En conversation avec Naomi Greene : portrait d’une femme en devenir

Les premières sorties ont toujours une saveur particulière. Elles sont la pierre angulaire d’un monde en train d’éclore, un espace fragile qui se construit en même temps qu’il se révèle. Exposer sa vulnérabilité et en faire une force, c’est l’un des aspects que Naomi Greene a voulu explorer avec son EP, Wounded Hero. Nous l’avons rencontrée après sa release party, qu’elle nous a offerte avec une (très) touchante sincérité. Nous avons discuté de fêlures, d’appropriation du corps et d’odes aux liens féminins. Et, en quelques heures, tenté d’approcher ce héros blessé qui sommeille en chacun de nous.

crédit photos : Tanguy Troude

La Face B : Hello Naomi. Comment vas-tu, et surtout, comment tu te sens, après cette date, ta première release party ?

Naomi Greene : Je me sens vraiment bien. C’est la première date que je produis entièrement de A à Z. C’est un milestone, c’est important pour moi. Je suis très heureuse des gens qui sont venus et de toute mon équipe. C’est la première fois que je fais un concert de cette ampleur, avec des personnes aussi impliquées. On a tout construit ensemble, c’était un gros travail collectif. Et puis, ça fait un bien fou de pouvoir chanter ces chansons que j’ai faites il y a longtemps et de les faire vivre comme elles doivent vivre.

LFB : C’était incroyable, ça les magnifiait vraiment. Il y avait quelque chose de super envoûtant. Souvent, il y a un côté plus urgent dans les release parties, l’envie de sortir les morceaux, de les montrer. Là, on t’a trouvée super détendue, vraiment dans l’instant.

Naomi Greene : J’ai pris du temps à sortir ces chansons, j’ai fait beaucoup de concerts. Et pouvoir faire ça comme je voulais le faire, c’est un énorme plaisir. Je suis très heureuse. La performance reflétait vraiment à la fois quelque chose de magique et de brut. On a fait toute une installation avec des bâches, un côté très…très raw. Je voulais que ce soit à la fois magique, mais pas au sens précieux. Je voulais que ce soit moderne, dans l’air du temps, et magique. Et je trouve que ça l’a été. Depuis le concert, je flotte sur un petit nuage.

LFB : Voir toutes ces scènes différentes, entrer dans ton monde avec la pole dance, le shibari… L’image du fil rouge est très symbolique aussi. On suit ce fil pendant tout le concert, comme si tu ouvrais une petite porte et tu disais : suivez-moi. C’était très engageant, très beau. Et toute cette multiplicité de plans de scène : toi seule à la harpe, entourée de musiciens…

Naomi Greene : C’est vrai que ce n’était pas exactement l’ordre de l’EP. J’ai un peu changé les premières chansons. Pour moi, le concert racontait un parcours. On part de Shibari Love, qui parle d’un besoin de se libérer, de se défaire de l’enfermement. Puis on va vers l’aspect serpentin de Serpents in the Sand, avec ses mystères, ses doutes. Ensuite vient la transformation avec Wounded Hero, plus assumée, sensuelle, féminine. Et enfin on s’ouvre, avec Cœur Solaire et Mon Amie Prodigieuse. C’est ça, le fil rouge : une histoire à raconter, sans en faire trop. Je ne veux pas être trop littérale. Ce que j’aime, c’est proposer quelque chose et laisser les gens y mettre leur propre sens. La musique est puissante quand elle touche à l’intime, à la vie des gens.

LFB : Ce que tu faisais sur scène, tu as mis longtemps à l’amener. Pourquoi ? Il y a eu des doutes, des moments où tu as recommencé ?

Naomi Greene : J’en ai un peu parlé pendant le concert. Je pense qu’il fallait que je vive certaines choses pour pouvoir les raconter. Les épreuves que j’ai traversées m’ont donné ce besoin d’écrire. Chaque chanson est un témoin d’un moment d’évolution personnelle. J’aurais pu les sortir plus tôt – Cœur Solaire, par exemple, est sorti il y a deux ans – mais je les trouvais plus fortes ensemble. Et le déclic, ça a été l’écriture de Wounded Hero. Je me suis dit : voilà, c’est ça le symbole, l’archétype qui relie tout. J’avais besoin de cette “North Star”, ce fil directeur.

Et puis il y a aussi une dimension pratique : je suis une artiste indépendante. Je fais tout avec une petite équipe que je choisis, que je dois financer. C’est beaucoup de patience, mais j’ai appris plein de choses. Alors peut-être que le deuxième EP ne prendra pas autant de temps ! (rires)

LFB : Non mais on veut encore des chansons (rires).

Naomi Greene : Oh, j’en ai plein ! J’ai un gros catalogue. Et je suis fière de ce qu’on a fait. Chaque étape nous appartient. C’est du vrai. Et je crois que ça se sent.

crédit photos : Tanguy Troude

LFB : Ce qui est génial, c’est cette liberté que tu assumes. Il y a des morceaux très doux, très pop, très solaires, d’autres plus expérimentaux, une interlude à la harpe… Tu mélanges les langues aussi. Et tu le fais dans un format court, un EP. On sent que c’est la musique que tu veux faire, pas celle qu’on attend forcément de toi. Et ça fait du bien d’écouter un projet où on ne sait pas ce qui va arriver ensuite. Ce n’est pas si courant, pour plein de raisons, notamment économiques…

Naomi Greene : Oui, on est dans une époque de branding. Il faudrait être hyper cohérent, choisir une case et s’y tenir. Mais moi, je n’ai pas envie de sous-estimer mon audience. Si les gens me trouvent, c’est qu’ils ont une certaine sensibilité. Et je crois qu’on comprend mieux tout ça en live. En fait, pour vraiment saisir ma musique, il faut vivre le concert.

LFB : C’est vrai qu’en live, on ressent encore plus fortement tout ce que tu as voulu livrer. L’EP, déjà, casse les codes dans sa structure. On commence avec trois morceaux plus expérimentaux, en anglais, puis vient une interlude qui agit comme un sas de décompression. Et après, tu passes à des chansons en français, plus pop, plus lumineuses, moins empreintes de tristesse. On entend déjà ça sur le disque, mais le vivre en concert, c’est encore un autre niveau.

Naomi Greene : Oui, c’est un voyage émotionnel. On commence dans le mystère, l’introspection, et on va vers quelque chose de plus fluide, de plus lumineux. C’est comme ouvrir le cœur. On entre avec Wounded Hero, qui est assez dur, qui pose le cadre : la blessure, la transformation, la vulnérabilité. Et on termine sur Mon Amie Prodigieuse, complètement solaire, une ode à l’amitié féminine. J’aime cette trajectoire : partir de ce qui bouscule, de ce qui prend aux tripes, pour arriver à quelque chose de plus léger, plus beau. Parce que la vie est courte, belle, complexe. Et elle passe aussi par ces relations ambiguës, par ces blessures qui deviennent des opportunités de transformation. Comme disait Leonard Cohen : There’s a crack in everything, that’s how the light gets in. Parfois, il faut se fêler pour agrandir son cœur.

LFB : Ce qui m’a fascinée également, c’est la place de la poésie dans ton travail. Tes textes sont très travaillés, il y a une vraie recherche sur les mots. Et ça prend encore une autre dimension sur scène, notamment quand tu reprends les paroles de Wounded Hero en les déclamant, dans une version parlée, avec des samples. Quel est ton rapport à ça ? La poésie t’a-t-elle toujours accompagnée ?

Naomi Greene : Le moment dont tu parles, il est né quand j’ai sorti Wounded Hero en single, il y a deux mois. Je voulais en proposer une version spéciale. J’ai transformé la chanson en une performance de 30 minutes, où je n’utilisais que ses sons. Et j’ai écrit beaucoup autour, certains textes venaient d’avant, d’autres ont été écrits pour ça. Il y a notamment The Seed Poem, et In Between Birds. Aller vers le parlé, vers cette poésie musicale, c’était encore une façon de me libérer des formats, de m’exprimer plus justement. Le clip où je me rase la tête est un geste très symbolique, presque rituel, une manière de se donner naissance à soi-même. Et parfois, la meilleure façon de dire ça, c’est le poème. Pour qu’il reste quelque chose entre les lignes, qu’on n’explique pas tout. Pour qu’il y ait une nuée d’émotions, une densité évocatrice. La poésie, pour moi, c’est très intime. Je l’ai toujours faite, humblement, mais elle est essentielle. Les mots comptent énormément dans mon travail.

LFB : On sent en effet que les mots ne sont pas un accompagnement. Ils sont presque à l’origine du projet. Est-ce que tu te considères un peu comme une écrivaine avant tout ? Est-ce que l’écriture précède la musique, ou est-ce que c’est plus flou, plus libre ?

Naomi Greene : Je pense que le besoin d’écrire est très fort. Et souvent, les chansons qui restent dans le temps, ce sont celles qui sont nées d’un vrai élan, d’une urgence. Mais l’inspiration vient aussi de l’instrument. Il m’arrive souvent de m’asseoir sans intention, juste de jouer, et quelque chose émerge. On ne contrôle pas vraiment quand ça arrive. Par contre, on peut se mettre en condition, se rendre disponible. Et c’est là que ça se passe.

LFB : Ce que tu dis sur la disponibilité à l’inspiration me fait penser à la place du rituel dans ton EP. C’est ton premier, donc déjà un passage. Et évidemment, il y a ce geste très fort dans le clip de Wounded Hero : te raser la tête. Tu veux nous en parler ?

Naomi Greene : Pour moi, ce geste exprime exactement ce que je raconte dans l’EP : la force de la vulnérabilité. Il y a la mise à nu, le courage, la transformation, l’idée de se redéfinir selon ses propres termes. Et ce qui compte aussi, c’est que ce n’est pas quelqu’un d’autre qui me rase la tête : c’est moi. C’est un acte volontaire. Et paradoxalement, je me suis sentie à la fois vulnérable et plus forte. C’est ça le paradoxe que j’essaie de saisir dans mon travail.

LFB : C’est l’ambivalence qu’on retrouve dans l’EP. Il y a cette idée que ta vulnérabilité, une fois identifiée, acceptée, devient une force. Tu dis : “OK, j’ai des failles, j’ai vécu des choses, mais j’en suis consciente, je les transforme.” Et filmer ce geste, le rendre public, ça ajoute aussi une dimension de transmission. Comme si tu disais : “Je l’ai fait, vous pouvez le faire aussi, à votre manière.”

Naomi Greene : Je pense que chacun fait ce qu’il veut, bien sûr. Mais ce qui m’intéressait, c’était de questionner certains codes classiques de la féminité, notamment ceux liés aux cheveux. Et j’ai l’impression que cet EP, c’est le portrait d’une femme en devenir. Il y a quelque chose de très féminin dans l’essence du projet. Se raser la tête raconte ça. Aujourd’hui, je me sens plus femme qu’avant. Plus que jamais. Mais c’est un geste clivant. Les retours ont été très variés. Certains ont adoré, d’autres ont dit : “Quel dommage.” Et c’est parfait comme ça. Je suis heureuse que ça provoque quelque chose. Je n’ai pas besoin de plaire à tout le monde. Et c’est important de l’accepter.

crédit photos : Tanguy Troude

LFB : Et c’est loin d’être simple à dire, surtout quand on est artiste. Parce qu’on est sans cesse pris dans ce tiraillement : vouloir montrer qui on est, tout en voulant être aimé, validé par l’industrie, par le public…

Naomi Greene : Oui, c’est compliqué psychologiquement. Parce que notre carrière dépend de cette adhésion. On a besoin d’être aimés pour que les gens écoutent, viennent aux concerts. Mais est-ce que vouloir être aimé aide à créer ? Je ne suis pas sûre. C’est un équilibre fragile. Il faut trouver de la place pour grandir tout en restant fidèle à soi.

LFB : Au-delà du geste de te raser la tête, ce que je trouvais très fort dans les visuels de ton EP, c’est cette idée récurrente du “chez soi”. Dans Wounded Hero, tu es dans un environnement familier, une maison, un intérieur. Et dans le visualizer de Courageuse, on te voit sur un canapé, avec du linge autour. Il y a ce cocon, cette intimité, qui revient aussi dans Mon Amie Prodigieuse – sauf que cette fois, le lit est dehors. C’est très symbolique. C’était une intention consciente ?

Naomi Greene : Je ne l’avais pas vraiment théorisé comme ça, mais tu as raison. Comme les chansons sont très personnelles, j’ai eu envie de garder cette dimension intime, même dans les images. L’idée du lit qui se balade dans la ville, pour moi, c’est une manière de voyager dans des souvenirs. On est toujours avec soi, peu importe où on va. Et pour le reste, je voulais quelque chose de très simple, très épuré. Des scènes de vie. L’image de moi sur le canapé, dans le visualizer de Wounded Hero, c’est exactement ça : une scène du quotidien, en solo. Un moment de pause. Je voulais laisser de l’espace à la musique.

LFB : Et même en partageant quelque chose d’intime, tu ne l’imposes pas. Tu ouvres un espace, tu invites. Et ça fait écho à ce que tu disais sur la transformation : tu racontes un passage, une évolution, et tu nous dis “faites-en ce que vous voulez”. Mais est-ce qu’au fond, tu espères quand même que ton EP résonne d’une certaine manière chez les gens ? Tu imagines une réception idéale ?

Naomi Greene : Bien sûr, j’espère humblement que ma musique pourra faire du bien. Pour moi, la musique a toujours été là pour ça. Apaiser, faire voyager, permettre une rencontre avec soi-même. Ce que je fais, c’est une musique qu’on écoute souvent seul. Je m’imagine quelqu’un avec des écouteurs dans un bus, qui écoute Wounded Hero. Si ça peut accompagner des moments de vie, servir d’appui, de soutien, alors c’est tout ce que je peux souhaiter.

LFB : Est-ce que tu peux nous dire ce qui arrive maintenant pour toi ? Tes prochaines étapes ?

Naomi Greene : Là, je vais faire pas mal de concerts. Et je viens de poser de la harpe sur un morceau de Juliette Armanet et Theodora, Les Oiseaux Rares. Et j’ai aussi beaucoup de chansons que j’ai envie d’enregistrer. Donc l’été va être consacré à ça. C’est un peu l’idée : capter tout ce qui est là, maintenant.

Et j’ai une question pour toi, tiens : ce seraient quoi, à ton avis, les dream collab pour moi ? Qui tu me verrais avec ?

LFB : Oh waouh, dur comme question ! Peut-être qu’un duo avec une autre harpiste serait hyper beau. Je pense à Luna Li. Elle a des prods qui flirtent avec le rock australien, le surf-rock, avec beaucoup de guitares électriques. Et elle est basée à New York, je crois. Et puis si tu refaisais quelque chose avec Théodora ? Ou même, dans un registre plus expérimental, peut-être quelqu’un comme Miki. Vos deux univers pourraient se heurter de manière hyper intéressante, avec de belles frictions. À toi de jouer maintenant ! (rires)

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