Disiz La Peste : « Sans la musique, je serais probablement en hôpital psychiatrique »

On a déjà dû le dire, mais si on écrit, c’est pour rencontrer les gens qu’on admire. Et pour être tout à fait honnête, dans notre esprit, Disiz La Peste est bien au-delà de l’admiration. On l’a aimé, on l’a perdu, on l’a retrouvé. Notre relation avec Disiz pourrait se rapprocher d’une amitié. Toujours est-il qu’il est dans nos vies depuis presque 20 ans. On était donc à la fois excité et anxieux à l’idée de le rencontrer, surtout pour un album aussi important que Disizilla. On s’est donc posé après son concert à Lille pour parler de souvenirs, du fait de devenir un monstre et de musique forcément.

La Vague Parallèle : Salut Disiz !  Comment tu te sens après ce concert ?

Disiz La Peste : Rechargé de ouf ! Je suis usé mais ça fait tellement du bien.

LVP : On a un souvenir particulier de toi. On t’a vu ici en 2015, à l’Aéronef, et tout le monde s’interrogeait sur Kamikaze et si tu allais l’interpréter et ça avait été un moment dingue. Tu t’en souviens ?

DLP : Oui je m’en rappelle très bien, j’avais même pleuré. Ce morceau là avait provoqué une réaction un peu vaseuse des journalistes, à cause d’un espèce de concours de circonstance, j’avais fait ce morceau la deux auparavant au Bataclan et après les attentats ils avaient fait un parallèle dégueulasse. Kamikaze c’est une métaphore pour pas péter des plombs dans la vraie vie, le faire en musique et profiter des moments de culture et de folie contrôlée dans la musique et des . D’ailleurs, le concert  ici  avait été reporté à cause des événements, et je me suis demandé si je devais jouer Kamikaze. Et bien sur que je devais le jouer ! il n’y a rien de violent dans ce titre , c’est juste un exutoire. Il fallait exorciser le truc, c’est d’ailleurs ce que j’ai expliqué avant de la jouer. Au final, c’était un véritable moment de communion et de partage. Dans ces moments-là, je me sens un peu béni : le fait d’avoir la chance de vivre ça avec les gens, c’est unique.

LVP : On a
lu dans une autre interview que tu ne souhaitais pas parler de toi, mais de ta musique. Tu peux comprendre que c’est compliqué de ne pas parler de toi quand il s’agit de Disizilla ?

DLP : Alors oui, mais en fait je veux bien en parler en musique, mais c’est compliqué d’en parler comme ça, c’est trop fort. Il y a le prisme de l’art qui me permet de mettre de la distance avec ce que je ressens vraiment et ça me permet de panser mes plaies. Mais je ne pense pas qu’à moi quand j’écris, je sais que d’autres écoutent ça et ça leur fait du bien aussi . Par exemple, dans Quand ils ont de la chance, je parle du deuil, et je reçois tellement de messages sur ce morceau là et ça me touche vraiment . Ce que je raconte touche les gens, ils s’y reconnaissent, et je suis encore plus touché.

LVP : Cet album-là déborde de colère froide, c’est le premier qui n’est pas masqué par le second degré. Comment as-tu conçu cet album ?

DLP : Et bien justement, je l’ai conçu sans réfléchir, sans le conceptualiser. en laissant apparaître la colère telle qu’elle vient. Il y a beaucoup de cadenas qui ont sauté, donc c’était complètement naturel, c’était obligatoire parce que j’allais vraiment pas bien.

LVP : C’est fou mais on a l’impression que les morceaux les plus doux sont aussi les plus violents. On pense notamment à
Terre promise, Tout partira et Ulysse, qui sont les plus intenses émotionnellement.

DLP : Pour moi, dans la colère il y a d’abord l’éruption, puis passé ce stade on se sent très vite abattu et épuisé. Ces morceaux là je les ai écrits dans cet état. J’étais presque un zombie en studio. Ce sont d’ailleurs des morceaux très durs à jouer en live. Je n’y étais pas préparé, j’ai eu beau me renforcer, me replonger dans ces fêlures agit comme un écho et ça me rend vraiment faible et me bousille un peu une seconde fois.

LVP : On se demandait si tu avais envisagé ton album comme un film ?

DLP : Depuis la trilogie lucide et même un peu avant, inconsciemment il y a toujours une ligne dramaturgique. Je soigne toujours mes entrées. Il y a un élément déclencheur, un climax et une résolution. Les morceaux ne sont jamais placés par hasards. J’aimerais bien faire des albums qui sont des compilations de bons titres en fait, mais j’y arrive pas.

LVP : Mais justement avec l’utilisation des Kaijus, on est encore plus la dedans. Il y a la première attaque très violente, le calme, la deuxième attaque et la conclusion.

DLP : C’est cool que tu le remarques car c’est fait comme ça. Même dans la façon dont j’ai créé le show, il y a des vraies coupures, on arrête, on éteint et on repart.

Je voulais que cet album soit brut par contre, contrairement à Pacifique qui était très nuancé dans l’album et dans le show. . Disizilla est d’ailleurs une réaction direct à Pacifique. Je pense que Pacifique était mon dernier essai pour aller mieux et pour penser mes plaies et ça à pas trop fonctionné. Et puis le cancer de ma mère est arrivé et là j’ai dit c’est trop et Disizilla est venu.

LVP : Tu utilises beaucoup de références asiatiques, en parlant de personnages qui font du bien en faisant le mal. Est-ce que c’est pour éviter le manichéisme ?

DLP : Exactement. Dans la culture asiatique, on est pas dans une vision occidentale du bien et du mal, il y a des nuances, tout n’est pas tout noir ou tout blanc. Ce n’est pas moralisateur. Il y a différentes nuances de mal.
D’ailleurs, Je prends l’exemple de mon père : il ne m’a pas éduqué et je lui en veut de toute mes forces. Mais quelque part il m’a éduqué puisque je me suis construit malgré ça à l’inverse de lui. Son absence est devenue une grande présence quelque part. . Il y a toujours un peu de bien dans le mal.

LVP : On ne naît pas monstre en fait, on le devient.

DLP : C’est vrai, en plus, je m’intéresse beaucoup aux psychopathes, je sais pas pourquoi. Si tu regardes bien, ils ont tous un problème lié à leur enfance. Donc ouais, on le devient. On pointe toujours du doigt ce qui arrive mais on ne cherche pas à voir le fond du problème. C’est compliqué, parce que les gens n’essaient pas de comprendre, ils finissent toujours par dire « expliquer c’est dédouanner » , alors que moi je n’excuse pas, j’essaie de comprendre et je pense que chercher à comprendre le pourquoi du comment les humains agissent d’une telle façon. Cette idée a toujours été présente dans ma musique. Se déconditionner, se déconstruire, c’est sûrement pour ça que les gens m’aiment ou me détestent et moi ça me va trop bien. Si tu as pas d’ennemis tu es vide. Même si moi je cherche pas d’ennemis, je cherche juste à être toi même.

LVP : Il y a 3 thèmes qui sautent aux oreilles dans cet album : d’abord la figure du père absent, puis être confronté à la douloureuse épreuve de la mort de nos proches, et enfin la transmission des valeurs. Tu es d’accord ?

DLP : Ce sont les plus grosses épreuves de la vie. Et pour la transmission, en effet, quand tu es conscient des cicatrices qu’a laissé ton passé, tu as peur de ce que tu vas transmettre à tes enfants. Et être écartelé entre les deux c’est vraiment très très dur.

LVP : Ta musique t’aide à trouver des réponses ?

DLP : Je ne pense pas, mais elle m’aide à ne pas être seul avec les rubiks cubes que j’ai dans la tête. Je serais sûrement seul dans un hôpital psychiatrique si je ne l’avais pas, ou alors je serais seul dans la rue à parler tout seul.

LVP : Tu te comprends un peu plus à chaque album, en fait ?

DLP : C’est sûr, d’ailleurs je travaille déjà sur le prochain, et ça sera mon dernier combat. L’amour déverrouillé, le sentiment pur ce dont j’aspire depuis ma plus tendre enfance, ça sera le thème de ce prochain disque et ça n’aura une nouvelle fois encore rien à voir avec Disizilla et je le fais même pas exprès.

 

LVP : C’est comme si tu étais un serpent qui fait sa mue et qui laisse sa peau derrière lui à chaque nouvel album.

DLP : Alors c’est sur que j’y mets ma peau à chaque fois, je remets tout en jeu. Je me regarde pas faire hein mais je ne peux pas faire autrement sinon après je m’ennuie.. J’ai essayé des petits trucs parfois pour faire cool comme Abuzeur, mais non je n’y arrive pas.

LVP : On a une question un peu bizarre mais : est-ce que tu te vois comme un visionnaire ?
Je pense à Peter Punk ou ce que tu as fait avec Grems notamment. On a l’impression que tous les thèmes que tu abordes sont repris plus tard d’une manière mainstream.

DLP : Je sais pas si c’est visionnaire et je ne veux pas faire de la fausse modestie, mais ça m’a fait mal au cœur de voir que j’ai proposé des choses, qu’on m’ait tiré dessus, et que les autres qui le font rencontrent le succès. Ca me fait plaisir pour eux, au moins on est pas dans une vision caricaturale du rap. Je suis juste frustré qu’on ne m’ait pas accordé la même chose, notamment au niveau des moyens que j’aurais pu avoir à ma disposition pour m’exprimer . Eux quand ils passent à la radio ils ont plus de moyens, et moi je vois ça un peu comme récréation et des jouets: grâce à ça, tu peux avoir plus de moyens pour faire des clips, pour faire le live et c’est ça qui me booste Mais bon, peut-être que ça sera pour le prochain ou l’alignement de planètes sera là. Mais j e ne me plains pas, ça fait vingt ans que je fais ça et la première fois que j’ai fait ça j’ai tiré dans le mille et tellement dans le mille que je peux pas m’en plaindre.

LVP : Rien à voir avec la musique et qu’on avait déjà posé à Tété : mais comment tu t’es retrouvé à jouer dans Héro Corp ?

DLP : Je crois que j’ai été directement contacté par Simon Astier sur Twitter qui m’a dit qu’il aimait bien ce que je faisais. Il m’a envoyé son script, et ça m’a plu.

LVP : Quelle est la prochaine mue de Disiz ? On avait entendu parler d’un film…

DLP : Ah bah oui le cinéma c’est une forme de la mue parce que je vais vraiment parler d’amour. J’ai plus peur de rien et du coup c’est vraiment quelque chose. Et j’ai déjà presque fini d’ailleurs.

LVP : Finalement, quels sont tes coups de cœur du moment ?

DLP : Niveau ciné, je pense à Wildlife de Paul Dano. C’est son premier film et c’est magistral : la simplicité, la mise en scène, le choix des acteurs… j’ai vraiment pété un cable.

En musique, j’ai quand même été vachement marqué par l’album de James Blake mais comme à chaque fois. Mais je voudrais surtout parler d’un spectacle, celui de Panayotis  qui m’a beaucoup touché. Il est en train de faire un truc qui est singulier : oui il fait du stand up mais c’est en même temps très sensible. On y va pour rire mais si tu captes le truc tu peux vraiment pleurer et ça c’est fort.

 

Merci à Chloé pour l’aide dans la retranscription.