Son titre Data nous avait émerveillés lors de sa sortie en décembre dernier et puis nous avons découvert avec tout autant de plaisir les autres chansons qui composent son nouvel album Emotional Data. Ces datas sont celles qui nous entourent souvent de manière trop intrusive, mais également celles qui font rejaillir les souvenirs qui nous construisent. Car la composante mémorielle est prégnante tout au long des chansons. Emotional Data est un album qui s’écoute autant qu’il se ressent. Dans la continuité de ses compositions antérieures, Fred Nevché a collaboré avec ses comparses de toujours, Simon Henner – aka French 79 – et Martin Mey. Il a fait également appel dans trois chansons aux textes de Nicolas Mathieu (Goncourt 2018 pour son roman Leurs enfants après eux) et de Milène Tournier (poétesse qui sublime le quotidien. Si vous avez l’occasion de la voir réciter ses poèmes n’hésitez pas, elle est juste incroyable).
Nous sommes allés à la rencontre de Fred Nevché, quelques jours après qu’il a ouvert le concert au Zénith de Paris de French 79. Une terrasse de café dans le quartier village de La Butte aux Cailles qui conjugue passé communard et street art dont les œuvres colorées parent les murs des immeubles ; le décor sied parfaitement au musicien-poète.
La Face B : Tout d’abord, comment vas-tu ?
Fred Nevché : Là, je peux dire que je vais particulièrement bien. D’ailleurs, je trouve que je vais presque trop bien. Mais comme on dit, ce n’est jamais trop. En fait, je nage dans le bonheur le plus absolu. L’album est sorti et les gens l’aiment beaucoup. Je viens de faire deux dates, à Marseille et à Paris, qui ont été incroyables en termes de communion avec le public. Et puis, je viens de faire le Zénith avec French 79. Voilà, je crois que cela se passe de commentaires.
« l’amour est une notion éminemment politique »
La Face B : Ton disque Emotional Data est sorti en février. Qu’est-ce qui t’a amené à aborder cette thématique des données, des datas ?
Fred Nevché : La première chanson que j’ai écrite était Data. Elle est venue d’un rêve que j’ai fait une nuit. Je me suis rendu compte qu’en rêvant la nuit, personne ne contrôlait. Personne n’essayait de me vendre quoique ce soit, ou du moins pas encore. Ça a mis le focus, très fort, sur l’envie de me retrouver, de ne pas être derrière les écrans, de pouvoir aussi exprimer l’amour. Un amour à la vie, un amour aux émotions, aux sentiments, aux sensations. Très vite, c’en est devenu le fil conducteur. Mais je crois que ce fil conducteur, je le trace depuis très longtemps. Ça va de plus en plus étroitement vers la recherche de quelque chose de simple, d’émouvant.
En fait derrière, c’est comment fait-on pour parler d’amour, l’amour de la vie, l’amour de quelqu’un en reliant ça à de la politique. Je trouve que l’amour est une notion éminemment politique. Et ce, pour plein de raisons. D’un point de vue formel, c’est s’engager. S’engager envers quelqu’un comme on s’engage pour une cause. Il y a quelque chose d’irraisonnable, d’aveugle, de puissant. J’ai hésité, mais pas longtemps. Presque de suite, j’ai voulu appeler ce disque Emotional Data.
C’est après que je me suis souvenu qu’il y avait eu un Emotional Rescue des Rolling Stones. Je pense qu’au fin fond de mon cerveau, une connexion s’est faite. Cela ne m’a pas gêné de l’appeler en utilisant des termes anglais parce qu’en français c’était moche. « Data émotionnelle », « Émotion Data », « Âme Data », « Amour Data » ? Non, Emotional Data était beaucoup plus simple. Et puis, je savais qu’il allait y avoir une chanson en anglais dedans.
La Face B : À l’écoute de ton disque, on sent que les textes ont autant d’importance que ta musique. Comment fais-tu pour qu’ils s’articulent ainsi ?
Fred Nevché : Aujourd’hui c’est devenu naturel. Cela ne l’était pas du tout avant. En fait ça a mis des années pour se mettre en place. J’avais toujours l’impression que j’en faisais trop. Il fallait retenir, retenir, retenir…, enlever… En fait ce n’est pas qu’il fallait enlever, mais plutôt aérer. Il fallait trouver la bonne façon de faire apparaître la voix parlée, la musique, la voix parlée, la voix chantée, la musique… et laisser des respirations.
En fait, Simon [Henner aka French 79] m’a énormément aidé pour ça. Pour la voix parlée en tout cas. Quand on a fait le Lou Reed, ça a été notre grosse trouvaille. Ce que l’on a réussi à faire avec le Lou Reed, c’est qu’on a réussi à faire que je raconte une histoire sur de la musique électronique sans que personne ne trouve ça chiant. Ou du moins que beaucoup de personnes écoutent ce disque. On en est à 8 millions d’écoutes. C’est un truc de fou. Ces trouvailles que l’on a faites, on les retrouve aussi sur Valdevaqueros. Il y a aussi Martin Mey qui m’a aidé à placer ma voix chantée.
Ensuite, fort de ces deux expériences, je me suis décomplexé. Je me suis dit : « je sais chanter ». En fait, je sais réciter, je sais chanter, je sais composer, je sais écrire. Je ne ferai pas mieux que ce que je fais. Donc maintenant, je m’accepte comme je suis. Cette façon de s’accepter juste comme l’on est, à sa taille, ne pas être complexé parce qu’on pense ne pas bien chanter, ne pas avoir une belle voix.
C’est comme sur scène. Aujourd’hui, je suis comme un poisson dans l’eau. Je danse quand j’ai envie de danser. Je ne suis plus gêné. Plus personne ne vient me prendre la tête si je danse ou non. Je m’éclate. À une époque je complexais en me disant : « Mais que vont penser les gens ». Et puis, il y en a d’autres qui complexaient pour moi et qui venaient me le dire. C’est compliqué, l’image que cela peut rendre. Alors qu’en vrai…
La Face B : Et sur la manière dont chant et musique se répondent ?
Fred Nevché : Lorsque tu écoutes la musique, tu te rends compte qu’il y a une grille d’accords. Je ne la casse jamais. Quand la grille d’accords est terminée, je rentre. Et puis tout à coup il y a une mélodie de synthétiseur qui arrive. Là, j’arrête de chanter et je laisse exister la mélodie du synthétiseur. Et, je la suis. Le cerveau humain, comme le regard, suit… [Il déplace sa main devant lui de manière théâtrale] Si je fais comme cela avec ma main, tu vas suivre la main. Quand tout le monde est sur scène, tout le monde va suivre ma main. Si je montre Martin, tout le monde va applaudir Martin.
Dans la musique, c’est pareil. D’ailleurs, Simon quand il fait ça avec sa main, je sens qu’il visualise la musique comme des moments d’élévations, de plongée. Élévation, on écoute. On plonge, on est concentré et hop on s’élève. On pense à autre chose, on plonge, on s’élève. Comme le mouvement de la mer et des vagues, le roulis.
C’est comme le roulis ou la houle, c’est très maritime. C’est le rythme de la respiration. Je crois que l’on a cherché ce rythme naturel des choses dans les trois derniers disques. Je les ai faits tous les trois avec Simon ; Martin a travaillé sur Valdevaqueros et un peu Emotional Data. Et ce, sans être chiant. Quand tu es sur scène, tu peux sursignifier. Quand tu es en studio, il faut tout réduire comme un acteur à la télévision. Il faut laisser des respirations.
« Pour lire la poésie, il ne faut pas savoir la lire. Il faut savoir être envahi par elle, dépassé. »
La Face B : Et le choix de la technique de chant, passer de la voix parlée à la voix chantée sur du texte, cela te vient également naturellement.
Fred Nevché : En fait, je fais comme le ferait un enfant. D’abord, je n’ai pas le sentiment de savoir lire des poèmes. Des fois, on me demande de lire pour d’autres projets, je ne lis quasiment jamais les textes à haute voix avant. Parce que l’émotion de lire un texte pour la première fois, c’est l’instinct de survie qui marche. C’est souvent la première prise que je garde. J’ai fait comme j’ai pu. Je n’ai pas travaillé. L’émotion et l’« étrangeté ». Parce que plus ça m’est étranger, plus cela laisse de place à la personne qui écoute.
Ce sont des théories complètement vaseuses que je sors, mais je pense que pour lire la poésie, il ne faut pas savoir la lire. Il faut savoir être envahi par elle, dépassé. Et des fois, ne pas comprendre ce que l’on est en train de lire. Pour que la compréhension se place chez l’auditeur. Si on comprend trop ce que l’on est en train de lire, l’auditeur a l’impression qu’on lui fait une leçon. Je préfère être celui qui ne comprend rien, mais qui donne à entendre.
La Face B : Maintenant, lorsque les poètes lisent leurs propres œuvres, l’émotion très souvent est présente, car ils incarnent le poème.
Fred Nevché : Oui, mais lire sa propre œuvre, c’est des fois ne pas la comprendre. Parfois, je lis des choses que j’ai écrites et que je ne comprends pas bien.
La Face B : La lecture vaut également par le rythme qui la fait vivre.
Fred Nevché : Pour le rythme, tu as raison. Par exemple, j’ai beaucoup galéré sur Pandora parce que c’est mon texte. Tu sais ce que j’ai fini par faire ? Il était quatre heures du matin, j’ai coupé la musique, j’ai pris mon iPhone et j’ai lu le texte sans le rythme, sans rien. Je l’ai ensuite posé sur la musique. Je faisais trop saccadé et c’était horrible. Là, je racontais : « Une odeur de salé, d’océan. On sent l’adrénaline. On arrive. Le vacarme est vraiment dingue. C’est blindé. Tout le monde veut entrer ». C’est comme si je te raconte l’histoire. C’était compliqué de le faire avec la musique.
Des fois, je cherche comment on fait pour captiver l’attention. C’est mystérieux. Donc tu travailles. Pour Data, je n’ai fait qu’une seule prise. Ta Lumière, je n’ai fait qu’une seule prise. Allez Bisous, c’est vraiment la première, première prise. Je suis arrivé dans le studio et j’ai dit à Simon : « On va enlever ce texte, j’ai demandé à Nicolas et il m’a donné à choisir. J’ai choisi ça. Va dans le studio d’à côté et laisse-moi faire ma prise, tu reviens après ». Il est revenu, j’avais fait la prise principale et la voix un peu de crécelle qui fait l’harmonie derrière. Elle est complètement fausse, mais elle marche super bien.
La Face B : C’est vrai qu’à l’écoute du morceau, on ressent un côté spontané qui cadre complètement avec le texte.
Fred Nevché : C’est tout à fait ça.
« j’adore lire les textes des autres »
La Face B : Il y a des textes que tu as écrits. Il y a aussi des textes que d’autres ont écrits. Nicolas Mathieu et Milène Tournier pour les citer. Que recherchais-tu en allant les solliciter ?
Fred Nevché : En fait, je pense que c’est une écriture aussi. Je pense que choisir les gens que tu as envie de lire ça appartient à la conception d’un projet. Et c’est plus riche qu’il y ait d’autres personnes que moi. C’est plus riche, c’est plus puissant, c’est plus différent, c’est plus singulier. Par exemple Nicolas écrit des choses que je suis incapable d’écrire.
Et puis d’abord j’adore lire les textes des autres. D’ailleurs je pense que je les lis mieux que les miens. Parce qu’il y a la distance dont on a parlé précédemment. Dans le projet autour de Lou Reed, ce qui a été fantastique c’est que j’ai commandé des textes à des gens différents. Je n’ai pas dit, aux uns et aux autres, qui j’avais sollicité. Je leur ai posé une seule et même question, j’ai rassemblé cela. Le kaléidoscope était là. Je fais énormément confiance au hasard, aux rencontres.
Et là, j’ai appelé Nicolas en lui disant : « Écoute Nico, j’avais envie de te demander un texte à l’époque du Lou Reed, mais tu avais eu à ce moment-là le prix Goncourt. C’était la folie et je ne voulais pas que tu comprennes mal mon intérêt pour ton travail » Et puis, il s’est avéré qu’en fait il avait aimé le Lou Reed. Il m’avait envoyé un message. On s’est connecté. Et puis voilà, je lui ai demandé un premier texte Allez Bisous, parce que je voulais que ce texte ouvre le disque.
Et à la fin de l’album, pour moi il manquait un équilibre. Je lui ai demandé un autre texte. J’ai choisi Les Jours. Les deux titres, c’est moi qui les ai donnés. Ils n’ont pas vraiment de titres, car ce sont des extraits de son livre qui s’appelle Le Ciel Ouvert. C’est un hasard qu’il soit sorti la même semaine que mon album. On aurait voulu le faire exprès et monter un coup promotionnel, on n’aurait pas réussi à le faire.
« Appelle-moi ta commune »
La Face B : Et pour Milène Tournier ?
Fred Nevché : Milène, je l’ai vue à Nantes lire ses poèmes à haute voix. Et franchement, ça a été un choc. Un choc de bonheur. J’adore la poésie. Je viens de là. J’ai écrit des poèmes que je lisais à haute voix. C’est comme cela que j’ai commencé avant de faire de la musique. J’en faisais, mais je n’assumais pas encore d’avoir un groupe et tout ça. Alors, j’allais lire a capella. En fait, le slam m’a permis de commencer avant que mon groupe soit près. Cela m’a permis de m’aguerrir à la technique vocale et à la performance. Tenir le micro devant les gens.
À chaque fois tu montais sur scène et tu avais trois minutes pour marquer un but. Si tu passes après quelqu’un qui hurle, tu ne peux pas hurler plus fort que lui. Donc il faut chuchoter. Et tant pis, si le texte tu ne l’as jamais chuchoté et bien on tente. Et on voit ce qui se passe. Je n’ai fait que ça pendant ces années-là. J’ai beaucoup appris de ça. Capter l’attention du public. J’adorais ça.
Et Milène, je trouvais que l’on était des cousins. Je me suis senti appartenir à la même famille qu’elle. Et puis, elle m’a envoyé 40 pages de texte. 40 textes magnifiques. Celui là – La vie devant soi – était parfait parce qu’il me paraissait étrange « Aime-moi dans des évidences de pharmacie comme un temple à étage. L’épicerie de nuit. Aime-moi de dos comme une coiffeuse. Aime-moi en une fois avec mille mains dans des polyvalences de centre de santé » J’adore. Et quand elle dit « Aime-moi, appelle-moi ta commune » Alors là, ça m’a renversé. « Appelle-moi ta commune » …
La Face B : On est toujours sur des émotions qui passent.
Fred Nevché : C’est hyper beau. « Aime-moi dans des polyvalences de centre de santé », « Aime-moi glacial à la pharmacie de garde », « Éclaire-moi le soir à partir de 21h ». Je trouve ça magnifique. Tout est dit de l’amour, du désir. Il y a tous les amours, tous les moments. C’est sublime et c’est étrange. Du coup, ce n’est pas banal.
J’avais cette mélodie. Je l’avais fait pour un autre spectacle. Je voulais écrire une chanson italienne, pour Andrea Laszlo De Simone, il a gagné cette année le César de la meilleure musique de film pour Le Règne animal. Elle était écrite, mais quand je l’avais contacté il était déjà en train de composer cette musique de film. Il ne pouvait pas participer à l’album. J’étais trop déçu parce que c’était vraiment pour lui cette musique. Je la vis comme une musique de variété italienne. Et d’ailleurs, mon fils a fait les mandolines dessus « Tin tin titin … » C’est comme cela que je perçois la variété italienne.
La Face B : Quant à la poésie, il me semble qu’elle revient pas mal à la mode. Qu’il existe une effervescence.
Fred Nevché : Moi j’aurais tendance à dire que cela fait vingt ans que cela a bien repris. J’ai eu l’impression avec le slam d’avoir amené ma pierre à l’édifice du retour de la poésie dans les lieux publics. C’est ma modeste contribution, mais j’ai été partout. Dans toutes les écoles, sur toutes les scènes. J’ai chanté, j’ai fait des disques. Ça fait vingt que je ne fais que ça. J’ai l’impression que cela fait vingt ans que l’on parle régulièrement de la poésie, du slam, du Printemps des Poètes, les lectures publiques. Après, je me dis poète parce que j’écris des poèmes. Mais je les chante. Je me dis chanteur. Je ne fais pas que de la poésie.
Après Instagram c’est chouette. Tu parlais de Cécile Coulon, je vois qu’elle publie des petits poèmes. C’est trop bien. Mais je pense que cela fait vingt ans que le mouvement est relancé, pas maintenant. Le mouvement a été vraiment amorcé avec la démocratisation du slam. Et d’ailleurs à l’époque les poètes n’étaient pas très contents de la médiocrité que l’on pouvait trouver dans les scènes slam. Alors que la médiocrité que l’on pouvait trouver – attention le mot est problématique, quand je dis « médiocrité » c’est que tout le monde n’était pas un poète professionnel. Tout le monde n’avait pas vocation à devenir un grand poète et moi non plus – mais cela laissait la possibilité à chacun de participer. Parce que justement on se disait : « De toute façon, on n’est pas tous de grands poètes, on peut y aller ». Et moi, ça m’a plu.
La Face B : Avec son lot de batailles de chapelles.
Fred Nevché : Ça, il y en a eu. Mais cela ne m’a pas intéressé. Il y a toujours eu des querelles. C’est la compétition. Dans tous les métiers, il y a une compétition, même chez les chanteurs ou les chanteuses. Va demander à des chanteurs ce qu’ils pensent d’autres chanteurs.
La Face B : J’ai l’impression qu’on ne devait surtout pas toucher au vernis qui enrobait la poésie, et que ce soit par le slam ou par d’autres formes de poésie, il y avait cette crainte qu’on allait l’abîmer.
Fred Nevché : C’est vrai, mais je pense à d’autres poètes. Là il y a eu le Printemps des Poètes et plein de gens se sont dressés contre Sylvain Tesson. Ils se sont dressés à raison. On en a fait tout un procès d’intention. Et de ces « petits » poètes, on a dit qu’ils étaient jaloux. On les a marginalisés. Ces gens-là n’ont pas besoin de Sylvain Tesson. Ils vivent toute l’année de petits boulots de petits trucs. Ce sont de petites gens qui travaillent. Ils ne sont jaloux de personne. Mais quand on a mis Sylvain Tesson, qui est une personnalité problématique, à un endroit qui n’était pas le sein… J’ai lu son truc sur la panthère. Le photographe est un mec exceptionnel et tu as ce mec à côté, qui est là…
Le livre m’est tombé des mains. Il m’a énervé. Tout le long, il m’a énervé. Dès qu’il prend la parole, c’est pour se mettre au centre de tout. Alors que l’autre est d’une humanité extraordinaire, hors du commun. Il a l’humilité de celui qui attend la panthère. À la fin il est contaminé par Sylvain Tesson parce qu’il pense que la panthère regarde son objectif. Alors que moi, je pense sincèrement que la panthère regarde l’oiseau pour le bouffer. L’histoire est jolie. Mais l’autre il est couché, il écrit comme s’il était au centre du monde. Il est problématique ce mec.
Je parais dur, mais on a fait le procès de gens qui ne le mérite pas alors qu’ils œuvrent toute l’année pour la poésie. Ils n’ont rien demandé à Sylvain Tesson. Ils n’ont rien demandé à personne. Et on est venu mettre quelqu’un de médiatique. La poésie n’a pas besoin de ça. Je trouve que justement, elle est partout en ce moment. Regarde là, les street artistes font de la poésie [la Butte aux Cailles fourmille d’œuvres hétéroclites].
La Face B : En parlant d’oiseau, sans y associer la panthère, Birds Will Sing est la seule chanson en anglais de ton album. Que se cache-t-il derrière cette chanson ?
Fred Nevché : Il y a plein de choses, mais cela vaut pour toutes les chansons. Je vais commencer à les expliquer sur Instagram. En fait, depuis que je suis petit, je suis fan des Beatles. Si tu écoutes bien, les accords de cette chanson sont les mêmes que celle qui la précède [Les Jours]. C’est la même grille d’accords. Elle est juste accélérée. Il m’est venu les paroles « Don’t you sell the green. Let it grow ». Je voulais faire une chanson écologique, une chanson sur la joie de vivre, sur le bonheur, sur les oiseaux qui chantent. Dans le jardin de mon ancien appartement, il y avait des oiseaux qui chantaient tout le temps.
Et puis, j’en ai parlé à Martin parce que je n’étais pas très fort en anglais. Il a écrit le texte avec moi et on a cité les deux phrases de Lennon et de McCartney. Black Birds et Imagine « And the world will live as one ». On a emprunté ça. Je voulais leur rendre hommage. Je n’ai pas grand-chose à dire si ce n’est que c’est une chanson joyeuse. Que je pensais que ce disque allait être une déclaration joyeuse à l’amour. Je pense qu’elle n’est pas joyeuse, elle est plutôt lumineuse.
« Cette chanson est passée du monde du rêve à la réalité »
La Face B : Elle est très belle en tout cas. Ton album contient également une autre chanson hommage La Lumière.
Fred Nevché : C’est un hommage à Olivier Metzger qui est décédé d’un accident de voiture. Olivier est décédé et je suis allé à son enterrement. Je ne connaissais pas sa compagne qu’il avait rencontrée au même moment où on faisait les photos de mon album rétroviseur, dix ans avant. Je me souviens d’avoir été un de ses rares copains qui lui avait dit : « Si tu aimes vraiment cette fille et que tu n’aimes plus ta femme, il faut que tu lui dises ». Parce que sinon c’est aller au-devant de grandes déceptions, de grands problèmes. « Aie le courage et fais-le ». On a été très unis à cause de ça.
J’étais à l’enterrement et j’ai vu que sa compagne était enceinte. Ça m’a traumatisé. J’ai commencé à rêver de lui tous les soirs. Je rêvais que je chantais une chanson pendant l’enterrement, à la cérémonie. Cette chanson était Ta Lumière. Elle est passée du monde du rêve à la réalité. Je l’ai enregistrée et les paroles, je les ai écrites à partir de souvenirs qu’avait la maquilleuse avec qui j’avais fait la séance photo. Elle disait que le matin quand il regardait le lever du jour, il ne le photographiait jamais parce qu’il trouvait cela extrêmement beau et qu’il ne voulait pas y toucher. « Que c’est beau, que c’est beau, ta lumière ». C’est simple. Cette chanson n’est qu’une progression, un premier couplet, le refrain et puis un ad lib.
« La nuit, je suis plus courageux. La nuit, j’ai l’impression de ne plus jouer un rôle »
La Face B : Si la lumière irradie ce titre ainsi que beaucoup d’autres, tu as indiqué que tu as écrit et composé ton disque la nuit « dans mon abri sous la terrasse »
Fred Nevché : Cet abri, c’était un refuge pour moi. Je l’ai déménagé la semaine dernière, en fait. Il a fallu que je le vide et… C’est chiant, mais c’est la vie. C’était mon endroit où j’avais tous mes livres, tous mes instruments. Il était chaleureux. C’était mon endroit à moi. C’est la nuit que j’écris parce que la nuit je trouve que c’est le moment où tout repose. Tout le monde rentre chez soi. Il n’y a quasiment plus de circulation. C’est un peu comme quand tu jettes quelque chose dans l’eau et que ça vient se mettre au fond de l’eau. Là, l’eau est claire. Ça me permet d’y voir plus clair.
Et puis la nuit, je suis plus courageux. La nuit, j’ai l’impression de ne plus jouer un rôle. Je suis suffisamment fatigué pour ne pas pouvoir faire des efforts pour être quelqu’un que je ne suis pas. Je n’arrive plus à paraître. Donc je finis à force de m’épuiser, de plonger dans la nuit, par être celui que je suis et seulement celui que je suis. Alors là, j’ai l’impression d’être moi-même. De dire ce que j’ai à dire, ce qui m’ennuie, ce qui ne m’ennuie pas, ce que j’aime. Et de faire des déclarations d’amour que j’ai envie de faire, aux choses, aux gens, au monde. D’écrire des lettres. Je suis au bout de ma vie.
La Face B : Des moments vécus de manière solitaire qui ne t’ont pas empêché de collaborer avec d’autres artistes. On pense forcément à Simon [Fench 79], mais aussi avec ton fils. Collaborer avec son fils cela représente quoi pour toi ?
Fred Nevché : C’est fantastique. Tout le monde me parle de fierté, mais il faut comprendre que je suis son père. Je n’ai jamais souhaité qu’il soit musicien. J’ai acheté des instruments de musique que j’ai laissé traîner. Oui, je lui ai acheté une batterie parce qu’il en voulait une. Je ne suis pas allé acheter une batterie en lui disant : « Bon ben maintenant, joue de la batterie ». Il voulait faire de la batterie, je lui ai acheté une batterie – Il voulait faire du vélo, je lui ai acheté un vélo – Il a voulu jouer au foot, j’ai acheté le maillot de l’OM. J’aurais pu lui acheter le maillot d’une autre équipe, tu veux dire ? Jamais de la vie ! [Rires].
Je n’ai pas grand-chose à dire parce que ça nous appartient. Mais c’est sensationnel, c’est exceptionnel. C’est hors du commun. Et puis les exemples que l’on connaît, ce ne sont que des exemples du show-business. Moi, je ne connais rien à tout ça. Je ne connais que mon petit garçon qui est en train de devenir un adulte et qui se pose énormément de questions de ce qu’il va faire dans la vie. Ce n’est pas facile. Moi, je suis chanteur. Il veut devenir chanteur. Ça peut être horrible pour lui. Ça peut être compliqué, donc je m’inquiète. On en parle. J’essaye juste de l’accompagner et de lui donner tout ce que je peux. Il aurait voulu faire n’importe quoi d’autre, je l’aurais autant accompagné.
Là, la chance fait que j’ai un studio d’enregistrement. Il peut en profiter. Ils viennent au studio, je leur laisse les clés, ils font ce qu’ils veulent. Je leur dis comment ça marche, ils m’envoient promener parce qu’ils savent mieux se servir du matériel que moi. Mais bon, de temps en temps je leur dis : « Faites quand même attention à ça ». Je leur donne des conseils, mais c’est débile. À la fois c’est chouette et à la fois je sais que je passe pour un vieux con. En même temps ils m’écoutent. Et ils le font consciencieusement.
Et d’ailleurs dès qu’on parle de musique, on n’est plus dans un rapport de père et de fils. Ça flotte parfois un peu dessus, mais en vrai on parle de la chanson. La chanson a besoin de ça. Et là, ça devient comme lorsque je parle avec Simon ou avec Martin. Et c’est très beau ce qu’a fait Jim parce qu’il a délibérément suivi les lignes artistiques qu’a mises en place Simon avec moi dans l’album. Quand il a fait Les Jours (c’est Jim qui a fait l’arrangement des Jours, j’ai fait la composition) il a voulu faire dans la même idée que ce qu’aurait pu faire Simon. Il s’est mis au service du projet. C’est magnifique, non ?
« Pour cet album, j’ai fait péter toutes mes barricades »
La Face B : On peut revenir sur les concerts que tu as faits dernièrement. Présenter sur scène tes compositions doit révéler une autre dimension de ton projet.
Fred Nevché : C’est hors du commun. Avant, je n’avais pas peur. J’avais l’impression d’être un homme de scène. Je m’éclatais. En vrai, j’étais terrifié, mais je ne me l’avouais pas et je partais avec les gants de boxe en disant : « Je n’ai pas mal. On me tape dessus, je m’en fous ». J’avais peur qu’on ne m’accepte pas. Donc je me barricadais. Pour cet album, j’ai fait péter toutes mes barricades. Du coup, j’étais tétanisé. Tétanisé à l’idée de monter sur scène. Au point que je ne mémorisais pas mes textes. J’étais terrifié. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je suis là, je n’arrive plus. J’ai des trous noirs sur scène. Je suis terrifié parce que j’ai l’impression d’être tout nu. Et en même temps, je danse comme un fou, je m’éclate. J’ai l’impression d’être dans ma chambre d’enfant.
En tout cas, je le vis de façon beaucoup plus difficile et en même temps j’y trouve un plaisir extraordinaire. Il y a un lâcher-prise total et j’ai l’impression que les gens sont emportés par cela. J’ai eu des retours, des gens qui me connaissent qui me disait : « S’il te plaît, ne change plus jamais » « On a le Fred que l’on connaît et avec qui on aime aller en soirée » « Maintenant, sur scène, tu es celui que l’on connaît ». Je ne me cache plus.
La Face B : Et puis, il y a eu le Zénith de Paris avec French 79.
Fred Nevché : Le Zénith, c’est un cadeau de la vie. Je n’ai pas assez de public pour remplir un Zénith., je ne me projette pas du tout là-dedans. Je l’ai fait l’espace d’une soirée parce qu’on a fait ce disque avec Simon et qu’il m’a invité. Il m’a fait un cadeau… D’abord, travailler avec Simon a été un cadeau de la vie. Nos deux univers vont tellement bien ensemble. Le Lou Reed a été un disque important, dans l’histoire de notre musique à nous, dans l’histoire des gens.
Je pourrais te retranscrire les messages que je reçois quotidiennement sur ce disque. Des gens qui disent qu’ils ont été sauvés du cancer grâce à lui… Des messages dithyrambiques tellement énormes. Je trouve cela très aligné. Ça a été une chance de rencontrer Simon. En ça, je remercie la vie de m’avoir mis sur le même chemin que lui, tout comme celui de Martin.
Et puis tout ce que l’on a créé à Marseille avec Grand Bonheur [Grand Bonheur est une coopérative de musiques qui œuvre dans tous les champs de la production musicale, dans un souci de défense des valeurs culturelles, sociétales et environnementales]. C’est une somme. Si je n’ai pas autant développé mon travail artistique, c’est que je me suis beaucoup impliqué dans la vie de la coopérative. Je n’ai pas été que chanteur. J’ai été chanteur, j’ai créé une coopérative, j’ai fait des ateliers et je continue à en faire. Je vais dans les prisons, je parle aux gens. Je me multiplie parce que ça a du sens pour moi. Cela me va beaucoup mieux.
Peut-être que je ferai un Zénith quand j’aurai 65 ans. J’aurais suffisamment empilé de gens pour remplir un Zénith. Je leur donnerais rendez-vous à Paris parce qu’il faudrait qu’ils viennent de toute la France, peut-être du monde entier. Ceci dit, on rigole, mais à la Maroquinerie il y avait des gens qui étaient venus de Bruxelles, de Lille. À Marseille, des gens sont venus de Suisse pour me voir parce qu’il n’y a pas encore de dates annoncées. Très peu de concerts. C’est très dur aujourd’hui de trouver des concerts.
« Si je dois ressembler à tous les gens qui étaient dans le public alors, franchement, je suis très heureux »
La Face B : C’est vrai que dans ton public – et c’est notable – il y avait des gens de tous horizons.
Fred Nevché : Je suis trop content de ça. Franchement, quand je vois mon public, je l’aime trop. « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirais qui tu es ». Franchement, je suis content. Alors si je dois ressembler à tous les gens qui étaient dans le public alors franchement, je suis très heureux.
La Face B : Et tes prochaines actualités ?
Fred Nevché : Je vais faire le Comte de Monté Cristo en concert dessiné avec un dessinateur qui s’appelle Alfred. Ensuite, je suis en préparation d’un nouveau featuring avec Schvédranne, il est lyonnais et a signé chez Jarring Effects. Passionnant, un mec passionnant. Schvédranne. On a sorti deux titres et il y en a un qui cartonne de folie. J’ai quasiment autant d’écoutes sur ce titre que sur les morceaux de l’album.
En ce moment j’essaye aussi de ne rien faire. J’essaye de me concentrer sur le fait de faire des concerts avec cet album.
La Face B : Tu as d’autres concerts de prévus ?
Fred Nevché : Oui, Toulon le 27 avril, après Lignières, Lille. Les dates commencent à rentrer. J’ai des propositions aussi de dates à l’automne. Et puis, on essaye de recaler une date parisienne au Café de la Danse. J’aimerais beaucoup. Un vrai concert parce qu’à la Maroquinerie, je n’ai joué que 45 minutes. C’était une soirée partagée. Une date à Marseille et une date à Paris, encore.
La Face B : Que peut-on te souhaiter ?
Fred Nevché : Que peut-on me souhaiter. À moi ? Je ne sais pas ce que je pourrais me souhaiter. On n’est jamais trop comblé, mais je ne vois pas. On peut peut-être, me souhaiter de ne pas trop réfléchir pour répondre à cette question [Rires]. À vrai dire, il vaut mieux ne rien me souhaiter parce que j’aime bien ne pas savoir ce qui va arriver. Comme cela je m’adapte. Et surtout, ne pas l‘anticiper. Profiter de l’instant présent et ne pas réfléchir.