Faux Real : “Ce qui est important lorsque l’on crée, c’est de ne pas juger trop hâtivement”

Faux Real est l’un de ces projets que l’on suit avec attention depuis le début, car il y a dans la musique des franco-américains ce quelque chose en plus qui existe nulle part ailleurs. Un brin de folie obsédant et une passion indubitable. Il y a une semaine, Elliott et Virgile Arndt, nous dévoilait d’ailleurs ce que l’on attendait depuis toujours : Faux Ever, leur premier album. On en a alors profité pour les retrouver et échanger sur leur seconde réussite unanime. Échange durant lequel on y parle complicité artistique, FOMO ou encore du fil conducteur qu’est la pop music au sein de leur duo.

La Face B : Lors de notre dernière rencontre, vous disiez apprécier le mystère gravitant autour de l’éventualité d’un premier album. Aujourd’hui, le mystère n’est plus, et Faux Ever verra donc le jour à l’automne. Comment vous sentez-vous à l’idée d’enfin délivrer ce premier long format tant attendu ?

Elliott : Ça fait du bien.

Virgile : Tant attendu par nous aussi, parce que c’est vrai qu’on ne savait pas trop comment, quand, avec qui on allait faire cet album. On est très excités à l’idée de sortir un long format qui compile pas mal d’années de travail, agréable certes, mais du travail quand même. C’est trop cool, on est vraiment fiers du résultat.

Elliott : Je pense que ça va donner une très bonne idée de ce projet. Il n’y avait jamais beaucoup de musique disponible, et chaque single a ses particularités, donc je pense que l’ensemble va vraiment aider à comprendre l’univers.

Virgile : Oui, et puis le projet a eu le temps de mûrir aussi. On a quand même été très actifs, on a beaucoup joué, on a beaucoup écrit, on a fait des collaborations. Et ce qui est cool, c’est que ça crée un peu comme une compilation de tout ça. C’est toute une époque, c’est quatre années de travail. Quand on a commencé Faux Real, on s’est dit qu’on allait sortir un album tous les ans et que ça allait être l’un de ces projets-là. Et au final, non. On espère en tout cas que l’attente aura valu le coup.

Elliott : Il y aussi ce truc de premier album, où il y forcément un peu de pression, où tu as envie que ce soit parfait, et je pense qu’on en a été victimes. Mais je crois aussi qu’une fois qu’on aura fait ça, on se sentira plus libres d’en sortir plus souvent.

LFB : Faux Ever est donc le résultat d’innombrables démos accumulées ces dernières années. C’était difficile pour vous que de départager le bon du mauvais ? Entre ce qui allait subsister sur cet album et ce qui allait être condamné à tout jamais sur vos disques durs ?

Virgile : Oui, ça a été le fruit de longues réflexions. Mais c’est aussi comme ça qu’on a commencé à savoir que l’album était presque finalisé. On commençait à avoir vraiment du mal à choisir, on se disait il y avait trop de trucs qu’on avait envie de mettre sur cet album, et quand on a du mal à choisir c’est bon signe, pour nous du moins.

LFB : Vos morceaux ont beaucoup évolué au fil du temps, je pense notamment à Walking Away from My Demons, qui aujourd’hui semble beaucoup plus pêchu que par le passé…

Elliott : Oui, ça fait partie des morceaux qu’on fait en live depuis longtemps, et qui nous accompagne. Il est passé par beaucoup de stades de production et a enfin atteint sa forme finale. La première fois qu’on l’a fait sous sa nouvelle version, c’était aux Inrocks Festival (le 2 mars 2024, ndlr).

Virgile : C’est intéressant aussi de prendre ces morceaux qui sont un peu plus vieux, et de se rendre compte qu’ils ont toujours leur place musicalement, mais aussi émotionnellement, car ce que l’on attache au morceau a encore du sens, de la valeur. À la fin de l’album, on est repassés sur tous les morceaux, on a refait un peu de production, rechanté l’ensemble, et ça a terminé le but que l’on avait d’unifier tout ça afin d’en faire un tout que nous trouvons à la fois cohésif et très représentatif.

LFB : D’abord frères puis amis, vous avez appris à mêler vos énergies créatrices afin de ne faire qu’une et donner ainsi lieu à une complémentarité à tous les niveaux. Lorsque cela arrive, comment contrez-vous alors les périodes de doutes artistiques et de vide nécessaires ?

Virgile : C’est ça qui est bien avec la dynamique d’un duo, c’est que la plupart du temps, il y en a un qui doute, et il y a l’autre qui est là pour asseoir le truc. Et évidemment, ça arrive qu’on soit tous les deux dans des phases de doute, qu’on soit tous les deux dans des phases où on n’est pas sûrs d’où l’on va. Mais encore une fois, on arrive mutuellement à se rassurer. On a déjà fait ça, on a réussi, le duo marche bien pour ça. Et je trouve qu’au contraire, plus ça va, plus notre complémentarité grandit, on se rend compte des forces et des points faibles de l’un et de l’autre. On arrive à bien gérer le truc, mieux communiquer. C’est une chance.

Il y a des limites, mais en même temps, il y a moins de limites que lorsqu’on travaille avec des gens qui sont amis ou juste collaborateurs. Il y a justement moins de limites parce qu’on se connaît par cœur, on se connaît tellement bien, qu’on sait tous les deux qu’on est dedans à 150%, et que quand il y en a un qui doute, c’est seulement passager. Il y en a toujours un derrière pour dire « Regarde-moi, tout va bien, tout file comme il faut », et c’est quelque chose que tu ne peux pas forcément faire avec quelqu’un que tu connais moins bien. Après voilà, on voit où termine les frères Gallagher… (rires)

LFB : En parlant création, il semblerait que la maison de votre grand-père en Provence ait joué un rôle essentiel quant à l’existence même de cet album. Ce lieu a-t-il été un point d’ancrage évident à votre inspiration ?

Virgile : C’est un endroit où on a passé beaucoup de temps plus jeunes, en vacances, et c’est ici qu’on a écrit les premières chansons de ce qui plus tard allait devenir Faux Real.

Elliott : Et c’est là qu’on a fini pendant le Covid aussi, on a passé pas mal de mois là-bas à bosser sur le disque, et on y retourne souvent.

Virgile : C’est un lieu important pour nous, pour notre famille.

Elliott : On a aussi beaucoup écrit dans d’autres villes. Cet endroit était logique quelque part pour nous, on s’est dit, quitte à écrire ensemble, autant le faire dans un endroit familial. L’album est né entre Paris, Londres, Los Angeles et La Provence.

LFB : Le fait d’avoir pris le temps entre votre EP et votre premier album, a-t-il été un élément clé quant à la qualité intime de vos morceaux ?

Elliott : Je crois que les morceaux qu’on a fini par choisir, sont ceux qui ont ce côté un peu intime, ceux qui percent comparé aux autres, car ils parlent aux gens.

Virgile : Et qui continue aussi à nous parler trois ans après les avoir écrits. Quand on les réécoute, on se dit qu’il y a quelque chose de clair et d’immédiat dans le texte.

Elliott : C’est intime pour nous aussi.

Virgile : C’est personnel pour nous, ça donne une connexion émotionnelle au morceau et c’est comme ça qu’on progresse.

LFB : Et prendre votre temps, quatre ans en l’occurrence, laisse supposer que vous êtes perfectionnistes…

Virgile : Tu ne te trompes pas. Certains plus que d’autres. (rires)

Elliott : Certains plus que d’autres, oui. Mais pour n’importe quel musicien, quand il s’agit de leur musique, ils sont forcément perfectionnistes.

Virgile : Après, on n’a pas vraiment l’impression d’avoir pris notre temps. On était constamment en train de jouer, d’écrire… Et c’est le temps que ça a pris pour arriver à maturité. Ce n’était pas forcément conscient, c’était surtout de l’ordre qu’il fallait retravailler les morceaux, qu’on n’avait pas ce qu’il nous fallait etc. C’est un processus qui nous a suivis tout au long.

LFB : Ce perfectionnisme a-t-il été un frein à la création ?

Virgile : Ça peut l’être, mais je pense que pour nous, le perfectionnisme est arrivé tard dans le processus de création de cet album. Ce qui est important lorsque l’on crée, c’est de ne pas juger trop hâtivement, il faut avoir du discernement et laisser les choses se faire naturellement.

Elliott : Le perfectionnisme c’est aussi quelque chose qui arrive dans le fait de clore une tâche. Et en ce qui nous concerne, je n’appellerais pas ça du perfectionnisme, c’est juste le temps que ça prend.

Virgile : Oui, mais c’est parce qu’on sait aussi ce que l’on aime. On sait ce que l’on a envie de mettre au monde, de créer, donc on se donne les moyens de faire ça avec les moyens que l’on a. Et ça prend le temps que ça prend forcément. C’est peut-être davantage le résultat d’être en meilleure possession de nos moyens en tant qu’artiste. Je pense que plus ça va, plus tu as une idée précise de ce que tu veux faire.

LFB : J’ai par ailleurs pu constater que vous aimiez jouer avec les mots. Est-ce qu’il y a dans cette forme d’expression linguistique, l’envie de dénoncer les vices de notre société ? Quand on vous écoute, on entend l’anxiété, la culture de l’hyper-productivité, les préoccupations écologiques…

Virgile : Ce n’est pas forcément de l’ordre de dénoncer, mais plus d’exprimer des choses qui nous touchent, qui nous sont chères. On aime le langage et on aime en jouer, et il y a peut-être toujours un peu ce côté où on s’efforce de dire les choses d’une certaine manière, de rendre ça drôle bien que ça ne le soit pas. C’est aussi la façon dont on aime s’exprimer dans la vraie vie. On parle plusieurs langues en même temps, il y a des jeux de mots croisés qui s’échangent, des blagues entre nous qui durent depuis quinze ans. C’est difficile à expliquer, mais c’est comme ça que l’on est, et il est vrai que ça joue un rôle très important.

LFB : Le titre Faux Maux nous rappelle éventuellement l’acronyme FOMO (Fear Of Missing Out, ndlr). Est-ce un syndrome dont vous êtes atteints ?

Virgile : Certains plus que d’autres, certains plus que d’autres… (rires)

LFB : À même échelle que le perfectionnisme finalement.

Virgile : C’est ça, on n’est pas tous affectés de la même manière. (rires)

Elliott : C’est aussi un problème de notre société et qui était marrant à déconstruire. Il y avait cette histoire de jeu de mots, d’avoir le faux dedans. Il y a beaucoup d’éléments dans ce projet qui partent un peu de ça, avec le langage, les jeux de mots…

Virgile : Ce qui nourrit une réflexion plus large.

Elliott : Tout comme le nom du projet.

Virgile : Oui, ça part souvent d’une petite phrase d’accroche ou d’une blague. Mais non, la FOMO, on n’en souffre pas trop. Et une manière très simple de ne pas en souffrir, c’est d’être partout, tout le temps. Trop facile ! (rires)

LFB : Vous prônez la nécessité de la facette DIY au sein de votre projet. Cohabiter avec d’autres esprits artistiques nuirait-il à l’esthétique de Faux Real ?

Virgile : Love On The Ground a été co-écrite et co-produite par Chrome Sparks qui est un ami, producteur et musicien dont on est assez proches. Et il y a aussi Sketches Of Pain sur le disque, qu’on a co-écrite avec quelqu’un. La collaboration, c’était plus une volonté de se trouver vraiment. Plus ça va, plus on sait ce qu’on veut, plus on sait ce qu’on veut faire et comment le faire. Et je pense qu’au début, on était un peu en recherche, et ça s’est affiné. Là, on a fait un truc qui est ultra personnel, et qui est constitué à 95% de notre travail à tous les deux, à tous les niveaux. Et maintenant, on sait exactement ce que c’est Faux Real, on sait comment ça sonne, à quoi ça ressemble. On peut accueillir d’autres gens, sans craindre que ça perturbe notre équilibre.

LFB : Avec Faux Ever, les genres musicaux se mêlent les uns aux autres, avec toujours un fil conducteur pop qui domine. La pop music constitue-t-elle un point de référence pour vous ?

Elliott : Oui, mais la pop pas vraiment comme genre musical mais plus comme manière d’écrire. C’est un fil conducteur. On aime ce genre de chanson bien écrites, quand ça reste dans la tête. Il y a cette manière d’écrire, ce dynamisme de duo, ce découpage que l’on doit faire vocalement et qui influence beaucoup les directions à prendre. Et il y a aussi la palette de sonorités qui est récurrente sur tout l’album, même si ça se prête à des choses un peu différentes, il y a cet univers qui subsiste dans l’album.

LFB : Est-ce qu’il y a alors dans votre processus créatif, la volonté d’attribuer à vos morceaux une qualité pérenne ? Qui est, selon moi, une qualité propre aux tubes pop, résolument addictifs et entêtants, comme c’est le cas avec les vôtres finalement.

Virgile : Je ne sais pas si c’est volontaire en tant que tel, bien que lorsque tu fais de la musique, tu espères que les gens vont l’écouter le plus souvent possible. Ça provient surtout de la manière dont nous on écoute de la musique, et ce qu’on aime. Et c’est ça qui, naturellement, nourrit notre pratique musicale. J’écoute de la musique par phase obsessionnelle, je ne suis pas très curated dans mon approche de la musique. J’écoute un morceau et je deviens complètement obsédé, je le joue à la guitare, je l’écoute tout le temps et je dois comprendre les rouages du truc. Et une fois que c’est fait, je suis satisfait et je passe à la prochaine obsession. Je crois que ça se ressent dans la manière dont on écrit et (à Elliott) c’est un peu comme ça que tu fonctionnes aussi. Après, on verra bien si elle est pérenne ou non.

LFB : L’autoproduction est l’une des qualités principales de votre projet. Si à l’avenir vous étiez amenés à collaborer avec un producteur rêvé, quel serait-il ?

Elliott : Il y en a beaucoup, et je pense que ça sera toujours par le biais d’une co-production. On a établi quelque chose qui existe beaucoup à travers la production et on ne voudrait pas complètement reléguer ça car l’identité est assez forte. Je me verrais bosser avec 100 gecs, ça pourrait être fou. Ou encore A.G. Cook, Danny L Harle

Virgile : C’est quelque chose auquel on n’a pas encore trop pensé, mais on va le faire de plus en plus je crois. Sur la tournée anglaise, on a beaucoup écouté le dernier album de Sega Bodega qui fait un travail de production vraiment cool, et la musique sur scène de son projet est aussi très bien. Ce genre d’univers nous parle beaucoup, c’est pop mais aussi bien deep.

LFB : Dans l’idéal, à quel futur aspirez-vous pour Faux Real ?

Virgile : (chantonne) Faux Real just wanna have fun… Blague à part, pour nous, le but est de continuer à faire de la musique, à construire l’élément live, la performance. On a plein d’idées.

Elliott : Dans ce genre de durée, c’est aussi l’idée de pouvoir faire que le projet ne vive pas nécessairement dans les mêmes structures que tous les autres projets musicaux. C’est-à-dire pas nécessairement avec les mêmes formats de tournées, d’albums etc. On a des idées de formats qui sont aussi un peu différents, qu’on aimerait beaucoup explorer, mais qui sont faisables qu’une fois qu’il y a du suivi, de la thune, et du monde. Pour écouter, surtout, et regarder. J’aimerais vraiment pouvoir, dans dix, quinze ans, créer d’une manière un peu plus libre.

Virgile : Plus comme un projet artistique.

Elliott : Qui nécessite moins l’aide et l’infrastructure musicale qui est en place, le truc un peu standard finalement. C’est abstrait, mais c’est ce à quoi on pense.

Virgile : On va continuer à écrire des morceaux de trois minutes trente avec des refrains. (rires) Après, l’un n’empêche pas l’autre. On a beaucoup d’envies, et on commence à peine, ce n’est que le début.

© Crédit photos  : Céline Non