Quentin Sauvé aime la musique depuis son plus jeune âge. Des concerts improvisés dès l’adolescence avec son frère (aujourd’hui ingénieur du son), à sa passion envers l’indie folk (Throw Me Off The Bridge) mais aussi le post-hardcore (Birds in Row), le musicien est d’une curiosité insatiable. Il nous révèle aujourd’hui son nouvel album Enjoy The View. Il a été enregistré sur bandes par Amaury Sauvé et Étienne Clauzel, au studio Black Box, à côté d’Angers. Un opus où guitare et voix ne font qu’un.
Je ne suis pas musicienne. Ce qui signifie que je suis incapable de parler de la technicité qui se cache derrière les morceaux, les accords, les guitares utilisées, ou les effets employés. En revanche, j’écris. Et j’emploie le pronom personnel « je » car mon ressenti m’appartient. Dans une société qui tend à nous anonymiser un peu plus chaque jour, j’ai besoin d’avoir un espace où je peux parler en mon nom. Merci La Face B.
Je ne saurais pas vous dire pourquoi Quentin Sauvé me touche mais je peux vous dire comment. Je sais où ça cogne, où ça crie et le bien qu’il me procure. Et lorsque je suis en concert face à lui, avec lui, je ferme les yeux. Car je me fiche de savoir quelle pédale il utilise et à quel moment. Je ne vis que pour les poils qui se dressent, pour sa voix qui m’émeut, et sa fragilité qui me bouleverse. Un matin, je reçois un lien vers l’album de Quentin Sauvé, que je m’empresse d’ouvrir, telle une enfant excitée devant ses cadeaux un matin de Noël. Un cadeau que j’ai gardé précieusement pour moi ces quelques semaines et qu’il est temps de partager. Un cadeau que l’artiste vous offre aujourd’hui, ce 31 mars.
Enjoy The View se savoure. Bijou d’indie folk épuré, où la sincérité du musicien rencontre la douceur des cordes et la finesse d’un piano. Il n’y a que lui et pourtant, il y a un milliard d’émotions. Si son premier album, Whatever It Takes (2019) nous plongeait déjà au sein de pensées troubles et de tourments lumineux, ce second opus nous y immerge totalement. Des mélodies ciselées, des accords acérés et une multitude de détails. Il faut alors de nouvelles écoutes, et pourtant, à chaque fois, ce sont des découvertes différentes, déconcertantes. J’aime cet album pour sa richesse, pour sa générosité mais surtout pour son humilité. Enjoy The View décrit et dessine les sentiments communs et complexes qui nous animent tous et toutes : la perte d’un être cher, tomber amoureux et se séparer, avoir le mal du pays, etc.
Quentin Sauvé s’interroge sur sa propre pratique et se remet en question. Avec Reflections (chroniqué ici) en guise d’ouverture, il évoque la perte de la passion musicale tandis qu’avec Tunnel, il décrit comment l’amour peut nous aider à y voir plus clair et donner un nouveau sens à notre quotidien. Un titre lumineux, pour donner de l’espoir, et du courage, à celles et ceux qui sont au cœur de ce souterrain sombre.
Enjoy The View porte le nom de l’album et fait partie des morceaux qui me touchent plus particulièrement. La voix claire de Quentin Sauvé file tantôt dans les aiguës, tantôt dans les graves. C’est une douce mélodie, qui se transforme progressivement en couplets entraînants, jusqu’à briser les mots, ceux dans lesquels je me reconnais si bien, tandis que les notes glissent, vibrent et s’estompent, gagnant en profondeur à chaque fois que le musicien les rencontre.
Horizon, premier extrait clippé de l’album (et chroniqué ici) m’émeut également. Je m’accroche à ces quelques lettres « seeking down ». Puis, je me replonge, comme le musicien, dans cette période de crise sanitaire et de restrictions. Lorsque l’horizon à perte de vue n’était plus une option.
See You Soon, est un vibrant hommage à sa grand-mère disparue. Et les derniers instants se parent d’effets venant renforcer cette idée d’absence. Quentin Sauvé lève le voile sur cette vie, la libère de l’oubli et la célèbre. Guitares et synthétiseurs ne forment qu’un pour magnifier l’amour porté à nos proches.
Punches, Loophole et Nostalgia, abritent les pensées sombres du musicien ; de son mal-être et de la difficulté à trouver sa place, à l’impossibilité de rester inactif. Des titres doux, dont Nostalgia, uniquement en piano/voix, pour réveiller la mélancolie et le manque.
Empty Promises signe la fin d’une relation et de ce qui va avec : les petites attentions qui ne sont plus, examen minutieux d’une vie à deux qui disparaît. C’est le moment de se consoler. Les chœurs, crées par Paul Dechaume se font, tandis que les cordes sont grattées et que les phrases sont lancées, une dernière fois. Quentin Sauvé semble être parmi nous, tout près, lorsque les larmes coulent et qu’il faut les essuyer.
Finalement, fatalement, Random Streets se manifeste. Dernier morceau d’un album aussi poignant que réconfortant. Quelques minutes que j’ai écouté en boucle et en boucle et en boucle. Un loop insaisissable, le grand huit des émotions. Je me rappelle l’hiver bien installé, les ruelles sombres et mon doigt sur le navigateur, qui s’empresse de remettre la musique au début, dès que les dernières notes s’échappent. Quand rien n’allait vraiment, Quentin Sauvé m’accompagnait. Ici, il est question du mal du pays, cette idée de n’être jamais vraiment chez soi car toujours sur les routes. Dilemme entre deux vies qui se croisent sans cesse, sans jamais se retrouver.
Where is home ? Le musicien nous offre ici un grand final, un titre pour apaiser ses questionnements quant à la musique et aux chemins tortueux qu’elle peut parfois emprunter. Que de frissons lorsque sa voix se fait tout à coup si vivante, si violente, et que les accords s’enchaînent, se déchaînent. Random Streets, j’ai tellement hâte de t’entendre en live.
Enjoy The View est pour moi un des albums nécessaires de 2023. Quentin Sauvé s’échappe un instant du devant de la scène post-hardcore pour revenir à l’essentiel. Mise à nu épurée, débarrassée de toutes fioritures, afin de ne penser qu’à soi, pour soi. Rencontre fortunée et bienfaitrice avec sa guitare, voilà un exercice délicat qu’il réussit avec brio. A la manière d’Adrianne Lenker, l’artiste se place au cœur de nos émotions. Au cœur de nos vies. Semblant être dans la même pièce que nous. Et tandis que le grain des guitares alterne entre saturation et clarté, entre rock et folk, j’ai la sensation d’être saisie. Au plus profond de moi.
Enjoy The View et alors savourer ce qu’on a, ouvrir la fenêtre, contempler, accepter.
L’album est sorti sur 3 labels : Hummus Records (Suisse), Luik Music (Belgique) et Bright Colors (France).
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