Rencontre avec Johan Papaconstantino

Cet été, Johan Papaconstantino était de passage aux Francofolies de La Rochelle alors que la tournée de Premier Degré touche à sa fin. On a discuté avec l’artiste des spécificités de sa musique, de son rapport au bouzouki mais aussi un peu du futur, de peinture et de son chat qui finalement n’existe pas.

Johan Papaconstantino portrait
Crédit : Jehane Mahmoud

LFB : Salut Johan, comment ça va ?

Johan Papaconstantino : Ça va très bien. On sort des balances, on joue à 19h donc on va avoir du temps. On va aller déambuler un peu.

LFB : Tu es un peu sur la dernière ligne droite de ta tournée. Quel recul tu prends ?

Johan Papaconstantino : Je suis très content de ce qui a été fait sur cette tournée, de l’équipe, de l’accueil du public. C’est la première fois que je faisais une tournée comme ça. Une tournée aussi conséquente. Je suis très content. Ça donne juste envie de recommencer, avec des nouvelles chansons.

LFB : Tu as déjà commencé à bosser ?

Johan Papaconstantino : Oui, je travaille sur un nouvel album. J’ai sorti un titre, je travaille dessus. Je suis en plein dedans et ça avance assez bien. J’essaie de mettre toute la force qu’on accumule dans la tournée, l’énergie que donne le public. Ça permet de s’isoler, de travailler avec en tête l’idée de revenir. C’est super.

LFB : J’aimerais te parler de l’album. En faisant mes recherches pour l’interview, j’ai lu un truc. Tu as dit une phrase qui me touche beaucoup : « une musique, avant de s’écouter, elle se voit » à propos de ta pochette. Je trouve la phrase très belle et je trouve qu’il y a un vrai travail depuis le début sur le pictural.

Johan Papaconstantino : Oui, j’ai évolué beaucoup dans le visuel, dans la peinture. J’ai fait beaucoup de peinture. Je n’en fais plus aujourd’hui mais tout ce qui est pictural, ça me touche autant que la musique finalement, même si ces derniers temps, je me concentre plus sur la musique. J’apporte un intérêt à tout ce qui touche à la musique, donc le visuel quoi. Sur cette pochette, j’avais envie que ce soit quelque chose qui ait du sens pour moi et qui en même temps, puisse avoir une première lecture avant d’écouter la musique qui soit dans le ton.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant dans cette pochette, c’est qu’elle fait un parallèle entre un fait qui est très concret, à savoir la naissance d’un enfant, et ton expérience musicale, à savoir l’accouchement de ton premier album.

Johan Papaconstantino : Carrément. C’est vraiment ça. Il y a plusieurs sens de lecture mais pour moi, ça avait complètement du sens. Et en même temps, même visuellement, ça me rappelait le disque. Le ventre, la forme circulaire. Je trouvais plein de sens de lecture qui me faisaient kiffer. C’est sorti comme ça.

LFB : Au-delà de ça, quand on écoute l’album ensuite, on voit qu’il y a plein de clés de la musique sur la pochette. Il y a le côté ensoleillé, le côté froid mais il y a aussi, et on ne le voit pas forcément au premier abord, le contrejour. L’idée qu’il y a quand même un côté un peu noir et un peu sérieux qui plane derrière, et qui rappelle aussi le titre.

Johan Papaconstantino : Bien sûr, c’est ça. Tu as bien résumé. Quand j’écris souvent, malgré moi, j’en reviens à écrire sur les joies et en même temps, les problèmes. Souvent, ce sont des histoires d’amour et finalement, c’est complètement dans la lignée de la musique qui m’inspire, méditerranéenne qui est souvent des chansons de complaintes, de déclarations, de folies, d’amour, etc. C’est complètement dans la lignée de ça. Sauf que c’est chanté en français. Même si dans la chanson française, il y a aussi ça mais c’est vrai que dans cette musicalité-là, c’est vraiment dans l’esprit tradi.

LFB : Je suis allé fouiller, tu parlais de peinture tout à l’heure. J’ai aussi regardé le clip que tu avais fait avec Rad Cartier. Je me demandais comment tu rapproches tes peintures par rapport à ton style d’écriture ?

Johan Papaconstantino : Je pense que le seul liant qu’il y a entre les deux, c’est juste moi. Je ne cherche pas absolument une cohérence entre les deux parce que j’ai fait les deux de manière assez détachée. Je n’ai jamais fait une cover peinte. J’ai séparé les deux parce que je ne voulais pas tomber dans une illustration, que ce soit d’un côté ou de l’autre. Je trouvais que c’était bien de laisser le plein pouvoir à la musique et à l’image et de ne pas absolument vouloir les lier. Donc le seul lien qu’il y a entre les deux, c’est peut-être qu’il y a une mélancolie entre les deux, il y a sûrement des choses comme ça mais le seul point commun, c’est juste moi.

LFB : Si je te dis que pour moi, il y a un côté hyper réaliste avec une pointe de surréalisme par moment ?

Johan Papaconstantino : Oui, c’est vrai. C’est vrai que dans l’écriture, je fais ça aussi. De plus en plus même, j’aime bien l’aspect fantastique et l’aspect magique dans les textes. Dans la peinture aussi. C’est vrai oui.

LFB : Il y a quelque chose d’expansif aussi parce que tu le disais, tu parles beaucoup d’amour. C’est quelque chose que tu tires aussi pour le rendre « divertissant ».

Johan Papaconstantino : Oui, c’est vrai. Tu résumes bien. C’est vrai que cet aspect-là est dans la peinture et dans les textes, j’aime bien ça. Que ça ne soit pas complètement juste descriptif et que ça ne soit pas trop chiant non plus. Écrire une chanson d’amour, j’adore ça mais en même temps, tu peux très, très vite être ennuyeux parce qu’il y a tellement de choses qui se sont dites sur l’amour que le faire raisonner avec son époque, sa génération et même les autres générations, ça peut être chiant. Ça peut être banal.

LFB : Il faut que tu trouves ton moyen d’expression. Ce qui est intéressant, je trouve que tu l’as trouvé aussi, c’est avec ta voix. Je trouve que tu as trouvé un angle assez singulier dans la façon d’utiliser ta voix et de chanter entre un côté très nonchalant qui en même temps peut partir sur des choses un peu plus lyriques. Je me demandais comment tu avais trouvé ta voix ? Parce qu’au départ, tu es musicien.

Johan Papaconstantino : Je ne pense pas avoir trouvé ma voix parce que je la cherche encore. C’est le travail d’une vie je pense quand on est musicien, artiste. Moi, en tout cas, je considère que je cherche. À la base, j’ai vraiment voulu chanter des chansons qui ont bercé ma jeunesse, en français, en les modifiant un peu. Au départ, c’est comme ça que ça s’est fait, avec Pourquoi tu cries ?? qui est inspirée aussi beaucoup d’une chanson grecque. C’était ma première sortie. À la base, je la jouais avec un groupe où je la faisais quasiment en reprise en français, ensuite j’ai ajouté des parties, je l’ai un peu modifiée et tout pour me réapproprier la mélodie. À la base, c’est comme ça, juste en essayant de refaire mais en français. La langue n’est pas la même, la musicalité n’est pas la même. Et encore aujourd’hui, je m’inspire beaucoup de choses que j’essaie de traduire et petit à petit, d’y ajouter mes trucs, mes propres gimmicks ou mes propres phrasés. C’est ça l’esprit.

LFB : Pour finir sur les éléments qui composent ta musique, il y a aussi le bouzouki. J’ai l’impression que tu as un lien presque fraternel avec l’instrument.

Johan Papaconstantino : C’est l’instrument que je joue tous les jours. J’apprends le répertoire de cet instrument. Je le pratique quasiment au quotidien. J’aime bien maîtriser la source avant de pouvoir la transgresser. J’apprends de manière vraiment académique. Ensuite, j’essaie d’apporter et de transgresser tout ça. En tout cas, d’apporter ma vision, mon époque. Oui, c’est vraiment mon instrument que je pratique tous les jours.

LFB : Est-ce que le live t’aide là-dessus ?

Johan Papaconstantino : Ouais, le live m’a challengé. Parce qu’au départ, je faisais l’imitation du bouzouki avec la guitare électrique parce que c’est un instrument qui est quand même assez dur à jouer, le bouzouki. Petit à petit, j’ai franchi le pas de le jouer sur scène. C’était pour moi un gros pas et puis même par rapport à la symbolique, par rapport à l’héritage. Je n’avais pas envie de singer ça. Comme j’ai beaucoup de respect pour cette musique, j’ai envie d’être à la hauteur de ce qu’il se fait avec cet instrument. Je le pratique tous les jours, j’apprends.

Johan Papaconstantino aux Francofolies de La Rochelle
crédit : Célia Sachet

LFB : Je trouve qu’il y a un grand luxe sur ta musique, qui est sur Premier Degré mais qui était déjà avant sur Contrejour, c’est le luxe de ne pas choisir. Pour moi, cet album est réussi aussi parce que c’est un grand mélange qui sonne parfaitement.

Johan Papaconstantino : Ça me faisait plaisir que tu trouves ça. C’est vrai que j’ai un regard plus critique parce que j’essaie d’évoluer mais en tout cas, je suis quand même content. Il m’a fallu du temps pour accepter le présent, que j’en suis là aujourd’hui. J’ai mis du temps à le faire parce que j’ai appris à faire plein de choses pendant l’album et aujourd’hui, je m’en sers comme un socle sur lequel j’ai envie de poser autre chose et d’évoluer. Si tu trouves que ça sonne parfaitement, ça me fait plaisir.

LFB : C’est une base solide. Et comme on le dit, il y a les influences méditerranéennes mais aussi un côté très électronique, il y a le hip hop qui pointe.

Johan Papaconstantino : Oui, j’essaie d’assumer des grands écarts parfois et même là, c’est le cas dans le prochain album, il y a quelques écarts qui me font plaisir aussi. L’un nourrit l’autre. Je ne sais pas comment il sera reçu. Je ne sais pas encore quel choix, quelle gueule aura l’album mais ça se dessine. Je me dis qu’il faut assumer aussi ces grands écarts et essayer que ça ne soit pas du coq à l’âne gratuit.

LFB : C’est fluide. Même dans le rapport aux invités qu’il pouvait y avoir sur l’album. Il y avait aussi cette idée de ne pas forcément mettre des gros noms mais des gens qui se fondent aussi complètement dans la chanson.

Johan Papaconstantino : Ouais, les chansons ont vraiment été construites avec les personnes qui ont chanté dessus. Il y a trois artistes sur l’album. Pour chaque morceau, ça s’est fait assez naturellement avec l’autre. C’est réducteur de dire ça mais ce n’est pas pour le nom que je suis allé les voir, c’était des rencontres. Évidemment, de l’admiration musicale aussi.

LFB : Johan Papaconstantino avec Rad Cartier, aux premiers abords, ce n’est pas évident.

Johan Papaconstantino : Oui, c’est ça. On était voisins pendant un moment et ça s’est fait comme ça. J’avoue que j’essaie de m’ouvrir plus à des choses qui sont plus loin de moi mais j’aime bien la proximité dans la manière de faire. Là, dans cet album, c’était complètement ça.

LFB : Tu t’es occupé de tout sur l’album, de A à Z, est-ce que c’est quelque chose que tu envisages de refaire ?

Johan Papaconstantino : J’essaie d’être moins dans la recherche de contrôle parce que c’est dur d’être comme ça. Je me bats un peu contre moi-même sur ça, j’essaie de plus lâcher prise sans être moins exigeant vis-à-vis de moi-même. D’être plus dans un échange. J’essaie de m’ouvrir plus, je ne pense pas que je vais faire le mix moi-même sur le prochain morceau. Il y a des morceaux qui sont à venir, dont je n’ai pas fait la prod. C’est la première fois que je vais faire ça, chanter sur une prod de quelqu’un d’autre. J’essaie de m’ouvrir. Je vais sûrement demander des interventions de musiciens, musiciennes. On verra comment ça va se goupiller.

LFB : Est-ce que l’idéal pour toi, dans ta musique, ce n’est pas faire une musique qui soit à la fois simple et qui accueille tout le monde ?

Johan Papaconstantino : Ouais, complètement. Vraiment, c’est ça. J’aime bien, comme beaucoup d’artistes, réunir, que la musique soit fédératrice. À mon échelle en tout cas. Faire quelque chose de simple, ça a toujours été un objectif. Quand quelqu’un arrive à faire croire que c’est simple, c’est là où moi ça me fait le plus de bonheur. Ça me rend heureux de sentir la facilité, même si en réalité tout le monde sait que pour faire sentir ça, c’est du travail. Il y a des gens qui ont plus ou moins de talent, plus ou moins de facilité à faire ça. Moi, je sais que je suis quelqu’un qui a besoin de beaucoup travailler. J’essaie d’être en phase avec mes besoins. Je travaille beaucoup et j’essaie de faire quelque chose de simple.

LFB : Tu travailles beaucoup pour ne pas le faire transparaître.

Johan Papaconstantino : Exactement. Répéter, répéter, apprendre pour que ça soit comme quand tu apprends à parler. Quand on fait de la musique, l’idée c’est l’instantanéité. Le but, c’est d’être suffisamment à l’aise avec son vocabulaire pour que ça soit lâché comme ça. Je pense que c’est le travail d’une vie. Je me considère vraiment comme quelqu’un qui apprend. Ça me met en paix avec moi-même et avec la musique de voir les choses comme ça, de considérer que c’est un chemin, de calmer aussi son égo parfois quand on n’arrive pas à atteindre certaines choses, quand on n’arrive pas à faire certains tracks qu’on a en tête. J’essaie de les toucher du doigt.

LFB : Je me demandais si, sans même le chercher, est-ce que tu réalises la portée politique de ta musique ?

Johan Papaconstantino : Non, je ne réalise pas. Tout est politique, évidemment. Même sans le vouloir, on est politique. C’est vrai que ce sont des choses que je ne mets pas trop dans ma musique. Si ça a une portée politique, tant mieux parce que je n’ai pas envie d’ignorer ça mais je pense que la manière de faire et l’esthétique est politique. Toute esthétique est politique. Même quelque chose qui se dit apolitique se trompe.

LFB : Si je te dis ça, c’est que tu as quand même une musique qui accueille différentes cultures.

Johan Papaconstantino : Oui, et tant mieux si certains y voient une revendication. Moi c’est vrai que ce n’est pas mon cas.

LFB : Il apparaît un peu dans ton album et dans ton dernier titre, je voulais prendre des nouvelles de ton chat.

Johan Papaconstantino : Bah écoute, je n’ai pas de chat donc ça tombe bien.

LFB : Dans ce cas, quelle est l’idée derrière le chat ?

Johan Papaconstantino : Je ne sais pas, c’est venu comme ça. Je crois qu’en fait l’idée du chat, c’est Prosper sur Mon chat danse qui a apporté le chat je crois. Je ne crois pas que ça soit moi à la base. Il avait chanté ces paroles-là. Moi ça m’avait tout de suite accroché, j’avais décidé de garder ça. J’ai repris l’idée du chat sur la suivante. Ah non je dis des conneries parce que je l’avais écrite avant. Donc en fait non, je ne sais pas. C’est une manière de parler de possession qui soit à la fois très typique des humains. C’est un peu un truc tragique.

LFB : C’est hyper intéressant, sur un morceau de rupture.

Johan Papaconstantino : Ouais, c’est un peu bad trip de dire ça. Moi je le vois comme un truc à la fois humoristique et à la fois condition humaine.

LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur récents ?

Johan Papaconstantino : Il n’y a pas longtemps, j’ai vu Le règne animal et j’ai bien kiffé. J’ai vraiment adoré ce film parce que justement, comme on parlait de politique et tout, pour moi il est complètement là-dedans. Ça par exemple, c’est un truc qui m’a marqué récemment dans les films que j’ai vus. Et en musique, j’écoute vraiment beaucoup de trucs. Ça date d’il y a quelques mois, mais j’ai découvert un artiste espagnol qui fait de la rumba gitane espagnole qui s’appelle Micky G. Dans la même lignée que Canelita ou des artistes comme ça. Pour moi, c’est vraiment la musique gitane mais avec la texture actuelle. Il y a une sonorité très, très actuelle, très club.