Entre post-punk surprenant et textes incisifs, Astéréotypie fascine. Associant musiciens et auteurs autistes, c’est une création originale et inventive. Depuis la sortie en avril 2022 de leur second album, Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, le groupe ne s’arrête plus. Une grande et belle tournée (la fête de l’Huma), un documentaire en salle le 14 septembre et l’annonce toute fraîche de leur programmation au MaMA Festival le 14 octobre. Rien que ça !
Rencontre avec le groupe que vous n’êtes pas prêt d’oublier.
La Face B – Comment ça va mon cher Stanislas ?
Stanislas : (rires) Quelqu’un vous a dit que j’aimais bien qu’on m’appelle comme ça ? C’est en effet un jeu entre le directeur de mon établissement et moi. Je l’appelle mon cher Stéphane et lui mon cher Stanislas.
LFB : D’où vient le nom Astéréotypie ?
Christophe : Ce sont les gestes répétitifs que peuvent avoir certaines personnes autistes pour se rassurer. C’est Kevin qui faisait à l’époque partie du collectif qui évoquait ces comportements. Ça lui faisait penser à des astéroïdes, donc j’ai parlé d’Astéréotypie et depuis, on nous parle beaucoup de typique et atypique, de stéréotypies ou stéréotypes alors que ce n’était pas du tout le sens qu’on voulait donner. (rires)
LFB : Comment vous est venue l’idée de passer d’un atelier d’écriture à la création d’un groupe ? Christophe, tu es à l’origine du projet en 2010.
C: Tout à fait, c’était avec ma collègue éducatrice Claire Mahé. Ce projet s’est monté sur plusieurs années. Au début, c’était un habillage sonore, plutôt pour accompagner la poésie. On a parlé d’art brut dans le sens où on a arrêté de vouloir orienter les choses, que ce soit sur le fond ou sur la forme. Compter les vers, etc, ça n’avait aucun intérêt. On préférait recevoir ce qu’ils nous donnaient que d’être dans une forme d’apprentissage et partir des personnages. La formation instrumentale actuelle existe depuis 2015 et Claire est la dernière recrue ; elle est arrivée plus ou moins pendant le confinement.
LFB : Je vous ai vus il y a quelques mois à FGO Barbara et je me suis prise une sacrée claque. A quoi pensez-vous Stanislas quand vous êtes sur scène ?
S : Quand je suis sur scène, c’est un moment fort parce que j’ai une relation avec le public et je communique avec lui de tous les sujets qui me passent par la tête. C’est important de pouvoir transmettre. Et il peut à sa manière essayer de comprendre comment je fonctionne et ainsi mieux me connaître, même si ce n’est pas personnellement. Ensuite, les gens suivent Astéréotypie sur les réseaux sociaux. On parle beaucoup de moi. Le fait de jouer sur scène, c’est aussi une façon de me libérer de mes angoisses. Ma vie n’est pas toujours simple. Il y a des choses qui me perturbent et me préoccupent, mais que je n’ai pas mises en chanson par exemple. Et si on n’a pas de réponse, il faut vivre avec, avancer et être heureux.
C: Accepter qu’on aura toujours des angoisses finalement.
S: Profiter de sa vie et positiver.
LFB : Stanislas, il y a tout un jeu sur vous en tant que figure présidentielle. Si vous deviez être élu, quel serait votre programme ?
S: Vous savez, il y a beaucoup d’enfants autistes qui, malheureusement, sont rejetés. Je pense qu’il faudrait participer à la création d’IME (ndlr : institut médicoéducatif) ouvert le mercredi et qui fonctionnerait de la même manière qu’un centre de loisirs. Ce serait pour les parents qui souhaitent que leur enfant soit pris en charge, mais en aucun cas une obligation. J’aimerais aussi créer des IME ouverts à la place d’écoles primaires, collèges et lycées pour les élèves en situation de handicap afin qu’ils aient un parcours scolaire en milieu protégé. Pour moi, les ULIS (ndlr : Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire), ce n’est pas terrible car c’est en milieu ordinaire. On peut se moquer d’eux.
C: Tu es pour les institutions finalement. Tu penses donc qu’il faut séparer les jeunes en difficulté des autres ? Ils ne seront jamais vus alors … C’est un vrai débat.
S: Je voudrais les séparer des personnes qui ne les comprendraient pas.
C: On ne peut pas toujours choisir. Tu sais, moi je n’étais pas différent, mais j’aurais pu quand même avoir des problèmes. Je ne suis pas pour une entière désinstitutionnalisation, pourtant je ne suis pas non plus complètement d’accord avec toi. Ça ne peut pas être une réponse dogmatique, je pense plutôt qu’il faut que la société s’habitue à voir des personnes différentes. Et c’est même sain, car ça permettrait aussi que les gens se moquent moins.
S: Bien sûr, il faut que les personnes en situation de handicap puissent rencontrer des personnes « normales ».
C: Oui, à FGO Barbara il y a 300 personnes « normales » qui ont pris un billet pour te voir, toi. (rires)
S: Quand j’étais au centre de loisirs, beaucoup d’enfants me disaient : « t’es bête ». C’était un moment très dur, une épreuve même. À cette époque, je n’avais pas tous ces projets, je ne faisais pas de théâtre. Je n’étais pas très valorisé. Aujourd’hui, je ne suis plus moqué mais considéré comme n’importe quel être humain…
C : …un artiste même.
S : Il faudrait aussi arrêter de classer les personnes : en situation de handicap ou normales. Personne n’est normal, on a tous nos particularités et on est tous différents. Chez certaines personnes, la différence est juste plus prononcée.
C: De manière générale, la culture et plus spécifiquement les arts bruts ou à la marge, les expositions, sont une manière de faire disparaître complètement le handicap. Je pense notamment à des projets belges comme Wild Classical Music Ensemble, CHOOLERS division, Chevalier Surprise. Dans la société, il y a toujours la catégorie « handicap », alors que dans la culture, on peut vraiment décloisonner. Ce soir, on joue avec Flavien Berger et Kiddy Smile, point. (Ndrl : concert du 22 mai 2022 à la Gaîté Lyrique) Et ça n’a pas toujours été le cas.
LFB : Vous avez également joué à l’Élysée, comment est-ce que ça s’est passé ?
C: C’était dans le cadre du dispositif Les mardis à l’Élysée où des artistes étaient invités à se produire. Ce n’était pas dans un projet spécifique d’inclusion donc je ne sais pas comment le disque est arrivé là-bas. Stan étant fasciné par les figures présidentielles, on ne pouvait pas refuser.
S: J’aimerai bien y rejouer. Je vais peut-être rencontrer Emmanuel Macron.
C: Avec Stan, Claire et Yohann nous avons aussi un autre projet ; c’est un journal qui s’appelle Le Papotin (Ndrl: Une émission est née et elle débarque sur France 2). On interviewe des gens et on a des partenariats, notamment avec le Théâtre du Rond Point. C’est de cette manière qu’on a rencontré Claire. Quand je disais tout à l’heure que la culture produit, c’est bien le cas. Nous créons un vrai magazine, une revue.
LFB : J’ai visionné le documentaire « L’énergie positive des dieux » de Laetitia Møller et on voit Christophe, qu’il y a un lien très fort entre toi et les auteurs. Est-ce que tu peux nous parler un peu plus de cette relation que vous avez construite ?
C: J’étais l’éducateur de Yohann, Kevin, Stanislas et Aurélien. Astéréotypie ça me fait penser au roman 1984 de George Orwell, où le chef des résistants est aussi le chef des tortionnaires. Je me retrouvais à leur demander un comportement adapté et en tournée je pouvais boire une bière avec eux. Ça n’avait plus de sens (rires).
Stéphane Durand, le directeur de l’institut médico-éducatif de Bourg-la-Reine, a voulu assez rapidement faire exister le projet dans le monde ordinaire. Il avait de l’intuition et a tout de suite compris que les conférences sur le handicap etc, ça ne prendrait pas et qu’il fallait au contraire sortir le projet de l’institution. Mais plus on en sortait, au moins mon rapport d’éducateur marchait pendant les tournées. On se voyait en dehors, notamment avec Le Papotin.
En tant qu’éducateur, on travaille avec ce qu’on est, donc son corps et sa personnalité. On est impliqués. Certains diront qu’il faut avoir une bonne distance et ils ont probablement raison, mais ce n’est pas mon cas. Maintenant, je ne suis plus éducateur, mais coordinateur d’un festival sur la culture, le handicap et les arts bruts (Le Festival Futur Composé à la cité Fertile qui s’est déroulé à Pantin le 11 juin).
(Ndrl : Un des auteurs,Yohann se joint à nous)
C: Yohann, c’est le membre historique, il est là depuis le début.
Astéréotypie en concert à Montreuil le 7 juillet 2022
Crédits photos : Margaux FM
LFB : Comment s’est faite la rencontre avec Arthur et Eric du groupe Moriarty ?
C: Maud, la cheffe de service, avait à l’époque envoyé un mail à Moriarty, qu’elle aimait beaucoup. On savait qu’ils appréciaient les projets atypiques alors on a tenté notre chance. Ils ont mis un certain temps à répondre, mais ils sont tout de même venus faire une rencontre musicale. Puis on les a perdus de vue. En 2015, le festival Sonic Protest souhaitait qu’on fasse l’ouverture donc on a les recontacté dans l’idée de faire une formation rock qui monte en intensité.
LFB : Comment se fait l’équilibre entre les textes et la création musicale ? Est-ce que vous créez chacun de votre côté ou tous ensemble ?
C: Ça dépend. Le jeudi par exemple, j’avais peu de temps avec eux donc je proposais une sorte de squelette musical et je voyais s’ils s’en emparaient. Des fois, on créait en répétition ou en résidence mais sans eux. Certains textes sont sous forme de mails ou encore de textos. Il n’y a rien de fixe. Parfois, on les reprend bien plus tard, comme Le pacha par exemple.
Yohann : Je pense que c’est un job. Il y a un passage, c’est ça la subtilité. Quand on arrive à un moment de la vie il faut compléter avec tous les membres de Moriarty. Eux, ils savent mieux et peuvent reprendre les textes.
LFB : Sur scène vous avez chacun vos spécificités : Stan est très charismatique, Yohann ponctue chaque chanson d’un petit commentaire. Ça fait quoi d’être une rock star ?
C: Yohann, c’est le MC.
Y: Rock star aujourd’hui pour moi c’est une source importante. Les chansons peuvent faire changer le monde. Par exemple Garou, Céline Dion, ce sont des références très rythmiques.
S: Jean-Jacques Goldman, Patrick Fiori, ce sont des artistes que j’aime bien écouter dans la vie de tous les jours. Astéréotypie a le même intérêt. Nous ne sommes pas connus comme eux mais le plus important c’est de pouvoir se valoriser sur scène, jouer, faire quelque chose de bien. Astéréotypie ça change et c’est bien que les gens puissent voir ça.
Astéréotypie en concert à Montreuil le 7 juillet 2022
Crédits photos : Margaux FM
LFB : Est-ce que vous avez un morceau que vous préférez et si oui pourquoi ?
Y: Moi c’est La soufflante, parce que je délivre le message de Maud.
S: Mon texte préféré c’est Le Pacha parce que ça raconte l’histoire de mon grand père. Je me suis inspiré de lui et j’ai fait ce texte en hommage. J’ai visionné ce matin le film de moi étant enfant et quand j’entends parler mes grands-parents, j’ai un peu les larmes aux yeux. J’appelais mon grand-père Atabaille et ma grand-mère Nanou.
LFB : La Fête de l’Huma le 10 septembre, le documentaire qui sort le 14 (prix du public FAME 2022), qu’est-ce que vous nous réservez d’autres à l’avenir ?
Y: C’est la suite, ils vont bientôt faire le volume 3. C’est les meilleures choses d’une vie, qu’ils doivent en réalité conserver pour que le meilleur soit encore présent. A la générosité et à la sérénité de tous.
C: Donc Yohann tu dis qu’il faut enregistrer c’est ça ?
Y: Oui. Se replonger dans le grand bain et plonger vers le grand saut et continuer d’apprivoiser.
C: On a quelques dates prévues, notamment le festival Bon Moment à Nancy et Le Chainon manquant à Laval en Septembre, le Temps Machine à Tours en Octobre et le Forum de Vauréal dans le cadre du festival Imago Art et Handicap en Novembre.
Claire : Je souhaite que dès l’arrivée du 3ème album, il y ait 2 possibilités pour deux titres de poésie que j’ai écrit pendant le confinement. L’un est inspiré de Lara Croft (« L’arc, la flèche ») et l’autre s’appelle « Que la biche soit en moi ».
Astéréotypie en concert à Montreuil le 7 juillet 2022
Crédits photos : Margaux FM
LFB : Claire, tu as dit en interview que tu ne chantes pas mais que tu écris des textes.
Cl: Oui. Je scande. Je ne comprends pas les règles parfois. Une fois j’avais fredonné quelque chose. Quand j’écris des textes, je rêve d’aventure et je suis très inspirée par les dessins animés japonais comme Cross Over. Mais ça n’a rien à voir avec les supers héros comics. Je suis fan de Sailor Moon Cristal. Je rêvais d’être actrice.
LFB : Si vous deviez choisir un livre, un film ou une œuvre qui vous a bouleversé ce serait quoi ?
Cl: Tout à fait et ça nous appartient. Ce seraient donc ces 4 mangas japonais : Black Lover, Demon Slayer, Full Metal Alchimist en normal et Sailor Moon Cristal.
S : Dans la musique ce qui me marque c’est le morceau Là-bas de Jean-Jacques Goldman. C’est une chanson très émouvante avec beaucoup de sincérité. Même ma mère l’aime.
C : Sans hésiter les chansons d’amour des années 60 voire 80. J’ai toute une playlist (et c’est la plus importante) qui s’appelle « Pour Galoche ». Je dirais aussi la BO de Dirty Dancing, la musique des Platters ou l’œuvre de Dusty Springfield.
Découvrez notre chronique du clip Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme.
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Crédits photos : Margaux FMX