Il est des albums qui flirtent avec les sens, et d’autres qui s’immiscent dans l’âme. The Hornbook de Gus Englehorn, appartient résolument à cette seconde catégorie.
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Ancré dans une esthétique onirique et une expérimentation ludique, ce troisième opus sorti le 31 janvier 2025 (Secret City Records) — dont le titre renvoie aux abécédaires du XVe siècle — est bien plus qu’une simple collection de morceaux : c’est un cryptogramme musical, une fable sonore taillée pour réinventer l’intelligence de l’écoute.
Une alchimie entre passé et futur
Composé sous le soleil de Maui et forgé dans la ferveur créative de Montréal aux côtés de Mark Lawson (The Unicorns), The Hornbook est une collision d’influences : une fusion du psychédélisme introspectif des Butthole Surfers, de l’expérimentation enfantine de Daniel Johnston et d’un surréalisme poétique digne de Dr. Seuss. Mais là où l’album brille, c’est dans sa manière de danser entre l’émerveillement et la désillusion, évoquant ce moment précis où l’innocence se heurte à la réalité.
« Quand j’écrivais ces chansons, j’avais l’impression de rédiger un livre pour enfants », confie Gus. « Mais j’avais aussi l’impression que c’était un cryptogramme pour le monde entier. » Cette déclaration résume l’essence même de l’album : chaque piste est une énigme, un fragment d’histoire qui s’imbrique dans une mosaïque d’émotions et de réflexions.
Des morceaux comme des portails
One Eyed Jack Pt. I and II (The Interrogation/The Other Side
L’album s’ouvre avec One Eyed Jack Pt. I and II (The Interrogation/The Other Side), un récit labyrinthique où la voix d’Englehorn, fragile et captivante, nous guide dans un monde d’images déconcertantes : un homme qui devient une porte, des comptines cryptiques, et une quête insaisissable vers « l’autre côté ». La répétition des mots « Brick-a by brick-a » martèle une obsession presque kafkaïenne, rappelant un Tom Waits déchu dans un rêve surréaliste.
Thyme
Avec Thyme, Gus plonge dans une temporalité éclatée. Les paroles mêlent science-fiction et folklore ancien, jouant sur le poème traditionnel de « Scarborough Fair » tout en l’entraînant dans une spirale psychédélique où la vision se brouille et le temps se distord. Le refrain incantatoire « Parsley, Sage, Rosemary and Thyme » devient un mantra cosmique, évoquant un voyage spatio-temporel à la fois mélancolique et effréné.
Metal Detector
Metal Detector, avec ses allitérations hypnotiques et ses riffs oscillants, se révèle à la fois ludique et inquiétant. La répétition mécanique de « Five, four, three, two, one… zero, zero, zero » amplifie une tension qui ne se résout jamais, évoquant une chasse au trésor musicale où le gain est moins important que la quête elle-même.
Sweet Marie
Sweet Marie change de registre, se posant comme une ballade délicate, presque éthérée. La douceur de ce morceau contraste avec l’exubérance des autres, créant un moment suspendu où la fragilité humaine est mise à nu.
One Eyed Jack Pt. III (Epilogue)
Enfin, One Eyed Jack Pt. III (Epilogue) referme l’album comme un murmure, un au revoir cryptique qui invite l’auditeur à recommencer le voyage, à déchiffrer une fois encore les énigmes laissées en suspens.
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Un art total, une vision universelle
La pochette de The Hornbook, signée par l’artiste Angela Dalinger, ajoute une dimension visuelle à cette œuvre kaléidoscopique. Inspirée d’« Ophelie » de Millais, elle capture une scène à la fois paisible et inquiétante : une femme allongée dans un étang, flottant entre rêve et réalité. « Cette scène correspondait parfaitement à une des histoires de l’album », explique Gus, qui admire depuis longtemps l’imagination débordante de Dalinger.
Plus qu’un simple album, The Hornbook est une œuvre où chaque chanson devient une porte — un passage vers des univers où la naïveté côtoie la sagesse. Là où certains albums racontent des histoires linéaires, celui-ci laisse les auditeurs écrire les leurs, inspirés par des fragments d’images et de sons.
Conclusion
The Hornbook est une invitation : à plonger dans l’inconnu, à renouer avec la curiosité d’un enfant, mais aussi à embrasser la complexité de l’âge adulte. C’est une fable moderne qui, à travers ses dissonances et ses douceurs, nous rappelle que l’étrangeté est une forme de beauté. Avec ses mélodies qui semblent grandir d’elles-mêmes, cet album n’est pas seulement un outil pour affiner l’intelligence — c’est une fenêtre sur l’âme.
Tracklist :
- One Eyed Jack Pt. I and II (The Interrogation/The Other Side)
- Thyme
- The Itch
- Roderick Of The Vale
- Metal Detector
- The Whirlwind’s Speaking
- Sweet Marie
- A Song With Arms And Legs
- One Eyed Jack Pt. III (Epilogue)