Jozef, un ALIAS qui vous veut du bien

On aime le répéter, la première fois que vous avez entendu parler d’ALIAS en France, c’était sur La Face B. Une relation de confiance transatlantique qui s’est perpétrée avec ses titres suivants et sur It’s Not Funny So Stop Smiling. Un univers où il explorait déjà la ligne floue des personnages et de l’expression de sentiments forts et borderlines. Alors, quand il a débarqué avec son premier long, dans lequel il raconte l’histoire de son nouvel héros, Jozef, on ne pouvait qu’être présents. Grand bien nous en a pris, puisqu’on tient là l’une des pépites de l’année.

alias pochette d'album

On l’a sans doute déjà dit, mais une pochette d’album est pour nous quelque chose de primordial. Un élément que la musique dématérialisée a lentement effacé, mais qui reste malgré tout le premier biais de découverte d’un projet. Avant même l’écoute, il y a la pochette. Un élément anodin chez certains, mais qui en dit énormément chez d’autres. C’est le cas chez ALIAS.

Un lieu en flammes, une forêt inquiétante, des éclairs, un œil omnipotent qui nous observe et des mains qui le guident : Tous les éléments du film d’horreur sont ici présents. Sans doute parce que c’est ce qu’est Jozef, un film d’horreur en musique, une plongée dans un esprit malade imaginaire qui va permettre à ALIAS d’explorer toutes les outrances et les désirs qui guident sa musique. Si les références musicales, son amour pour les Beatles, les grosses guitares et les ambiances psychédéliques étaient déjà présentes sur ses précédents morceaux, ce long format est le pendant musical de certains grands films, que ce soit Psychose, Memento ou Shutter Island. Une balade en compagnie d’un être mouvant et ambivalent.

Mais qui est Jozef ?

Jozef est donc le réceptacle d’ALIAS. Un être qui s’ennuie, enfermé dans une maison où les gens comme lui sont mis à l’écart du monde, loin des regards et de la société. Un être qui va mal sans doute, une personne dont l’esprit éclate et qui ne se connecte pas toujours avec la réalité.

Ce point de départ permet de mettre en place ce constat tout simple : l’histoire que nous raconte ALIAS n’a ni début, ni fin. Elle se joue en chapitres désordonnés, chaque pièce de l’album (et du puzzle qu’il nous offre) pourrait se retrouver ailleurs dans l’opus. Tous les morceaux sont vus à travers l’esprit de Jozef, ce qui permet à ALIAS de s’y exprimer de manière étrange et poétique, laissant le biais de compréhension libre à chaque auditeur.

De là, il peut se permettre toutes les humeurs, toutes les ambiances, un kaléidoscope d’émotions infini, qui va de l’ombre la plus noire à la lumière la plus éblouissante. Tour à tour charmeur, dangereux, amoureux ou violent, Jozef intrigue, attire et terrifie, parfois en une fraction de seconde. On passe ainsi du bonheur et de la douceur de Dance with a Psychokiller à la tension très carpentienne de In The Middle, après un passage transitionnel dans Les Bois Perdus.

Cette idée est d’ailleurs présente dès le départ (ou serait ce l’arrivée ?) : The End (Part 2) démarre comme un réveil en douceur avant de se transformer en échappée sauvage toute basse dehors, avant qu’ALIAS ne laisse exprimer sa voix, énervée, virulente et puissante.

La voix sera l’élément central de ce périple schizophrénique, celle qui exprime tout et qui mue et se transforme. ALIAS joue, interprète, envisage chaque morceau. À l’écoute, impossible d’imaginer que la personne qui chante sur Shine ou Together est la même que sur Start A Fire ou encore la très rock’n’roll What A Shame.

Ce jeu de dupe prend d’ailleurs tout son sens quand il laisse exprimer la part de féminité de Jozef dans Fantasy (qui porte définitivement bien son nom) qu’il partage avec les bestiaux Les Deluxes. C’est sans doute l’un des morceaux les plus évidents de l’album, celui ou l’esprit se fracasse, ou la bulle de « normalité » laisse déverser toute sa folie, dans les hurlements et la fureur des guitares.

Car oui, Jozef vit au-delà de son concept et reste avant tout un grand album de rock’n’roll. Nourri à la liberté du Québec et porté par une connaissance quasi-encyclopédique du rock’n’roll, ALIAS nous offre donc une double plongée : narrative, à travers le texte et le concept, et musicale dans le rendu sonore de cette œuvre fascinante et ébouriffante.

Multi-instrumentiste au génie qui n’est plus à prouver, ALIAS s’amuse comme un petit fou, balance du fuzz à tour de bras, des effets de synthés en veux tu en voilà, et des sonorités distordues de saxo ici et là.

Il est impossible de résister, l’écoute est tout à la fois réjouissante et surprenante. Ainsi, comment ne pas tomber sous le charme de titres aussi sombres et changeants que Spasm et Start A Fire (sans doute les plus belles pièces du format pour nous, tant elles embrassent la volonté à la fois musicale et cinématographique du projet ), ne pas se trémousser sur Together ou What A Shame et s’imaginer en plein slow amoureux et fantomatique avec Keep On Dancing ?

The End (Part 1), porté par ses nappes synthétiques et sa batterie sèche et l’arrivée d’une guitare acoustique toute en douceur accompagné de cordes, semble jouer le rôle de générique de fin … mais est-ce vraiment le cas ?

Jozef est un ALIAS qui nous veut du bien. Un album ambitieux, porté par une volonté d’envisager la musique comme une ode au passé (un album qui s’écoute de A à Z et qui explore tout un pan de la musique contemporaine) tout en ne refusant jamais la modernité, que ce soit dans le mix ou la production. On en est sûrs, avec ce premier long format, ALIAS a bien fait de tirer Jozef de son asile en feu. Une œuvre comme celle-ci mérite définitivement l’écoute du plus grand nombre.