Le 16 février dernier, le célèbre quintet IDLES sortait son nouvel album, TANGK. Depuis Crawler en 2021, les musiciens ont eu le temps de s’immerger dans la musique, pour en extraire le sentiment le plus pur : l’amour. Ils nous offrent aujourd’hui onze titres, purs et sincères, exaltés et survoltés.
Le 20 octobre dernier, je recevais l’album d’IDLES. Joie infinie de laisser ces morceaux prendre vie sous mes yeux. Excitation déraisonnée de le jouer, encore et encore. Jusqu’à laisser expirer les liens d’écoute. Et les redemander. Encore et encore.
TANGK, un mot imaginé par Joe Talbot pour un disque qui ne fait pas l’unanimité. Tant mieux car qu’importe les avis, ceux des habitué.e.s, ceux qui disent : « j’étais là, j’étais là au début, et là, là, je ne comprends pas ». Qu’importe, car je suis comblée. Entièrement. Intégralement.
Onze titres, quarante minutes et le mot « love » qui revient vingt-neuf fois. C’est un disque qui incite à s’aimer et aimer les autres. Et c’est peut-être parce que je manque irrésistiblement d’amour que cet album me parle, plus que les précédents. Se respecter, ne pas abîmer son corps, chérir sa santé mentale, dire au revoir aux idées noires, accepter la douleur. C’est peut-être au fond l’invitation de ce nouvel album d’IDLES. Célébrer la vie, se laisser une seconde chance et autoriser la gratitude à emplir notre être.
C’est au bord de la mer, dans le sud de la France (celle que le groupe chérit), que les morceaux commencent à exister, couplets par couplets. Accompagné de Nigel Godrich et Kenny Beats (déjà présents sur Crawler), le frontman Joe Talbot se laisse porter. Car il sait déjà ce qu’il veut : écrire des mots qui se déploient en live, dans l’intensité et la sincérité. Alors, il n’a plus qu’à les aligner, les faire rouler et enfin les chanter : du monde post-covid à la mort de son premier enfant, de l’amour incroyable qu’il possède envers sa fille à sa nouvelle romance. Ce ne sont pas des paroles en l’air, Joe vit ce qu’il écrit et crie ce qu’il signifie.
On peut ainsi lire dans le communiqué de presse : « If you give people everything on stage, they’ll give you everything back. There’s no bullshit in our crowd, no lack of lucidity,” he says. “I wanted to bring that to a record. I’ve got more strength in me than I ever have, and it comes from love. » IDLES donne tout en live et le public lui rend cette énergie, dans un échange d’honnêteté et de transe. Il souligne ensuite qu’il a plus de force que jamais et que ça vient de l’amour. « Love is the fing » comme il dit.
Au sein de TANGK, Joe se libère de l’image de post-punk incendiaire et de ses hymnes à scander pour se lier à une poésie désintéressée. S’inspirant de son amour envers le hip-hop et avec la collaboration de son ami et compositeur Mark Bowen, Joe conçoit un album inventif : tandis que l’un écrit, l’autre, guitariste, explore, sans cesse, donnant à IDLES une couleur influencée par Aphex Twin ou encore Sunn O))).
Totalement différents mais définitivement complémentaires, le couple Talbot-Bowen apporte à ce nouvel album un souffle nouveau, les sortant du sentier déjà tracé pour les mener vers des contrées inexplorées.
Crédit photo : Aris Chatman
Mark Bowen a rendu visite plusieurs fois à Nigel Godrich au studio Brixton, pour notamment apprendre à créer des boucles et les intégrer au sein de nouvelles compositions. Le morceau d’introduction, IDEA 01 découle en effet de leur première session d’octobre 2022. Des loops de piano, de la texture et beaucoup de nuance; un titre qui pourrait résumer à lui seul l’atmosphère de l’album. Joe se dévoile, doucement, pour évoquer ce que l’on perd au milieu du brasier. Des mots se répètent, tandis que l’ambiance gagne en intensité, sous des percussions enveloppantes et un piano serein.
Les bases sont posées, le terrain est déminé pour Gift Horse. Le refrain, explosif, promet de jolis pogos tandis que les couplets sont texturés, grâce aux pédales d’effets. Une voix apparaît alors, en chœur, métallique, addictive. Ce morceau symbolise la rédemption, celle de Joe inévitablement mais aussi la nôtre. C’est notre capacité à trouver quelqu’un ou quelque chose qui nous élève, nous dépasse, afin de rendre la vie plus douce. Mais la force de ce morceau se trouve surtout dans sa construction : une fracture se crée au bout de quelques minutes, révélant alors un tout autre univers. Des couches et des couches, pour un phrasé différent, entre cri et parlé. Génie.
Puis, POP POP POP s’impose (cette phrase est à lire très vite). On sent ici la passion de Joe pour le hip-hop. Les phrases sont presque rappées pour un message foncièrement joyeux. Il parle de freudenfreude (joie sur joie) qu’on peut opposer à schadenfreude, ce sentiment consistant à se nourrir du malheur d’autrui. IDLES utilise ici la joie comme une arme contre un monde qui cherche l’adversité et les inégalités. Délicatement, le morceau se délite, la voix de Joe se fondant sous les pédales. Finalement, tel un mantra, ces quelques mots répétés en boucle : « love is the fing », jusqu’à absorber l’accessoire et ne laisser que l’essentiel : LOVE.
Ce titre laisse place à mon morceau favori : Roy. Sans doute celui que je préfère de toute la discographie d’IDLES. Rien que ça, oui. Sans doute le plus pur, le plus grand. Roy c’est s’abandonner, dans le dénuement et la simplicité. Raconter une histoire d’amour qui sonne bien, pour une fois. S’abandonner aux émotions, c’est ne plus douter et devenir alors immortel. De l’introduction, solennelle et imposante aux cordes qui se réveillent et à la voix qui s’élève : Roy sonne, plus que jamais. « Baby, babe, baby » sur le refrain, les effets pour enrober les mots doux pour nous mener jusqu’à ce second refrain, qui me file des frissons, à chaque fois. Celui où Joe crie un peu jusqu’à hurler : « BABY, BABE, BABY ». C’est celui que j’attends en live, que j’écoute au casque, jusqu’à ce que j’oublie tout. Les gens, les lieux, mon corps, ma tête.
Puis, abruptement, il nous mène jusqu’à A Gospel. Ces quelques minutes silencieuses, entre piano et cordes. La voix claire de Joe, pour parler de ce qui se défait, inexorablement.
Avant que ne débarque le fascinant Dancer, fruit d’une collaboration réussie avec LCD Soundsystem. Un morceau définitivement addictif et joyeux où les plus attentifs et attentives remarqueront le nouvel adage d’IDLES : « I give myself to you / As long as you move / On the floor« . C’est définitivement la fête. Mais celle-ci doit se finir et c’est grâce à Grace, qui nous apaise. Un morceau où la voix de Joe est une fois de plus mise en avant, rejetant alors dieu et roi pour une force plus unificatrice : l’amour.
Hall & Oates, en référence au groupe pop des années 70/80, s’impose ensuite : rapidement et brutalement. Jusqu’à ce bref instant, dénué de ses guitares où Joe chante : « I was walking all alone/ A preacher with no choir/ And then you came into my world/ And set it on fire. » Avant l’explosion finale.
Puis Jungle, sans doute mon autre morceau favori, se dévoile. Des sonorités marquées où le frontman, en toute sincérité, se raconte : « He asked me for my name/ He told me I was sick /I lost myself again. » C’est ici que Joe attend le salut, celui qui viendra de lui et du groupe : « Save me from me / I’m found I’m found I’m found. » Un titre qui remet en question l’autorité, celle qui ne nous connaît pas mais qui pourtant nous juge et nous atteint, toujours plus fort. La fin de Jungle, rappelant Gift Horse se métamorphose. Les mots se parlent avant de se déjouer, en toute impunité.
Gratitude, nous emporte déjà vers la fin de TANGK. L’introduction, pesante, laisse imaginer ce qui nous attend : un morceau teinté d’électronique où la voix se sature. Si les couplets nous font planer, le refrain, lui, excite le tout. Jusqu’à ce passage galvanisant où tout s’agite et prend forme.
Finalement, Monolith conclut cet album. Juste Joe et un synthétiseur. Jusqu’à ce que les sons s’éteignent, doucement, pour laisser place à un saxophone que l’on n’attendait pas mais qui avait définitivement sa place ici.
Avec TANGK, le quintet IDLES n’a pas perdu de sa superbe. Au contraire, il grandit et s’élance vers de nouveaux horizons. Si les messages sont toujours aussi forts, ils prennent toutefois d’autres couleurs et d’autres textures. Le verbe scandé laisse place au mot murmuré. La colère se libère face à l’amour. Un album à conserver au creux de soi, afin de ne jamais oublier la beauté de la vie.