ai donné mon toujours – Ad vitam æternamour, j’ai repris mon toujours ».

A l’acceptation de Se laisser partir « Ne pas tenir, ne pas se retenir -Te laisser partir, me laisser partir, se laisser » dont le tempo presque ferroviaire symbolise un éloignement inéluctable ou celui de C’est Ok « C’est OK, y a toujours renouvellement – C’est OK, rien n’est figé, finalement » dont la douceur apaisante qui se propage s’apparente à celle des compositions du Paradis de Simon Mény et Pierre Rousseau.

Vers l’envie de reconstruire, en conservant confiance en soi – Free demain – en se projetant vers demain dans la Nuit de Yalda et découvrant l’émotion de la parentalité par, dans Tombé du ciel, les sensations ressenties d’un futur bébé dans la matrice de la mère. Et ainsi se retrouver ensuite délicatement chambardée comme dans Douce chavirée ou Shut down ma tête ou l’esprit libéré Si t’as envie.

L’album se clôt avec le très joli Instant T qui présage de séduisantes compositions à venir en entrouvrant musicalement de nouvelles échappatoires. Et puis Instant T rend hommage à ces moments figés – presque photographiques – qui alimente nos mémoires.

L’Instant T est également celui figé par le sculpteur Antonio CanovaPsyché ranimée par le baiser de l’Amour – qui illustre la couverture de l’album Ad vitam æternamour. Un moment suspendu dans la mythologie grecque où le baiser d’Eros redonne vie à Psyché dont la beauté avait rendu jalouse Aphrodite. Une histoire tourmentée mêlant amour et deuil (pour mieux renaitre aux yeux de son amant), remise en couleur par Axel Vagnard dont la palette apporte sa touche de modernité. Rose, bleu et orange (douceur, tranquillité et énergie) sont les couleurs dont se pare – en 11 chansons – Ad vitam æternamour, le troisième album de Cléa Vincent.

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