
Avec Instant Classique, La Face B revient sur des albums qui ont changé la face de l’histoire de la musique. Deuxième voyage dans le temps il y a 15 ans avec Arcade Fire. Emporté par le couple Win Butler et Régine Chassage, le groupe canadien sortit à l’époque son premier chef d’œuvre qui les propulsera à tout jamais comme les ténors de la scène indie rock. Retour sur cet album qui marquera à jamais plus d’une génération.
A Montreal, Josh Deu et Win Butler fondent en 2001 un duo nommé Arcade Fire après s’être rencontrés à la Philipps Exeter Academy quand ils étaient lycéens. Portés par l’envie de mener un rock instrumental, les deux compères ne sont pourtant que deux guitaristes dans l’âme. Tandis qu’ils recherchent du matériel à l’université de McGill, ils rencontrèrent Régine Chassagne et lui demandèrent d’intégrer le groupe. Puis assez rapidement, d’autres membres se joignirent à eux. Un premier EP, s’appelant simplement Arcade Fire, fit son apparition en 2003. Il annonce déjà les atouts de leur futur album : de la mélodie, la voix fragile de Butler et une atmosphère automnale. On y trouve déjà No Cars Go, qui sera de nouveau présent dans Neon Bible en 2005, et l’excellent Vampire/Forest Fire.
Cependant, tout bascule entre 2003 et 2004 quand plusieurs décès familiaux surviennent coup sur coup : Regine Chassagne perd sa grand-mère, Win Butler, son grand-père et le multi-instrumentaliste Richard Reed Parry voit sa tante disparaitre. Le groupe s’unit et se recentre sur la musique pour surmonter leurs peines. En hommage à leurs proches, leur premier album s’intitule Funeral et le thème de la fraternité, de la nostalgie et de la renaissance marqueront continuellement leurs albums…
En entamant Funeral, les frissons s’installent instantanément grâce au mariage d’une douce orgue bourdonnante avec des touches bruissantes de piano, le tout accompagné de cordes accrocheuses. Arcade Fire installe son décor dramatique dès les premières notes et nous amène sur chaque riff de guitare à une scène de plus en plus tragique : celle de deux jeunes amoureux qui s’échappent des maisons de leurs parents, bouleversés, pour planifier leur futur mais qui, avec le temps, doivent vivre avec les souvenirs de leurs proches. C’est ainsi que le premier titre de l’album Neighborhood #1 (Tunnels) nous transporte sans discontinuité à transcender nos émotions. Impossible de relâcher notre attention à cette piste où la tension monte et où la voix de Butler est de plus en plus incertaine et criarde.
La piste fait partie d’une quadrilogie Neighborhood qui raconte la perte du sens des valeurs de la vie. La deuxième partie, nommé Laïka, est moins théâtrale mais plus rock et torturé. Ici, le groupe narre des aventures suicidaires en faisant référence à différentes histoires réelles comme celle de la chienne soviet dont porte le nom du morceau. Power Out, la troisième partie, est plus entrainante avec les assauts de guitare sombres et les cordes inquiétantes pendant que Butler déchire sa voix sur ses appels exaspérés : « The power’s out in the heart of man / And there’s something wrong in the heart of man ». La série se termine calmement par 7 Kettles, une parenthèse réflexive sur la vie qui passe et l’importance de garder des valeurs humaines dans une société matérialiste.
L’album est aussi parsemé de ballades entêtantes et mélodieuses. Si le mélancolique Une Année Sans Lumière se positionne comme l’un des passages les plus obscurs de l’album, Crown of Love nous détonne en nous lançant dans un slow désemparé : celui d’un amour non réciproque. Le rythme nous berce à chaque fois avant de devenir énergique et dansant.
Et c’est là toute la force et la magie d’Arcade Fire : dans nos moments de chagrin et de désespoir, le cœur des gens et la musique sont là pour nous détacher de nos faiblesses et célébrer la puissance de vivre . Wake Up est l’emblème de ce message que délivre le groupe canadien. Le titre débute par une guitare lourde et des paroles à la fois déconcertées et déterminées « But now that I’m older. My heart’s colder And I can see that it’s a lie ». A cela s’ajoute des appels au réveil et au rassemblement lancés par des « Oooh » malgré des cordes de plus en plus pleureuses. Cependant, la bande refuse de tomber dans le fatalisme : le rythme change radicalement de forme à la moitié de la piste : plus positif, plus égayé et plus frétillant. En ne tombant pas dans le larmoyant et la niaiserie, le groupe réussit à bouleverser nos émotions.
Il en sera de même avec l’exotique Haïti où on peut apprécier la voix suave de Régine Chassagne évoquant sa contrée d’origine. Le titre s’enchaîne sur l’album de manière impeccable avec l’hymne intemporel Rebbelions (Lies) où Butler appelle à ne pas se laisser endormir et enfermer dans ses rêves car la réalité finit par resurgir à l’aube. La voix ensorcelante de Régine Chassagne qui se mélange avec la partie instrumentale renforce la beauté de cet instant.
Funeral se conclut par l’acoustique In The Backseat qui est un hommage à la mère de Régine Chassagne. A l’image des titres précédents, l’ambiance n’est pas mielleuse et naïve mais se veut positive, la chanteuse y voit des mêmes signes d’optimises car désormais, elle se sent maître de la conduite de sa vie. Au fil de l’album, Arcade Fire aura sans cesse réussi de nous persuader avec émotions à croire à la bonté humaine, au renouveau et à célébrer la vie afin de vaincre le fatalisme.
Avec ce joyau de 10 titres, Arcade Fire a lancé sa carrière de manière majestueuse. Funeral est aujourd’hui placé comme un album incontournable de sa génération, faisant toujours et régulièrement acte de présence parmi les meilleurs albums de l’année, de la décennie voire encore des vingt-cinq dernières années. Aujourd’hui, on comptabilise seulement cinq albums du groupe en presque vingt ans de présence, mais tous ont été couronnés de succès par le public et les avis de la presse même si le dernier a laissé des avis mitigés. En attendant une nouvelle tournée et leur sixième album, il est toujours temps de savourer sans modération l’ensemble de leur discographie.
