En plein coeur du chaudron de Dour 2025

Même après 35 éditions au compteur, le festival belge Dour continue de nous en mettre plein la vue avec une organisation millimétrée et une programmation qui claque. Pour capter toute l’essence de ce monument de la scène techno, La Face B s’est plongée dans l’ambiance des trois derniers jours du festival.

Crédits photos : Youness Ben Hamza

140 BPM sous le soleil : un vendredi en ébullition

Tous les moyens étaient bons pour atteindre Dour, et on les a presque tous testés. Mention spéciale au petit buggy qui, entre deux navettes bondées, s’est transformé en oasis roulante sous le cagnard. Deux jours de festival se sont déjà écoulés, mais ce vendredi, l’énergie des festivaliers reste intacte. L’excitation monte dès l’entrée du site : la programmation du jour, résolument techno, attire les foules comme un aimant vers De Balzaal, véritable épicentre de cette odyssée électronique.

Emjie et Fenrick ont ouvert la soirée avec une puissance sonore qui relevait déjà du grand spectacle. Leur set, nerveux et précis, a donné le ton d’une soirée sans temps mort. La foule est en place, chauffée à blanc, quand débarque Odymel. Encore auréolé de son passage à Tomorrowland, le presque petit prince belge entre en scène comme s’il jouait la finale d’un championnat. Arrivée minutée, et un set impeccable pour lancer les hostilités. Il est à peine 19 h, et la scène De Balzaal s’embrase.

Et elle ne refroidira plus. Tout au long de la soirée, les artistes se succèdent avec une intensité rare. Anetha, KI/KI, Marlon Hoffstadt, Sara Landry… Tous semblent déterminés à offrir le moment le plus marquant de la nuit. Les basses résonnent, les corps vibrent, la scène devient un cercle de feu qui ne cesse de bouillonner. Pour beaucoup, ce vendredi restera comme l’un des plus grands moments de cette édition.

Mais Dour ne serait pas Dour sans ses détours. Pendant que les BPM s’accélèrent à De Balzaal, la Mainstage résonne au son du rap, avec un SDM très en forme. Face à une foule dense et réceptive, il a enchaîné ses morceaux avec l’assurance d’un habitué des grands rendez-vous. Un peu plus tard, c’est Ziak qui a pris le relais sur la Boombox, planqué derrière un tout nouveau masque. Le rappeur énigmatique est venu présenter Essonne History X, son troisième album, bien tranchant comme à son habitude. Il a livré un show bien brut et énervé, fidèle à son univers, et parfaitement calibré pour toutes les personnes voulant se détruire dans des pogos.

Il ne fallait pas non plus manquer les passages de Miki, étoile montante de cette nouvelle pop francophone, ou encore d’Enchantée Julia, qui a offert une parenthèse plus douce mais tout aussi intense pour démarrer la journée avant l’emballement général. En bref, pour La Face B, ce vendredi avait déjà tout d’une journée réussie. Entre une organisation maîtrisée, des festivaliers bienveillants, des artistes généreux sur scène et une atmosphère survoltée, tous les ingrédients étaient réunis.

Un samedi sous le signe de la diversité

Cette fois, plus question de se perdre en route : on connaît le chemin. À peine le temps d’un café que la musique nous appelle déjà. Devant la Last Arena, la journée s’ouvre sur une note feutrée avec Primero, seul sur scène mais solidement campé dans une scénographie façon salon à ciel ouvert. Il déroule un rap aussi limpide que sincère, porté par une diction précise et une plume en clair-obscur. Le public, mélange de fidèles et de festivaliers curieux, se laisse embarquer dans cette bulle. Les applaudissements montent encore d’un cran quand Loxley puis Swing le rejoignent, reformant pour quelques titres la constellation L’Or du Commun. Une belle entrée en matière, douce et cohérente, qui confirme la richesse de la scène rap belge.

C’est avec une envie d’aventure qu’on s’est laissé porter par l’esprit curieux qui règne à Dour, direction donc Le Labo. L’objectif est alors d’aller à la rencontre des pépites belges cachées dans cette programmation dense. On y découvre Uwase, venue présenter une pop aux multiples nuances. Teintée de jazz, ponctuée de soul, sa musique se déploie avec délicatesse. Portée par une voix à la fois fragile et envoûtante, l’artiste captive l’audience le temps d’un moment suspendu.
Une heure plus tard, place à Ferdi sur cette même scène. Celui qu’on décrit souvent comme « celui qui fait aimer le jazz à ceux qui ne l’aiment pas » présente Take 01, son projet de 2024. Entouré de musiciens brillants, il enchaîne les morceaux avec une aisance déroutante. Le public est conquis, notamment lors des apparitions surprises de Béesau et Peet. Entre solos bien maîtrisés de tous les musiciens sur scène et improvisations lumineuses, Ferdi offre une version du jazz moderne, vibrante et accessible, qui séduit autant les initiés que les curieux.

Changement de décor, direction la scène Garage, antre du rock et du métal du festival. On y retrouve Do or Die, formation montoise bien connue des amateurs de métalcore. Présents à Dour dès 2013, les vétérans reviennent en terrain familier, et ça se sent. Sur scène, c’est l’explosion. Le public se déchaîne dans des pogos aussi impressionnants que chaotiques, où les corps semblent littéralement voler au centre des cercles. Christophe Michez, frontman infatigable, donne tout pendant plus d’une heure, puisant son énergie dans l’adrénaline collective. Une ambiance purement brute, viscérale, galvanisante. Et une fois le show terminé, difficile de ne pas marquer une pause pour reprendre son souffle.

Mais c’était sans compter sur les programmateurs de Dour, bien décidés à ne laisser aucun répit aux festivaliers. À peine le temps de flâner entre les emblématiques éoliennes qui dessinent l’horizon du site, qu’on se laisse naturellement emporter par le mouvement de la foule en direction de La Petite Maison dans la Prairie.

Sur scène, Saint Levant s’apprête à entrer. Le public est déjà massé, compact, impatient. Et il ne faudra pas longtemps pour comprendre qu’on assiste à l’un des moments forts de la journée. Le Palestinien impose une ambiance à part, presque familiale, au sens propre, puisque c’est son père qui assure le mix depuis les platines, entouré de proches, confortablement installés sur scène autour d’une chicha. Dans ce cadre aussi intime que solaire, Saint Levant enchaîne ses morceaux avec aisance, remixant ses titres en live, alternant douceur et énergie, flow arabe et hip-hop moderne. Le public est conquis. Une performance généreuse, incarnée, qui confirme l’ascension fulgurante d’un artiste au carrefour des cultures.

La journée touche à sa fin, mais l’envie de traîner encore un peu est trop forte. Cap sur le Dub Corner, qui, pour l’occasion, se transforme en Grünt Corner. Habituellement dédié aux vibrations reggae, l’espace change de visage pour l’occasion. Dès notre arrivée, l’ambiance est là. Jean Morel, déjà debout sur une table, chauffe le public dans un esprit proche d’une Boiler Room version rap. Derrière les platines, David Bolito enchaîne classiques du rap français et pépites issues de l’univers Grünt, dans un mix qui fait autant danser que découvrir. Une clôture idéale, festive et généreuse, pour une journée qui aura tenu toutes ses promesses.

Une conclusion en fanfare

Après quatre jours intenses, la pluie finit par s’inviter, comme pour tenter d’éteindre la ferveur collective. Quelques gouttes, puis des averses plus franches, mais rien qui puisse vraiment freiner les ardeurs d’un public encore debout, et bien chaud pour fêter cette dernière journée. La fatigue se lit sur les visages, mais l’élan tient bon. Car cette 35e édition, portée par une programmation foisonnante et une atmosphère toujours aussi unique, a rassemblé pas moins de 226 580 festivaliers.

On commence la journée devant la scène du Labo pour Camille Yembe. La jeune Bruxelloise, qu’on a d’abord repérée avec ses textes sensibles et sa voix enveloppante, impose un style mêlant soul, spoken word et envolées jazz, avec une poésie frontale et intimiste. Même à une heure peu propice aux grandes émotions, elle parvient à créer une bulle suspendue. Un moment de respiration qui permet de bien commencer cette dernière journée.

Le terrain s’anime ensuite pour accueillir El Grande Toto. À peine une dizaine de jours plus tôt, le Marocain avait déjà fait sensation en battant un record historique devant plus de 400 000 personnes au festival Mawazine de Rabat. Ce soir, c’est devant le public belge qu’il vient imposer son style, confirmant son statut de superstar marocaine. Son show, puissant et maîtrisé, a parfaitement répondu aux attentes, embrasant la foule avec une énergie contagieuse.

Pendant ce temps, de l’autre côté du site, Glints investit la scène Boombox. L’artiste anversois, fusion parfaite entre rap, électro-pop et énergie punk, captive seul avec son clavier. Ses grandes enjambées le long du public et ses hits percutants embrasent la foule, offrant une performance vocale et scénique digne des plus grands des années 90.

Pour beaucoup, Hamza était sans conteste l’un des grands rendez-vous de cette édition. Et le public a répondu présent, venu en masse, prêt à répondre au Saucegod. Mais la météo en a décidé autrement : une pluie violente s’abat soudainement, forçant la foule à chercher refuge, noyant quelque peu l’ambiance. Pourtant, Hamza ne se laisse pas déstabiliser. Avec une bonne maîtrise de la foule, il parvient à rallumer la flamme, enchaînant les morceaux de son nouveau projet Mania tout en balançant ses hits emblématiques, réussissant à réchauffer le public malgré l’orage.

La clôture de cette 35e édition revient à Charlotte de Witte, derrière les platines de la Last Arena. La DJ belge livre un set fiévreux, précis et profondément dansant, instaurant une transe collective qui embrase le public. Pendant plus d’une heure, elle captive, jouant avec le rythme et les émotions, maîtrisant parfaitement son auditoire. Une fermeture en apothéose, à la hauteur d’un festival qui l’a déjà choisie pour clore Tomorrowland.

La nuit se calme doucement. Les derniers festivaliers, encore debout après ce feu d’artifice sonore, se dirigent vers De Balzaal pour un dernier au revoir, avec Boris Brejcha qui ferme en beauté cette scène emblématique, ronde et hypnotique.

La 35e édition du festival de Dour s’éteint lentement, mais sur les visages, la satisfaction se mêle déjà à une tendre nostalgie. Cette année, l’organisation a su faire preuve d’une précision d’horloger, gérant les aléas avec une fluidité remarquable. Les festivaliers, toujours aussi chaleureux et passionnés, ont porté cette édition, sublimée par une programmation diversifiée qui a su parler à tous. Beaucoup rêvent déjà de l’année prochaine, espérant que la 36e édition soit aussi folle et mémorable que celle-ci.

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