Avec Ce qu’il restera de nous, Coline Rio s’envole pour une aventure en solitaire traduite par une mise en lumière de sa profonde nature et l’expression d’un dialogue intérieur raisonnant en chacun de nous.
Elle laisse symbolise l’abandon d’un passé en rupture avec un vécu intime et sentimental (ou encore sociétal). On y voit une fenêtre ouverte sur le présent où l’avenir se dessine à l’horizon. Cette chanson pose les fondations, nous prépare doucement à suivre Coline Rio vers la lumière, à tenir sa main dans ce pèlerinage poétique. Elle se livre à une quête d’elle-même en nous prenant pour complices. Elle laisse une profonde emprunte en nous ? Résolument oui. « Elle part », notre peur de l’inconnu ? Elle disparait même. Elle s’évapore dans cette ode à la liberté et à l’évasion, et à propos : n’est-ce pas le projet de Coline Rio, de faire de cet album un exutoire, une envolée en solitaire après quatre ans d’aventure collective ?
Ma mère rend hommage à celle qui était là avant nous tous, avant nous toutes, la genèse de l’humanité, de tout ce qui nait et grandit. Celle qui nous met au monde, une version plus aboutie de nous-même, assagie par le temps et dénuée de jugement, ne peut être qu’une alliée. La mère est un modèle pour sa fille, un repère, un reflet dans le miroir, mais un mystère aussi car le lien du sang n’exclue pas les secrets. « Jamais je ne pourrai deviner ses histoires, ses secrets, son passé. » Des choses ne se racontent pas, s’enterrent avec une mère, entité à part entière.
On m’a dit « t’es trop douce, très trop lisse, tout glisse sur toi… », cette chanson agit comme une résignation à être soi en dehors des standards, dans un monde qui n’attend que ça : normaliser l’être humain, le désensibiliser, lui faire sortir les crocs et les griffes au moindre signe d’agression, lui offrir ces armes dès la naissance. Mais à quoi bon dissimuler sa véritable nature, ravaler sa salive quand elle déborde, se noyer dans les larmes. Se battre ne peut-il pas vouloir dire assumer son identité, aller au bout de cette volonté d’affirmation, « faire tomber le masque », protection futile qui éloigne le mal plutôt que de l’éradiquer et étouffe la vérité.
Homme. Sur cette chanson, Coline Rio poursuit sa mise à nu. Après avoir ôté le masque, semé les vestiges du passé sur une route ouverte sur l’ailleurs, couru vers l’est le cœur au vent, elle continue dans cette direction en ayant le choix. Le choix de parler ou non de ce sujet sensible et délicat qu’est le féminisme. Alors oui cela nécessite une certaine audace mais dans cet album, on ne se ment pas. On dit. On libère toutes ses convictions et la condition de la femme en est le point d’orgue. Tout en subtilité, à travers des images évocatrices et des mots justes, elle évoque la pression patriarcale : « Durant des siècles, tu m’as opprimée / Comme tant d’autres tu m’as menottée », témoignant malgré tout de son respect pour le sexe opposé qu’elle attend désespérément de pouvoir prendre dans les bras sans se piquer dans sa barbe, sans se fracasser la tête contre ses muscles et de ne plus perdre au bras de fer. « Ouvre tes bras regarde je suis là. /Ta sœur, ta mère, ton amie, ton alliée ».
À celui qu’on n’oublie pas. Si cette chanson nous touche c’est parce qu’elle jette un regard bienveillant sur le passé. Parce qu’on sent l’âge adulte s’immiscer doucement en travers de ces lignes, la maturité s’y frayer une place importante pour que naisse une danse légère dont chaque mouvement éloigne la douleur, embrasse un vent nouveau et des promesses de printemps éternel. Le rêve, les souvenirs d’hier ne sont qu’un arrêt du temps ouvert sur un lendemain heureux. Cette danse célèbre un avant dénué de fausses notes, mais riche d’enseignements. Celui qu’on n’oublie pas en est l’un des acteurs. La chanson est une lettre d’amour à tous ceux qui nous ont permis d’évoluer, malgré les doutes et les plaies. « Il y avait dans cette parole des torrents, des farandoles, des promesses en noir et blanc. »
Regarde danser. Coline Rio nous invite à observer le mouvement de la vie, la nôtre, à s’abandonner devant la fusion d’un corps et d’une ombre enlacés, ces deux éléments étroitement liés, ne pouvant respirer l’un sans l’autre. Le chemin de la vie est fait de ce mouvement, de corps et d’ombres qui se répondent, de clair-obscur, de ciels bleus et de nuits noires. De rêves et de cauchemars. Ici ce ne sont pas deux corps en symbiose qui suivent la cadence d’une chorégraphie précise. Ici on observe les jours cultiver leur lot de miracles et de désillusions, au rythme d’un corps qui se meut dans cette course effrénée du temps qui passe, au rythme d’une danse exaltée. « Je m’arrondis, je me tords, je me courbe… » reflète les variations de la vie.
La rivière. Dans cette balade sensorielle, où le mouvement de l’eau côtoie des chants d’elfes, où les violons s’enflamment et que la matière organique nous ramène à nos instincts primitifs, nos corps s’allègent. Nos esprits contemplent cette ode à la nature où le soleil dessine des pépites d’or sur les flots, que les flots émettent de minces ondulations de vie. La nature est désormais la seule chose qui nous habite et nous soigne. « Allongée dans la rivière, quand mon cœur se fait de verre, j’y respire. »
Ton nom. Est celui de l’être aimé et adulé dont on attend une voix, un signe, un retour d’amour. On y pense tout le temps et partout. « Ton nom s’étend comme un fleuve, un océan. » Notre esprit encombré l’appelle au nom du désir mais la pudeur nous retient. « Je te touche les mains fermées / Mon cœur muet fait grand bruit. » On l’aime en nous, on l’aime partout. On l’entend. On vit notre histoire en silence. On s’enferme dans un bonheur solitaire et on pleure au lieu d’agir. Liaison dangereuse, liaison impossible ou inavouable, on crie un nom dans le vent, prisonniers de nos réticences.
Disparaitre. Certains jours quand l’adversité déploie son manteau épineux, on se voit déjà fondre comme les glaciers ou brûler comme les forêts. Alors on s’y laisse aspirer ou on puise dans les profondeurs de notre chair pour y récolter le feu, la lumière de la résurrection. On convoque notre phœnix intérieur. Disparaitre raconte cette bataille contre les faiblesses, les temps orageux. Coline Rio ne laisse pas les jours sans joie, prendre possession de son âme. « Je voudrais seulement renaitre être forte et m’en remettre. »
Cartographie scanne chaque cellule de la peau « parsemée d’embuche » de deux corps unis dans le plaisir. Coline Rio élargit encore les horizons jusqu’à franchir les barrières intimes et délicates de la jouissance : « honte vertueuse », symbolisée par une épopée charnelle, un conte de fée enivré « nos ébats de titans, nos prouesses de princesse » dans la spirale de l’amour physique parsemé de poésie et de tendresse.
Se dire au revoir dissimule plusieurs secrets au cœur d’un sujet houleux, celui du deuil amoureux. Fidèle à ses principes, Coline Rio apprend à laisser les choses se ternir, les cycles se rompre, les âmes se défaire. La rupture intervient pour protéger de ce « naufrage » qui aurait pu les noyer, cet hiver glacial qui aurait pu les paralyser dans son manteau blanc.
Monstres questionne l’ambiguïté de notre nature humaine, nos contradictions, nos pulsions du cœur. Pour elle, nous sommes des créatures sensibles et floues, fragiles et maladroites guettées par la pluie ou bien le soleil, motivés par l’amour ou bien la haine. « Qu’est-ce qui fait de nous : des bêtes honteuses aux mains douteuses / des êtres flous (…) des monstres d’amour aux doigts de velours… »
Ce qu’il restera de nous ou comment clore l’album sur une promenade olfactive et joyeuse, un texte parlé sur la constance des instruments de musique : la sobriété d’un piano, l’élégance d’un violoncelle. Des textes d’une rare intensité s’en dégagent, l’émotion éprouvée est directe, sans filtre. Coline Rio nous raconte une histoire autobiographique où s’unissent les scènes du quotidien, défilent les paysages et les proches, en un puzzle gourmand, nostalgique et voluptueux. « Tes odeurs de gâteau un peu brûlés, encore tous chauds. (…) le bruit du silence après l’éclat de nos cris. / Le goût du sel sur les lèvres / Nos rires et nos pleurs partagés/ Les tupperwares de ma maman. »