Nous avions déjà succombé à Sylvie Kreusch avec Montbray, ses mèches rouges indomptables et ses refrains lancinants. Mais avec Comic Trip, l’artiste fait un bond, que dis-je, un saut acrobatique dans un univers plus grand, plus flamboyant et plus lumineux. Intrépide et toujours aussi pop, ce deuxième album impose une artiste qui n’a rien d’une débutante (Warhaus, Soldier’s Heart) et vient tambouriner à la porte de nos cœurs. Un retour en trombe, en technicolor et en santiags à éperons, de celle qui, en réalité, ne nous avait jamais vraiment quittés.
De la BD au cinéma : entre bulles et pellicules
Au coeur de Comic Trip, une malle à souvenirs. Celle de sa grand-mère, remplie de vieilles bandes dessinées et qui devient le fil conducteur de l’album. Le titre est un clin d’œil évident à la BD, mais également à Serge Gainsbourg et à son légendaire Comic Strip. Mais là où Gainsbourg flirtait avec les mœurs légères et le scandale, Sylvie Kreusch s’aventure sur d’autres terrains, explorant un imaginaire pop plus foisonnant et qui lui est, aussi, plus personnel.
Les influences ne s’arrêtent évidemment pas là, et à Comic Trip de convoquer un véritable panthéon musical. Lou Reed inspire les mélodies nonchalantes de Butterfly et se dissimule à peine derrière le piano nostalgique de Sweet Love (Coconut). Les bulles sonores kitschs et camp de B-52’s éclatent dans Comic Trip et Ding Dong tandis que l’atmosphère hypnotique de Stereolab se retrouve dans Hocus Pocus. Un patchwork de références que l’artiste tisse à merveille.
Cinéphile dans l’âme, Sylvie Kreusch glisse aussi tout au long de son Comic Trip des clins d’œil au 7ème art. Et il faut dire que les références pleuvent. Le clip de Hocus Pocus recrée l’ambiance de Paris, Texas de Wim Wenders, avec ses paysages néo-western, sa colorimétrie si reconnaissable et sa mélancolie silencieuse. Une atmosphère que l’on retrouve aussi à l’écoute dans Ride Away, morceau en hommage au légendaire Ennio Morricone et où la chanteuse se transforme en cow-girl en fuite vers le crépuscule ouest-américain.
Ding Dong : l’audace sonne toujours deux fois
La témérité règne sur Comic Trip, et chaque morceau est là pour nous le rappeler. Des mélodies bondissantes, des refrains taillés pour claquer : Sylvie Kreusch s’amuse, joue et déborde d’une énergie contagieuse. Comic Trip, le titre éponyme, incarne une pop théâtrale, portée par des chœurs d’enfants et des rythmes qui sautillent comme une petite marelle sonore. C’est un véritable cirque psychédélique qui prend vie, avec des cuivres flamboyants et des onomatopées à en pleuvoir.
Ding Dong parvient également à créer une tension magnétique. Dans ce morceau, tout semble s’imbriquer dans une mécanique bien huilée, avec un clavier qui martèle un rythme métronomique et une basse omniprésente. Une déclaration de désamour que Sylvie Kreusch sublime de sa voix aérienne, et sonne presque comme une incantation.
Puis au milieu de tout ce joyeux bazar, il y a Daddy’s Selling Wine in a Burning House. Pièce maîtresse de l’album, si je devais n’en choisir qu’une, ce morceau amène doucement nos oreilles vers quelque chose de plus lent et de plus tragique. Sous l’œil de Lennert Madou, le clip qui l’accompagne devient une œuvre en elle-même : une récit de dystopie urbaine à la Gotham où Sylvie Kreusch déambule, avec une aura qui se situe quelque part entre Nick Cave et Marlène Dietrich. Une sorte de quête sempiternelle à travers des paysages glacés et des crépuscules brûlants.
Amour, spleen et quelques chevaux sauvages
Et Daddy’s Selling Wine in a Burning House marque une parfaite transition pour évoquer le véritable tour de force de Comic Trip. On quitte les éclats du cirque et de la fanfare pour plonger dans un univers plus posé, et en un sens, plus habité. La guitare sèche persiste, et continue d’accompagner Sylvie Kreusch en cow-girl solitaire. Ce morceau est une passerelle : il fait basculer l’album vers des terres plus introspectives, où le vernis ultra pop craque pour révéler une mélancolie lancinante.
Final Hour ralentit le tempo, laissant un piano jazz murmurer une confession amoureuse teintée d’inquiétude :
« And in our final hour
Will you still be mine
It hit me hard
I want your baby now
Will it come falling down »
Home, lui, réchauffe et apaise, avant que Can’t Get It Done ne referme le voyage sur un not-so-happy ending. Avec ses accents soul à la Dusty Springfield et ses chœurs languissants, ce morceau clôt l’album dans un fondu en suspension, ouvrant la voie à de prochaines aventures. Et c’est là toute la singularité de Comic Trip : garder l’élan et la fougue en ligne de mire, et rappeler que même au cœur de l’introspection, il y a toujours un peu d’ailleurs.
Difficile de redescendre de ce Comic Trip. Sylvie Kreusch nous prend par la main, nous fait danser, rêver les yeux grands ouverts et, à la fin, nous laisse le cœur un peu plus léger. Un disque qui ne cesse de surprendre, et qui est une preuve supplémentaire que Sylvie Kreusch est une conteuse d’émotions et une façonneuse de mondes qui n’appartiennent qu’à elle.