Depuis maintenant plusieurs années, une vague de nouveaux artistes a pris le contrôle de Londres pour lui donner de la couleur, une couleur à l’histoire riche et d’une grande diversité : le Jazz. Parmi tous ces musiciens, Nubya Garcia s’est rapidement démarquée et a démontré une virtuosité rare dans la capitale anglaise. En cette rentrée 2024, la saxophoniste sort son tout nouvel album : Odyssey. À l’occasion de la parution de ce disque, nous avons eu la chance de nous entretenir avec la musicienne britannique.
English version below
Manu Lima : Salut Nubya !
Nubya Garcia : Salut ! Merci de m’accueillir.
Manu Lima : Comment vas-tu ?
Nubya Garcia : Je vais bien merci, ça va. Comment tu vas ?
Manu Lima : Ça va super. À vrai dire, je suis très content d’être avec toi aujourd’hui. Je suis un grand fan de ton travail.
Nubya Garcia : Merci !
Manu Lima : Commençons ?
Nubya Garcia : Ouais, je suis prête.
Manu Lima : Nous sommes là pour discuter de ton prochain album, Odyssey. Tout d’abord, combien de temps ça t’as pris pour terminer l’album ?
Nubya Garcia : C’est une bonne question, en fait je ne sais pas. En termes d’écriture, j’ai écrit pendant un moment mais je pense que le gros a été fait pendant l’été, je crois que c’était terminé en 2023. Puis on a enregistré pendant l’automne de 2023, et on a faix le mixage en novembre. Puis on a ajouté les derniers détails et il a été terminé à la fin de l’année. Donc, je dirais que ça nous a peut-être une année, entre six mois et un an, je faisais d’autres choses donc j’allais et venais.
Manu Lima : Ok, et dans quel état d’esprit étais-tu quand tu as commencé à travailler sur l’album ? Est-ce que tu avais une idée directrice particulière en tête ?
Nubya Garcia : Non je ne dirais pas que j’avais une quelconque ligne directrice. Je pense que le processus de création pour cet album a commencé il y a quelques années. J’écrivais juste beaucoup plus. Je voulais être consistante dans la création de compositions, j’étais consistante dans la pratique et dans mon activité sur scène. J’en suis arrivé au même niveau d’implication que pour l’écriture, je pense que je voulais juste savoir que je pouvais être dans cette vague en augmentant mes activités en même temps que le processus. C’était un de mes premiers points. Tu sais, je me disais juste que j’allais beaucoup écrire, et qu’après j’allais avoir de la matière pour choisir, beaucoup de matériel pour construire sans ressentir comme si je n’avais pas beaucoup de choix. Cela était donc un objectif que je n’ai pas rempli je dirais. Et à partir de ce moment, les choses ont commencé à devenir beaucoup plus simples. C’était donc un processus organique et très lent et je n’écrivais pas nécessairement pour un album, ce qui peut aider, c’était de l’écriture pour de l’écriture, et apprendre à me mettre dans cette vague de création.
Manu Lima : Ok, je vois. Tu as parlé du fait que tu es très consistante, même dans tes tournées. Au final, tu es une musicienne qui tourne beaucoup. Sur ton feed Instagram, on peut voir de nombreuses photos dans lesquelles tu parles de tes concerts et des endroits dans lesquels tu joues. Comment c’est de tourner autant et de travailler sur un album en même temps ? Ça ne fait pas beaucoup ?
Nubya Garcia : Oui, je dirais que c’est très dur. Pour cet album, j’ai moins tourné que quand j’étais en train d’écrire SOURCE, et c’était une décision intentionnelle. Même si on tournait toujours, ça s’éloignait vraiment de quand on était sur la route et qu’on se préparait à enregistrer SOURCE. Je l’ai fait parce que c’était assez dur d’être dans deux états d’esprit en même temps et de faire au mieux. Je pense que ça fonctionne très bien pour certaines personnes, je sais que j’en suis capable mais j’ai choisi de ne pas le faire et d’adopter une approche différente. J’ai choisi d’être plus intentionnelle quand j’étais en train de créer, que je sache que j’allais dans la direction vers laquelle je désirais aller plutôt que de créer et de faire sortir les choses dès que possible, je ne voulais pas créer en étant fatiguée et épuisée, ce qui finit par arriver quand tu es sur la route et que tu réveille à trois ou quatre heures du matin, que tu te couche vers une ou deux heures du matin à cause du voyage. C’est juste la réalité [des tournées]. Et si tu n’es pas dans un tourbus, ça implique beaucoup de déplacements, tu te retrouve souvent dans des aéroports, et ce ne sont pas les endroits les plus productifs pour écrire. Je pense que tu peux y donner vie à tes idées, mais pour s’approprier un processus créatif lent ou avoir un peu de temps et de faire les choses bien, je ne veux pas faire ça pendant que je suis dans un aéroport ou dans une gare. C’est pas dingue [rires]. Mais je me doute que c’est très différent de créer dans un tourbus, comme quand on tournait aux États-Unis. On passait beaucoup de temps assis dans le bus et je pense que c’est un espace complètement différent, donc peut-être que quelque chose sera créé de cette manière un jour.
Manu Lima : Je suppose que ça doit effectivement être plus agréable de pouvoir travailler correctement sur tes idées plutôt que de juste se pencher dessus dans un aéroport.
Nubya Garcia : Absolument ouais.
Manu Lima : Odyssey marque la première fois que tu travailles avec un orchestre.
Nubya Garcia : Ouais !
Manu Lima : Quelque chose que tu qualifies, sur ton compte Instagram, comme étant un rêve qui devient réalité. Comment c’était d’écrire ces arrangements et de gérer cette organisation particulière en ce qui concerne l’écriture ?
Nubya Garcia : Je dirais que c’était un challenge qui était le bienvenu mais c’était aussi un tout nouvel espace sonore et je pense trouver ce genre de nouveau paysage qui t’intéresse, c’est la plus belle des expériences qu’on peut avoir en tant que musicien, quelque chose qui résonnes en toi, qui te pousse à repousser les limites de ce que tu sais faire. Je pense que c’est épanouissant et très inspirant de travailler avec une autre vision que la tienne que tu découvres à peine, le fait de ne pas avoir de limite de temps est très bien aussi. Tu sais, j’ai vraiment apprécié le processus de trouver un son qui allait avec mon timbre, c’est quelque chose d’assez spécial. J’ai grandi en jouant des instruments à cordes, je n’y ai pas touché depuis très très longtemps et ça faisait vraiment chaud au cœur, c’était magnifique de savoir que cette même compréhension des instruments, de ce qui est possible, ce qui sonne bien et ce qui ne sonne pas bien, ce qui n’irait avec ces instruments, c’est encore là. Je me suis senti confortable même si j’ai trouvé ça très difficile parce que c’était complètement nouveau. Le voicing pour les instruments, c’est complètement nouveau [pour moi], et ça demande de trouver ce que j’aime et ce qui ne va pas avec le reste de la musique que j’ai écrite. C’était clairement un rêve, c’est quelque chose que je voulais faire depuis des années et ce serait mentir de dire que c’était facile, mais je me sens certainement incroyablement épanouie et inspirée pour créer plus avec des cordes, c’était quelque chose que je n’avais jamais fait avant.
Manu Lima : Donc si je comprends bien, on peut espérer de nouveau entendre des instruments à cordes dans tes futures sorties ?
Nubya Garcia : Oui, j’espère, bien sûr ! J’adorerais, je veux faire plus de musique avec de l’orchestration.
Manu Lima : C’est cool parce que je trouve que ça colle bien à ta musique et à ton style. Ça sonne naturel en fait.
Nubya Garcia : Merci. C’est naturel, c’est très organique. J’apprécie le fait d’être une musicienne qui est excitée par la découverte de nouvelles choses. J’ai vraiment apprécié le fait de savoir ce que je voulais, et de devoir comprendre le faire de manière à ce que ça sonne comme moi.
Manu Lima : Et concernant l’orchestration, quand tu as terminé l’album, est-ce que tu as pensé à comment tu allais t’organiser avec toute cette orchestration lorsque tu vas devoir jouer ces nouveaux morceaux sur scène ?
Nubya Garcia : Ouais, j’y pense beaucoup. À mon avis, tout va dépendre du budget que l’on va avoir et des endroits qui pourront accueillir un groupe aussi important. Sur l’album, il y a douze cordes additionnelles, des percussions et le quartet et tout ça. Donc je pensais prendre mon temps pour tout mettre sur pieds, pour que ça soit une tournée pérenne plutôt que d’avoir un concert avec des cordes et le reste sans rien. Évidemment, le concert à Londres aura des cordes, l’année prochaine, mais j’aimerais trouver un moyen d’avoir ce son sur tous les concerts plutôt que de me restreindre, donc c’est un quatuor de cordes au lieu d’un orchestre de douze musiciens. En réalité, tout dépend de la logistique. Donc j’espère que ça sera ainsi.
Manu Lima : Pour ce nouvel album, tu as continué de travailler avec le même groupe qui t’as accompagné pour ton dernier album, SOURCE. On y trouve Joe Armon-Jones au piano, Daniel Casimir à la contre-basse et Sam Jones à la batterie. Est-ce que c’est plus facile pour toi de continuer à travailler avec les mêmes musiciens ?
Nubya Garcia : Je ne pense pas vraiment à si c’est plus simple mais je préfère penser à la connection. Je pense que j’apprécie vraiment la manière avec laquelle ce que nous avons créé ensemble et, tu sais, avec les autres musiciens qui vont et viennent, les concerts que l’on fait et cet album, c’était un processus vraiment magnifique d’y inviter encore plus de personnes. Comme les core que je connais et adore, les vocalistes que je connais et adore, les percussionnistes, ce son est clairement en train de grandir et c’est vraiment agréable d’avoir cette sorte de connexion très forte que nous avons. On se connaît et on sait comment on joue donc c’était merveilleux d’être de retour en studio. Je n’avais pas à me torturer l’esprit concernant qui je voulais sur le disque, tout est venu à moi très facilement. J’ai écrit cet album avec les musiciens avec qui j’ai l’habitude de jouer et ceux que je ne connaissais pas, mais que je voulais en tête.
Manu Lima : C’est intéressant parce que tu as utilisé le terme « énergie », et ça correspond très bien à ce que j’ai pensé quand j’ai écouté l’album pour la première fois. J’ai l’impression que ce nouvel album est un peu plus contemplatif que le précédent. Je dirai qu’il est très apaisé. Est-ce quelque chose que tu as amené intentionnellement ou c’est venu naturellement pendant le processus créatif ?
Nubya Garcia : Je suppose que c’est un peu des deux. Je pense que c’est clairement venu assez naturellement dans ce sens. Je pense qu’il y a deux facettes, et que c’est assez lié au timbre des cordes et de la manière dont les mélodies sont écrites, et le choix des vocalistes. Je pense aussi qu’il y a une certaine injection d’énergie, particulièrement au début. Ce qui est assez évident, je pense que de cette façon que la plupart des albums sont construits. Tu as le début, un endroit plus calme et ensuite tu progresses vers la fin, et c’était intentionnel de renverser cette construction et d’avoir une introduction un peu directe. Je pense que ça complète l’idée de voyage et d’odyssée personnelle. L’énergie qui entoure la transcendance et une identité progressive et cinématographique, je pense au moment ou on a mis en place un voyage, ou un quelconque autre type d’aventure épique, tu peux avoir toute cette énergie au début. Et tu peux avoir tous ces objectifs, et tu as cette sorte d’intention puis des choses superbes se produisent pour peu que tu acceptes la position dans laquelle tu es dans ta vie et qu’importe le chemin que tu dois prendre. Dans une fin heureuse, tu peux en quelque sorte arriver et rester dans ce calme et qui sert de garantie comme quoi tu es arrivé là ou dois te trouver. J’ai vraiment apprécié créer cet album, j’ai l’impression qu’il a différentes énergies rassemblées dans un seul et même espace qui se transmutent les unes avec les autres.
Manu Lima : Merveilleux. Quand j’ai écouté l’album, j’ai pensé à une chose. On sent dans ton art l’influence de la musique afro-carribéenne, ce qui est finalement plutôt normal quand on prend en compte l’histoire de l’Angleterre et plus particulièrement de Londres. Dans quelle mesure tu dirais que cette influence particulière influence la manière dont tu crées et écris de la musique ?
Nubya Garcia : Et bien, c’est une très bonne question. Il y a des centaines de genres musicaux, venant des Caraïbes et plus généralement des îles de la diaspora, tu vois. Donc, je dirais que pour cet album, spécifiquement, j’ai toujours été inspirée par la mélodie et leur usage du rythme dans ces genres en particulier. Tout le monde sait que j’adore le Dub, et le Calypso étant-donné que je viens de la Trinité-et-Tobago, et ça représente beaucoup dans ma vie. Ça veut dire que je suis constamment à la recherche de ce qui fait bouger, et je n’induis pas que tout doit être dansant, mais c’est plutôt de savoir si ça bouge, est-ce que ça te fait marcher dans une certaine direction, taper du pied, bouger tes épaules, bouger tes hanches, bouger ta tête. Dans ma culture, je pense que la nature même de la danse et du mouvement, et ça inclut également de nombreuses autres cultures de certaines autres îles caribéennes, émane en quelque sorte dans la notion de musique dansante, et ça se voit clairement sur Londres, et spécifiquement dans la musique noire caribéenne, à travers le Dub, le Garage, la Drum and Bass, la Funk et plein d’autres genres. Dans des genres qui ne viennent pas de Londres par exemple, mais qui sont profondément connectés à notre histoire. Tu n’y penserais pas de suite nécessairement mais il y a un lien direct qui a bougé progressivement tu sais, on a eu le Ska, on a aussi eu le Reggae. C’est une part importante de ma vie et de mon éducation, et qui est aussi connectée à chez moi, dans les Caraïbes, et ça a toujours été la manière dont je me suis sentie connectée à ma culture. Et je pense que c’est tout ce que j’essaye de faire à travers ma musique, et cet album ne fait pas exception. Je veux me connecter avec les gens que je veux rassembler grâce à l’écoute de ma musique, c’est en ça que tout ça a du sens pour moi. J’ai grandi en allant au carnaval, que ce soit aux Trinités et à Londres, donc je veux m’assurer que cette musique va rassembler les gens.
Manu Lima : Quand on écoute ton album, on remarque la présence de vocalistes. On sait que tu aimes travailler avec eux. Sur Odyssey, on peut entendre les voix d’Esperanza Spalding et de Georgia Anne Muldrow. Est-ce que c’est vraiment différent d’écrire du Jazz instrumental et des morceaux avec quelqu’un qui chante dessus ?
Nubya Garcia : À vrai dire, j’aime vraiment beaucoup ça. C’est différent, c’est quelque chose que j’apprécie vraiment et j’ai adoré assister à la création des paroles et à la naissance d’histoires à part entières à travers ces mêmes paroles. Je pense qu’avec la musique instrumentale, de mon expérience, je peux raconter toutes les histoires que je veux, mais si je ne vous le dis pas vous n’êtes pas au courant. C’est incroyablement inspirant de témoigner une telle maitrise du langage qu’ils peuvent s’en servir pour donner vie à une histoire, et te faire tomber amoureux avec cette même histoire, au point que tu veuilles savoir ou elle va. C’est l’une des choses les plus belles avec la voix dans un morceau. Donc oui j’étais impatiente de pouvoir plus incorporer ça à ma musique. J’ai également choisi intentionnellement les personnes avec qui j’ai travaillé parce que je suis un grand fan de tous, et ils m’ont inspiré à aller plus loin et écrire ma propre musique. Ce n’était pas prévu que je finisse l’album comme ça, mais finalement c’est tombé sous le sens on va dire du fait que ma voix est habituellement entendue à travers mon saxophone, mais j’arrive tout de même à comprendre les gens avec qui je travaille, je comprends l’importante de partager ce que tu as à dire, qu’il faut être ouvert et vulnérable, d’amener les gens dans cette vague-là, c’était merveilleux.
Manu Lima : Par ailleurs, je dois dire que j’étais impressionné par l’harmonie sur le morceau d’ouverture avec la voix d’Esperanza Spalding et ton saxophone. Ça se marie tellement bien.
Nubya Garcia : Merci, c’est important pour moi ! À vrai dire, je voulais vraiment cette voix-là, je voulais aussi que ça sonne comme un duo, mais presque comme si on n’entendait pas ou commence la voix et ou commence le saxophone. Enfin, je suis une grande fan [d’Esperanza Spalding], et pour être honnête c’était un honneur de travailler avec elle, de pouvoir témoigner de sa brillance. Mettre en place cette histoire et la manière dont elle utilise sa voix, c’était vraiment vraiment sublime.
Manu Lima : Historiquement dans le Jazz, les femmes sont plus amenées vers le chant plutôt que vers la pratique d’un instrument. Heureusement, c’est quelque chose qui change avec les années, et tu es une des figures majeures de l’une des scènes les plus influentes du monde, à savoir Londres. Quel est ton sentiment par rapport à cette position ? Comment c’est d’être une musicienne de Jazz de nos jours ?
Nubya Garcia : J’espère que ça inspire d’avantage de jeunes personnes et de jeunes femmes à voir leurs personnes et leurs parcours autrement. Je veux être une parmi beaucoup, je veux encourager ce qui est possible, et non pas juste parce que l’on voit autant de jeunes femmes ou de femmes de la même manière que d’autres personnes ou d’autres hommes, ça ne veut pas dire que tu n’as pas ta place et que tu n’es pas quelqu’un qui peut apporter des choses merveilleuses au monde de la musique. Concrètement, j’espère juste que les choses changent [rires]. Je dis souvent de ne pas être trop dur, et je sais que c’est un problème mais comparé à quand j’étais enfant, je pense que c’est complètement différent et que c’est encourageant et que ça me donne l’espoir de voir, dans dix ou vingt ans, plus de musiciennes qui n’auront pas simplement poussées vers la case « chant ». Je pense qu’être chanteur est quelque chose de sublime, mais je ne veux pas que les enseignants et les mentors ne prennent pas la peine d’encourager les femmes à jouer d’un instrument juste parce que ça sort de l’ordinaire.
Manu Lima : C’est certain. Pour continuer sur cette scène londonienne, le Jazz commence à attirer de nouveau l’attention. En tout cas c’est l’impression que j’ai. De manière générale, mais surtout au sein des jeunes générations finalement. J’ai l’impression que les initiatives comme Tomorrow’s Warriors, Jazz Re:Freshed, les Tiny Desks ou encore le contenu de Colors sont parvenus à briser cette image élitiste et inaccessible qui était attachée au Jazz. À mon sens, sur Londres, toi et tous les autres musiciens, vous constituez une partie très importante dans ce processus. Quel est ton point de vue concernant cette évolution du genre à travers Internet ?
Nubya Garcia : Qu’est-ce que j’en pense ? Je pense que tout fonctionne sous la forme de cycles. Je me réjouis de cette régénération que je souhaitais. Je suis heureuse de voir des jeunes personnes dans la foule de mes concerts, tout comme des personnes de mon âge qui amènent leurs enfants, des enfants de tout âge juste pour avoir cette expérience de la musique et dans un sens en quelque sorte changer la démographie du Jazz. Je pense que pendant longtemps, c’était l’une des principales raisons et il y avait aussi un noyau dur avec un œil élitiste. Et des stéréotypes très repoussants. C’est vraiment différent maintenant, et ça prend beaucoup de temps de réaliser que pendant longtemps le Jazz faisait partie de l’underground, mais pas de la partie cool. Donc j’espère que l’on va continuer à y inviter de plus en plus de personnes. Je pense que ça décrit au mieux ce que je ressens concernant tout ça, c’est comme ça que je veux que le Jazz soit. Un espace accueillant, je ne veux pas que les gens ne se sentent pas les bienvenues parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’il se passe, ou qu’ils pensent qu’ils ne doivent pas être là ou qu’ils se sentent jugés. Je ne veux pas penser comme ça. Je veux que la musique soit un espace inclusif, parce qu’au final, à l’égard de quelconque genre, c’est sensé rassembler les gens. C’est de cette manière que l’on se regroupe en communauté. Le Jazz ne fait pas exception, la musique improvisée ne fait pas exception. Je pense que ça peut encore vivre longtemps, l’une des choses importantes est de savoir comment on perçoit et parle du Jazz, et je pense que ça a changé. J’espère que ça va continuer ainsi parce que c’est vraiment merveilleux de voir tout ça grandir. Même dix ou quinze ans en arrière, on commençait à voir nos amis venir aux concerts, c’est toujours comme ça que tout commence, et je dirai toujours que c’est une opportunité d’amener les gens dans des endroits nouveaux, de dire à nos amis de venir, d’inviter nos camarades du lycée, tous ces gens qui veulent juste expérimenter de la musique vivante. Je pense que ça fonctionne à merveille.
Manu Lima : Merveilleux. Pour conclure cette interview, il y a une question que j’aime poser aux artistes avec qui j’ai la chance de discuter. Ces derniers jours, est-ce qu’il y a un artiste ou un album que tu écoutes régulièrement et que tu aimerais recommander à nos lecteurs français ?
Nubya Garcia : C’est un excellente question. Un album sur lequel je reviens, et qui s’écarte peut-être un peu de ma musique. Je conduisais tard en écoutant de la musique, et j’avais besoin de musique avec beaucoup d’énergie pour me ramener jusqu’à Londres. C’est l’album Play With the Changes de Rochelle Jordan. Il me semble qu’il est sorti en 2021, et j’y retourne sans cesse. C’est un mélange de Danse Music et de Drum and Bass. La production est excellente, les paroles sont géniales, le chant est super, c’est juste de la superbe musique qui me fait me sentir vivante. C’est ça que je recommanderais.
Manu Lima : Merveilleux. Et bien, merci beaucoup de m’avoir accordé un peu de ton temps, c’était un réel plaisir.
Nubya Garcia : Merci à toi !
Retrouvez noter chronique de Odyssey par Nubya Garcia par ici
english version
Manu Lima : Hello Nubya!
Nubya Garcia : Hi! Thanks for letting me.
Manu Lima : How are you doing?
Nubya Garcia : I’m well thank you, I’m well. How are you?
Manu Lima : I’m doing beautiful. I’m actually very grateful to be able to talk with you today. I’m a huge fan of your work.
Nubya Garcia : Thank you!
Manu Lima : So, shall we begin?
Nubya Garcia : Yeah, I’m ready.
Manu Lima : We are here to discuss a bit about your forthcoming album, Odyssey. First, I wanted to know how long did it take to completely finish the album?
Nubya Garcia : That’s a good question, I actually don’t know. Hum, in terms of like writing, I’ve been writing for a while but I guess the chunk of it was done like over the summer, I think it was finished in 2023. And then we recorded in autumn of 2023, and then we mixed in November. Then we added the features, then it was ended at the top of this year. So I would say, I don’t know, like maybe a year, six months or a year, on and off because I was doing other things.
Manu Lima : Okay, and in which state of mind where were you started to work on the album? Did you have kind of a specific guideline in mind?
Nubya Garcia : No I wouldn’t say that I had any guideline. I think the process for this album started like a few years ago. I was just writing a lot more. I wanted to be consistent in creating compositions, I was consistent in touring and practicing. This came to the same level of dedication than of writing music, I think I just wanted to know that I can get in the flow state with increasing this as the process went on. That was one of my first themes. You know, I was just like « Okay, so I’m gonna write a lot », and then I’ll have a lot to choose from, a lot to build from without kind of feeling like I had a very little to choose from. So that was a goal that wasn’t achieved I would say. And thing started to come a lot easier form there. So, it was a very slow organic process and I wasn’t necessarily writing for an album, which helps, it was writing for writing sake, and learning to get in the flow state.
Manu Lima : Okay, I see. You talked about the fact that you’re very consistent, even in touring. You’re actually a musician who tours a lot. On your Instagram feed, we can see a bunch of pics in which you’re talking about all the concerts and the places in which you play. How is it to tour that much and to work on an album at the same time? Isn’t that a bit overwhelming in a way?
Nubya Garcia : Yes, I would say that it’s really hard. For this album, I toured a lot less than when I was writing SOURCE, and that was an intentional decision. Even if we were still touring, it was no way near as much when we were on the road and preparing to record SOURCE. And I did that because it was quite hard to get into two different frames of mind and do the best that you can. I think it works really well for some people, I know I can do it but I chose not to do it and I chose to do it in a different way. I chose to be more kind of intentional with the way that I was creating, so that I knew I was actually getting to the place I wanted to rather « Oh yeah this is coming out », I didn’t wanna create from a place of exhaustion and tiredness, which is what happens when you tend to be on the road and you waking up at 3 or 4am, you’re going to sleep at 1 or 2am because of the travel. That’s just the reality of it. And if you’re not on a tourbus then it’s a lot of moving around, it’s a lot of airports, and those are not the most productive places to writing. I think you can get your ideas down, but for owning like a particular slow way of creating or having a bit more skill and time, I don’t wanna do that when I’m in an airport or a train station. That’s not really nice [laughs]. But I wonder I’d be very different to create in a tourbus, like when we toured in America. There was a lot of time sitting in the bus and I feel like that’s a different space entirely so, maybe something will be created in that way one day.
Manu Lima : Actually, it must be nicer to be able to work properly on an idea rather than just work in an airport, I guess.
Nubya Garcia : Absolutely yeah.
Manu Lima : Odyssey marks the first time that you work with an orchestra.
Nubya Garcia : Yeah!
Manu Lima : Which is something that you qualified on your Instagram feed as a dream come true. How was it to write arrangements and to deal with this specific organisation when it comes to write music?
Nubya Garcia : Hum, I think it was a welcomed challenge and it was a all new sonic space and I think that could be one of the most beautiful experiences as a musician to find a new sonic landscape that interests you, that you feel resonates with you, that you feel is pushing you to just pass the limit of your skill set. I think it’s fulfilling and it’s very inspiring to work with another vision you know that you just got there and having no time limits as well is also very good. You know, I really enjoyed the process of finding a sound that sounded like me in this timber of instrument and music, that’s something that feels like quite special. And you know I grew up playing strings, I haven’t touched them for a very very long time but it was really heartwarming and wonderful to know that that kind of same understanding of the instruments and what is possible and what might sound good, what might not sound good in that range of instrument, that all still there. I felt comfortable even though I found it very challenging because it’s completely new. You know voicing for strings is completely new, and that takes some time to kind of figure out what I like and what doesn’t suit the rest of the music that I’ve written. It was definitely a dream, it’s something that I wanted to do for years and I’d be lying if I said it was easy but I definitely feel incredibly inspired to create more for strings and fulfilled as it’s the result of trying something I’ve never done before.
Manu Lima : So if I understand properly, we can expect to hear some new strings on a some further releases actually?
Nubya Garcia : Yeah I hope so, for sure! I’d love to, I wanna make more orchestral sounding music.
Manu Lima : It’s cool because I think it suits very well your music and your style. It sounds very natural actually.
Nubya Garcia : Thank you. It feels natural, it’s very organic. I just enjoy being a musician who is excited by doing things I’ve never done before. I really enjoyed the fact that it was like « I want this, then I’ll figure out to do it the way that sounds like me ».
Manu Lima : And concerning the orchestration, when you finished the whole album, did you think about how you would organise with this all orchestra thing when it’ll come to play these new songs live?
Nubya Garcia : Yeah, I definitely think about it a lot. I think the whole thing is gonna come down to what kind of budget we have and what kind of venues can support a band that size. On the record, there are twelve extra-strings, and percussion and the quartet and features and all of this. So I think building this up slowly so that can be a sustainable tour rather than having like one show with strings and the rest with none. Obviously, the London one will have strings in the futur, like next year, but I think I would really love to find a way to have the sound on all of the gigs rather than reducing the score, so it’s a quartet of strings instead of a twelve pieces chamber orchestra. That hopefully depends on logistics. So I hope so.
Manu Lima : For this new album, you continued to work with the same band that accompanied you for the last album, SOURCE. So there is Joe Armon-Jones on the keys, Daniel Casimir at the counter-bass and Sam Jones behind the drums. Is that easier for you to continue to work with the same musicians?
Nubya Garcia : I don’t really think about if it’s easier but I prefer to think about the connection. I think I really enjoy the way the world that we built together and, you know, with other musicians that come and go, the live shows that we do and this album, it was a really beautiful process to invite even more people. You know, horn player that I know and love, vocalists that I know and love, the percussion player like, that sound is definitely growing and it felt really good to have the strong kind of connection that we have. We know each others playing so it felt absolutely wonderful to be back in the studio. I didn’t have to think too hard about who I wanted on the record, everything came very easy to me. I wrote this record in mind with the people I play with regularly and the people I didn’t know but I wanted to know musically.
Manu Lima : It’s interesting because you used the term « energy », and it matches really well with what I thought about when I first heard the album. I feel like this new album is a bit more contemplative than the previous one. It’s very peaceful, I would say. Is that something that you’ve done intentionally or it came very naturally during the creating process?
Nubya Garcia : I guess it’s a little bit of both. I think it definitely came quite naturally in that way. I think there’s kind of two sides, and I think that this is provided by a lot of the timber of the strings and the way the melodies are written, and the choice of the vocalists. I also think that the other side is that it has a certain injection of energy, particularly at the beginning. Which is kind of obvious because I think this is how most of the albums are constructed. You have the start, at more of a peaceful place and then you grow to the end, and it was quite intentional to flip that and kind of have a hit hard on the face. I think it complements the concept of a journey and of a personal odyssey. The energy surrounding transcendance and kind of a cinematic and expansive behaviour, I think of the moment we set off for a journey, or whatever the type of an epic journey, you can all have this energy at the beginning. And you have all these goals, and you have all of this kind of like intention and then things cool off as you get more accepting the way you are in your life and whatever the process of the journey is. In an happy end, you can kind of arrive and stay in that state of calm and that feels more like assurance of where I’m meant to be. I think what I really enjoy about having created this record is that I feel like it’s got multiple energies whipped up into one space that quite fluidly like transmuted into each other.
Manu Lima : Beautiful. When I listened to the album, I thought about one thing. We can feel in your music the important presence of Afro-Carribean music influences, which is actually pretty normal considering the history of England and more precisely of London. In which way would you say that this specific music influence influences the way you are creating and writing music?
Nubya Garcia : Well, that’s a really good question. I think there’s like hundreds styles of music, from the Caribbeans and more generally from the diaspora islands you know. So, I would say specifically for this album, I think I’ve always been inspired by melody and their use of rhythm in these specific genres. Everybody knows I love Dub, and like I’m from Trinidadian so Calypso, and it’s been a big part of my life. It means that I’m always looking for the way that something makes you move, and I don’t mean that everything needs to make you dance, but it’s much like « Does it move? », does it make you walk somewhere, tap your foot, move your shoulders, move your hips, move your head. Whatever, I think the nature of danse and movement in my culture, and many different islands and different musics from certain islands in the Caribbeans kind of emanate into the notion of Danse Music, and that could be seen definitely in London specifically and all around the UK in terms of kind of Black Caribbean music through Dub, Garage, Drum and Bass, Funk and so many things. Like genres which aren’t from London connect quite deeply to our history. You wouldn’t necessary like think of it immediately but there is a direct chain that has slowly moved you know, we got Ska, we got Reggae. That’s a very big part of the way that I grew up, and also connect to my home in the Caribbean and that’s always been how I feel connected to my culture. And I think that’s all I try to do in music, and this album is no different. I wanna connect with people I wanna gather through listening to music, that’s what it means to me. I grew up going to the carnival in both Trinidadian and London so I want to know that this music will bring people together.
Manu Lima : When we ear the album we figure out that there are singers. We know that you like to work with vocalists actually. On Odyssey we can ear the voices of Esperanza Spalding and Georgia Anne Muldrow. Is that much more different to write instrumental Jazz and some other songs with someone who’s singing on it?
Nubya Garcia : I actually really love it. I think it is different, it’s something I really enjoy and I’ve been really enjoying witnessing the creation of lyrics and the creation of specific stories through that. I think with instrumental music, in my experience, I can have all the stories that I want about things but, if I don’t tell you you don’t know what this about. I thinks it’s really incredibly inspiring to witness people have such a command of language that they can wave together a story, and you know make you fall in love with the story and you wanna know where this is going. That’s one of the most beautiful thing about vocals in music. So yeah I was really excited so I kind of built more of that in my practice. It was really intentional about who I chose to work with as well because I’m a huge fan of them all, and they inspired me to go further and write my own thing. To end the record with that, it wasn’t intended to do, but it kind of just fell that way in terms of my voice is usually heard through the saxophone but having an understanding of the people I work with, of the importance of sharing what you have to say and to be opened and vulnerable, you know to bring people in that wave, it was very amazing.
Manu Lima : By the way, I have to say that I was mind blown by the harmony on the opening track between Esperanza’s voice and your saxophone. It matches so well actually.
Nubya Garcia : Thank you, it means a lot! Actually, I really wanted it to feel like one voice, I wanted it to sound as a duet as well, but almost like you can’t hear where her voice and my saxophone begin. I mean, I’m such a huge fan, and it was an honor to work with her and witness her brillance, to be honest. Crafting the story and the way she can use her voice, it was very very beautiful.
Manu Lima : Historically in Jazz, women were more directed towards singing rather than playing instruments. Fortunately, this is changing with the years, but actually you’re one of the main figures of one of the most important scene in the world, which is London. How do you feel about that position? How does it feel to be a female Jazz instrumentalist nowadays?
Nubya Garcia : I think it feels like I hope that it inspires more young people and young women to see themselves and see a journey in being another one. I wanna be one of many, I wanna encourage that is possible, and not just because you see as many young women or any women of any age as other people and other men, it doesn’t mean that you don’t have a place and that you aren’t someone who can bring something incredibly beautiful to the world of music. Basically, I just hope that it changes [laughs]. I often say to people to no get too this hard and I know it’s a problem but compared to when I was a kid and now, I think it’s a whole different thing entirely and that’s giving me encouragements and hope that in another ten or twenty years, we will have more women playing instruments and not being pushed into the box of being a vocalist. I think being a vocalist is absolutely amazing, but I don’t want teachers and mentors to not encourage women to play instruments just because it’s out of the ordinary.
Manu Lima : Yeah, definitely. To continue on all this thing with London, Jazz starts to bring back interest. That’s how I feel. Generally speaking and more specifically into the young generations actually. I feel like initiatives like Tomorrow’s Warriors, Jazz Re:Freshed, the Tiny Desks and the Colors shows managed to break the image of Jazz as a very elitist and unaccessible music. To me, in London, you and all the other musicians, you’re a very important part of that process. What’s your point of view considering that evolution of the genre throughout the Internet?
Nubya Garcia : What’s my view of it? I think everything happens in cycles you know. I’m really glad and kind of wish this regeneration. I’m happy to see young people in the audience and also people of my age bringing their kids, young kids of all ages to just experience music and specifically change the kind of demographic of Jazz. I think for a while, this was the main reasons and there was also a lot of medium ball with a perpetual elitist eye. And also that uncool stereotype I think. It’s really different now, and it takes quite a long time to realise that it was kind of in the underground but not in the cool bit of underground for a while. So I hope that it continues to invite more people in. I think that’s the most word about what I feel, how I want it to be. An inviting space, I don’t want people to think like « Ow my god, I don’t know what’s going on » or feel like if they don’t know what’s going on or that they have to leave or that people are judging them. I don’t want to think like that. I want it to feel like an inclusive space because music, at the end of the day, regardless of genre, is meant to bring people together. This is the way that we gather in community. Jazz is no different, improvised music is no different, danse music is no different. I think long may continue basically, it’s all to do with how it’s been perceived and how people are talking about it and think that’s shifted. Yeah I hope it continues because it’s really amazing to see it grow. Even ten of fifteen years ago, we started seeing our friends come to gigs, that’s how it always begin, and I’ll always say that, in another places like get tour fiends to come, get all college people to come, you know people that just want to experience live, that’s an opportunity to do that. I think it’s working very well.
Manu Lima : Beautiful. To conclude this interview, there’s one thing I like to ask the artists whom I tchat with. These past few days, was there an artist or an album that you are listening to and that you would recommend to our readers in France?
Nubya Garcia : That’s a great question. One that I keep coming back to, it would maybe take a small gap. I was listening and driving at the end of the day and it was pretty late and I kind of needed some high energy music to get me back to London . It was Rochelle Jordan and her album Play With the Changes. It came out in 2021 I think, and it’s just something that I keep returning to. It’s kind of like Danse music, like Drum N’ Bass. Excellent production, amazing lyrics, great vocals, just great music that makes me feel alive. So that’s what I would suggest.
Manu Lima : Okay, beautiful. Well, thank you very much for your time, it was a true pleasure.
Nubya Garcia : Thank you!