Il y a des rencontres qui marquent. Celle avec Clou en fait partie. Quelques jours avant la sortie de son deuxième album A l’évidence, nous l’avons retrouvée dans les locaux de son label Tôt Ou Tard. En toute simplicité, Clou a pris le temps de nous parler de l’album bien sûr, du processus de création, des coulisses, des autres projets en cours et aussi un peu de chiens, de chats et de Pouilly fumé (mais ça, c’était off !).
La Face B : Comment ça va ?
Clou : Ça va très bien, et en ce moment encore mieux parce que sortie de l’album. Je suis beaucoup plus apaisée que pour le premier album. Je sais un peu à quoi m’attendre entre guillemets. On ne sait jamais. Il y a quelque chose de plus serein dans ma manière d’être.
LFB : Ça se sent vraiment dans ton album. T’es dans quel état d’esprit à l’approche de la sortie ?
Clou : Ah, petit vertige ! Je me rends pas trop compte. Je suis comme un moine taoïste, j’y vais vraiment chaque jour et heure par heure. J’essaie de pas anticiper quoi que ce soit puisque de toute façon ça va m’échapper. Je suis pleine de doutes aussi, ça va avec le fait de créer quelque chose. Mais je suis joyeuse, très joyeuse ! La meuf est devenue bouddhiste en l’espace de 4 ans !
« Ce qui me meut, c’est la vérité, c’est ma vérité »
LFB : Qu’est-ce qui t’a guidée dans la conception de ce 2e album ?
Clou : J’ai essayé de faire un peu comme pour le premier album en termes de fabrication. J’écrivais très souvent. J’ai eu beaucoup de matière et en rentrant en studio j’avais vraiment énormément de chansons. Et j’ai voulu faire la même chose sur le 2e, parce que j’avais du temps, et aussi parce que j’ai commencé à composer ce 2e album pendant le premier. Il y a eu le confinement, j’étais seule chez moi. J’ai fait beaucoup de dessins, j’ai écrit un livre mais j’ai quand même continué à faire des chansons. On retrouve quelques chansons que j’ai écrites à ce moment-là aujourd’hui (NDLR : Gare de Lyon et Mes rêves). Donc c’est un continuum d’écriture. J’essaie aussi de me dire – ça c’est un fil conducteur – de garder une certaine vérité. C’est ce qui me meut, c’est la vérité, c’est ma vérité, raconter quelque chose de vrai, de sincère. C’est toujours des histoires personnelles, beaucoup de JE.
LFB : C’est cathartique.
Clou : Evidemment. J’essaie aussi d’écrire avec les pronoms ON, NOUS. Mais je pense que je suis meilleure quand je raconte quelque chose de très perso, très intime. Donc forcément, l’album ressemble à ça. J’essaie de raisonner aussi comme pour le premier en disant ce sera peut-être le dernier. Donc je veux faire un truc qui me ressemble et qui me plait. Moins d’artifice que le premier, un peu plus d’épure, toucher l’os des chansons, encore plus. C’est encore des chansons qui se tiennent au piano, guitare voix. C’est comme ça que je les ai écrites.
LFB : On ressent beaucoup de force, de sérénité, de courage, d’émancipation, et un côté cash, direct.
Clou : Je suis très frontale, j’avoue. Je dis les choses, ça veut pas dire que je les dis pas avec douceur ou gentillesse. J’ai du mal avec les gens qui tournent autour du pot. J’ai aussi un rapport au temps qui est particulier. J’ai à cœur que ma vie soit belle, j’en n’ai qu’une, et donc perdre du temps parce qu’on n’arrive pas à se dire les choses, ça me semble superflu.
« Avec Stan Neff, on s’est vraiment dit à chaque fois non pas qu’est-ce qu’on veut faire, mais qu’est-ce que la chanson demande »
LFB : Il y a un son plus acoustique dans ton album.
Clou : Complètement. Y a plus de guitare, plus de voix, plus de piano encore. Y a toujours des synthés parce que j’aime ça. Je trouve que Dan Lévy sur mon premier album avait essayé de coller à mon univers, à mes envies. Et là, avec Stan Neff qui est le réalisateur de l’album, on s’est vraiment dit à chaque fois non pas qu’est-ce qu’on veut faire, mais qu’est-ce que la chanson demande. Et ça change plein de choses cette perspective-là. Y a pas de désir impérieux d’avoir telle chanson sur l’album. On essaie de voir quelle couleur on va lui donner. Si c’est cohérent et si c’est beau, on la garde. C’est bizarre de dire ça, mais c’est les chansons d’abord.
LFB : Tu parles beaucoup de couleurs.
Clou : Oui c’est vrai !
LBF : Le rouge, le bleu…
Clou : le blanc, le jaune sur la pochette, tout à fait.
LFB : Si l’album devait être une couleur, qu’est-ce que ce serait ?
Clou : Ben écoute, j’ai vachement hésité à l’appeler Bleu cet album. Mais c’est un titre d’un album de Joni Mitchell qui est ma référence absolue. Je ne me permettrais pas d’appeler mon album comme celui de Joni Mitchell. Et donc on n’a pas choisi de couleur, mais c’était quand même l’idée. Je voulais pas non plus que ce soit un album qui ait l’air d’être mélancolique, parce que je pense pas qu’il le soit. Je pense qu’il y a des moments de mélancolie mais il est quand même très positif et très joyeux. Et je me souvenais quand j’étais enfant, ma couleur préférée, avant que ça devienne le bleu, c’était le jaune. Parce que c’était la couleur de la lumière, c’était la couleur des fleurs et il y avait quelque chose qui me rendait très heureuse dans cette couleur-là. Et donc je pense que s’il fallait une couleur à cet album, ce serait le jaune. Et c’est la couleur qu’on a choisie pour la pochette. Et ce n’est pas un jaune que tu peux ignorer !
« Je suis solide, beaucoup plus que sur le premier album »
LFB : Vu qu’on parle de la pochette, ce qui m’a frappée sur A l’évidence, c’est finalement le contraste avec Orages. Sur Orages, on te distinguait, il y avait une sorte de grain qui faisait qu’on te voyait pas très nettement. On voyait que c’était la tempête, y avait du vent dans tes cheveux. Et alors là, sur A l’évidence, t’es cash, t’es hyper nette, c’est toi.
Clou : Oui ! C’est marrant parce que pour la pochette, on voulait faire quelque chose en extérieur. J’avais très envie d’une lumière naturelle, je voulais que ce soit comme des photos qu’on prend en vacances. Et toutes les photos qu’on a faites en extérieur ne fonctionnaient pas pour la pochette. Donc on en a gardé une qui est à l’intérieur mais les meilleures photos sont les photos de studio qu’on a faites le matin. Et il y avait quelque chose de très serein encore, hyper simple. Et en plus, alors moi j’adore les vêtements, c’est vraiment une des joies de ma vie aussi. Et on avait vraiment beaucoup de vêtements sur place. Et pour cette photo, la styliste qui était là et qui s’appelle Charlotte m’a dit « On démarre la matinée, on va juste te mettre un débardeur et un jean, et on fait tout simple ». J’étais genre « Ah bon, on met pas la robe à paillettes ? » Et c’est celle qu’on a gardée. C’est la meilleure, c’est celle qui se cache le moins. Je me dévoile, voilà. Et je suis solide, beaucoup plus que sur le premier, ça c’est sûr.
LFB : Tu abordes parfois des choses très difficiles dans l’album. Parfois il y a même une prod joyeuse autour. Toujours avec une franche délicatesse.
Clou : Ah ça me touche que tu dises ça. Ecoute, c’est vrai. C’est toujours le contraste que je fais presque sans faire exprès. Ça ressemble un peu aussi à ma vie, c’est-à-dire que on a tous ça. On porte tous un fardeau, un passé et une histoire plus ou moins lourde. On a tous un combat qu’on mène contre quelque chose d’un peu sombre. Et j’ai pas du tout envie que ça pèse, et ma manière à moi de raconter tout ça c’est de faire des mélodies assez enjouées, positives, rythmées, parce que c’est ce que j’aime aussi. Et je trouve que ce contraste il est positif envers la vie, envers les gens qui vont m’écouter. Je ne veux pas me plaindre.
LFB : C’est aussi une façon de mieux faire passer les messages peut-être ?
Clou : Oui, je veux en tout cas qu’il y ait quelque chose de lumineux et positif qui sorte. Mais je te dis ça, j’ai pas l’impression que ce soit très conscient. C’est la musique que j’aime écouter. J’aime l’album Graceland de Paul Simon follement, Vampire Weekend, j’aime ces gens-là, j’aime Regina Spektor, j’aime les gens qui sont capables d’écrire des chansons super tristes avec une musique sur laquelle t’as envie de danser. Et c’est les meilleures chansons. Stromae fait ça aussi. La vie ressemble à ça.
« Sans mes amis, je n’aurais pas pu faire l’album, je n’aurais pas pu faire ce métier »
LFB : Pour l’instant, tu nous as dévoilé Mon épaule, A l’évidence et Bleus. Pourquoi avoir choisi ces titres-là ? Qu’est ce qu’ils représentent pour toi dans cet album ?
Clou : Je trouve qu’avant la sortie d’un album, on a envie de donner l’ADN de ce qui va arriver. Et il y a aussi des titres un peu plus symboliques, un peu plus coups de cœur qui ne sont pas forcément des singles d’ailleurs qui rentrent en radio. Ce n’est pas l’idée, même si il y en a un petit peu. Mon épaule, c’est un titre qui parle d’amitié. L’amitié c’est quelque chose de central dans ma vie, famille choisie c’est ma vraie famille.
Je l’ai écrite pour ma meilleure amie qui traversait un épisode dépressif grave et j’ai eu très peur pour elle. J’avais besoin d’écrire cette chanson. Je lui ai pas envoyé tout de suite d’ailleurs. Une fois qu’elle est sortie de tout ça je lui ai fait écouter et elle était très touchée, et c’était un peu évident de la garder pour l’album. C’est une chanson qui faisait l’unanimité parce que le message était limpide, à la fois très positif et très vrai. Sans mes amis, j’aurais pas pu faire l’album, j’aurais pas pu faire ce métier. Et en même temps tu peux chalouper sur cette chanson. Il y a un petit clin d’œil à Albin de la Simone qui avait fait une chanson qui s’appelle Mes épaules.
LFB : C’était une évidence.
Clou : Voilà ! A l’évidence, c’était le titre de l’album donc c’était logique de raconter ça. C’est tellement l’histoire d’un rendez-vous amoureux qui marche ou qui ne marche pas d’ailleurs, on ne sait pas !
LFB : Il a marché ou il n’a pas marché ?
Clou : Il n’a pas marché en l’occurrence. Mais c’était pas tellement le sujet. Je voulais plus parler des rencontres. Y a une immédiateté, je trouve ça assez beau. Dans un premier rendez-vous, tu sais dans les 30 premières secondes, dans les 10 secondes, si oui ou non ça va bien se passer ou pas. C’est très bizarre. Il y a une alchimie qui se crée ou pas et parfois se battre contre ça sert à rien. Je trouve ça assez beau parce que ça nous échappe complètement. Dans une société où tout est assez calibré, y a des choses qui nous échappent complètement et tant mieux.
Et Bleus, c’est vraiment la chanson de l’intimité, c’est hyper personnel. C’est une chanson qui n’est pas facile, je ne sais pas comment je vais la chanter en live ! Je l’ai écrite il y a deux ans avec plusieurs personnes, un groupe d’écriture. J’arrivais presque pas à raconter pourquoi c’était si difficile pour moi de rencontrer des personnes, d’avoir une relation amoureuse qui ait du sens. J’en ai eues bien sûr, et j’en ai encore mais ça me demande un effort, ça me demande une prise de risque. Ça vient d’une expression de ma mère qui disait que j’étais couverte de bleus invisibles. Ça se voit pas de prime abord, mais j’en ai pas mal et il faut les dépasser. Parfois d’en parler, ça fait du bien aussi.
LFB : C’est thérapeutique.
Clou : C’est toujours un peu thérapeutique. La musique transcende la réalité, elle transforme les choses douloureuses en quelque chose de beau et de doux et d’agréable, comme toutes les formes d’art. L’écriture c’est pareil, danser c’est pareil, faire de la peinture c’est pareil, même si on est mauvais on s’en fout. Chanter au karaoké, c’est cathartique !
« Chant de Noël […] c’est un film de Despleschin »
LFB : Est-ce que tu peux nous parler de Chant de noël ? C’est quand même assez incroyable.
Clou : C’est une de mes chansons préférées de l’album. C’est une chanson que j’ai écrite il y a 1 an. Je l’ai écrite d’abord comme un cantique. Donc j’ai fait un truc très lent, avec plein d’harmonies. Il y a 4 accords max, et surtout la maquette que j’avais faite, c’était quelque chose de très religieux.
LFB : Les alléluias sont restés !
Clou : Oui. C’est une petite référence à Regina Spektor, où dans une de ses chansons elle dit alléluia. J’avais trouvé ça très très beau. Je m’étais dit que j’allais faire un petit clin d’œil. Les fans de Regina vont l’entendre et les gens qui la connaissent pas vont pas l’entendre, mais c’est pas grave.
C’était évidemment avant Noël, moi j’ai toujours du mal avec cette fête. Une joie obligatoire qui n’est jamais vraiment une joie. Je me suis forcée pendant des années à aller à Noël du côté de mon père avec 14 personnes. C’était lourd, la joie était feinte. Il y avait quelque chose de non-dit à chaque fois, une espèce de violence latente. Ce silence aussi qui me rendait dingue et l’année où j’ai refusé Noël, ça m’avait fait un bien fou. Le problème aussi de Noël, c’est que refuser Noël, ça veut dire être seule et c’est très dur. Cette chanson m’avait fait du bien parce que j’avais très envie de mettre des mots dessus.
Et je suis arrivée en studio avec cette chanson et Stan, mon réalisateur, m’a dit » mais Clou, comment te dire, si on la garde en cantique, ça peut être très lourd et ça ne va pas forcément faire passer un message très positif « . Et c’est ce que m’avait dit aussi ma directrice artistique, qui est toujours très juste. Et c’est là qu’on voit aussi que travailler avec un label et une bonne équipe, c’est intéressant. Moi je l’aurais gardée en cantique, j’aurais fait un truc peut-être un peu gênant. Mais quand deux personnes dont je valorise vraiment l’avis me disent qu’il faut qu’on trouve un twist, je me suis dit « ok, on va trouver quelque chose. »
On a mis du temps à trouver et on a trouvé ces rythmes reggae. Parce que je compose aussi beaucoup comme ça. C’est les rythmiques que j’aime. Et c’est devenu un truc tellement drôle, joyeux et heureux qu’elle avait maintenant un sens complètement différent. Et j’espère vraiment qu’avant Noël ou pendant Noël, les gens dans leur voiture, ils écoutent cette chanson, ils vont au repas et tu sais, ils se disent « oh non, je n’y vais pas, demi-tour et je vais voir mes potes et je fais autre chose et je fais un Noël qui me ressemble ». Je n’impose pas la famille ou un rituel qui ne me ressemble pas et qui me fait mal. Noël c’est censé faire du bien et ce n’est pas le cas pour tout plein de gens je crois.
LFB : La première fois que je l’ai entendue, je me suis dit « cette chanson, il y a plein de choses ». Il y a presque un côté finalement farce, mais sérieuse. Je ne viendrai pas, c’est comme ça et je l’assume.
Clou : Je ne sais pas si tu vois le film de Desplechin et si tu vois ses films qui sont souvent sur la famille. Moi c’est des films qui me touchent énormément. Je me retrouve vachement dans ses films. Il est très cash aussi dans ses films. Si tu dois mettre des images dans cette chanson, c’est que c’est un film de Desplechin.
LFB : Tu m’as dit que ce n’était pas ton morceau préféré de l’album.
Clou : Alors je l’aime beaucoup en fait. Il grandit un petit peu, tu vois. Parce qu’il a vraiment une place à part et ça me tenait à cœur qu’il soit sur cet album. Ma chanson préférée pour l’instant, parce que ça change tout le temps, c’est un peu le problème !
« La chanson la plus proche de moi pour l’instant, c’est Laisser l’été. Elle raconte la résilience. […] Il y a quelque chose d’un peu entraînant que j’aime bien, et il y a plein de voix dans tous les sens »
LFB : D’accord, c’est que tu les aimes toutes en même temps, c’est plutôt bien !
Clou : Mais tu sais, à la fin du processus de création d’un album, tes chansons, tu peux plus les voir en peinture. Et puis tout d’un coup, t’as la scène qui arrive et tu les aimes à nouveau. Mais il y a deux ans d’écoute des mêmes titres. Il faut aussi se laisser un peu de temps de silence. Et je les ai réécoutées pendant les vacances et j’étais là : « c’est cool, c’est bien, je kiffe ». Mais il faut se laisser du temps avant de les réapprécier.
Donc ma chanson la plus proche pour l’instant de moi, c’est Laisser l’été, la chanson numéro deux. Je ne sais même pas comment expliquer, c’est une chanson qui me touche plus que les autres. Elle raconte la résilience, ton rapport à ce que tu as pu vivre, ce que tu as pu vivre avant et comment tu vis aujourd’hui tout en étant la même personne. Et c’est une chanson qui a un rythme aussi qui fait très marche, très course tu vois. Il y a quelque chose d’un peu entraînant que j’aime bien. Et y a plein de voix dans tous les sens.
J’avais envie qu’il y ait beaucoup de voix sur cet album-là. On n’en avait pas fait beaucoup sur le premier. Là, je me suis complètement lâchée sur les deuxièmes voix, troisièmes voix. Et c’est pas grave si sur scène il va falloir un chœur pour m’accompagner ! Non, il n’y aura pas de chœur, mais il y a une guitariste qui sera sur scène avec moi et qui va faire quelques deuxièmes voix, je suis trop contente !
LFB : Tu as annoncé une date au Trianon pour l’instant. Comment tu te sens ? Tu y penses un peu, pas trop ?
Clou : Je suis comme un gosse tu vois ! C’est un rêve le Trianon, c’est un accomplissement aussi. Il faut être à la hauteur aussi de cette salle. C’est une de mes parisiennes préférées et je suis très très heureuse de le faire. Et ce sera au printemps, donc un peu le renouveau du printemps et la joie de tout ça. Et on aura quand même eu quelques dates aussi avant. La tournée démarre en janvier 2025. Je serai avec mes musiciens qui étaient déjà avec moi sur la première tournée et que j’adore. Je suis enthousiaste. Et assez fière. Maintenant il faut le remplir !
LFB : J’aimerais qu’on parle de ton écriture. Tes mots sont très ciselés.
Clou : C’est gentil ça.
« J’ai un rapport aux mots qui est très anglo-saxon »
LFB : On sent vraiment qu’ils sont précis. C’est ce mot-là, pas un autre. Comment ils viennent, comment tu les travailles ?
Clou : Et bien déjà, j’écris tout le temps. Quand je dis tout le temps, ça veut dire un peu tous les jours, même si c’est trois phrases, même si c’est dans mon journal. C’est une mécanique qui s’est mise en place et qui vient assez naturellement. Et je crois que ce qui me touche d’abord dans un mot, c’est sa sonorité avant même sa signification. Et donc j’ai un rapport aux mots qui est très anglo-saxon, qui est très Gainsbourg peut-être, toute proportion gardée, modestement.
La sonorité est importante pour moi. Il y a une approche qui n’est pas du tout chanson réaliste. La rime est importante pour moi. Les voyelles sont importantes pour moi, les consonnes aussi. J’ai vraiment très envie que ce soit très musical et que quelqu’un qui habite aux Etats-Unis puisse écouter des chansons françaises et se dire « j’aime bien ». Parce que ça sonne bien.
LFB : Il y a effectivement une manière assez anglo saxonne dans tes textes, qui sont pour autant très précis.
Clou : Il y a des métaphores. Il y a quand même partout des mots un peu plus compliqués. J’aime bien aussi oublier des pronoms personnels. J’adore bien faire des formulations qui ne sont pas… Dans la chanson Cardigan, je dis « ce parfum de toi », c’est pas très français ce parfum de toi, mais bon, on s’en fout.
LFB : C’est marrant, tu parles de Cardigan. Moi c’est ma chanson préférée. Il y a une douceur, une chaleur, une délicatesse.
Clou : Ça me fait trop plaisir. C’est une chanson que j’ai écrite pas du tout pour moi au départ. Le manager de Calogero me contacte par Tôt Ou Tard et dit « on voudrait bien un texte de Clou, mais pas un texte d’amour ». C’est l’époque où sort l’album de Taylor Swift avec Cardigan dessus. Je trouve pas de thème qui soit pas de thème amoureux, et je ne connais pas Calogero, et donc je me dis qu’est-ce que je vais faire ?
Et donc je chope un des titres de chansons de Taylor Swift que j’écoutais tout le temps. Je prends Cardigan, et j’écris sur ça. Et dans mes affaires, j’ai un pull gilet cardigan que ma grand-mère avait tricoté il y a des années. J’ai des vestes aussi de mon grand-père. J’ai toujours des vêtements un petit peu famille qui sont des objets chargés en symbole et qui me font du bien. Je me sens bien dedans, je me sens rassurée. Et donc j’ai commencé à écrire là-dessus. J’ai envoyé le texte, jamais eu de retour, pas grave.
Et puis on prend l’écriture de l’album. Et je me dis ah, j’ai un texte qui dort et je vais me le réapproprier. J’avais très envie de raconter que dans une histoire d’amour, quand on retrouve le vêtement de quelqu’un qu’on a aimé ou qu’on aime encore, il y a quelque chose de très beau qui se passe et c’est presque de la magie, parce que finalement on est seul avec un pull. Mais c’est un petit bout de la personne qui est avec nous encore.
Les premiers vinyles de « A l’évidence » arrivent pendant l’interview !
Clou : Oh putain on a les vinyles ! C’est dingue ! Ça fait trop bizarre. C’est super cool. Je vais pleurer.
LFB : Je t’en prie. C’est beaucoup d’émotions, c’est l’aboutissement.
Clou : Oui, c’est beaucoup de travail. C’était un projet et c’est concret voilà. C’est ce que les gens vont avoir. Ça représente un engagement.
A propos de la cover
Clou : C’est pas trop retouché, tu vois le truc ? On vieillit tous, mais je ne voulais pas que les gens se disent que j’ai 25 ans. On a fait des retouches, sur la lumière, mais il y a très peu de retouche photo. Donc c’est plein de traits de ma tronche, même les petits cheveux, on a tout gardé.
LFB : C’est toi !
Clou : En tout cas, même les cheveux c’est moi !
LFB : Il me reste quelques questions.
Clou : Oui oui vas-y !
« Il y a 3 collabs en route […]. Les collaborations, c’est tellement une richesse. J’adore ça. La camaraderie. Et puis créer des choses avec d’autres personnes, ça t’emmène tellement ailleurs »
LFB : Tu vas être sans doute très très occupée dans les mois qui viennent. Mais je voulais te demander s’il y avait de la place pour peut-être d’autres projets d’écriture, de dessin, des collab ?
Clou : Il y a trois collab en route dont je ne peux pas encore parler évidemment. J’adore le travail avec les artistes. C’est un des plaisirs de faire de la musique, c’est que tu passes ton temps à rencontrer plein de gens. Et les collaborations, c’est tellement une richesse. J’adore ça. La camaraderie. Et puis créer des choses avec d’autres personnes, ça t’emmène tellement ailleurs.
Le dessin, ça fait tellement partie de ma vie maintenant que bien sûr. Après je ne me fais pas d’illusions, je pourrai pas tout faire. Mais il y a beaucoup de dessins qui vont suivre un petit peu la sortie de l’album. Parce qu’il y en a beaucoup dans le vinyle et dans le disque. J’avais fait une expo il y a quelques années, ça m’avait apporté quelque chose d’assez nouveau sur ma vie artistique que j’ai beaucoup aimé. Que les gens aient envie d’avoir chez eux un dessin de moi, je trouve ça dingue.
Et après, j’essaie d’écrire un roman depuis 3 ans. Je n’en peux plus ! Et j’avais aussi écrit un livre jeunesse. Mes éditrices jeunesse sont là ! Après je ne voulais pas non plus tout mélanger. Tu ne peux pas tout faire bien. La musique c’est quand même ma priorité.
Et j’ai aussi la mise en scène, et je joue aussi, une pièce musicale autour de mon premier livre qui s’appelle Doux mots dits, et on a mis ça en place et des artistes qui sont en Martinique. Et on est en train de tranquillement monter un spectacle. C’est plus à destination des ados, des jeunes, des scolaires. Parce qu’en fait, à la sortie de Doux mots dits, j’ai été sélectionnée pour plusieurs prix pour les ados. Et ça c’était génial parce que ça m’a fait rencontrer des classes et des profs de français. Mon dieu les profs de français je les aime !
J’ai rencontré des ados qui ne lisent pas et qui du jour au lendemain ont le livre dans les mains parce qu’ils sont obligés, et qui se rendent compte en fait qu’ils font déjà eux aussi de la poésie, et qui arrivent à s’approprier les sujets, qui après se mettent à écrire de la poésie. Mais, et ça c’est génial, ça c’est une drogue pour le coup. De toucher comme ça des personnes de cet âge-là et de leur montrer que la poésie, ça existe et que ça peut peut-être changer leur vie. C’est un super pouvoir, j’ai l’impression d’avoir Excalibur !
LFB : C’est pas les plus faciles à toucher les ados.
Clou : Mais non. Ils sont sur leur téléphone. Ils ont 1000 choses à faire. Ils ont leur vie. Je caricature mais j’ai une petite cousine qui a quinze ans et qui est sur son téléphone beaucoup. Et sa vie entière est quand même basée vachement sur ça. Et la faire lire, c’est pas évident. Mais leur montrer que tu peux prendre un livre et le prendre dans le désordre et être touché par quelque chose. Et l’art c’est souvent ça. Quand il t’arrive un truc un peu dramatique, t’as besoin de trouver du sens à ce drame et tu vas trouver dans l’art. C’est très dur de le trouver ailleurs. L’art est fait pour ça.
Maro […] c’est une artiste incroyable. […] Je l’ai vue sur scène […] avec trois guitares classiques et puis sa voix c’est tout. Qui fait ça aujourd »hui ? »
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur en ce moment pour des artistes, des bouquins, des films ?
Clou : Elle est sur l’album, c’est mon featuring, c’est Maro qui me fait un cadeau d’avoir dit oui. Maro c’est devenu un phénomène mondial. On s’est rencontrées pendant le covid. Elle était de passage à Paris. On s’est contactées. On a sympathisé. Elle est venue à la maison, on a bu un café. C’est très banal mais c’était une vraie rencontre. C’est une artiste incroyable. Et depuis, elle a complètement éclos, explosé. Et je suis très heureuse pour elle de ce succès-là. Son album, ses albums, ses EP, ses singles me touchent énormément. Elle arrive à faire quelque chose qui n’est pas dans l’air du temps non plus. Je l’ai vue sur scène y a pas très longtemps au Trabendo et il y a quand même trois guitares classiques et puis sa voix et c’est tout. Qui fait ça aujourd’hui ? Je sais pas. C’est singulier. C’est très beau, c’est vraiment une artiste que j’adore. Je suis très heureuse qu’elle soit sur mon album.
J’ai découvert Gracie Abrams il y a quelques années. Mais c’est pas elle que j’écoute le plus. C’est une anglaise qui s’appelle Holly Humberstone. Son dernier album, je l’aime un peu moins, mais ses EP sont fous. Et en artiste français, j’écoute plein de trucs. J’aime beaucoup Coline Rio mais c’est aussi une copine !
LFB : Ça compte quand même !
Clou : C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. J’aime bien sa manière de travailler, ses textes, et sa voix est magnifique.
LFB : Dernière question. Si tu avais la possibilité de faire trois vœux, ce serait quoi ?
Clou : Peut être le premier vœu c’est de continuer à faire de la musique de manière aussi libre et aussi bien entourée toute ma vie. C’est un rêve. Mais j’ai travaillé aussi dur.
Je voudrais aussi ne jamais perdre ma voix. J’ai peur de ça. Après je te dis ça, je suis allée voir Joan Baez en concert plusieurs fois. Elle a toujours sa voix, mais il y a des endroits où elle est un peu cassée et c’est normal. Elle vieillit et c’est la vie. Mais aussi des chanteurs et chanteuses qui ne perdent jamais leur voix. Et je suis assez fascinée par ça. Je pense que ça va avec une hygiène de vie assez drastique. Quand on a des voix très claires comme la mienne, il faut faire vraiment attention. Donc j’ai vraiment pas envie de perdre ma voix et c’est un truc qui me ferait mal. Mais je sais que si on peut, on peut apprendre à jouer avec et on peut tourner autour. Joni Mitchell qui avait une voix si cristalline et qui fait des concerts à 80 ans, sa voix maintenant c’est une voix de nana qui a fumé toute sa life. Une voix grave. Mais quand elle chante, je pleure de la même manière que quand elle chantait et qu’elle avait 25 ans.
Le troisième, rencontrer Paul Simon pour de vrai. Tu vois, en vrai. Même si c’est en coup de vent, juste pour lui dire « merci beaucoup j’aime beaucoup ce que vous faites ». Je serais hyper heureuse de le rencontrer, de lui serrer la main. Tu vois c’est pas mal, ça va ?
Retrouvez notre chronique d’À l’évidence de Clou par ici