Hanaa Ouassim dévoile les interstices de sa Vie de star

Les interstices de la vie, ces moments où, en quête de sensations fortes, même sans posséder quoi que ce soit, on ressent l’impression d’avoir tout. Inconscience pour certain, précieuse liberté pour d’autres, il arrive parfois qu’on se forge délibérément une vie de star. Lors de son concert à Marseille, nous avons eu l’occasion de rencontrer Hanaa Ouassim pour discuter de la sortie de son premier album La vie de star, paru le 2 février dernier.

Photo : Clara Cassero

Dans l’attente, le public sagement assis au Théâtre de l’Œuvre est prêt pour Hanaa Ouassim, qui sort de la pénombre pour partager avec humour et poésie ses souvenirs, aventures et fragments de son parcours qui ont nourri sa musique, mêlant habilement des influences allant du raï au clubbing, en passant par les percussions traditionnelles jusqu’au références d’Internet.

LFB : Salut Hanaa, on sort de ton concert à Marseille, ton album va paraitre dans une semaine (ndlr : interview réalisée le 27 janvier). Comment tu te sens ? 

Hanaa : Bien, un peu déboussolée. Mais c’est du bon “déboussolage”. Quand il y a beaucoup de place à la créativité dans ta vie d’un seul coup, quand tu dois préparer une fête ou quand tu sors un album, ça t’enlève un peu du réel et après la vie recommence. Et le réel revient interrompre le discours poétique. Là, je suis encore dans le discours poétique. 

LFB :  Tu as commencé ton concert avec ma chanson préférée, qui est celle avec laquelle je t’ai découverte, KAMANJA ICE. Je ne sais pas si tu vises un public en particulier, mais moi qui n’ai pas l’habitude d’écouter des sonorités comme les tiennes, j’ai été directement touchée par ta musique.

Hanaa : C’est ça qui est bien avec l’équipe avec laquelle je travaille, je n’ai pas de public à viser. J’ai carte blanche. Comme tu le fais spécialement pour personne, même si ça ne touche pas beaucoup de monde, ceux que ça touche, c’est vraiment à fond.

Si j’entends un morceau de quelqu’un, ce qui m’intéresse c’est de savoir qu’il a eu besoin de le faire. C’est pour ça que les trucs de l’intelligence artificielle, cela ne marchera jamais. Ça ne te fera pas une chanson d’amour très belle qui te mettra les larmes, parce que derrière il n’y a pas eu toutes les aspérités du mec qui a eu besoin de le faire. Il y a des défauts dans mon album, des petits souffles. Des fois des mélodies qui sont très simples, ça se répète beaucoup, c’est hypnotique. Je suis percussionniste à la base, dans des mariages et j’ai ce truc de répétition, de transe que j’ai retrouvé dans le clubbing, que je voulais ramener sur scène. 

LFB : Quel regard portes tu sur ta musique, comment as-tu essayé de la travailler ?

Hanaa : J’ai eu peur qu’elle soit difficile d’accès ou au contraire que ce soit “simpliste”. J’ai des moments où j’ai pu trouver mes lignes de basse trop pauvres. J’ai vraiment essayé de faire quelque chose de décomplexé. On est vraiment passé du studio tout petit à partager tout de suite avec des gens en grand format. C’est comme si tu ouvrais ton journal intime, même si c’est un peu vieux comme image. C’est comme si tu ouvrais l’application Notes de quelqu’un. Quand tu veux vraiment connaître une personne, tu vas dans ses notes. Je voulais rentrer dans les notes des gens, où tu n’as pas peur d’être simple, d’être easy listening.

Je voulais aller vers des sonorités plus pop et donner accès au raï. Une chanson que tu peux écouter tout seul, même si tu ne comprends pas les paroles. Des fois, j’écoute des chansons sénégalaises, je ne comprends rien mais j’écoute en boucle. J’étais en trip que ça fasse ça un jour à quelqu’un. Je veux vraiment transmettre des sensations. C’est important d’avoir des moments d’émotions, d’accords majeurs, yeux dans les yeux.

J’aime bien aussi trafiquer ma voix. Pour moi, l’autotune c’est un exosquelette. Comme dans les jeux vidéos où ils ont un squelette extérieur qui leur permet de faire des bonds. Comme je ne fais pas de synthé, que de la percussion, l’autotune ça me soutient comme une note de synthé. C’est une façon de tricher mais c’est aussi un hommage au raï de cabaret qui font des dédicaces à l’autotune.

LFB : Pourquoi avoir choisi La vie de star comme titre pour ton album ?

Hanaa : C’est ironique mais ce n’est pas cynique, c’est de l’auto-fiction. La vie de star, c’est les interstices de la vie. C’est les moments de la vie où tu n’es pas solvable. Tu fais des bêtises, tu écris des messages risqués beaucoup trop longs, tu prends un aller sans retour, tu arrêtes la fac, tu fais des trucs qui te faisaient flipper. Quand tu fais des choses à sensation fortes dans ta vie. Je me suis rendu compte que je me suis fabriqué une vie de star toute ma jeunesse.

J’ai l’histoire de milliers de personnes. Je suis partie de ma province à Reims, j’ai en plus un sous texte d’immigration marocaine. On est tous partis d’une petite ville pour aller à Paris. Le moment de l’escalade et le moment où tu te retrouves seul face à toi-même et ta créativité. C’est ça la vie de star. Quand tu rentres d’un concert beaucoup trop bien, t’as cet espèce de déchirement en toi, de panique, d’urgence de vivre, d’exister. On ne veut pas que ça s’arrête. Puis tu retournes chez tes parents, à la vie normale. 

LFB : Dans la salle, à chaque fois que tu donnais le titre de la chanson que tu allais interpréter, le public se mettait à rire. Tu as des titres comme LANADELREY, AMG ROMANTIQUE, AIR FRANCE. C’est voulu ce décalage ?

Hanaa : Oui, j’aime bien les memes, j’aime bien communiquer par des photos et des vidéos. Avoir des private jokes, comme tous les milléniaux. Quand j’écris une chanson, j’ai un thème en tête. Je ne suis pas face à une page blanche en attendant que l’inspiration vienne. J’ai des phrases, des idées, des couleurs, j’essaie d’aller au plus près.

La chanson AIR FRANCE qui est toute calme, vraiment nocturne, elle ne pouvait pas s’appeler autrement. Je ne me suis pas posé de questions.

LFB : Tu chantes principalement en darija, un dialecte marocain, alors que tu t’adresses à un public francophone. Est-ce que tu as eu peur de la barrière de la langue ?

Hanaa : J’avais peur que ce soit compliqué. J’avais peur qu’on me dise que je devais chanter en anglais ou en français. Au final tout s’est fait très naturellement. J’avais peur de plein de trucs, on est terrorisé quand on montre un aspect vulnérable. 

Même pour des marocains, il y a des gens de la deuxième ou troisième génération qui ne comprennent pas tout, qui ont une coupure avec la tradition. Il y a aussi cet enjeux là dans ma musique. Quand tu es un immigré en France, tu n’es pas exactement un français et inversement quand tu es au Maroc. On est entre les deux. Ça fait une poésie particulière.

C’est pour ça que j’explique les paroles pour tous les publics lors de mes concerts. Dans la darija, on retrouve aussi des mots en français. C’est une langue très Internet, et on ne peut pas la battre en musicalité. J’ai déjà chanté en français avec d’autres artistes, mais là c’était évident. Pour une fois qu’on m’a dit, vas-y fais ce que tu veux, j’ai voulu faire ça. Parfois mes paroles sont un peu cucul, un peu romantique. J’ai essayé d’aller au plus petit dénominateur commun de la musique qui touche, qui me fait moi quelque chose.

LFB : T’as toujours eu le chant comme pratique, ou ça t’es venu en second ?

Hanaa : J’ai toujours chanté, depuis petite. Dans des fêtes de quartiers puis lors des mariages marocains. 

LFB : Quels sont les termes que tu abordes dans tes chansons  ?

Hanaa : Elles parlent toutes des interstices de la vie. Quand tu n’as pas d’argent mais que tu as de beaux habits, quand tu te fais beau sans aucune raison, que tu vis sans te soucier de l’état de ton compte bancaire. Tout l’album est un même souvenir de ma jeunesse incendiaire entre foule et solitude extrême, à un interstice où internet ne comblait pas nos vies autant qu’aujourd’hui. 

Par exemple, LANADELREY, c’est une ode à l’immaturité émotionnelle, qui parle de s’en foutre. Je parle à la première personne mais je m’adresse à quelqu’un, c’est souvent comme ça que j’écris, je console quelqu’un. Comme KAMANJA ICE, qui parle d’une fille assise à un bar, qui regarde des gens saouls, danser les yeux fermés, ces moments de solitude. Tu n’as d’autres solutions que d’être créatif. NMCHI B LIL parle de partir à la mer, à découvert, la nuit, pour arriver le matin. AIRFRANCE, c’est quand t’es dans un avion en train de penser à des amours mortes, des filles trop riches pour toi, ça parle de toutes les frustrations. 

LFB : Il y a STALINGRAD dans ton album, qui est un peu différente.

Hanaa : STALINGRAD c’est une voyante marocaine qui me tire les cartes, via WhatsApp et sur Youtube en direct. Elle me tire les cartes et c’était un peu trop une biographie de ma vie, du coup je l’ai samplé en pitchant sa voix vers le bas. J’ai essayé de faire un son décousu, reflétant la sensation que j’avais quand je passais par Stalingrad à une époque où je faisais la plonge jusqu’à 2 heures dans des bars, mais que j’allais à plein d’évènements gratuitement. Ce moment quand tu quittes la fac, tu perds tes repères, tu as un pied dans le vide, c’est décoiffant, c’est encore une fois ce sentiment de solitude. 

LFB : Tu composes toutes tes musiques, ça ne t’arrives jamais de travailler avec d’autres personnes ?

Hanaa : Je produis, je fais tout. Je peux travailler avec d’autres personnes, mais ce n’est pas du tout la démarche qu’on a avec Pan European. Ce qui les intéresse, c’est de chercher au plus profond. Seule la créativité maintient le monde suspendu au-dessus du néant. Si tu ne fais rien avec ce que tu as vécu, tu vas mourir.

LFB : Tu as rencontré ton label, Pan European (Flavien Berger…), il y a environ 10 ans. Est-ce que tu peux nous raconter cette relation que tu as construit avec eux pour aujourd’hui sortir ton album chez eux ?

Hanaa : Je suis arrivée à Paris dans les années 2008 et c’est là que j’ai commencé à sortir avec des amies et de fils en aiguille j’ai rencontré Acid Arab. J’ai travaillé avec eux et à la première soirée d‘Acid Arab, il y avait un artiste de chez Pan European et des membres de l’équipe, Arthur, le directeur. On s’est ensuite revu, mais on ne parlait pas de faire de la musique. On passait notre temps à en écouter, tous les trucs où j’avais des lacunes il m’a fait écouter, comme du vieux reggae.

Puis j’avais plein de sons dans mon ordinateur et il m’a dit « viens on fait un truc ». Mais moi, j’avais peur. Je n’ai pas été privilégié dans la vie. J’étais dans la survie, j’ai eu du mal à m’ouvrir vers les gens. J’avais déjà fait des tournées avec d’autres artistes et il m’a aidé à prendre confiance, à voir plus clair, à ne pas réfléchir et faire preuve de créativité sans s’encombrer.

Une fois sur scène, ça prend sens, mais jusqu’à ce que tu arrives sur scène, tu ne penses qu’un seul truc : mais qu’est-ce qu’il m’a pris ?.

LFB : Si je comprends bien, tu n’as pas décidé de faire un album et d’entamer un processus de création, tu as regroupé et arranger des sons que tu avais déjà ?

Hanaa : C’est ça, je n’avais pas vraiment l’intention de faire un album, j’avais plein de morceaux et c’est Arthur qui m’a aidé à les assembler. Il y a deux-trois chansons que je n’assume pas facilement, les paroles me gênent par exemple. Ce n’est jamais assez bien quand c’est toi qui le fait, quand tu entends ta voix ça te dérange toujours. Et lui, il me rassurait, il comprenait mon monde quand des fois tu as l’impression que tu es le seul à comprendre ce que tu fais. Puis à me déconditionner des mariages où tu as une audience plus sévère parce que c’est des codes traditionnels. Pan European, ils font ça un peu avec tout leur artistes, c’est des histoires d’amitié de long terme et du spontané, c’est un peu familial. 

LFB : Du coup, il y a des titres qui sont très vieux ?

Hanaa : Carrément, on les a un peu retapés, des trucs que jamais je ne les aurais ressortis sinon. Puis ensuite je vois que ça touche les gens, ça les aide. C’est cliché de dire ça, mais ça me fait du bien d’entendre ces retours. Quand j’écoute un truc solo à 3 heures du matin, soit ça me met euphorique, soit ça me met en transe, ça doit me provoquer quelque chose.

LFB : J’ai entendu des gens dans la salle dire que ça leur provoquait des frissons.

Hanaa : Ça me fait trop plaisir. Je suis contente que ça puisse passer la barrière d’Internet.

LFB : J’ai l’impression que le live c’est vraiment la pierre angulaire de ta musique, tu ne pourrais pas ne pas faire de concert.

A quoi ça ressemble un concert d’Hanaa Ouassim ?

Hanaa : Je suis accompagnée sur scène de Caroline Auberger, dont j’ai appris plus tard qu’elle est la sœur de Jacques. Elle fait tout elle-même, elle a une très belle voix de Soprano. C’est un complément, elle m’aide à donner vie à mes morceaux, elle me permet de ne pas rester sur mon ordi. On a plein de chansons qu’on fait sur scène qui ne sont pas dans l’album. Moi j’ai une percussion pour le moment mais je veux en mettre quatre, plus de danse, plus de morceaux. Je veux encore plus développer le côté transe et folklore. Mon style, c’est une fusion entre toutes les musiques de ma vie.  Je voulais vraiment ramener l’intensité des clubs, des DJs et de l’autre côté celui des mariages avec l’aspect percussif et garder cette même transe où tu ne réfléchis pas.

LFB : Le public t’as bruyamment sollicité pour un rappel, et tu n’es pas revenue seule sur scène.

Hanaa : À la fin, j’ai ramené un technicien de la salle pendant le rappel, c’est marrant je me fais toujours amie avec des mecs de la sécu et de l’équipe technique. Pendant les balances, il voulait venir jouer des percus. Il y a toujours quelqu’un qui veut en faire. C’est bien, c’est vivant, il se passe toujours des choses différentes, je suis libre d’essayer tout ce que je veux.

LFB : Tu as des années d’expérience dans la musique, mais comme tu sors ton premier album en 2024, tu tombes dans cette scène émergente, sur des tremplins, le Chantier des Francofolies, avec des artistes qui, pour le coup, débutent réellement. Comment tu te sens par rapport à cette dynamique là ?

Hanaa : Je ne me sens pas comme une artiste émergente mais on peut penser à tort que ça va être facile du coup, alors que c’est très déstabilisant. Des fois, tu peux voir quelqu’un sur scène et penser que c’est inné chez lui, mais c’est de l’accompagnement derrière. Tu te mets en jeu, tu t’ouvres, je suis très humble par rapport à ça. Je suis assez à l’aise mais c’est vrai que ce n’est pas pareil, l’implication quand tu fais partie du radeau de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas les mêmes sensations mais ça me plait de découvrir le métier de ce côté là. 

LFB : Tu n’as pas l’impression de faire partie d’une scène en particulier ? 

Hanaa : Je fais juste partie de la scène de ma génération. Je me sens proche de beaucoup d’artistes, mais au fond surtout des gens qui font leur musique solo, mal mixée et qui font 240 vues sur Youtube. Je ne me prends pas la tête pour savoir dans quelle scène je suis, je fais simplement ma musique.

LFB : Quelle importance accordes-tu à tes visuels ?

Hanaa : Mes visuels, c’est que des trucs que j’ai pensé moi-même. KAMANJA ICE, c’est que des vidéos que j’ai envoyé à Jamie Harley, il en a rajouté et fait son montage, mais la matière première c’est moi qui m’en occupe, ensuite je laisse la personne libre. On essaie de créer un univers visuel stimulant.

LFB : Est-ce qu’il y a des œuvres qui t’ont particulièrement marqué dans ta vie ?

Hanaa : Le cinéma coréen. Le folklore de tous les pays, que ce soit en Tunésie, au Cap vert, au Portugal, au Brésil. Des vidéos d’inconnus sur lesquelles je tombe par hasard sur Youtube, tu te retrouves avec plein d’influences. J’ai du mal à te répondre précisément, parce que les choses qui m’ont mis des claques, c’est des tout petits trucs randoms. Il y a les divas du Moyen-Orient, de la Country – Kern River de Merle Haggard, les années 2010, des films comme Morse, c’était ma jeunesse mais ça revient maintenant. Tout ce qui est pop culture, les clips de M6 la nuit quand j’étais ado.

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