Dans les loges des Trois Baudets, à Paris, où elle s’apprêtait à donner le premier concert de sa tournée française, Meimuna est revenue sur son premier album : c’est demain que je meurs. Ensemble, nous avons exploré le processus créatif derrière ce projet poétique et introspectif, qui dépeint une apocalypse douce et joyeuse. L’occasion de parler des peurs et des combats qui la portent et nourrissent sa musique.
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La Face B : Ton premier album, c’est demain que je meurs, est sorti en octobre. Personnellement, j’ai pris beaucoup de plaisir à l’écouter, donc merci et bravo ! Comment te sens-tu trois mois après sa sortie ?
Meimuna : Merci beaucoup ! Je me sens bien, je trouve qu’il a eu un super bel accueil. Et puis il continue de vivre. Quand on sort un album, on a l’impression que c’est l’aboutissement de longues années de travail – ça m’a pris deux ans et demi – mais en fait c’est le début de tout. C’est le moment où tu commences à le défendre sur scène, à en faire la promotion. Et puis il prend d’autres couleurs en live aussi, donc ça renouvelle la chose et ça me plaît beaucoup.
LFB : Y a-t-il des retours qui t’ont étonnée, surprise ?
Meimuna : Ce qui me surprend toujours, c’est la façon dont les gens comprennent les chansons. Ceci dit, ces chansons sont plus dans le concret que mes précédentes. Elles sont très intimes, très personnelles. Avant, je me cachais derrière plein de métaphores et d’images. Là, il y a quelque chose de plus frontal, je me dévoile plus. Donc les retours sont très forts, et ça me touche. Après, il y a des gens qui interprètent et comprennent les choses à leur manière et c’est toujours super intéressant.
LFB : Je sais que tu es quelqu’un de perfectionniste. Cela a-t-il été difficile pour toi de clore ce premier album ?
Meimuna : J’ai l’impression que ça va de mieux en mieux, j’apprends à lâcher prise. Je me suis beaucoup répété que “bien et fini, c’est mieux que parfait et inachevé”. J’ai appris à m’entourer, à faire confiance aux gens, car j’avais tendance à être un peu “control freak”. Le fait d’avoir collaboré avec une autre productrice sur l’album fait aussi que je m’en lasse beaucoup moins vite, je continue de découvrir des choses.
LFB : Justement, j’ai lu que tu avais souhaité collaborer avec la productrice Ella Van der Woude afin de te sortir de certains automatismes. Peux-tu m’en dire un peu plus ?
Meimuna : Avant le projet Meimuna, j’ai eu d’autres groupes, où chacun apportait ses idées, ce qui est super, mais qui fait qu’on peut parfois se sentir un peu dépossédé. Donc avec mon projet solo, j’ai eu besoin de me prouver que je pouvais tout faire : écriture, composition, enregistrement, production, mixage… Je suis allée très loin. J’ai sorti 5 EPs en solo avant cet album. Et finalement quand je réécoute ces premières productions, j’ai l’impression que ça transpire de moi (rires), au point que ça m’écœure, quelque part. J’avais besoin que quelqu’un vienne me bousculer et m’amener sur des chemins que je n’aurais pas pris toute seule. C’est vrai que c’est désarmant parfois. Quand Ella me propose d’enlever mes guitares et de mettre un trio de cuivres à la place, par exemple. Et puis finalement, ça sonne super bien. Je suis très heureuse d’avoir travaillé avec elle.
LFB : Tu avais déjà écrit les chansons avant de commencer cette collaboration ?
Meimuna : Ça s’est fait un peu en même temps. J’ai écrit et composé seule les chansons et elle m’a aidé pour l’arrangement, les textures. Quand j’avais terminé une chanson, on la bossait ensemble. On travaillait sur plusieurs chansons en même temps. Je visais dix morceaux donc on a fait ça pendant deux ans, jusqu’à ce qu’ils soient tous terminés.
LFB : Peux-tu me parler de la genèse de l’album ? Avais-tu déjà une idée de là où tu voulais l’emmener, en termes de direction artistique, de thèmes abordés ?
Meimuna : Je ne me suis pas donné de contraintes. C’est après avoir écrit quelques chansons que j’ai déterminé un fil rouge. J’ai réalisé que des thèmes revenaient beaucoup : la rupture, les blessures d’enfance, le renouvellement, la fin d’un cycle et le début d’un autre. Puis j’ai écrit la chanson c’est demain que je meurs et je me suis dit que ce titre regroupait tout : l’idée du cycle qui prend fin et qui donne naissance à de nouvelles choses. Et ce thème a inspiré le reste des chansons.
LFB : Comme tu l’évoquais tout à l’heure, l’album est très introspectif. À une exception près toutefois, le morceau Ève V. (battre des records), qui est un hommage à Ève Vallois, plus connue sous le nom de Lolo Ferrari. Qu’est-ce qui t’a donné envie de raconter son histoire aujourd’hui ?
Meimuna : Je trouve qu’elle est terriblement actuelle, qu’elle rentre en résonance avec plein d’histoires contemporaines et qu’on n’a pas beaucoup progressé sur ces questions d’objectivation du corps des femmes etc… C’est marrant, parce que j’étais contente d’écrire enfin une chanson qui ne parlait pas de moi. Et en la réécoutant, je me suis rendue compte qu’elle parlait totalement de moi (rires). Et puis elle parle de mes copines et de toutes les femmes.
C’est peut-être la chanson qui me touche le plus. J’adore ce qui se passe quand je la joue en live. Je demande au public s’ils connaissent Lolo Ferrari, et souvent les gens rigolent. Puis je raconte son histoire et il y a un grand silence qui se crée, on sent que les gens sont touchés.
LFB : Ce n’est pas toujours facile d’écrire sur quelqu’un qui n’est pas soi, a fortiori quand cette personne a existé et qu’on veut lui rendre hommage. D’un point de vue de l’écriture, comment as-tu abordé cette chanson ?
Meimuna : Je me suis posé un million de questions. Je me suis demandé si elle aimerait cette chanson. Je voulais absolument lui faire un hommage tendre. Parce que c’est quelqu’un qui a fait couler tellement d’encre, qui a nourri une sorte de mythe. Un récit très voyeuriste, moqueur et brutal. J’avais envie de proposer, à l’inverse, un hommage doux et respectueux. J’ai été inspirée par des chansons comme Tonya Harding ou John Wayne Gacy, Jr. de Sufjan Stevens, qui sont des chansons d’hommage magnifiques, adressées à des personnalités qui, a priori, suscitent le dégoût ou la moquerie.
LFB : Sur la pochette de l’album, on voit ce personnage féminin dont on peut penser qu’il représente Ève, au sens de la “première femme”. Je me suis demandé si c’était un hasard que cette chanson, qui ne parle pas directement de toi, porte justement ce nom, qui a une connotation originelle. Comme une façon de dire qu’on peut toutes se retrouver en Ève Vallois, et/ou lui rendre hommage ensemble.
Meimuna : C’est trop beau ! Pour être complètement honnête, c’est un peu un hasard (rires). Quand j’ai dessiné cette pochette, je voulais que ce soit quelque chose de léger, une sorte d’apocalypse joyeuse. J’ai dessiné ce personnage selon mes traits, d’après une photo. Et dans ma tête c’était clair que je refermais le cercueil sur moi, que c’était la fin du monde. Mais plein de gens pensent que je sors du cercueil. Beaucoup de gens pensent aussi qu’il s’agit d’Ève. Et ça crée plein de réflexions chez moi, je trouve ça hyper beau. Donc c’est un peu un hasard, mais tout ce que tu viens de dire est très juste aussi. Et ça me touche énormément, c’est grâce à ça que l’album continue de grandir.
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LFB : Tu évoquais tout à l’heure la chanson c’est demain que je meurs, dans laquelle tu décris une apocalypse douce, où l’humanité tombe dans l’oubli et la vie continue son cours. Face aux catastrophes naturelles qui font l’actualité presque quotidiennement et créent un climat anxiogène, comment t’est venue cette idée ?
Meimuna : Je suis extrêmement touchée par la cause écologiste. Je vis dans une région très sauvage en Suisse, dans le Canton du Valais, au cœur des Alpes. On subit de plein fouet les catastrophes écologiques : le Rhône qui déborde, les avalanches, les glissements de terrains. J’ai un amour immense pour la nature, et voir que la biodiversité est en train de mourir, ça me donne énormément de souci, ça prend beaucoup d’espace mental. J’ai donc aussi écrit cet album pour les gens que ça angoisse, comme moi. En essayant d’apporter une sorte de réconfort, avec l’idée que c’est peut-être la fin de quelque chose mais le début d’une autre.
LFB : En l’écoutant, j’ai pensé à un de tes morceaux précédents, La tristesse du diable. Il m’a semblé que dans ces deux cas, tu avais la volonté de te réapproprier et d’apaiser certains récits assez violents, hérités de la religion notamment – l’enfer et l’apocalypse en l’occurrence. Est-ce que c’est le cas ?
Meimuna : C’est exactement ça, le terme de réappropriation est très juste. Le Valais, où j’ai grandi, est une région très conservatrice, où la religion prenait beaucoup de place. On nous inculquait des récits très manichéens. Et en fait, quand on se plonge un peu dans cette histoire, on se rend compte que c’est bien plus complexe. Le diable est un excellent exemple : Lucifer, c’est un ange qui a été chassé du paradis parce qu’il a amené la passion chez les hommes, le beau, l’art. Donc on a plutôt envie de lui dire merci (rires). C’est une manière pour moi de dire que les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on pense et puis d’amener de la nuance dans le discours.
LFB : En parlant de nuance, je trouve qu’il y a beaucoup de choses dans ta musique – dans l’écriture comme dans la production – qui vont à contre-courant de ce qu’on entend aujourd’hui. On sent que tu veux conserver un son organique, avec peu d’effets sur ta voix, par exemple. Et puis au niveau de l’écriture, les émotions sont toujours très nuancées, on n’est jamais dans le pathos. Te sens-tu malgré tout inspirée par ton époque ?
Meimuna : C’est un peu dur. Je me rends compte que je ne suis pas dans les tendances actuelles. D’ailleurs, c’est hyper compliqué de défendre ce projet. On me dit que ce n’est pas assez “boum boum” pour jouer dans les festivals. Qu’on ne peut plus programmer de musique douce, parce que les groupes sur les autres scènes joueront tellement fort qu’on ne m’entendra pas (rires). Je ne me sens pas forcément alignée avec mon époque, parce que je me sens heurtée et en désaccord avec tellement de choses.
Mais en même temps, je pense qu’on vit une époque formidable à plein de niveaux. Je me sens portée par nos combats actuels, autour de l’écologie, du féminisme, de l’expression d’identité de genre. Et je trouve ça génial de vivre ça. Et puis le fait que je puisse faire de musique et tourner en tant que femme, en venant de là où je viens… Je bénéficie de plein de choses géniales de mon époque, même si c’est un combat permanent. Mais il y a plein de gens qui défendent la douceur, la nuance, l’écoute et la Folk. Et c’est une forme d’engagement et de militantisme.
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LFB : Qu’est-ce que tu souhaites à ton époque ?
Meimuna : Du dialogue. J’ai l’impression qu’on est en train de se polariser dans des extrêmes et qu’on ne peut plus discuter. Ça me fait hyper peur. Et j’aimerais que les gens s’offrent des bulles de douceur et d’introspection. Quant à moi, je me souhaite de trouver une manière saine et éthique de vivre de cette passion. On discute beaucoup de ça avec mes amis musiciennes et musiciens : on est un peu toutes et tous anticapitalistes, à défendre un discours qui parle d’authenticité, de respect de la planète… Mais on se retrouve à utiliser des outils qui sont ultra capitalistes, dans une industrie qui l’est tout autant. C’est difficile de trouver un équilibre.
LFB : Est-ce qu’il y a des artistes francophones qui t’inspirent ?
Meimuna : J’écoute de plus en plus d’artistes québécois, j’adore Klô Pelgag et Safia Nolin. Ça me fait aussi très plaisir de voir le succès en France d’artistes comme Pomme ou November Ultra. Mais c’est vrai que j’écoute plus de musique anglo-saxonne. Je suis très inspirée par des Billie Marten, Feist, Laura Marling ou Adrianne Lenker, par exemple.
LFB : Ce soir, tu entames ta première tournée en France, qui s’étend jusqu’à fin mars. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Meimuna : C’est génial. Pour des artistes qui ne sont pas basés en France – et même pour les Français et Françaises – c’est très dur de s’organiser des tournées et d’entrer sur ce marché. On travaille avec une agence qui s’appelle Twin Vertigo, qui ne travaille qu’avec des projets émergents. Ils sont hyper courageux et courageuses. Je suis très heureuse, on a des dates très chouettes. J’espère que ça fera naître l’envie chez d’autres programmateurs et programmatrices de nous inviter.
LFB : C’est vrai que c’est une belle étape. Y a-t-il des dates dont tu as particulièrement hâte ?
Meimuna : Je me réjouis de jouer à Dunkerque le 25 janvier, parce qu’on joue dans le Musée maritime et portuaire, dans le cadre d’un festival qui s’appelle We Will Folk You. Mais on ne joue que dans des endroits super. En Suisse aussi, c’est toujours cool de jouer à la maison. Y compris en Suisse Allemande, où on est toujours très bien accueillis.
LFB : Peux-tu me parler des musiciens et musiciennes qui t’accompagnent, ce soir notamment ?
Meimuna : J’adapte vraiment la formule en fonction du lieu dans lequel on joue. Ce soir on joue en “full band”, c’est-à-dire qu’on a une batterie, une basse, deux guitares électriques et moi. Et on chante toutes et tous – on est trois femmes et deux hommes. J’ai une formule où on est six femmes, on chante toutes ensemble, c’est très beau. Je joue beaucoup en duo aussi, ça s’y prête bien. Et puis j’ai eu des formules orchestrales où on était treize, quatorze, avec des vents… C’est chouette de pouvoir transposer ses chansons dans différentes atmosphères.
LFB : Dans quel état d’esprit te sens-tu avant le concert de ce soir ?
Meimuna : C’est ma première date à Paris en “full band”, je sais qu’on a invité plein de pros mais j’essaye de me dire que c’est une date comme une autre, de ne pas trop stresser. Je suis contente de jouer avec les copains et copines, j’ai ma famille qui vient depuis la Suisse, donc j’essaye de me concentrer là-dessus et de m’amuser !
LFB : Super, merci beaucoup pour ton temps et bon concert ce soir !
Meimuna : Merci à toi !