Encore trop méconnu, le quatuor Canadien Kiwi Jr dévoile déjà son troisième album en trois ans et ne tarde pas à prendre un nouveau virage en s’envolant vers des sonorités du rock indépendant des années 2000. Il y a de fortes chances que les amateurs des Strokes ne soient pas insensibles aux mélodies de Chopper…
En 2013, dans un temps qui paraît désormais très lointain, quatre jeunes troubadours de Charlottetown, de l’Ile-du-Prince-Edouard (tout à l’est du Canada) réalisent ce que tout provincial en manque de challenges rêve de réaliser : partir dans une grande ville et grandir de ses projets. C’est ainsi que Jérémy Gaudet (chant et guitare) accompagné d’un second guitariste, Brian Murphy, également bassiste à Alvvays, du bassiste Mike Walker et du batteur Brohan Moore débarquent à Toronto, remplis de rêves. Il faut dire que la capitale de l’Ontario est une mine d’or musicale : Drake, Crystal Castles, Metric, Peaches ou encore Neil Young.
C’est pourtant de l’indie rock californien que le groupe va grandement s’inspirer. Pavement est clairement l’une de leur grandes inspirations, et il est impossible de l’ignorer en écoutant leur premier album Football Money en 2020. On y découvre à cette occasion des guitares accrocheuses et des lyrics percutantes qui dépeignent avec sarcasme le phénomène de lutte des classes au sein d’une grande ville. Très vite remarqués de par leur talent à nous embarquer sur des mélodies entraînantes, le mythique label Sub Pop les fait signer pour un second album, Cooler Returns en 2021, dans la lignée du précédent.
Produit par le guitariste de Wolf Parade, Dan Boeckner, qui s’est blessé bêtement en s’habillant lors de l’enregistrement, Chopper débarque un an plus tard avec des intentions cette fois-ci différentes, grâce à l’apport des synthés. Tout semble donc aller vite chez ces Canadiens d’une efficacité détonante. Kiwi Jr. fait fi de longues introductions sur chaque piste et lance immédiatement ses accroches. Pas le temps de niaiser. Et bien sûr, cela fonctionne. Night Vision est l’emblème et le titre majeur de l’album. Il démarre au quart de tour et sonne comme le meilleur moment synthpop des Strokes sur Angles. Nos oreilles décollent avec une pointe de nostalgie dans une « Dodge Caravan » à l’écoute de Outkast. Le morceau surprend par son épaisseur instrumentale. Les guitares aigues et la voix réverbeuse de Gaudet nous emportent vers des profondeurs émotionnelles souvent mélancoliques.
Kiwi Jr va s’appuyer sur ces nouvelles techniques pour enchaîner avec une même aspérité enivrante de tristesse sur la piste suivants. The Extra Sees the Film décrit des situations sociales déstabilisantes en abordant le sentiment de l’importance. En usant de prestigieuses références pop culture de L.A. (Drive, Kobe Bryant, ..), il constate ce désir désespéré de certains d’être reconnus alors qu’ils ne sont que de simples figurants anecdotiques d’un instant éphémère : « Calling friend : Hey, I’m gonne be on TV ».
Une des premières ambitions de Chopper est de révéler une facette sonore du groupe d’après soirée festive entre potes. En somme, un départ au volant vers une aventure ubuesque. Ces intentions ont émergé dès les premières notes de l’album. “Oh what a night,” sings the heir / “How’s your heart still beating?” chantonne ainsi gaiement Gaudet sur le jungle-pop Unspeakable Things. Ce feel-good rebondit aussitôt sur la piste suivante qui, cette fois-ci, emprunte l’énergie du génial Rooms in Fire des Strokes. Avec Parasite II, Gaudet se moque du consommateur excessif, encore plus nuisible que l’homme lui-même. Comme dans Football Money, il ne peut s’empêcher d’y glisser un petit tacle au sport le plus populaire du monde : « Mowing grass of the World Cup pitches 2022 / It’s gotta be just right, it’s gonna be a big year for me »
Chopper a néanmoins le défaut de sa qualité : un son rock nostalgique qui ravira les fans sans révolutionner le genre. Il s’agit néanmoins d’une bonne base pour faire évoluer le travail de la formation, qui risquait sinon de se voir attribuer le titre de Pavement-wannabe. Le titre final, The Masked Singer est l’essai le plus long de Kiwi Jr avec ses six minutes de longueur. A l’instar de l’anecdotique émission de TF1, le groupe adopte un second visage en assumant pleinement leur évolution sur ce titre expérimental : « The rumours were true / Now I am a changed devil”. On ne sait pas toujours si Gaudet est ironique ou juste en train de divaguer dans ses propos à travers ces histoires. Il n’en reste pas moins que l’ivresse de la nuit entretient son pouvoir de grain de folie et sème le trouble dans nos pensées.
Chopper est à l’image fidèle de ses créateurs, emporté par ses péripéties à Toronto. Nocturne et urbain, l’album est un patchwork de récits non-linéaires et riches de niches culturelles. Fort de cela, la formation canadienne réussit à se constituer en plus une multitude de classiques authentiques pour leurs futurs shows. A l’heure actuelle, il n’y a pas beaucoup de groupes aussi directifs, efficaces et sincères que Kiwi Jr dans sa catégorie.