Alors que l’artiste dévoilait il y a quelques jours un clip illustrant un des titres de son dernier album Vie étrange nous avons rencontré Dominique A. Un échange porté sur la réalisation du disque : entre la liberté, le hasard et l’enfermement, mais aussi l’évocation de l’intime, du souvenir et de la nécessité de créer pour se sentir exister.
La Face B : Bonjour Dominique A, comment allez-vous ?
Dominique A : Très bien, merci !
LFB : Mais au fait, qui êtes-vous ?
Dominique A : Je suis chanteur. J’ai fait plein de disques, de concerts. Ma vie tourne autour de la musique et de l’écriture en général.
LFB : J’imagine que c’est une question qui peut paraître un peu naïve, puisqu’on vous considère comme l’un des pères de la nouvelle scène française. Qu’est-ce que vous pensez de ce titre ?
Dominique A : Je disais trivialement à un journaliste que si j’étais le père de la nouvelle scène française, j’aurais dû mettre des préservatifs ! (Rires) Je ne veux pas de responsabilité par rapport à cela. Il se trouve que je suis arrivé à une période de creux. Dans les années 1990, des artistes comme Philippe Katerine, Miossec, Mathieu Boogaerts et moi, on été tout de suite identifiés car ne ressemblaient pas à pas grand chose et que le terrain était dégagé. Alors qu’aujourd’hui, il y a énormément de propositions musicales, de jeunes artistes convaincants… A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire !
LFB : Justement une lignée d’artistes se réclament de votre influence. Mais il me semble que c’est réciproque, puisque vous aviez confié être inspiré par le travail de votre relève, je pense à Feu! Chatterton, Radio Elvis. Est-ce que de jeunes artistes ont pu venir nourrir votre dernier disque ?
Dominique A : Non, parce que maintenant, je suis un peu moins influençable. Je peux être impressionné, épaté, par le travail de jeunes artistes, mais il n’y a pas d’influence directe. Parfois, je peux être troublé, en me disant que je suis à la masse, mais ça ne va pas infléchir ma démarche. Car il faut s’écouter soi-même, aller au bout d’une idée. Avant, j’étais une éponge, enregistrant tout autour de moi. Maintenant, je sais vers quels terrains je veux aller. Pourtant, il peut y avoir l’influence d’une ambiance numérique, électronique, mais pour la suite, je souhaite faire quelque chose de très joué, avec des musiciens, une ambiance plutôt live.
LFB : Pour revenir à cet album, Vie étrange, est-ce qu’il y un évènement, un instant qui a rendu évident la création de ce disque ?
Dominique A : Oui, le début de l’enregistrement correspond au confinement. Comme tout le monde, il y avait une sensation de frustration alors j’ai voulu reprendre L’Éclaircie, une chanson de Marc Seberg. C’est un groupe que j’adorai adolescent. Puis, j’ai une histoire en dents de scie avec le chanteur Philippe Pascal. Chemin faisant, j’ai écrit des chansons dans mon home studio qui ont été diffusées sur Internet sans volonté de disque. J’ai fonctionné comme un jeune artiste, sans voir le disque s’enregistrer et se faire. Début juillet, il en est sorti un objet limité puis un album pour la fin d’année. Cela me plaisait, car c’est un disque solitaire, au son très feutré qui est né à l’instant t, avec une reprise de Marc Seberg.
LFB : Il y a un retour à soi qui a été un peu intrinsèque au confinement, qu’on semble reconnaître à travers l’album. Puis comme à vos débuts, la boite à rythme est très présente, donnant cet aspect minimaliste à des titres comme Quand je rentre, ou A la même place ou Rien qu’un amour. Est-ce que cet instrument est venu naturellement, ou c’était un choix, une volonté de votre part ?
Dominique A : Pour l’avant-dernier album, j’avais une boite à rythme allemande achetée sur internet. Après avoir sorti des disques acoustiques, j’ai donc la volonté de jouer avec des synthés et des extendeurs. Je me suis amusé avec les synthés et boîtes à rythme. Il y a quelque chose de très ludique notamment parce qu’on s’est limité à huit pistes numériques, et non des logiciels avec infinité de pistes. Alors on est débarrassé du superflu, seulement les sons pertinents. Dès le départ, il n’y avait pas l’idée de mixte, seulement de rééquilibrage des sons. C’est un petit travail d’orfèvre.
LFB : Quelque chose de brut, en fin de compte ?
Dominique A : Oui, comme moi ! (Rires)
LFB : C’est toujours un retour à soi, à son adolescence finalement. Est-ce que vous pensez que de toute façon l’art (l’écriture, la musique) est toujours un retour à soi ?
Dominique A : Ça dépend de l’âge qu’on a ! (Rires) Au départ, c’est une fuite. Passé la cinquantaine, j’ai plutôt l’impression de travailler avec mon passé, mes souvenirs, ma sensibilité adolescente et musicale. C’est un mouvement de va-et-vient permanent, des pas en avant pour un pas en arrière, jusqu’à avancer quand même un petit peu. Ca me semble important de ne pas se couper de soi-même. Je me suis dit que j’allais revenir au fonctionnement de La Fossette, avec un chant feutré et une boîte à rythmes. Quand les artistes disent qu’il ne faut pas se répéter, regarder en arrière, je ne suis pas du tout dans cet esprit-là. C’est ce que dit la première chanson, cette manie de ressasser. Après, il faut ressasser élégamment, il ne faut pas lasser tout le monde.
LFB : C’est peut-être aussi un retour à ses propres émotions ? Car ce qui ressort aussi de Vie étrange c’est cette atmosphère mystérieuse, justement étrange, avec des sons très vaporeux. Tout cela crée une sorte d’angoisse quasi omniprésente.
Dominique A : Cet album, c’est une éponge, il est traversé par tout ce qu’on traverse. Peut-être le disque le plus raccordé à son époque que j’ai jamais fait. Je ne me suis pas défendu, car soit on fait comme Kylie Minogue, un disque de disco…
LFB : …Vous auriez fait de la disco ? (Rires)
Dominique A : Ah oui moi il n’y a pas de soucis ! (Rires) Peut-être avec moins de réussite
LFB : …Qui sait ?
Dominique A : Qui sait ! (rires) … Soit on va dans le sens contraire de ce que l’on vie pour être dans l’évasion, ce qui n’est pas forcément négatif. Soit on va dans l’introspection. Ce qui est plus mon terrain. On se laisse happer par ce qu’il se passe. Mais c’est très inconscient en fait. Je ne me suis pas dit, je vais faire un disque sur le confinement. Je voulais traduire ce que je ressentais sur les quatre titres de départ, (on vous en a parlé juste ici) c’est la face A de l’album. Pas la face B de l’album ! (rires mutuels) Je vis dans une maison au bord de l’eau, un cadre privilégié avec la ville en face, mais comme partout, il y avait un silence mort. Ce que voulu retranscrire en musique, c’est cette atmosphère anxiogène. De traduire cela dans la musique, et pas tellement dans le texte, à part Vie étrange et A la même place.
LFB : Ce côté assez fantomatique, anxiogène mais de manière un peu apaisée puisque vous esquissez un sourire. Comment s’est passé le choix de cette pochette ?
Dominique A : La photo date de cinq ans. Il n’y a pas eu de séance photo car j’ai horreur de ça. Donc on s’est dit qu’il y avait bien des photos qui traînaient et on a trouvé cette photo. À aucun moment, on s’est dit : “tiens, je regarde par la fenêtre comme si j’étais enfermé à l’intérieur.” On s’est dit simplement : “tiens la photo est chouette, pas mal”. Puis, pour l’objet, c’est une photo parfaite. On dirait qu’elle a été faite pour, mais en fait non !
LFB : C’est super intéressant parce qu’il y a vraiment une notion de hasard.
Dominique A : De toute façon, ce disque est une poche de liberté, il m’a glissé entre les doigts jusqu’à la pochette. Il s’est fait tout seul, même sur l’iconographie. Rarement, j’ai vu une image qui collait autant au disque. Il y a cette idée de reflet qu’on n’avait pas vu au départ. J’ai pris cette photo parce qu’on avait des reflets, qu’un graphiste a accentué. Pour renforcer l’aspect fantomatique, mais aussi pour l’effet boomerang : on regarde dehors, mais on ne voit finalement que soi. C’est un peu le drame de cette période, de se projeter face à soi quelque chose en permanence. Un hasard objectif, un hasard heureux. (Sourire)
LFB : Tout découle, c’est comme s’il n’y avait pas du tout urgence à faire ce disque. Comme s’il était venu naturellement.
Dominique A : Non il y a une urgence personnelle, de se débarrasser des mauvaises ondes d’urgence. Enregistrer, faire de la musique, c’était des échappées, un sas de respiration.
LFB: J’ai évoqué l’urgence car vous avez enchainé énormément d’albums en quelques années.
Dominique A : Je fais ça ! Je me demande comment font certains pour prendre cinq ans pour faire un disque. Ils sont souvent très méticuleux. Moi, pas du tout, je fais à l’instinct et je lutte contre l’impatience. J’ai besoin pour me sentir exister de produire artistiquement. La vie passe par la création.
LFB : C’est beau, c’est un peu comme une sorte de deuxième vie.
Dominique A : Je ne sais pas si c’est la deuxième ou toute la vie qui entoure.
LFB : Pour revenir à cette place de solitaire, notamment pendant le confinement. Avez-vous envie de revenir à quelque chose de plus live, de jouer avec d’autres musiciens ?
Dominique A : C’est une expérience humaine partagée ! En ce moment, je fais quand même pas mal de trucs qui sont liés sortie du bouquin, avec des personnes derrière l’écran. Même si le public a adoré, mon souhait est de retourner sur les planches. Être filmé tout seul, j’en ai marre. Alors je prends du temps à m’y mettre. Au bout d’un moment, il y a un sentiment de solitude assez fort. J’ai envie de jouer avec des gens, envie de me laisser aller et de me confronter aux idées des autres. Pas forcément de repartir en tournée, mais de jouer avec des musiciens.
LFB : Avez-vous des lives de prévus ?
Dominique A : Cet été, un festival en Ardèche avec la philosophe Vinciane Despret qui a écrit un livre sur les oiseaux, qui s’appelle Habiter en oiseaux. On va faire un concert lecture.
LFB : Et avant de se quitter, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Dominique A : Oh, bah ne pas tomber malade ! Que mes proches ne tombent pas malades.
Illustration : Camille Scali