On a eu l’occasion de rencontrer Pierre Grizzli pour discuter de son album Danser sur l’eau, sorti en octobre dernier. Une conversation où il a beaucoup été question d’écriture, mais aussi de manière de regarder l’autre.
La Face B : Ton album sort dans 4 jours, et deux jours pile poil plus tard, tu as 30 ans. Deux gros caps… Premier album, âge symbolique. Tu te sens comment ?
Je suis aussi en train de déménager en même temps… Je sors l’album vendredi, je déménage, et je fête mes trente ans dimanche… C’est une période intense, et tout à la fois, l’une des plus belles de ma vie.
LFB : Pourquoi plus belles ?
Cet album représente quand même pas mal de choses pour moi. C’est le fruit de deux ans de travail, et le début d’une nouvelle aventure en tant qu’auteur compositeur interprète. Avant j’étais essentiellement bassiste, c’est un nouvel univers… Je sens que c’est un tournant dans ma carrière.
LFB : Tu avais déjà une belle carrière de musicien accompagnateur derrière toi ; et, il y a cinq ans, tu as commencé à écrire tes propres chansons. À quel moment ça a eu du sens pour toi de le faire ?
En fait, j’ai toujours écrit de la musique depuis que j’ai commencé la basse, mais jusqu’alors, plutôt des choses instrumentales. Parfois il y avait des bouts de paroles, mais ça n’étaient pas vraiment des textes. Puis, à force d’accompagner des artistes qui écrivent leurs propres chansons, ça m’a permis de réaliser que j’avais envie d’écrire les miennes… De faire une synthèse de tout ce que j’avais acquis en tant qu’accompagnateur, de prendre un recul sur tous ces artistes qui m’ont énormément nourri, chacun à leur manière… Qui m’ont permis d’écrire mes propres textes.
LFB : C’est différent d’écrire de la musique instrumentale et des chansons ?
Oui, complètement. Dans l’album, il y a quelques interludes qui peuvent évoquer le jazz, mais dans ma tête, ce sont deux univers tout à fait différents… C’est comme parler une autre langue.
Et puis, pour l’envie de faire des chansons, il y a aussi qu’en accompagnant tous ces artistes, je devais souvent faire des chœurs… Je crois que ça m’a un peu mis le pied à l’étrier du chant.
LFB : Est-ce-que tu as l’impression d’avoir pris goût à la chanson francophone en côtoyant des gens qui en faisaient ou est-ce-que c’était quelque chose déjà présent chez toi ?
J’étais pas trop fan de musique française quand j’étais enfant… J’étais plus tôt sur des groupes californiens rock pop, les Red Hots, Blink 182… Puis je suis tombé dans le jazz. Donc j’ai écouté beaucoup de musique qui n’était pas forcément francophone… Mais en sortant de mon école de jazz (Le CMDL NDLR), j’ai commencé à accompagner des artistes un peu plus pop. Et j’ai découvert cet univers que j’ai adoré. La manière dont les artistes que j’accompagnais faisaient vivre leurs textes, ça m’a inspiré. Et ça m’a rappelé un peu aussi ce que mes parents écoutaient : Françoise Hardy, Nougaro, Gainsbourg, France Gall…
LFB : Sur les trois dernières années, tu étais en tournée avec Clara Luciani… Comment tu as fait pour enregistrer l’album tout en étant sur la route ?
J’ai l’air un peu calme comme ça, mais je suis un peu hyperactif dans le fond. J’aime ne jamais m’arrêter, être à fond sur tous les projets créatifs et musicaux dans lesquels je suis impliqué. J’avais déjà entamé le processus d’écriture lorsque je suis parti en tournée avec Clara, alors je me suis dit qu’il fallait absolument que j’aille au bout de cette aventure. Dès que je rentrais de tournée, je rentrais en studio et je continuais l’album…
LFB : C’était où le studio ?
J’ai enregistré la plupart de l’album à Montreuil, au studio Melodium. Je suis aussi pas mal allé à Marseille, chez Maxime Kosinetz, qui est le réalisateur musical de l’album. Puis, un peu à la fin du processus, on est allé terminer l’album en Grèce, dans un studio un peu magique… Quand Maxime m’a proposé d’y finir l’album, moi qui suis originaire du Sud, qui adore la mer, j’ai tout de suite pensé que c’était une excellente idée. Finir l’album dans le cadre là, c’était une aventure un peu magique.
LFB : Tu envisages la suite comment ? L’équilibre entre tes projets et ton activité d’accompagnateur ?
C’est une période un peu particulière, puisque l’on va rentrer en studio pour enregistrer un deuxième album avec Petite Vallée, mon projet en trio avec Yoann Marra et Martin Lefebvre. En plus de ça, on va repartir en tournée avec Clara Luciani pour son troisième album. Pour finir, on vient de signer chez Tôt ou tard avec un projet que je fais avec ma compagne, Billet doux. C’est aussi le début d’un nouveau chapitre pour moi… C’est vrai que ça va être un challenge de tout cumuler.
Cet album, Pierre Grizzli, je le vois vraiment comme un carte de visite. Comme une chose au bout de laquelle je suis allé et dont je suis fier. Peut-être que d’autres artistes m’appelleront justement parce qu’ils aiment comment j’écris… Mais je ne pense pas faire de live avec cet album, ou peut-être juste quelques premières parties…
LFB : Une de mes chansons préférées sur le disque c’est Les yeux fermés. Tu peux nous raconter son histoire ?
Je suis trop content qu’elle te plaise. Pour moi c’est une chanson très atypique, et j’avais peur du ressenti des auditeurs sur celle ci… À la base, je voulais faire une pop song en français classique, comme fait Clara par exemple, qui sait écrire des textes forts, subtils et droits au but à la fois. J’ai écrit la chanson avec ma basse, puis en arrivant en studio avec Max, je voulais qu’on en fasse un morceau très efficace, presque un tube… Finalement, on a choisi de garder cette direction de basse-voix amélioré avec seulement des textures et quelques choeurs sur le pont, un peu à la Bon Iver.
LFB : Qui est une grosse influence sur le disque…
Oui, grosse influence pour moi. Je suis fan de ce groupe. Et donc, pour le morceau, j’ai eu pas mal de doutes, je me suis demandé plusieurs fois si j’étais en train de rater la bonne direction en faisant juste un basse-voix… Au final, j’aime bien le risque que j’ai pris là dessus. C’est mon maître mot depuis quelques années : j’ai envie de surprendre, alors je suis content d’avoir fait ce choix.
LFB : Tu écris souvent en basse voix ?
Pas que non. Je joue très mal du piano mais j’ai écrit quelques chansons comme ça… Beaucoup à la guitare aussi. C’est assez étrange, mais à chaque fois que j’ai un nouvel instrument entre les mains, j’ai envie d’écrire un truc avec. S’il y avait une guitare dans le bar et que je la jouais pour la première fois, j’aurais envie d’écrire quelque chose de nouveau…
LFB : On retrouve la sensation de jouer…
Oui, exactement. Et j’ai d’ailleurs du mal à composer lorsque je joue sur mes propres instruments. C’est pour ça que j’adore aller en studio pour écrire. Il y a plein d’instruments inconnus. Ça m’inspire…
LFB : Il y a plein d’instruments très atypiques sur l’album d’ailleurs… Un clavecin, une sitar…
Oui. Surtout à Hydra, il y avait plein d’instruments, parfois des choses dont je connaissais même pas le nom… Et puis j’essayais de faire quelque chose avec, de créer des choses atypiques.
LFB : En général, quel était le processus d’enregistrement de l’album ? Il y a beaucoup d’invités sur le disque, tu écrivais pour eux ? Tu arrivais en studio à quel stade d’écriture d’une chanson ?
En arrivant en studio, j’avais souvent ma petite idée de qui je voulais pour le titre. J’ai pris quelques risques aussi, en invitant des musiciens pour des chansons qui n’étaient pas forcément dans leur style de prédilection, pour créer des choses inattendues.
Il y a des chansons sur le disque qui étaient vraiment prévues exactement comme elles sont au final, par exemple la chanson Ta chance, avec son pont très orchestral, était vraiment prévue à l’avance dans ma tête. D’autres chansons comme Je n’oublierai pas sont parties un peu différemment, à l’origine elle commençait comme un guitare électrique-voix, un peu à la Matthieu Boogaerts.
LFB : C’est marrant que tu parles de Matthieu Boogaerts… J’avais vu son nom dans ton dossier de presse sans parvenir à établir de parenté esthétique avec tes chansons, mais maintenant que tu le dis, cette rythmique très syncopée, je comprends beaucoup mieux..!
Oui. Effectivement, la manière dont le morceau est produit s’en éloigne beaucoup, mais dans l’écriture il y a un peu de lui.
LFB : Comment tu définirais la thématique du disque ?
La thématique de l’amour est évidemment très présente. Que ce soit une rupture, un passé amoureux, ou un présent… C’est toujours un peu là. Ta planète par exemple est une chanson sur la quête de sens, sur la mort aussi, mais il y a quand même toujours quelque chose qui peut faire penser que c’est une chanson d’amour. Il y aussi une chanson sur ma grand mère, Tes mains de fées…
LFB : Qu’est-ce-que ça veut dire Danser sur l’eau (Le premier titre qui donne son nom à l’album NDLR) ?
Pour moi, c’est un peu une invitation au rêve. J’avais envie de créer cet album pour explorer ce fond de ma personnalité… Très créatif, très rêveur. Et je trouve qu’on a bien réussi ce côté très onirique du disque.
Pour moi la chanson résume aussi bien l’album en termes de production, d’écriture…
LFB : J’ai l’impression qu’une des choses qui transparaît dans l’album, c’est aussi ton regard : un souci de mettre l’autre en valeur. Un goût pour le fait d’aimer l’autre…
Complètement. Il y a ce goût là, et puis, comme tu disais, je n’aime pas être le centre de l’attention, mais pour autant, j’aime être présent… Être là. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire, c’est un peu étrange. J’aime ça : briller dans l’ombre.
Merci à Manon Sage et Qydam d’avoir rendu cette interview possible.
Notre chronique de l’album de Pierre est également disponible ici.