Frenetik : « Il y a beaucoup de choses qui ont changé pendant ces trois dernières années »

Un an après la réédition de Jeu de couleur (appelé Couleur du jeu), Frenetik est de retour avec sa nouvelle mixtape, Rose Noire. L’occasion pour nous de se rendre chez lui à Bruxelles et de voir ce qui a changé depuis la mise en avant de son nom. Avec franchise, il se dévoile sur ce dernier opus.

La Face B : Bonjour Frenetik ! Comment tu vas ? Comment tu appréhendes la sortie de ton nouveau projet, Rose Noire ? (NDLR, interview réalisée quelques heures avant la sortie de Rose Noire).

Frenetik : Ça va très bien ! Il sort ce soir dans quelques heures là ! J’ai plein de sentiments qui se mélangent, tout arrive en même temps ! J’ai trop d’énergie, en même temps je suis fatigué et enthousiaste. En vrai, je suis surtout impatient là, il faut que ça sorte !

LFB : On sort de la période de vacances, où tu as eu la chance de performer dans plusieurs festivals, comment as-tu vécu cette période ? Quel est ton rapport avec la scène ?

Frenetik : En vrai, j’ai kiffé de ouf ! Ces trois dernières années, je n’ai pas vraiment eu la chance de me produire sur scène. Quand je suis arrivé, c’était le Covid donc je n’ai pas vraiment pu me défendre sur scène, ni en profiter. C’est vraiment quelque chose de très important pour moi. C’est comme une grosse propagande. Le fait de pouvoir enchaîner, c’était peut-être fatigant, mais c’était avant tout hyper enrichissant. J’ai appris plein de choses, c’était hyper constructif. Et j’ai même réussi à beaucoup profiter, et surtout voir le public. Voir la portée de tout ce qu’on a pu faire jusqu’à aujourd’hui.

Ça m’a même donné un peu de force. Quand je vois qu’on se donne à fond pour travailler, et qu’au final notre travail est reconnu. Que je vois qu’il y a plein de gens qui viennent pour moi, qui me découvrent, ou qu’à partir de ce moment-là pour eux les choses changent, c’est que du bon pour moi.

LFB : Tu expliquais que c’était parfois compliqué de tout combiner en même temps, est ce que ce n’était pas trop difficile de travailler ton nouveau projet en même temps que tout ça ?

Frenetik : Ça fait un an et demi que je bosse sur ce projet. Depuis la réédition de Couleurs du jeu, je me suis mis directement à bosser dessus. J’ai quand même mis un peu de temps. Mais après, ce n’était pas très évident. Je devais faire en même temps un bilan de ces trois dernières années qui étaient assez intenses. Ça a été compliqué, mais je pense que le fait d’avoir plein de situations à gérer, justement, ça t’oblige à bien faire les choses. Soit tu es obligé de tout gérer, soit tu ne gères rien.

LFB : Tu fais énormément de références dans tes textes, de Thanos à Ragnarok ou encore Shakespeare… D’où est-ce que tu tires ces différentes références ?

Frenetik : Je suis quelqu’un qui aime beaucoup regarder la télé. Même si c’est de moins en moins le cas pour le moment. Je suis fasciné par tout ce qui entoure les fictions, mais également tout ce qui touche à l’histoire, aux différentes mythologies. Toutes ces choses où il y a vraiment un univers avec des personnages possédant de grandes personnalités. Des caractéristiques où, quand tu avances un peu plus près, tu peux te rendre compte de certaines similitudes avec ce que nous on peut être aujourd’hui et certaines choses qu’on peut faire. Mais en vrai… Je suis un peu geek je crois. (rire)

LFB : Pour présenter ton nouveau projet, tu as décidé de présenter chaque titre sur tes réseaux, est ce que c’est quelque chose d’important pour toi de communiquer avec ton public?

Frenetik : Oui, totalement ! Ces derniers temps, je me suis rendu compte qu’avec toute la fatigue et tout ce que j’ai pu enchaîner, je me suis beaucoup renfermé sur moi-même. C’était limite presque uniquement pendant les concerts que je pouvais réellement échanger avec mon public. J’essaye de retrouver un rythme. Il n’y a pas moins de deux jours, je communiquais avec des gens sur les réseaux et je me suis rendu compte que je ne parlais pas assez avec eux. Et même les gens me le disaient ! C’est quelque chose de vraiment important pour moi et également pour eux, car ils font aussi partie de ce projet. Ce n’est pas seulement tout ce que moi j’ai travaillé, c’est aussi le fait de les remercier en gardant contact avec eux.

Ils ont aussi un vrai impact sur moi. Rien que ce matin, je me réveillais et il y a un gars qui m’a envoyé un message du Congo. Dans son message, il me disait « J’ai l’espoir qu’un jour, tu me répondes ! ». Je lui ai direct répondu quand j’ai vu ça et j’ai pu entendre et voir la joie que ça lui a procuré. Il m’a fait un vocal où il pleurait carrément. Mais je me suis dit : « Je ne suis qu’un homme quoi ». Et si en vrai, si ce que je fais ça peut lui apporter une aussi bonne énergie, je vais continuer à lui en apporter, car lui aussi, il m’en apporte.

LFB : Le fil rouge de ta discographie pourrait être la « noirceur » ou le fait d’être un peu sombre. Qu’en penses-tu?

Frenetik : C’est assez complexe pour ce projet. Il est sombre, c’est vrai, mais je pense que ce soir à minuit les gens pourront découvrir quelque chose où il y a une certaine lumière qui s’y cache malgré tout. Si les gens font bien attention depuis le début, on peut voir encore une nouvelle facette. Par exemple, avec la cover de Jeu de Couleurs : elle est plutôt sombre, mais juste au milieu; il y a un peu de lumière. J’ai toujours su que dans n’importe quelle trajectoire que je voulais prendre, il y aurait un moment où il faudrait que je revienne à mes bases.

Je me le suis déjà dit pendant la réalisation de Jeu de Couleurs, où j’essayais de faire quelque chose de nouveau, mais tôt ou tard, j’aimerais bien revenir à la base, sans me prendre la tête. Une sorte de retour aux sources. Et là, je pense que Rose Noire est le projet où j’ai en grande partie réussi à le faire. Après, il y a encore du travail bien sûr.

À la base, pour la présentation du projet, j’avais établi un pourcentage de noirceur par morceau. Mais on a décidé de le retirer. Je me suis dit que ça allait peut-être trop embrouiller les gens. Mais en vrai, ouais, c’est sombre. Je n’ai pas trop envie d’en dire plus, car si j’en explique trop, les gens ne pourront pas se faire leur propre avis.

LFB : Rose Noire est un projet où il n’y a pas de feat, est ce que tu avais besoin de te retrouver seul et de travailler sur toi-même ?

Frenetik : Exactement. Avant Rose Noire, il y a eu la réédition de Jeu de Couleurs, qui est Couleurs du Jeu, où il n’y avait que des feats. Et même sur le côté, j’ai collaboré avec beaucoup d’artistes aussi pour plein de projets différents. J’ai un groupe également sur le côté, j’essaye de créer quelque chose ici à Bruxelles, où il faut que je sois partout. Il faut que je fasse un peu de tout et que je vois tout ce qui se passe.

Je pense que ça a causé le fait que je m’étais perdu. Je me suis dit que pour ce projet, j’avais envie de me retrouver à 100 % et de passer un certain cap. Et essayer de le passer moi-même, ou peut être me mettre dans une position ou j’essayerais de passer ce cap, et de me retrouver tout, simplement. Ce qui veut dire faire ma musique pour moi, selon moi et avec moi.

LFB : Tu as collaboré avec Jul, Josman, Gazo, qu’est ce que tu en as tiré de ces différentes collaborations ?

Frénétik : C’était pour Couleurs du Jeu, si je veux être totalement honnête avec moi-même, j’ai l’impression que ça n’a peut être pas eu l’impact que ça devait avoir. Mais sur moi, ça l’a eu.

C’est-à-dire que ce projet était destiné à trouver toutes les différentes couleurs qui me représentent. J’utilise souvent les couleurs comme référence, car c’est le plus facile pour moi et pour les gens à comprendre. Mais là, je voulais exprimer les couleurs de tout ce qui se faisait en vrai. Par exemple, me retrouver sur un morceau avec Jul, si on m’avait dit ça il y a trois ans, je n’y aurais sans doute pas cru. Mais là, j’ai réussi à le faire. Et c’était une collaboration que j’ai vraiment kiffé. Mais de manière générale, j’ai kiffé toutes mes collaborations du projet. J’ai surtout appris énormément, et ça a changé ma vision de ce que je faisais.

Je pense que même dans Rose Noire les gens vont remarquer que tout ce qui s’est passé avant a eu un impact. Même au niveau des formules, de ma musique, comment je voulais la ressentir et comment je voulais la faire ressentir… Là où j’ai simplifié les choses, là où je les ai rendues un peu plus complexes. Tout ça, c’est le fruit de toutes ces collaborations. J’ai travaillé uniquement avec des artistes que j’appréciais et que je respectais déjà, ce n’était donc que du bénéf pour moi.

LFB : Pour rebondir sur ta réponse, c’était surprenant de te voir collaborer avec Jul, ce n’est peut-être pas des sonorités sur lesquelles nous avons l’habitude de t’entendre, est ce qu’à l’avenir, tu souhaiterais travailler ce genre de sonorités ou même de nouvelles ?

Frenetik : Je les ai toujours travaillées. Car avant même d’être un rappeur, je suis avant tout un artiste. Et je kiffe aussi la musique de manière générale. Souvent, je m’inspire de choses improbables pour faire des trucs qui font partie de moi et qui représentent ce que je suis. Mais les bases de ce que je fais s’inspirent d’énormément de choses qui n’ont parfois rien à voir. J’écoute vraiment de tout.

Par exemple pour ce morceau (NDLR, le titre Je sais, en feat avec Jul), c’est juste une des fois où je me suis vraiment affirmé. Dans quelque chose que peut-être, je ne connaissais pas, ou dans laquelle je ne me sentais pas prêt. Mais les enjeux étaient très grands. J’avais également quelque chose de très grand en face de moi. Je voulais faire quelque chose de très grand avec lui. Je suis quelqu’un d’assez compliqué, je pense que c’était le destin, car je suis rentré dans le studio, j’ai écouté qu’une seule prod, qui était celle du morceau, j’ai posé direct. Et même pendant que je bossais le truc de mon côté, car on a fait ça à distance, j’avais déjà la voix de Jul en tête. J’avais déjà la perception de comment le titre pouvait être. Et c’était encore meilleur après !

C’est là où je me suis dit que les gens pouvaient trouver ça bizarre, mais je trouve que c’est chouette. C’est un pas de plus vers la musique. Pour un artiste comme moi, qui d’après les gens ne fait qu’un certain style, le fait de faire de plus en plus de morceaux comme celui là permet d’ouvrir une porte, qui permet d’en ouvrir une autre et ainsi de suite.

LFB : Il y a une grande place pour le sujet de la trahison dans tes différents projets et surtout dans Rose Noire. Souhaites-tu expliquer cette si grande présence de cette thématique ?

Frenetik : Avec tout ce qui s’est passé, je n’ai pas pu me rendre compte de ce qui se passait à chaque moment. Même là, par exemple, ça fait seulement peu de temps que j’ai pris vraiment le temps de réaliser. Pendant la construction de ce projet, inconsciemment, je m’en rendais compte. Et d’une part, je me suis dit « il faut que je parle des choses qui doivent être dites ». Et c’est par là que devait commencer le changement. Expliquer aux autres et avant tout m’expliquer à moi-même ce qui a changé. Il y a énormément de points positifs, mais également beaucoup de négatifs. Je voulais me servir de ce négatif dans le cadre de ce projet.

C’est souvent quelque chose de très fort d’expliquer une situation compliquée ou blessante. J’ai l’impression que c’est toujours quelque chose de plus fort que le positif. Le positif sera toujours là évidemment, et cela me rendra toujours heureux. Mais quand tu regardes dans la vie, on se souvient beaucoup plus vite de quelque chose qui nous fait mal plutôt de quelque chose qui nous fait du bien. Alors je pense qu’au lieu de rester dans ce mal-là, pourquoi ne pas en faire quelque chose de bien ? Pourquoi ne pas tourner ça en énergie positive ? Même si cette énergie t’a mise en colère, triste ou pas bien, il faut s’en servir pour faire en sorte de s’empêcher de se retrouver à nouveau dans ce genre de situations. En faire quelque chose qui te conscientisera.

Il y a beaucoup de choses qui ont changé pendant ces trois dernières années autour de moi. Je pense que j’ai changé également, mais j’ai surtout évolué. Et il y a des choses que j’ai perdu malheureusement, et des choses où je me suis perdu. Et autour de moi pareil, des gens se sont perdus, des gens dont j’ai vu le vrai visage. Je pourrais prendre 1000 exemples pour répondre à la question. Mais au final, au-delà de la trahison, ce qui reste, c’est ce qui compte. Parce que dans la vie, il faut accepter que tout est compliqué. Quand tu souhaites quelque chose de grand, il y aura toujours des gens pour te faire des choses très petites. Tu auras toujours simplement des gens contre ta cause et contre toi.

Parfois, tu auras des gens qui t’envient ou qui ne savent pas de quoi ils ont envie, donc ils veulent juste t’achever. Rose Noire, c’est un peu le moment où on met un terme à tout ça. Où on décide de passer au-dessus, et de tout laisser derrière. C’est un peu ça le symbole du projet.

LFB : On remarque de tes récits qu’ils prennent une grande place dans la ville de Bruxelles, où tu es très présent. Notamment avec le mouvement de soutien « Justice pour Mehdi » dont tu arborais le t-shirt lors des Ardentes. Quelle est ton histoire d’amour et de désamour avec la ville de Bruxelles ?

Frenetik : Déjà, je suis né ici, j’ai grandi ici et j’ai fait toute ma vie ici. J’ai également commencé à faire ce que je fais ici. Je sais ce qui a toujours manqué à Bruxelles, pour moi, et peut-être un peu pour d’autres, sans avoir la prétention de parler pour tout le monde. En me battant pour que la ville soit encore plus mise en avant, pour qu’il y ait encore plus de mouvements qui soient créés, plus d’énergies, plus d’engouement. Et même simplement juste donner de l’espoir aux gens. Ça fait partie de mon histoire, de ce que je suis. Je pense que si Dieu m’a donné la force de pouvoir le faire, c’est qu’à la base, on ne nous a pas donné les moyens de le faire. C’est qu’on a dû aller le chercher.

Par exemple, avec le mouvement « Justice pour Mehdi« , mais également pour tous les autres mouvements, je me sentirai toujours concerné. D’autant plus parce que ça aurait pu être moi, mon frère, mon cousin, un pote, un mec de mon quartier… Et même si c’est un inconnu, personne ne mérite ça. Il y a des trucs qui existent qui ne devraient pas exister. Et je pense que tant que ces choses-là ne sont pas représentées par le plus de personnes possible, ça va continuer d’exister. Et personnellement, si j’ai à un certain niveau rien qu’une petite portée, pourquoi est ce que je ne me servirais pas de cette portée pour faire quelque chose de bien ?

Pour moi, certes, mais pour les autres aussi. Pour ceux qui ont besoin de se sentir soutenus et qui ont besoin de ne pas se sentir seuls. Mais également pour ceux qui veulent donner l’exemple. Car on n’a pas toujours été des exemples. Mais je pense que si on grandit et qu’on a l’opportunité de pouvoir le faire, c’est déjà une certaine responsabilité. Donc c’est pour ça que j’essaye un maximum de faire avancer les choses.

LFB : Si tu devais définir un élément que tu devrais améliorer, ça serait lequel ?

Frenetik : J’aimerais grandir (sourire). J’ai hâte d’avancer dans la vie, d’avoir 30 ans ! Parce que je me dis que là, je suis un peu jeune. Et je pense que grâce à l’éducation que j’ai eue et tout ce qui m’a toujours entouré, j’aimerais avoir un certain recul et une certaine approche différente et inattendue pour mon âge. Donc, si je me dis que je continue d’avancer comme je le fais, j’apprendrai sûrement plus de choses.

LFB : Tu te vois encore rappeur à 30 ans ?

Frenetik : Ah moi, je vais finir comme Booba je pense (rire). Je vais rapper puis je vais dire que j’arrête alors que j’arrête pas, ça sera sûrement comme ça (rire).

LFB : À part de rapper encore longtemps, qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

Frenetik : Une longue vie et la force pour me permettre de réaliser mes rêves. Et de pouvoir changer les choses.