Oscar Emch, la voix du cœur

Peu d’albums peuvent se targuer d’avoir une véritable portée thérapeutique. Ma Voix, le premier disque d’Oscar Emch, sorti le 7 mars, fait partie de ces rares exceptions. En renouant avec son passé et en s’adressant sans détour à ses proches, l’artiste livre un projet empreint de sincérité. Nous avons rencontré ce multi-instrumentiste à la voix de plus en plus affirmée, et sommes heureux de partager cet échange tout en sensibilité.

@ Thomas Fliche

La Face B : Salut Oscar, comment est-ce que tu vas ?

Oscar Emch : Franchement, en ce moment, ça va bien. Je viens d’avoir mon concert à la Maroquinerie il y a trois semaines. C’était un bel accomplissement et une belle manière de célébrer la sortie de mon premier album. En ce moment, je me projette sur mon prochain concert à Marseille le 14 mai et sur le fait de me remettre à faire un peu autre chose que bosser sur mon album.

LFB : Justement, j’allais te poser cette question : comment t’as vécu ce moment de la Maroquinerie ? On sent que ça a vraiment été un moment charnière dans ta carrière, ta première grosse date parisienne.

Oscar Emch : Ouais, c’était ça. Premièrement, une source de joie parce qu’on était déjà contents d’avoir pu remplir cette salle parce qu’en vrai, c’est pas gagné non plus de remplir une salle de 500 personnes. Et puis ça m’a permis de voir que j’avais un public qui était vraiment chouette, qui avait appris l’album, qui connaissait les paroles. Je pense que parmi les gens qui m’écoutent à Paris, y’a beaucoup de gens qui chantent bien, donc c’est cool. Je pouvais faire participer les gens, c’était assez collaboratif. Ça m’a fait plaisir de voir qu’il y avait des gens de plein d’âges différents, qui avaient des looks un peu différents, des couleurs de peau différentes, c’était assez mélangé, c’était cool.

LFB : On a vu sur les vidéos que t’avais transformé ton concert en véritable chorale.

Oscar Emch : J’aime bien faire ça en concert, parce que moi, en tant qu’auditeur, j’aime bien participer. Quand l’artiste m’inclut dans le spectacle, même si ça marche pas avec tous les styles de musique, mais vu que j’aime le gospel et la soul, il y a ce truc de participation, et donc j’aime bien faire ça. Souvent, je prépare des espaces pour le faire dans mes concerts, qui sont un peu écrits. Mais là, ça marchait tellement bien que j’ai improvisé à plein de moments. C’étaient les moments les plus cools, ils étaient plus instinctifs, c’était frais.

LFB : À propos de ton album Ma Voix, tu disais que t’avais jamais été autant en phase avec ta musique. Comment on en arrive à ce déclic-là ?

Oscar Emch : Pour moi, c’était un mélange de plein de trucs. Il y a deux ans, je me suis mis à prendre des cours de chant. Je viens d’une formation de guitariste, à la base j’étais juste instrumentiste, et le chant est venu plus tard. J’aimais pas trop ma voix, donc j’ai dû bosser sur l’image que j’avais de moi-même en tant que chanteur. Ça m’a pris quelques années, entre le moment où je me suis dit « vas-y je chante », et celui où je me suis senti vraiment à l’aise.

Et puis en 2023, j’ai beaucoup composé ou réalisé pour d’autres artistes. Ça m’a aidé à comprendre comment aborder un projet long. Avant, j’étais pas assez mûr pour faire un album entier. J’avais sorti deux EPs, mais jamais un vrai gros format. Ma Voix, c’est 14 titres, c’est quasiment autant que tout ce que j’avais sorti depuis 2020, donc c’est pas si évident de produire autant de morceaux.

Et le dernier truc, c’est que j’avais jamais vraiment pris le temps de réfléchir à quelles histoires intimes j’avais envie de partager. Ça a été l’enjeu sur l’année 2023 et début 2024, de prendre du temps pour écrire, de faire des résidences avec des potes artistes notamment avec Keight et Lyes Kaci qui ont co-composé certains morceaux de l’album. On partait dans une maison de famille, je faisais qu’écrire. J’ai fouillé dans des souvenirs assez précis, des trucs qui m’avaient marqué enfant, et j’ai essayé de les mettre en musique pour qu’ils servent le propos de l’album : s’accomplir en tant que personne via le travail musical .

Ce travail sur la voix, ça m’a permis de m’affirmer parce que j’ai quelques problèmes d’élocution, donc le chant m’a aidé à être plus à l’aise, sur scène, mais aussi avec les autres. C’est un processus intime, et je trouvais ça plus fort de raconter ces choses-là à travers des souvenirs concrets, pour dépasser certaines barrières.

LFB : Et tu prends toujours des cours de chant aujourd’hui ?

Oscar Emch : Oui, d’ailleurs faut que je m’y remette, ça fait… ah ouais putain on est en mai, ça fait 4 mois ! J’ai commencé en 2022 avec un pote, puis j’ai pris un prof. Et ouais, tant que je peux me le permettre, je continue.

LFB : Pour revenir au titre de l’album, est-ce que, dans une vision un peu plus abstraite, tes productions, tes instruments, ce serait pas aussi ta deuxième voix ? Parce qu’il y a certains titres où tu laisses beaucoup d’espace à la musique. Je pense à l’intro Trop Vite ou même Balade au lac.

Oscar Emch : Ouais, en fait, je me suis mis à produire sur ordi vers 2017-2018, quand j’ai voulu faire mon premier solo. Avant ça, j’étais surtout dans des groupes, on enregistrait la musique en live, en studio. Le passage à l’ordi m’a un peu éloigné de mon instrument principal, la guitare. Et pour cet album, j’avais justement envie d’y revenir, de remettre plus d’instrumental, plus de performances instrumentales.

À un moment, je me suis rendu compte que je passais tellement de temps à produire que je laissais moins de place au texte. Mes instrus étaient parfois trop chargées, y’avait pas d’espace pour la voix. Et en bossant avec d’autres artistes, notamment Luidji, j’ai compris que ce que j’aimais chez lui, c’était déjà beaucoup plus épuré que moi, il y avait moins d’informations musicales. Ses morceaux respirent, ça donnait encore plus d’impact quand la voix était présente, ça crée vraiment du contraste

Je me suis dis qu’il fallait que j’arrête de surcharger mes trucs, que je fasse confiance à mes goûts, à ma maîtrise des instruments. Trouver des moments instrumentaux qui respirent, où on comprend aussi mes influences, la soul, le jazz… Et ça permet justement de mieux accueillir la voix quand elle entre en jeu.  C’est une histoire de contraste, de dynamique, de respiration. 

On est aussi pris dans des choses de l’ordre de l’efficacité, parce qu’on veut que les morceaux soient playlistés, qu’ils marchent et souvent ça passe par un besoin de faire des formats très courts. Le format album permet de faire certains morceaux conçus davantage comme des singles et d’autres où on peut plus prendre le temps. 

Quand on a discuté avec Clément Caritg avec qui j’ai co-réalisé l’album, il m’a dit que c’était bien de commencer l’album avec un morceau comme Trop Vite, parce que, justement, ça permet de rentrer dans cette album et d’aborder une œuvre dans son ensemble. On prend le temps d’entrer dans ton univers, c’est d’abord instrumental et on comprend tes influences avant de t’entendre parler.  

LFB : Tu parlais de tes influences. Ça fait quelques années en France qu’on parle un peu d’un renouveau du R&B français. On a une mosaïque de profils différents, un Sonny Rave dans le PARTYNEXTDOOR, Brent Faiyaz, etc. Toi, tu vas les puiser où, tes influences ? Parce qu’on sent qu’il y a une approche hybride. Il y a quelques années, tu citais Thundercat. Pour ce projet-là, t’as eu quelles influences ?

Oscar Emch : Je pense que ce qui ressort le plus dans cet album, c’est la place de la guitare, surtout acoustique. Ça donne des couleurs plus folk que je retrouve chez des artistes comme Frank Ocean, Dijon, et un peu chez Daniel Caesar aussi. Un morceau comme Jamais Personne me fait penser à Daniel Caesar, La Fièvre aussi.

Dijon m’a aussi amené à découvrir d’autres sons qui tirent plus vers le rock, l’Americana, des musiques américaines plus blanches que j’avais moins explorées avant comme Bruce Springsteen, The Doobie Brothers, que j’adore. Et puis en ce moment, je reviens beaucoup à la Motown. Pour cet album, on voulait un son plus “live” : des vraies batteries, des vraies basses, des guitares… créer une ambiance de pièce acoustique. Ça me ramène à la manière dont la Motown bossait : tout le monde ensemble en studio.

On avait le sentiment que ce genre de sonorité, plus authentique pouvait aussi mieux passer l’épreuve du temps, ce que je souhaite à cet album. C’est aussi une période où j’ai beaucoup réécouté Stevie Wonder, Sly and the Family Stone. Après, ces influences-là s’entendent peut-être un peu moins directement que Frank Ocean ou Dijon, mais elles sont bien là.

LFB : Tu parlais de Dijon. Moi, je trouve qu’au niveau de ta voix, ça m’a beaucoup fait penser à Mk.gee. Tu vois, dans ses morceaux, sa voix fait parfois comme des montagnes russes, il crie, il lâche prise… T’as des titres comme ça où tu te laisses complètement aller aussi.

Oscar Emch : Ouais, nice, j’adore Mk.gee aussi, c’est clair !

@ Steven Norel

LFB: Comment t’arrives à lâcher prise justement ? Tu disais que t’avais fait des résidences, comment on arrive devant les autres à tout relâcher ?

Oscar Emch:  Moi, en vrai, c’est ce travail sur la voix qui m’a donné confiance. Même les morceaux que j’avais écrits avant que l’album sorte, j’avais pas réalisé que ça allait autant toucher notamment mes proches à qui ces morceaux s’adressent. Depuis que l’album est sorti, je vois que mes relations avec ces gens-là ont changé. Du coup, ça a un vrai impact sur la façon dont je me connecte à eux et ça me permet de me lâcher plus.

Sur scène, ça se ressent aussi. Y’a un supplément d’âme qui vient du fait que j’ai réussi à raconter des histoires intimes. Et ça me donne le droit de tenter plus de choses. Je suis plus à l’aise avec ma voix, donc je raconte autrement. Et vu que je raconte autrement, j’aborde des trucs plus profonds. Ça touche plus les gens. Et comme ça touche, je me permets encore plus. C’est un cercle vertueux.

Vocalement, j’ai trop envie d’aller vers des trucs à la Dijon, Mk.gee, ou même Springsteen. Des énergies plus brutes, plus sauvages. Ça colle avec le fait d’assumer son image d’artiste et de se permettre des trucs. Moi,  j’ai toujours eu une énergie très calme, très posée, très intimiste. Là, j’ai envie d’explorer d’autres zones et de proposer aussi aux gens de la musique qui va explorer d’autres émotions, tu vois. Je trouve ça trop passionnant.

LFB : Et puis, justement, par exemple sur Country, à la fin, on a presque l’impression que tu prends le pouvoir sur ce toi qui était discret. Donc, c’est lié aussi.

Oscar Emch: Ouais, en vrai, Country, c’est un des premiers morceaux où je me suis permis, justement, d’avoir un peu cette voix légèrement saturée, où je rentre dedans, quoi. Et ça m’a fait du bien, parce que c’est très loin de là où se place ma voix naturellement. 

Ça m’a demandé beaucoup de travail pour arriver à faire ce petit truc. Mais j’ai envie d’aller plus vers là. Des morceaux comme Mumu, justement, j’ai envie d’en faire dans cette vibe-là, vocalement je vais chercher plus haut, plus fort. En fait, j’adore Prince et The Family Stone, donc j’ai envie de me permettre cette folie, qu’il y a chez eux ou chez Stevie, de pouvoir crier.

LFB : Et pour changer un petit peu de sujet, on a été bien servi au niveau des visuels, que ce soit les clips, les formats un peu plus courts sur les réseaux. Est-ce que c’était important pour toi de donner une identité, une texture à presque chacun de tes titres ?

Oscar Emch : On voulait que cet album ait le plus d’impact possible. Donc on s’est dit : on étale les sorties pour essayer de faire en sorte que les gens soient pris de curiosité.

Moi, ce que je voulais surtout, c’était des clips qui me ressemblent, qui aient du sens avec ce que je raconte, et qui créent de la proximité avec ceux qui écoutent. C’est aussi ce que j’ai voulu faire passer avec la pochette : un truc simple, intime, accessible. Parce que les histoires dedans, c’est les miennes, et j’avais envie que les gens puissent s’y connecter émotionnellement. Donc, tous les visuels sont partis de là.

Le premier, Ma Voix, c’était avec des images de la résidence où on a bossé l’album, avec toute l’équipe. Un petit hommage au processus de création de l’album.

Le clip de Mumu, je voulais mettre en avant le karaoké, un truc que je fais pour mon anniv avec mes potes. J’avais envie de recréer ces moments-là, très joyeux, très simples, en lien avec ce que raconte le son.

Pour Les Moyens, on est parti d’une vieille photo de classe que j’ai retrouvée, avec un fond à l’ancienne. On s’est dit que ce serait marrant de reprendre ce délire avec les mêmes personnes, mais aujourd’hui. Parce que le morceau, c’est vraiment le moi d’aujourd’hui qui parle à mon moi de quand j’étais petit, qui lui dit : “ Permet toi de parler de ce que tu ressens, ne te ferme pas aux autres. Et puis aussi, accepte que tu ne plairas pas à tout le monde.”

Et puis La Fièvre, là on a voulu revenir au Oscar qui fait de la guitare, le plus brut possible, le guitare-voix. Tu vois le gars en train de jouer de la guitare, de chanter, c’est très simple et c’est très accessible.
En gros, c’était que des variations sur ce thème-là, de la proximité avec les gens.

LFB : Du coup, c’est ça, il y a vraiment un côté thérapeutique dans ta musique, même dans tes visuels. En fin d’année dernière, c’était Enchantée Julia avec son album qui nous poussait à aller de l’avant. Toi, aujourd’hui, tu prends le relais. Est-ce qu’il y a des projets comme ça qui te boostent aussi ?

Oscar Emch : Avec ce même genre de propos ?

LFB : Oui.

Oscar Emch : C’est une bonne question. Parce que moi, justement, j’avais envie de faire ce projet parce que j’avais envie de tenir ce genre de propos, je trouvais qu’il n’y en avait pas trop. Mais en vrai, je trouve que sur Saison 00 de Luidji, il y avait un peu ça. Sur certains morceaux, une forme de bienveillance ou d’auto-critique, des trucs qu’on a pu faire un peu de travers quand on était petits. Mais en tout cas, de se poser en personne qui peut conseiller ou, en tout cas, rassurer.

Mais tu vois, au final, là, je n’ai pas de truc spécifiquement qui me vient parce que dans la musique francophone, je n’avais pas trop d’exemples, notamment dans le R&B et dans la soul. C’est vrai que souvent, c’est assez tragique. Ça aborde l’amour toujours de manière assez négative et pas comme une source de joie. Et moi, j’avais plutôt l’ambition de dire l’inverse, parce que dans ma vie, je vis mes relations d’amour, qu’elles soient romantiques ou filiales, plutôt de manière positive. Ce sont des choses qui nous apprennent à vivre, qui nous rendent heureux quand même aussi. Mais bon, c’est vrai qu’on prend le risque d’être un peu gnangnan. C’est ça qui est compliqué, mais c’est ça que j’ai accepté aussi.

Et pour moi, justement, ce style de musique, je trouve que si c’est bien fait, ça permet de dépasser ce côté qui peut être un peu cucul, parce que ça fait trop du bien de parler de choses qui nous soignent. Et on peut le faire avec une musique qui fait passer le message beaucoup mieux, je trouve.

LFB : Ok, super. Et du coup, pour conclure, si on s’autorise à penser à demain, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter à l’avenir ?

Oscar Emch : J’aimerais bien une belle tournée, moi, d’ici l’année prochaine, ça serait cool. Franchement, que cet album continue de vivre longtemps, que je puisse le défendre en live, et que les gens continuent de l’écouter, de se reconnaître dedans, franchement. Et qu’il y ait du monde à Marseille !

LFB : On espère !

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