Il y a un peu moins d’un and, on se prenait en pleine tronche DVTR, le tout premier titre de… DVTR. S’en est suivi un premier EP, Bonjour, tout aussi « in your face » qui nous a fait beaucoup de bien. En fin d’année passée, on a profité d’un transit parisien entre les Bars et Trans et Montréal pour rencontrer Demi-Lune et Jean Divorce. Une conversation où l’on rit beaucoup tout en parlant de choses sérieuses, tout DVTR en somme.
DVTR : Bonjour! (rires)
La Face B : Comment ça va? Ça a l’air d’aller bien.
JC : (rires) On est bien rôti.e.s d’hier. On a bien profité de la vie à Rennes, faque comme tu le vois…
Laurence : Ça va bien. (rires)
La Face B : Ça s’est passé comment le premier concert français avec ce projet là?
JC : Tu le sais, ça fait 6 mois que le projet existe. On a vraiment eu la chance que les Bars en Transe nous aient vu.e.s au FME. Pis Philippe, le programmateur que tu connais peut-être, nous a dit “OK, je vous mets sur la meilleure scène”.
Laurence : Il avait déjà en tête la date, la salle et l’heure pour nous…
JC : On a joué sur la plus grosse scène des Bars en Transe au meilleur moment possible, c’est à dire jeudi à 22h30, c’était complètement blindé. C’était malade, je n’aurais pas pu imaginer un meilleur premier show en Europe… On a été bénis! (rires)
La Face B : Vous venez tous.tes les deux d’univers musicaux un peu différents. Comment est née cette envie de créer ce projet là ensemble?
Laurence : En fait, on joue ensemble dans Le Couleur depuis 3 ans pis on s’est rendu.e.s compte sur scène qu’on avait une espèce d’énergie un peu trop punk pour Le Couleur. T’sais, à un moment donné je lui grimpais dessus, on faisait des sculptures humaines…
JC : C’est surtout elle qui était une grande reine punk mais un peu mise en cage (rires)
Laurence : Le Couleur, c’était mon seul band depuis 15 ans. Je n’ai jamais fait autre chose dans la musique, faque je ne me voyais pas faire autre chose. Pis lui quand il m’a dit “On se part tu un band de punk?”, j’ai fait “Eille, ça me tente, on va essayer!”. Ça a bien marché!
JC : Au début, c’était vraiment juste pour le plaisir. On faisait la fête pis on faisait des chansons juste pour se faire rire. Rapidement, Lisbon Lux est arrivé dans le décor pis c’est devenu un peu plus sérieux. Là, c’est très très sérieux (rires)
Laurence : C’est vraiment sérieux! (rires)
La Face B : Ce qu’il y a de marrant, c’est que la première phrase du premier titre que vous avez sortie est “DVTR ça libère des mœurs”. J’ai l’impression que cette phrase là canalise et représente tout ce qu’est le projet et tout ce qu’est BONJOUR en fait.
Laurence : Complètement.
JC : Je pense que cette chanson là est la première chanson qu’on a faite, ou presque. C’est un peu sans queue ni tête les paroles, c’est nous un peu défoncé.e.s qui enregistrons ça à 2h du matin. On n’a pas tant réfléchi à tout ça, c’est très raw, très rapide. “Ca libère les morses au zoo”, on ne sait pas c’est quoi non plus (rires)
Laurence : Des fois, il y a des projets où tu ne penses même pas et tout se met en place un peu tout seul, pis c’est un peu ça DVTR. Ça fait du sens qu’on ait sorti cette première chanson là, mais ce n’était aucunement pensé.
JC : Dans mes autres projets comme Gazoline, c’était toujours tout remettre en question, overthink… Il faut les meilleures conditions possibles de studio, il faut du temps, de l’énergie… Et tout ça, c’est très bien. Mais je pense qu’ici, on voulait vraiment se purger de ça et tester. Simple, rapide, agile.
La Face B : Vous avez été surpris.e.s de la réception de ce morceau-là et de la suranalyse des paroles? Il y a eu plein de réflexions différentes alors que comme vous le dites, ça reste un truc punk et un peu crétin à la base.
JC : Tu le vois je pense, il y a quand même un fond et toujours des messages. Mais au delà de ça, on n’est pas si porteur.euse.s de chaque message.
Laurence : C’est aussi de rire un peu des trucs de la société, qui ne fonctionnent pas ou qui fonctionnent. Je pense que c’est un peu ça, plutôt que d’être en colère. Nous, on n’est pas des punks en colère (rires)
JC : Tout le monde y passe, c’est ça aussi l’idée. On a une chanson qu’on fait en concert où on parle des punks à chiens, pis une autre chanson où on parle des flics. On envoie chier tout le monde, mais avec bonne humeur et sourire!
La Face B : C’était important pour vous d’éviter la soupe tiède, d’avoir un truc gris? J’ai l’impression que là, c’est soit tout noir, soit tout blanc. Le curseur est extrême dans tout ce que vous faites.
JC : Ça, c’est sûr. On a eu quelques journalistes qui nous en ont parlé, que c’est très polarisé et polarisant. Je pense que c’est le seul moyen de justement livrer un message ou quelque chose d’un peu percutant et coup de poing. Même si ce n’est pas nécessairement tout le temps ce qu’on pense au fond de la chose.
La Face B : J’avoue que je ne me serais jamais imaginé head-banger sur un morceau sur les crématoriums, par exemple.
Laurence : Ou sur la vasectomie… (rires)
JC : C’est fou, Vasectomia, c’est notre “chanson-phare” (rires). Les gens qui n’ont jamais entendu DVTR adorent en show, ils entendent “Vasectomie pour tous” pis ça part!
La Face B : Là où ce n’est pas polarisant, c’est que finalement dans chaque morceau, même s’il y a des idées et des propos un peu extrêmes, il y a une énorme dose d’humour et d’amour qui fait que le message passe beaucoup plus facilement que si on était sur un truc très premier degré.
Laurence : Je pense que oui, et je pense aussi qu’on a l’air sympathique donc ça passe bien (rires)
JC : Aussi, si on parle de la bonne humeur dans la musique fâchée, c’est que l’ère des groupes post-punk qui prennent des photos où ils ont l’air méchants et dangereux est plutôt terminée. Hier, on a vu ? qui jouaient, ils n’ont pas du mascara, c’est juste des gens normaux qui balancent ça en pleine figure. IDLES étaient peut-être les premiers à vraiment mettre ça de l’avant, l’amour dans la musique violente. Joy as an Act of Resistance, c’est ça le nom de leur album. Ça a peut-être lancé quelque chose mondialement, où le public se dit “c’est vrai qu’on n’a peut-être pas besoin d’écouter du monde qui ont l’air fâché”.
La Face B : On vit dans une période qui est tellement sombre avec tellement de choses qui se passent mal, je pense que c’est bien aussi d’avoir de la musique qui apporte un peu de fun.
Laurence : Vraiment!
La Face B : L’autre idée, c’est que vous vous êtes créé des alter-egos pour DVTR. Est-ce que créer Demi Lune et Jean Divorce, qui sont un décalque un peu plus extrême de ce que vous êtes, c’est quelque chose qui vous a aidé à pouvoir porter des propos et assumer le côté théâtral de votre musique?
Laurence : Je pense que oui. Encore une fois, avec 15 ans dans Le Couleur, tomber dans un autre personnage a aidé. Après le premier show, notre gérant Julien m’a dit “Je voyais des moves “Laurence Le Couleur” et des moves “Laurence DVTR” et j’étais comme “Peut-être qu’il faut assumer le côté Demi Lune”.
JC : Je ne pense pas qu’à la base on s’est dit qu’on allait créer des personnages, ce n’est pas tellement le cas non plus, mais c’est juste arrivé de même. C’était aussi un clin d’oeil à toute la culture punk d’antan où tout le monde se donnait des noms. Tu ne peux pas avoir juste ton nom normal dans un band punk.
Laurence : Mettons on est en studio, on fait des voix, pis là je chante pis là il fait “Non, pas Le Couleur. Pense Demi Lune!”. Là, je pense Demi Lune! On n’y a pas pensé tant que ça, mais ça marche.
JC: J’ai hâte qu’on fasse un super gros show pis qu’on arrive un après l’autre. Il y aurait des grosses lettres lumineuses à la Star Académie où c’est juste écrit “LUNE” pis “DIVORCE”, à la Johnny Hallyday (rires)
La Face B : Pour parler un peu plus de la structure de l’EP et des chansons, il y a un côté très répétitif et martelant dans ce que vous faites, que ce soit dans les paroles ou dans la musique. Il y a des boucles, ça pourrait presque être du hip-hop. Comment vous l’avez pensé, le fait qu’on ait l’impression qu’un marteau nous tape sur la tête pour faire rentrer le message?
JC : C’est venu naturellement aussi. Dans tout ça, le modus operandi c’est que c’est toujours très raw et rapide. Quand on enregistre des chansons, c’est à la maison directement dans l’ordi. Il n’y a pas d’ampli, pas de fla-fla, on balance tout. J’ai l’impression qu’on n’a souvent pas envie de se replonger dans une chanson une fois qu’elle est faite?
Laurence : Ouais, c’est vrai!
JC : Pis dans cette optique là, on n’a pas le temps d’écrire trop de paroles, faque on répète tout (rires). Après, c’est devenu un peu un truc typique de DVTR. J’haïs pas ça! On va voir où ça va évoluer, mais pour ce EP là c’était plus par paresse que direction artistique qu’on répétait au début.
La Face B : C’est vraiment intéressant parce que j’ai vraiment l’image du coup, avec le marteau! Le fait est qu’une fois que c’est rentré, on ne peut plus le retirer. À un moment donné, la musique devient addictive parce qu’on y revient. Ça joue aussi avec les codes du punk, il n’y a pas un morceau qui fait plus de 2 minutes 30.
JC : On a envoyé nos chansons à Julien de Lisbon Lux pendant qu’on les faisait, pis il nous disait “Tel bout, c’est trop long. Coupez.” Ce n’était pas tellement long non plus, mais une mesure de plus, une note… On a tout coupé ces petits moments là.
Laurence : Une des premières chansons qu’on a composé, c’était Les Fruits. Elle dure 50 secondes. On était comme “On peut-tu faire ça, une chanson de 50 secondes?”, nous qui étions rock-pop. C’est le fun de faire des chansons courtes et directe, c’est juste dur à monter en show parce qu’il faut 50 chansons pour avoir une heure (rires)
JC : Au niveau des formes, c’est assez explosé. On a de la misère à faire des couplets-refrains, ce n’est vraiment pas ça les chansons. Un jour on va jouer la première partie d’une chanson et le lendemain un autre. Comme la chanson DVTR, c’est deux morceaux rapiécés. C’est quand même paresseux comme processus! (rires)
La Face B : Il y a cette idée de boucles et de bricolage et, pour rester sur une image de nourriture, il n’y a pas de gras. Ça va a l’os, et ça permet à chaque chanson d’avoir une énergie et une thématique qui leur sont propres. Même s’il y a dans chaque morceau des messages féministes qui sont importants et qui sont la ligne directrice, je trouve.
Laurence : Complètement.
JC : Dans les nouvelles tounes aussi, des enjeux raciaux un peu plus.
Laurence : Moins féministe, mais plus dans la minorité. Mais toujours encore une fois fait de manière assez décalée, assez DVTR.
JC : T’sais, ça va peut-être nous péter au visage, mais on a des chansons comme Berlingot où on est un peu en mode shock-jock. “L’industrie du lait c’est de la merde, OK, on fait une toune sur l’industrie du lait.” On s’en fout du lait… Les producteurs de lait vont détester cette chanson là, pis nous c’est juste comme… On veut pas vraiment détruire le lait, on veut juste vous fâcher (rires)
La Face B : Vous pourrez lancer un album DVTR : Tout le monde les déteste.
Laurence : C’est ça! (rires)
JC : On se rend compte que des fois, on avait l’impression qu’on allait faire des trucs choquants, mais que tout le monde s’en fout. Personne ne peut être choqué en 2023 par quoi que ce soit. On a tout détruit en tant que société. Il y a 6 mois, les gouvernements américains confirmaient l’existence des aliens pis tout le monde s’en foutait.
La Face B : À part le chanteur de Blink… (rires)
JC : (rires) Qu’est-ce qu’on peut faire de choquant quand le président Trump disait “grab her by the pussy”? On ne peut même pas s’approcher de ça. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de limite à ce qu’on peut faire.
La Face B : Vous parlez de l’industrie de la nourriture, de la vasectomie, des crématoriums… Ça donnerait quoi une vraie chanson d’amour chantée par DVTR?
JC : Une chanson d’amour… Il faudrait en faire en faire une.
Laurence : Ça donnerait quoi?
JC : La ballade de Demi Lune et Jean Divorce comme The Ballad of John and Yoko (rires)
Laurence : On va penser à ça!
La Face B : J’aime beaucoup vos photos de presses, j’adore vos clips. Vous avez d’ailleurs eu un prix au GAMIQ pour le clip de DVTR. Comment vous les travaillez et quelle importance donnez-vous à l’impact visuel qu’il peut y avoir dans votre musique?
Laurence : C’est super important la DA pour nous. Lui (ndlr : JC), on l’appelle marketing man (rires). Je trouve qu’il faut que ça fasse du sens. En 2023, ce n’est pas juste de la musique, tout est un ensemble. Tu fais des clips, tu fais des photos. On y pense, on en discute, mais souvent les idées on les a tard.
JC : Je pense qu’en terme de vidéo et de réseaux sociaux, on a autant de plaisir à faire la musique que tout le reste. Il y a beaucoup de bands, avec raison, pour qui ce n’est pas le cas. Ils veulent vraiment faire de la musique et, malheureusement ou non, sont désintéressés de tout le reste. Nous, je pense qu’on adore ça. Ça fait partie de toute la démarche et c’est avec beaucoup de plaisir qu’on pense à tout le reste.
Laurence : On ne va jamais sortir un vidéo ou une photo qu’on ne va pas approuver et assumer à 100%.
JC : Je pense encore une fois à mes anciens projets, des fois faute de temps ou de moyens, de plusieurs têtes qui lead, tu te retrouves à sortir soit des clips, des photos ou même des chansons qui n’étaient pas 100% comme tu voulais. Jusqu’à maintenant, on s’est toujours dit qu’on allait aller jusqu’au bout, quitte à faire un clip et ne pas le sortir s’il y a quelque chose qui ne va pas. Ce qui n’est pas arrivé! Au niveau des vidéos, c’est tout le temps des idées qu’on a, après on en parle à quelqu’un…
Laurence : On est quand même assez chanceux.ses, on va se le dire. Pour Crématorium, le clip, on avait cette idée là. Finalement, on trouve un espèce de maison abandonnée… Toute marche. On est vraiment béni.e.s!
JC : On tombe tout le temps sur du monde autour de nous par hasard qui facilite n’importe quelle idée qu’on va avoir. Boom, on rencontre quelqu’un qui a une maison hantée… disponible.
Laurence : Gratuitement. (rires)
JC : Je ne sais pas c’est quoi le concours de circonstances, mais jusqu’à maintenant c’est toujours wow.
Laurence : Même pour le clip DVTR, on s’entend que tourner avec des vrais guns… Ce n’était pas évident au niveau des permis (rires). À la dernière seconde, ça s’est fait, la veille du tournage. On n’était même pas sûr.e.s de pouvoir le tourner, pis toute s’est mis en place. On dirait qu’on est béni.e.s.
JC : Le camion dans DVTR, on voyait ce camion-là dans la rue. On se disait qu’il nous le fallait. On met un papier dessus. Je reçois un texto, c’est Charles le batteur des Trois Accords, qu’on connait! “C’est à moi le camion, je vous le prête!”. OK… (rires) On est bien chanceux.ces, dans le sens 777, la vraie chance.
La Face B : C’est en prenant le projet le moins au sérieux et en voulant s’amuser le plus que finalement toutes les étoiles s’alignent.
Laurence : J’ai l’impression que ce projet c’est un peu ça. Faire les Bars en Transe après 6 mois d’existence… On espère que ça continue.
La Face B : Si vous aviez droit à 5 vœux pour l’année 2024, ce serait quoi? (ndlr: interview réalisée fin 2023)
JC : 5?!
Laurence : C’est beaucoup! La fée marraine est généreuse! (rires)
JC : Premier vœu : avoir infini de vœux (rires). Pour 2024, c’est sûr qu’on veut tourner en France: après les Bars en Transe, j’adorerai faire un tour ici. Attends, je sors quelque chose d’un peu shock-jock : vasectomie mandatoire implantée sur la planète Terre (rires)
Laurence : 5 vœux, c’est vraiment beaucoup, et on est toasté.e.s (rires)
JC : J’aimerais avoir tout l’argent du monde pour faire tous les clips qu’on veut. Ça coûte tellement cher, mais on aime ça! Faut toujours faire des espèces de miracles avec les vidéos, parce qu’il n’y a pas d’argent car ça ne rapporte pas d’argent. J’aimerais que le Canada sorte un fonds spécial pour faire des clips de punk. C’est quoi toi ton deuxième vœu?
Laurence : Que ça reste magique comme projet. Que je ne me tanne pas. Des fois, dans la nouveauté t’es comme excité.e, donc je ne veux jamais me tanner de ce projet-là.
JC : Qu’on ait plein de nouveaux sujets choquants qui vont nous inspirer des chansons.
Laurence : Qu’il y ait plus de femmes dans le domaine des trucs funéraires. Juste dans le monde funeste, pas dans la politique ou rien (rires)
La Face B : Vous avez des coups de cœurs récents à nous partager?
JC : DITTER hier, c’était cool. Qu’est-ce qu’on a vu récemment?
Laurence : Avec Le Couleur et DVTR, on est tout le temps sur la route… On écoute juste Le Couleur et DVTR (rires). On a vraiment aimé ça DITTER. En musique, on voit beaucoup de shows, pis ça c’est quand même un show que j’ai apprécie pis qui a passé vite. C’était dans une chapelle à Rennes donc pas d’alcool : c’est rare un show punk sans alcool.
JC : Je lis Dune depuis 3 mois… C’est quand même une grosse brique.
Laurence : Et Ru! C’est une auteure vietnamienne qui raconte son arrivée au Québec. C’est un peu l’histoire de mon père, c’est touchant. Ils viennent de sortir un film au Québec, mais je ne sais pas s’ils vont le sortir en France.
JC : C’est une super belle recommandation Ru, bravo. Je suis assez fier de toi. Je suis tellement fier de Demi Lune. Peux-tu écrire ça? (rires)
Laurence : C’est ça la chanson sur l’amour : Trop fier (rires)