On ne va pas le cacher, JOKO fait partie de la famille de La Face B. On l’aime, on la soutient et on parle d’elle dès qu’il est possible de le faire. Alors qu’elle a sorti récemment son EP, I’ve Never Been Good with Words, on est allé à sa rencontre pour parler de sa musique, de son évolution, de ses failles et de la vie.
LFB : Bonjour Iris! La première question que l’on pose toujours, comment ça va ?
JOKO : Ça va super bien! J’ai fait un concert cette semaine et ça s’est super bien passé. J’en ai un autre dans deux jours et je suis la femme la plus heureuse du monde.
LFB : Tu viens de sortir ton EP « I’ve Never Been Good with Words », que tu portes depuis un certain temps. Comment te sens-tu désormais que cet EP appartient autant aux autres qu’à toi?
JOKO : Il ne m’appartient plus ! Au début, lorsqu’il est sorti, je ne me sentais pas très bien. J’avais un peu peur de le laisser sortir toute seule. J’avais l’impression que personne n’allait en parler ,donc j’avais peur de le sortir. Déjà, le fait de le jouer, ça change pas mal les choses, parce qu’il continue à vivre. Surtout, je vois que des gens l’écoutent, le découvrent et ça, ça me fait trop plaisir. Sa vie ne se termine pas et ça y ‘est, ça se lance! Même si ça fait longtemps que je l’ai terminé, c’est comme s’il avait une deuxième vie.
LFB : Justement, tu as sorti un autre EP avant. Est-ce que l’on peut dire que ce nouvel EP est un second premier EP ?
JOKO : Grave ! J’ai l’impression que c’est mon premier EP. On en reparlera dans dix ans et peut-être qu’à chaque fois que tu sors quelque chose, tu as l’impression que c’est ton premier album ou EP. Déjà, sur Loon, nous étions en duo, donc je réfléchissais pas mal le projet de cette manière-là. Il y a tellement de choses qui ont changé avec ce deuxième EP que j’ai l’impression que c’est mon premier. En tout cas, j’aimerais bien que ce soit mon premier.
LFB : Je trouve qu’il y a un côté moins adolescent dans ce nouvel EP que dans l’ancien. C’était tes tous premiers pas dans la musique. Tu n’avais pas fait de scène. Je me demandais comment voyais-tu cette évolution et au final, que t’a apporté le premier EP ?
JOKO : Le premier EP, c’était mes premières chansons, mes premières expériences en studio, mes premières scènes. Je le trouve assez scolaire. Alors que sur le deuxième, il y a davantage de liberté, et je pense qu’il y en aura de plus en plus. Mais tout de même, c’était trop bien d’avoir ce premier EP. Avoir la possibilité d’apprendre. Il m’a permis de faire des concerts, d’avoir mon intermittence, de travailler avec un manager… Je ne joue même plus les chansons du premier EP. Il y a quelques dates, on devait jouer U Got mais je ne savais plus trop comment la chanter.
« J’avais envie de me regarder à la loupe de façon crue. »
LFB : Je trouve que ce second EP est beaucoup plus organique et fluide dans sa composition. Je le trouve moins lisse. Tu t’es affirmée en tant qu’artiste et tu as, entre guillemets, accepté que tu étais une musicienne avec cet EP.
JOKO : Je ne sais pas si je l’ai autant conscientisé que ça mais lorsque je l’ai écrit, il y avait quelque chose d’assez personnel et moins planqué. Bien que je ne me planquais pas totalement sur le premier EP. J’ai été honnête, mais je parlais moins de moi. Celui-ci correspond à une période où je me suis retrouvée seule, après une rupture. Je ne m’étais pas retrouvée seule depuis un moment.
LFB : Et ça se ressent dans ton écriture. Tu as accepté d’être l’héroïne de tes chansons. Dès le premier titre de l’EP, tu parles de quelque chose qui te correspond. Est-ce un travail que tu as fait?
JOKO : C’est certain que cet EP est bien personnel à ce niveau-là. Je ne me rappelle plus si je me suis dit que j’avais envie de parler de moi sur cet EP de manière concrète. Ce qui est certain, c’est que sur toutes les chansons, je parle de moi et je parle d’aspects de ma personnalité et de ma vie qui se sont pas toujours reluisants. J’avais envie de me regarder à la loupe de façon crue. Je l’ai fait à une période où je me suis retrouvée face à moi-même et j’ai pu observer tous les dysfonctionnements que j’avais, ma façon de communiquer.
Je me suis posé beaucoup de questions et ce n’est pas forcément quelque chose que je faisais auparavant. J’ai observé les gens pendant plusieurs années et là, je me suis vue dans le miroir. Même au niveau de la communication, je suis assez bavarde, je parle facilement aux gens, mais sur les choses essentielles, je n’arrivais pas à m’exprimer.
LFB : Je n’ai pas l’impression que ce soit avec les mots que tu n’es pas douée, mais avec ce qu’ils impliquent émotionnellement.
JOKO : Je trouvais ça drôle et je trouve que ça me correspond bien aussi. Beaucoup de mots pour détourner l’attention de l’essentiel. Je suis pas mal comme ça. J’ai du mal à dire les choses clairement et simplement.
« Je parle d’armure mais je me dévoile beaucoup. L’armure n’est pas si épaisse que ça. »
JOKO – @ Ines Karma
LFB : Ca correspond à la manière dont la pochette a été fait aussi. Dans le sens où d’autres personnes s’y retrouvent, mais finalement ce sont des ombres qui s’éloignent de toi ou des fantômes qui t’entourent.
JOKO : Sur la pochette, il y a plein de petits symboles. Les ombres représentent le côté de la vie parisienne, où tu rencontres beaucoup de gens, puis finalement tu ne les revois jamais. Ou même avec la vie, en général. Les gens meurent, il y a des séparations, les gens s’éloignent. Je m’accroche assez facilement aux gens et donc à Paris, j’ai du mal avec le fait de rencontrer tant de monde mais qu’ils finissent tous par partir. Ça m’angoisse pas mal, mais en même temps il n’y a pas d’autre chose à faire que d’accepter de ne pas le prendre personnellement.
Il y a aussi le côté où je me suis retrouvée à gérer le projet seule. Le fait que ce ne soit plus un duo, devoir prendre toutes ces responsabilités. Avoir une veste d’homme sur les épaules, mais comme si je n’arrivais pas à la remplir… mais qu’en même temps, je n’avais pas trop le choix. Il y aussi les chaussures de marche que je porte, qui représentent tout le chemin qu’il y a eu pour arriver jusqu’à cet EP. Ça n’a pas été facile avec le Covid, ça a été la guerre.
LFB : Dans la façon dont tu as structuré l’EP, on observe une vraie progression entre le premier titre et le dernier. Je n’ai pas l’impression que le titre Mood a été placé au milieu par hasard.
JOKO : Tout à fait. Le fait de le mettre au milieu donne place à un moment d’accalmie. On sent que je ne me regarde pas toujours avec des yeux bienveillants. Mood c’est le moment de délivrance où l’on se fout la paix.
« J’apprends après ces moments d’intensité, de trac, de nervosité et de bonheur intense.«
LFB : Tu t’adresses aux autres aussi avec ce titre. Tu casses l’armure que tu peux créer sur The Knight. Elle explose complètement sur ce morceau-là. Et dans The Kid, tu acceptes les incohérences de ta personnalité.
JOKO : C’est très compliqué d’avoir un regard extérieur sur ce que l’on écrit. Quand je fais des interviews, que je relis certaines paroles, je me dis que je suis tout de même rude avec moi-même.
LFB : C’est un mécanisme de protection aussi. Si tu es dure avec toi-même, tu éviteras aux autres de l’être à ta place.
JOKO : Au final, je parle d’armure mais je me dévoile beaucoup tout de même. L’armure n’est pas si épaisse que ça.
LFB : Il y a un vrai cheminement sur les productions aussi. Chaque morceau a une vraie personnalité et une vraie couleur musicale.
JOKO : C’est vrai par rapport au premier EP, qui était davantage cohérent dans le style : électronique-pop assumé, sauf avec le dernier titre… mais j’aime bien l’idée de mettre une démo en dernière chanson à chaque fois. Chaque chanson est assez différente, mais ça représente bien mes gouts musicaux qui partent dans tous les sens. J’aimais bien l’idée de pouvoir essayer des styles différents ; même si je n’ai pas mis du classique, du rap et du métal mais tout de même, les cinq titres sont assez différents.
LFB : Le fait de mettre des points de suspension à la fin du dernier titre, c’est pour annoncer le fait que l’histoire continue?
JOKO : J’aime vraiment bien cette idée de terminer chaque EP avec une démo. Ça permet d’ouvrir vers la suite. Ça permet de montrer un style différent et nude de production, d’arrangements, plus complexe. Là c’est une guitare-voix. Call Me Back for More… était aussi l’occasion de faire un petit clin d’oeil pour la suite !
LFB : Qu’as-tu soigné avec cet EP? Comment te sens-tu aujourd’hui ?
« J’adore me déguiser! (…) si je m’écoutais, je changerais de tenue même pendant les concerts. »
JOKO : Pour être honnête, j’ai travaillé sur tous les aspects de l’EP. Avec Arthur, on a bien travaillé sur la musique. On l’a mixé avec Hugo Barré. L’image a été faite avec Hugo Richard, qui a fait celle du premier EP également. Pour la sortie de Mood, c’était une photo que mon frère avait prise. La sortie de The Kid, c’est un shoot photo. Sur les clips, j’ai perdu quelques points de vie pour celui de 1000, que j’ai fait avec mon frère.
J’ai travaillé les deux mois précédents et les deux jours de tournage ont été mégas intense. The Knight, je l’ai fait toute seule, avec tout de même l’aide un chef opérateur qui est venu filmer quelques trucs. Étant donné que j’ai toutes les libertés, j’essaye de penser à tout le symbolisme que j’ai envie de mettre. De la scène à la musique.
C’est trop bien d’avoir cette liberté-là et de pouvoir autant travailler sur le projet. C’est ce qui rend le métier passionnant. Bien que, le dernier exemple que j’ai, c’est celui de la release party qui a été très compliqué à organiser au Consulat, où il n’y avait pas de matériel de diffusion. J’ai du louer, décorer le lieu, faire des petites résidences. Coordonner mille choses avec mon musicien, mon manager, la personne qui m’a aidée à penser la mise en scène. Et en même temps, ce sont des challenges.
LFB : As-tu peur de te faire dévorer par ta propre ambition?
JOKO : Disons que j’apprends après ces moments d’intensité, de trac, de nervosité et de bonheur intense. Ensuite, il faut avoir des moments d’accalmie et de repos. J’ai du mal avec ça. J’ai tendance à tout le temps foncer et à être en apnée. Psychologiquement, ce n’est pas viable sur du long terme. J’ai besoin d’avoir une hygiène de vie assez saine pour pouvoir gérer les post-concerts, les post-sorties, étant donné que ce sont des montées d’adrénaline énormes et que derrière, il y a des descentes.
JOKO – @ Ines Karma
« Avec le Covid, tout est en dernière minute, tout le temps.«
LFB : Tu en profites tout de même, de ce qu’il t’arrive?
JOKO : Oui ! Je profite à fond. La scène est tellement passionnante. J’aime tous les aspects qui touchent à la musique. La scène, le studio, les clips… C’est passionnant à découvrir et on essaye de tout maitriser. Ce sont des challenges. Avec le Covid, tout est en dernière minute, tout le temps. J’ai tellement peur de m’ennuyer dans la vie que je ne m’ennuie jamais!
LFB : Tu parles de scène, je trouve que tu as un projet qui est très protéiforme pour la scène. Selon toi et en fonction de la configuration que l’on te propose, est-ce important de montrer ta présence ?
JOKO : Oui ! J’ai monté tellement de formations différentes qu’à deux, à trois sur scène, je m’adapte, on peut le faire. Pour la release party, ça ne s’est malheureusement pas fait, mais une fanfare devait venir ! J’aime bien l’idée de pouvoir m’adapter à toutes les scènes, et ce sont des challenges. J’ai fait une première partie à La Boule Noire, mon guitariste m’a appelé la veille pour me dire qu’il était malade et j’ai dû m’adapter ! Heureusement, Alex a joué avec moi et était à la guitare électrique, c’était un vrai challenge mais ça s’est très bien passé ! Tant que les gens ont envie de travailler, que personne ne stresse, j’y vais, je fonce!
LFB : Est-ce nécessaire pour toi que l’expérience sur scène soit différente de celle d’écoute de l’EP ?
JOKO : Oui ! C’est quelque chose que j’ai toujours admiré avec le projet The Dø. Les premières fois que je les ai vus sur scène, le live était assez différent des enregistrements. Chaque fois qu’ils faisaient des lives sessions, ils proposaient une autre version, un autre arrangement et j’ai toujours trouvé ça super cool ! C’est clair que je propose quelque chose de totalement diffèrent sur scène. Il n’y a même pas de saxophone sur l’EP, mais c’est aussi parce qu’après les confinements, entre autres, j’avais envie d’être avec des instruments.
Je n’ai pas envie d’être avec des bandes, il y en a zéro. J’avais envie d’entendre sonner des instruments, qu’il y ait quelque chose d’organique. Les concerts étaient assis, à ce moment-là, et j’avais envie d’être en communion avec le public et de leur proposer de beaux instruments. C’est une prise de risque aussi. Les versions sont différentes à chaque fois et j’adore ça. Ça rajoute encore de l’intérêt à la scène.
« Si je trouvais une équipe qui croit au projet et qui a envie de l’emmener vers l’international, ce serait trop bien! »
LFB : Au Consulat, tu as changé de tenue lors du concert. Cette tenue-là, tu l’as remise à La Boule Noire. Est-ce une évolution, dans le sens où tu comptes abandonner ta grande veste, ou c’était juste un hasard complet?
JOKO : Depuis que je fais des concerts, je n’arrive jamais à me décider ! Je dois en être à 4 tenues. J’ai fait robe de mariée, une robe trouvé en Norvège il y a des années. Ensuite, j’ai une tenue avec un pantalon bleu et un haut un peu oriental, j’ai eu une chemise aussi à volants.. Pour les InouÏs, je m’étais cousu une veste de costard rouge puis un pantalon, pour changer pour un tutu, puis j’ai rechangé pour la veste !
J’adore me déguiser ! J’ai tellement vu mes parents dans des déguisements à l’Opéra, et les changements de scènes, de déguisements que si je m’écoutais, je changerais de tenue même pendant les concerts.
LFB : Que peut-on te souhaiter pour l’avenir?
JOKO : Alors ! Je vais te parler de mes souhaits. Le 22 février 2022, à 22h22, j’ai fait trois souhaits. Le premier est de trouver un tourneur avec qui je ferai plein de concerts les mois et les années qui arrivent. Le deuxième est de trouver d’autres partenaires, pourquoi pas un label qui pourrait m’aider à développer le projet. Ce n’est pas forcément évident de rester en indé, même si j’y tiens pas mal. Si je trouvais une équipe qui croit au projet et qui a envie de l’emmener vers l’international, ce serait trop bien ! Et mon troisième serait de trouver un amoureux qui est bien dans sa peau et qui sait ce qu’il veut. J’ai écrit tout ça sur un petit papier et j’ai noté entre parenthèses « moi, lol ! » J’ai brulé ce papier et j’ai gardé les cendres. Ce sont mes trois souhaits pour 2022.
LFB : As-tu des coups de coeur récents, des choses qu’il faut qu’on regarde, qu’on écoute, qu’on lise?
JOKO : J’aimerais que vous écoutiez tous mon amie Kalika parce que je trouve que c’est une artiste qui a énormément de talent. J’adore ce qu’elle fait et je crois à fond en elle. The Innocents – si vous avez le coeur bien accroché et que ça ne vous dérange pas qu’il y ait des enfants qui meurent, vous pouvez le regarder mais bon… The Office sinon, parce que l’actualité est bien trop inquiétante et du coup ça fait du bien, un petit cal à nos coeurs meurtris. Sinon, je vous conseille tous de bien respirer, de bien dormir et de vous occuper de vous.
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