Julia Jean-Baptiste : « ce disque est beaucoup plus ancré dans ma réalité »

Vendredi dernier, Julia Jean-Baptiste était de retour avec Toujours Plaire, un second album où elle s’offre un virage glam-pop qui lui va à ravir tout en développant des thématiques qui lui ressemblent et qui poussent à la réflexion. C’est à cette occasion que nous avons retrouvé la musicienne pour une nouvelle conversation autour de la construction de ce nouveau projet.

Julia Jean-Baptiste

La Face B : Salut Julia, comment ça va ?

Julia Jean-Baptiste : Ça va super et toi ? J’avoue que je suis dans une bonne phase, une bonne énergie. C’est récent, je prends le positif qui s’offre à moi, et je ne me concentre que sur ça. Du coup, ça fait du bien.

LFB : J’ai une question sur le passé. Je me demandais quel recul tu portes sur Cinerama et sur l’histoire de Cinerama ?

Julia Jean-Baptiste : Je porte beaucoup de tendresse parce que c’était moi à un moment T. Il m’a aussi appris que j’avais envie de faire les choses différemment par la suite, donc j’ai appris beaucoup avec ce disque.
Juste après la sortie, j’ai eu une grosse période de « pas bien du tout », mais ce n’est pas de la faute du disque, je pense que c’est plus la faute de l’industrie, pour être totalement honnête.
J’ai beaucoup de tendresse pour Cinerama, je pense que c’est un moment où j’étais en train de grandir vraiment en tant qu’artiste et je pense que je ne suis pas allée aussi loin dans ce que j’avais envie de dire, parce que je n’osais pas encore complètement.
Mais par la suite, j’ai complètement ouvert les vannes. C’est un truc de pression et d’un coup ça a tout pété en fait parce que je pense que je retenais, je me censurais encore pas mal dans Cinerama et je n’en avais pas forcément conscience.
À un moment ça a complètement pété en avril 2023 et ça a été très dur et après ça m’a fait du bien en fait de toucher le fond.
Donc Cinerama il m’a apporté ça, il m’a apporté aussi beaucoup de lumière, il m’a apporté des concerts qui étaient géniaux, des premières parties qui étaient trop cool. Donc j’ai principalement de la tendresse.

LFB : Si je te demande ça, c’est au-delà de l’évolution musicale qui est assez tranchée, j’ai l’impression qu’il y avait un concept sur Cinerama avec l’idée de saudade qui a complètement disparu tout en gardant une forme de mélancolie, mais cette fois elle est beaucoup plus teintée de colère et d’énergies qui ont besoin d’être expulsées en fait.

Julia Jean-Baptiste : J’ai, de toute façon, les deux cultures musicales, tu vois, depuis toujours. Le Brésil, la Bossa Nova, c’est plus mon père qui écoutait cette musique-là. Et ma mère, elle écoutait de la New Wave, elle écoutait du glam-rock. Moi, quand j’étais ado, j’écoutais les Strokes etc…Et je pense qu’en fait, ce côté solaire et ce côté très chaleureux qui est apparu dans les premières chansons que j’ai écrites et dans Cinerama, c’est quelque chose qui fait partie de moi, parce que c’est aussi souvent comme ça qu’on me décrit.
On me décrit comme étant un petit soleil, et j’ai grandi en étant vraiment vue comme ça, et quand on parlait de moi, on disait ça.
Je pense que quand j’ai commencé à faire de la musique, vu que je n’avais pas du tout confiance en moi, je me suis dit « Qu’est-ce que t’as envie de faire ?
Qu’est-ce que les gens projettent de toi ? » C’est d’être un soleil, donc tu vas faire de la musique chaleureuse et de la musique chaude.

J’ai adoré faire ça, genre vraiment, mais à un moment je pense que j’ai eu besoin de reprendre les rênes de ma musique et en fait c’est passé par plusieurs phases. Déjà d’avoir ce gros moment de down en avril 2023 et d’avoir envie d’un peu tout envoyer péter et c’est aussi passé par le fait que j’avais envie de pouvoir créer mes chansons seules et la bossa nova c’est une musique qui est très complexe.
Quand j’ai écrit Cinerama, j’ai eu besoin de m’entourer de beaucoup de musiciens pour donner vie à ces chansons, pour qu’elles soient très riches harmoniquement.
Et en fait, il y a eu une fracture en avril 2023 où je pense que j’avais besoin de prendre ma guitare et de pouvoir écrire les chansons comme elles sortaient, tu vois, sans qu’il y ait de filtre.
Naturellement, ce sont des trucs beaucoup plus simples, beaucoup bruts et harmoniquement, beaucoup plus simples.
Et il y a beaucoup de rage aussi, parce que j’ai découvert la rage il y a deux ans et qu’elle m’anime… Elle m’anime beaucoup. Je me suis fait une bande de copines qui sont méga féministes. J’ai pris conscience d’énormément de choses. Et du coup, je pense que j’ai grandi.

LFB: C’est vraiment ouvrir une porte personnelle, mais Toujours Plaire est teinté de beaucoup plus de gravité. Même si c’est de la musique et ça reste divertissant et c’est super bien produit pour que ça donne envie aux gens de danser et tout ça, mais… il y a ce statement qui est quand même d’offrir quelque chose de très personnel et de parler de sujets comme s’il fallait que tu t’en débarrasses dans ta vie.

Julia Jean-Baptiste: Ouais, ouais, carrément. Ce qui est drôle, en fait, a posteriori, c’est que j’ai eu… J’adore le mot « a posteriori », je suis contente de l’avoir placé. La dernière fois ça devait être en 2012. (rires)
Non mais je pense que le truc il est sorti comme il est sorti. Quand j’ai repris ma guitare, j’avais vraiment envie d’arrêter la musique à un moment en fait.
J’étais fatiguée de mettre toute cette énergie et qu’il n’y ait pas de résultat et que je galère à pouvoir faire des cachets pendant l’intermittence.
Il y a une vraie réalité économique qui est franchement très compliquée pour moi et il y a des jours où ça me pèse. Il y a des jours où je suis fatiguée d’aller devoir faire des figurations dans le 95 à 6h du matin.

Ça, c’est des trucs que je ne mets pas sur Instagram, mais c’est la réalité de pouvoir faire ça. Après, on a trop de la chance d’avoir l’intermittence donc c’est cool mais c’est cool quand tu es dans un rythme de tournée ou quand t’es musicien de scène. Moi ce n’est pas mon cas et du coup ça a été difficile de faire face à ça.

Et donc oui, la gravité, bah ouais ouais. Comme je te dis, je pense que j’ai juste découvert une facette de ma personnalité en ayant cette espèce de grosse déprime, je ne vais pas dire dépression, parce que ce n’était pas une dépression mais une grosse déprime, une grosse noirceur, tu vois, qui a duré pendant un mois. Je n’arrivais même plus à mettre un masque social, en fait, je ne suis quasiment pas sortie de chez moi, et quand j’ai fini par sortir de chez moi, mes copines m’ont dit « ça va, Julia ? », alors que moi, quand je ne vais pas très bien, en général, ça se voit pas, j’arrive bien à le cacher.
Et ce truc solaire, ce soleil, d’un coup, il y a eu une espèce de nuage qui est arrivé, et en fait, tout ce qui est sorti de là, eh bien, je pense que c’était de la colère, C’était dire au revoir aussi à des manières de faire, des manières d’être que j’avais acceptées pendant longtemps, que ce soit dans mes amours, dans mes liens humains.

Et puis juste aussi cette soif d’être moi-même, d’être entière, quoi, qui m’a complètement libérée et qui m’a fait un bien fou.
Franchement, tout ce qui est sorti de cet album, c’est comme si je reprenais mon souffle. Donc oui, il y a de la rage et des choses que je n’avais jamais mises en musique et qui sont sorties sans y réfléchir du tout. Et ça m’a fait du bien, et ça me fait encore du bien.

Julia Jean-Baptiste

LFB : Tu as réalisé à quel moment que c’était une immense psychanalyse, cet album ?

Julia Jean-Baptiste : Franchement, il n’y a pas très longtemps. J’ai réalisé qu’il y avait un fil rouge, enfin, une espèce de fil rouge, que je n’avais pas du tout conscientisé quand j’ai écrit les chansons, surtout que je les ai écrites, tu vois, pendant un an et demi de manière très disparate.
Quand un truc me venait, je l’écrivais, mais je me suis pas du tout mis une pression… Enfin, je veux dire, mon premier album, il n’a pas marché, je n’allais pas me mettre une pression pour le deuxième album, ça ne sert à rien.

C’est à la fin de l’écriture de l’album en fait que j’ai réalisé. Je pense qu’il y avait plein de trucs qui étaient sortis mais ils étaient tellement sortis de manière animale, c’est ce mot un peu qui me revient souvent.

LFB : C’est drôle parce que l’album s’appelle Toujours Plaire mais pour moi la façon dont je le vois, c’est un peu une réappropriation du je et une reconquête de soi et de ses propres envies en fait.

Julia Jean-Baptiste: Ouais, j’adore. Ouais, c’est trop chouette comme manière de le décrire, ça me plaît beaucoup. Et ouais, ouais, c’est vraiment ça, en fait.
J’aime bien la double lecture de toujours plaire. Quand tu lis « toujours plaire », tu te dis que c’est une meuf qui veut plaire à tout le monde, mais en fait, sur la pochette, je suis debout sur une table avec un pied de biche, donc je pense que tu comprends assez rapidement que ce n’est pas le cas.
Et de toute façon, j’ai toujours bien aimé les dualités, les doubles langages, les doubles lectures.

Mais ouais, c’est ça, le fil rouge de l’album, en fait, c’est de faire aussi un peu un doigt d’honneur à la lâcheté, un doigt d’honneur à la passivité, qui est un truc qui m’a entourée pendant des années de certaines personnes dans ma vie. La passivité, j’ai du mal avec ça, en fait, surtout dans l’amour. Et ouais, c’est une sorte de prise de pouvoir, cet album, sur ma vie, sur qui je suis.

LFB: Et est-ce que c’est un album qui t’a réconciliée avec la musique, justement ?

Julia Jean-Baptiste: Oui, ça m’a complètement réconciliée avec la musique. Après, je ne sais toujours pas combien de temps je ferai de la musique. Mais en tout cas, cette manière de faire la musique, comme je l’ai faite sur l’album, ça m’a complètement réconciliée. Je me suis posé zéro question quand j’ai écrit ces chansons. On a tout fait à deux avec Jean-Sylvain Le Gouic, qui est mon partenaire de studio et mon partenaire de vie, qui me connaît extrêmement bien.
Et sur le premier album, on avait eu beaucoup de musiciens et je pense qu’à un moment il m’a échappé en studio en fait.

Donc j’adore sa production et j’adore le résultat final, mais il y a un moment où je pense qu’en fait je me suis mise en retrait parce que j’avais mon espèce de syndrome de l’imposteur et mon manque de légitimité. J’étais entourée des plus grands musiciens de la scène parisienne et parfois mondiale, enfin de jazz. J’ai des joueurs de trompettes incroyables, un tromboniste, flûtiste de Copenhague, des copains percussionnistes cubains de dingue.

Je pense juste qu’à un moment je n’étais pas assez solide encore sur mes appuis pour vraiment me dire que c’était mon disque et en fait ça s’est fait complètement différemment. Et rien que ça tu vois c’est une énorme différence. On a vraiment tout fait à deux, c’était vraiment un laboratoire le studio pendant plusieurs périodes, entre fin 2023 et début 2024, et après l’été 2024, on a fini l’album et c’était trop bien de faire ça à deux.

LFB : Tu parles de cette période, est-ce que c’est un album qui a été rapide à faire et rapide à écrire ? Parce que tu sens la gravité, mais tu sens aussi l’urgence.

Julia Jean-Baptiste : Quand j’ai commencé à écrire les premières chansons, la première chanson que j’ai écrite c’est les Lilas, c’est vraiment la chanson qui m’a réparée. C’est la chanson qui clôt l’album, c’est une chanson qui est assez différente, je pense qu’elle est un peu plus dans la continuité du premier album en termes de songwriting, même si c’est une chanson que j’ai écrite avec 4 accords, enfin 4 accords et demi, mais elle m’a vraiment réconciliée avec la musique.
Et à partir de là, en fait, tout ce qui est sorti, c’était… ça avait besoin de sortir. J’ai très vite compris que j’étais en train d’écrire un disque, mais sans me dire que ce serait mon deuxième album. J’écrivais, je prenais du plaisir, surtout, ça m’a fait du bien.

J’ai chialé aussi, il y a des fois, quand je chantais La Spirale, j’ai chialé. Enfin… les chansons, je les ai écrites assez vite, on allait assez vite en studio pour faire au moins une sorte de pré-prod. J’avais besoin de très vite passer à autre chose, je pense, après Cinerama.
Dès que j’ai commencé à écrire les premiers titres de Toujours Plaire, je me suis dit, « OK, c’est ça ton chemin là, c’est ça ».
Ce n’est pas forcément d’essayer de choper le plus de concerts possible parce que j’ai fait très peu de concerts avec le premier album et ça a été un truc qui était très difficile pour moi parce que je rêvais de faire des festivals d’été et je n’en ai pas faits et ça a été douloureux. Mais en fait assez vite je me suis dit « ok tu rebondis » et en fait j’ai rebondi grâce à mes chansons quoi.

LFB : C’est intéressant parce que même dans l’écriture, dans la façon dont il écrit, il y a un truc très physique dans les mots qui sont utilisés, dans les titres. Tu parlais du pied de biche tout à l’heure, mais il y a vraiment cette idée de taper dans le tas et d’utiliser un vocabulaire qui va vraiment dans ce sens-là.

Julia Jean-Baptiste : J’adore, ça me fait trop plaisir que tu dises ça. Jean-Sylvain m’a dit que mon écriture avait évolué sur ce disque par rapport au premier.
Je pense que le premier, c’était assez fantasmé et c’était assez… peut-être dans une sorte de passivité aussi, d’observation.
Et ce disque, il est beaucoup plus ancré dans ma réalité. Du coup, il est beaucoup plus frontal par, je pense, les mots qui sont utilisés. Les accords sont beaucoup plus simples. Ce sont des chansons que j’ai écrites à 80% seule, certains morceaux que j’ai co-composés avec Jean-Sylvain, où il est venu à des moments, mais c’est vrai que c’est vraiment des chansons que j’ai écrites à la base dans mon salon. Il y a donc quelque chose de très simple, il n’y a pas de fioriture.

LFB : Te connaissant en tant que personne je t’ai beaucoup plus reconnue dans le vocabulaire de Toujours Plaire.

Julia Jean-Baptiste : Ouais, ça me fait trop plaisir. Franchement, ça c’est le meilleur compliment qu’on puisse me faire. Tu n’es pas la première personne à me le dire et ça c’est vraiment un truc que j’ai mis longtemps à faire, d’être moi-même vraiment dans la musique.
Et ça me rend vraiment très heureuse que tu me dises ça parce que je pense que j’ai mis longtemps à me dire que j’étais assez bonne compositrice, assez bonne parolière, pour vraiment me laisser complètement aller et arrêter de réfléchir et sortir de mon cerveau et juste laisser sortir ce qui doit sortir.
Et je pense que quand on arrête de réfléchir, on est plus authentique et on est plus nous-mêmes.

C’est quelque chose que je ne m’autorisais pas à faire, en fait. Je pense que j’étais un peu ma pire ennemie là-dessus, je me regardais un peu de haut et je me disais : « de toute façon, tu ne feras jamais aussi bien que les autres »… Je ne sais pas, j’avais créé une sorte de coquille un peu, même dans ma manière d’écrire, juste où je parlais de moi, mais un peu avec une distance.
Et là, vraiment, il n’y a pas de distance, on y est, les deux pieds dans le plat.
Après, voilà, je pense que c’est la continuité mais on n’est pas non plus dans deux projets complètement différents, deux cerveaux complètement différents, mais là j’ai cassé la coquille de verre.

Julia Jean-Baptiste

LFB: Et je parlais de la reconquête du je tout à l’heure, il y a des morceaux qui font exception dans l’album et c’est intéressant parce que j’ai l’impression que ce sont un peu des morceaux charnières. Il y a Éternité et il y a Tire-toi. Et le premier, pour moi, tu utilises le « tu » pour accentuer le mal qui a été fait et le deuxième, tu utilises le « tu » pour démontrer le chemin qui a été parcouru à la personne.

Julia Jean-Baptiste : Ce n’est pas la même personne. La première personne, c’est une personne qui était active dans le fait de me faire du mal, sur éternité.
La deuxième personne, c’est une personne que j’ai aimée très fort, avec qui j’ai été, et qui était très passive. Et tire-toi c’est un titre qui parle justement de dire « t’inquiète pas tu peux partir, je vais m’en sortir », genre « ça va aller ».
Il y a un petit peu de colère là-dedans parce que vraiment la passivité dans le couple, je l’ai expérimentée et je la vois vachement autour de moi aussi et on n’est pas des petites choses fragiles les nanas tu vois, genre vous pouvez nous larguer, ça va, on va s’en remettre et en fait c’est ça qu’elle raconte cette chanson.

Avant, je parlais souvent à la troisième personne. Là, clairement, on est plus première et deuxième personne et c’était un exercice différent par rapport au premier. Ça, je l’ai conscientisé, j’ai eu envie de parler à la première personne et à la deuxième personne sur cet album. À m’adresser à des gens, tu vois. Eternité par exemple, elle a été écrite en juin 2023.

LFB : C’est un morceau de début de processus aussi. Il y a encore beaucoup de pudeur et presque de peur de te confronter un peu à ce sentiment-là aussi.

Julia Jean-Baptiste : Ouais, c’est un des premiers. J’ai écrit Les Lilas, qui est un peu dans… avec le recul je me rends compte que c’est un morceau qui est dans la continuité peut-être du premier album et après j’ai écrit Eternité où là j’ai ouvert une brèche quoi genre un truc enfin même plus qu’une brèche j’ai ouvert un océan des possibles. C’est ce que j’ai ressenti quand j’ai écrit Eternité. C‘était de la transe et je n’avais jamais ressenti ça en musique encore en termes d’écriture. Pas sur scène mais vraiment au moment de l’écriture d’une chanson, et ça, c’était fou.
Je sais que cette chanson, quand je la réécoute, je sens déjà que, oui, comme tu dis, c’est une sorte de processus de début, d’ouverture, mais qu’elle reste encore un peu dans la pudeur. et qu’après, il y a eu des morceaux sur l’album où c’est beaucoup plus… Ce n’est pas par hasard qu’elle est en deuxième dans l’album.

LFB : C’est-à-dire que le premier morceau, c’est un morceau de déni complet. Et le deuxième est un morceau de réalisation et tout le reste découle un peu d’une forme d’apaisement avec les lilas.

Julia Jean-Baptiste : Avec les lilas, ouais, j’avais envie de finir avec de la lumière. Mais après, tu vois, j’aime bien parce qu’il y a des morceaux qui racontent plein de trucs différents. Je n’avais pas envie non plus de me cantonner à avoir un propos unique.

J’ai envie de me laisser le droit d’avoir le cœur brisé et de chercher la personne que j’aime dans toutes les rues de la ville et derrière les sourires des filles.
La fête est triste sans toi parce que je suis une femme et j’ai des fêlures. On n’est pas des robots, ce n’est pas parce qu’on est féministes et qu’on a la rage, qu’on n’est pas fragiles parfois, qu’on n’a pas… des incohérences en nous aussi.
Voilà. Je ne sais plus si j’ai répondu à ta question.

LFB : Si, mais tu vois, après… Moi, je sais que le morceau qui m’a le plus marqué, sans doute parce que je suis un mec aussi, c’est Silence. Un morceau qui m’a beaucoup marqué parce que je vis en permanence avec une voix dans ma tête. Je trouve que dans la façon dont l’album est écrit et dans la sincérité qui en dégage, tu évites justement complètement cet écueil là de te couper d’une part d’un public.

Julia Jean-Baptiste : Écoute, pour la première fois, j’en ai un peu rien à foutre de me couper d’une part d’un public et ça, ça me fait vachement de bien aussi. C’est très apaisant en fait de se détacher du regard des autres et de se dire que de toute façon il ne plaira pas à tout le monde. On verra comment il est accueilli cet album en tout cas ce qui est sûr c’est qu’il a été fait avec toute la sincérité que je pouvais lui offrir à ce moment-là et que moi il m’a fait du bien et que pour la première fois j’ai fait de la musique pour moi en fait et rien que ça franchement c’est un énorme accomplissement personnel.
Je suis contente d’avoir fait ça comme ça et de m’être autorisée à ne pas me juger quand j’écrivais et à amener des choses aussi dans la production que je ne m’autorisais pas à amener jusqu’ici, dans les intentions, dans la voix. C’était vraiment une libération d’écrire ce disque.

LFB : Et justement, le fait de faire un album qui est très centré sur les battements de ton propre cœur, est-ce que musicalement, ça a coulé de source que ce soit un album qui soit très centré sur la basse ?

Julia Jean-Baptiste : J’adore, t’aimes bien la basse toi. Sur le premier album déjà tu me parlais de la basse, je me rappelle.
La basse c’est franchement le groove, enfin moi j’adore la basse, je trouve que c’est un truc qui est physique, quoi.
C’est un instrument qui procure un truc, je ne sais pas, qu’il n’y a pas dans d’autres instruments. Donc, ouais, là, pour le coup, c’est Jean-Sylvain Legouic aussi, qui est un très bon bassiste et qui trouve des lignes de basse qui sont incroyables.

Par rapport au début de ta question, j’ai écrit ce disque après avoir fait des concerts pour le premier album et j’avais aussi très envie de faire un disque que je puisse vivre sur scène comme je vis… En fait, sur scène je ne réfléchis pas et je suis complètement libérée.

Et ça m’a manqué avec le premier album de ne pas pouvoir faire ça complètement parce que c’était des chansons beaucoup plus solaires et beaucoup « naïves ».
Là j’avais vraiment envie que ça tabasse et que je puisse vraiment un peu vivre mon rêve d’adolescente qui jouait à la rockstar.

LFB : Musicalement, j’ai l’impression que même s’il y a des cordes de temps en temps, des choses qui sont beaucoup plus discrètes, j’ai vraiment l’impression qu’il y a eu cette volonté de recentrer au minimum les instruments utilisés et l’apport des instruments tout le temps, mettant la voix beaucoup plus en avant que ce qu’elle était auparavant.

Julia Jean-Baptiste : J’ai écouté beaucoup de musique anglo-saxonne ces dernières années.
J’écoute très peu de musique française. Vraiment, quasiment pas du tout, même s’il y a plein d’artistes extrêmement talentueux.
C’est vrai que je suis une grosse fan de la scène anglo-saxonne, donc j’ai écouté beaucoup Orla Gartland, Olivia Rodrigo, LCD Sound System. Je suis revenue à mes premiers amours des Strokes aussi, des trucs que j’écoutais quand j’étais gamine, à fond les ballons.
Je suis une grosse fan de glam rock, il y a 17 ans j’organisais des soirées glam rock avec mes copines. Là je vais pouvoir m’amuser sur scène à faire du glam rock.

J’ai déjà oublié la question, c’est un enfer… En fait j’avais envie de revenir à l’essentiel. Les chansons, les intentions, qu’il y ait un morceau qui raconte une histoire au-delà des paroles, qu’il y ait un peu des tableaux différents.
La fête est triste sans toi, c’est une chanson sur laquelle on a beaucoup travaillé, beaucoup de versions et à un moment on ne trouvait pas trop la solution et je me suis mise devant l’ordi et j’ai muté plein de trucs. Je ne me rendais pas compte qu’en fait si j’avais juste un sub et la voix ça marchait donc en fait on s’est amusés vraiment à faire des sortes de patchwork en ayant toujours cette voix qui soit au-dessus et qui ait des textures différentes, des chuchotés, des chantées fortes, des couches de voix qui s’empilent, s’amuser vraiment avec cette voix qu’elle soit centrale qu’elle ne s’excuse plus d’être là. Et ça, ça a été jouissif à faire, naturellement.

En fait, il y a eu plein de fois où on a construit le morceau vraiment avec des accords, une batterie, une basse. Ça marche, ok, on rajoute des textures, mais on part de l’essentiel, du noyau dur. Et après, on peut rajouter des textures, mais je n’avais vraiment pas envie de quelque chose de trop chargé.

Cinérama, il était très arrangé, cet album, on était parfois jusqu’à 10 musiciens en studio, c’était magnifique, c’était merveilleux, je suis très heureuse d’avoir vécu ça mais là, l’histoire était complètement différente et le résultat est forcément beaucoup plus recentré.

Julia Jean-Baptiste

LFB : Ça permet aussi d’avoir un album qui peut se transposer beaucoup plus facilement sur la scène, dans une intention de live, avec les instruments présents sur l’album qui peuvent être présents sur scène.

Julia Jean-Baptiste : J’aimerais bien que ce soit le cas. Malheureusement, l’économie de la musique, c’est compliqué. Je suis en train de faire une création avec une batteuse. On va partir à deux, comme Nerlov.
On a une vraie contrainte économique en 2025 vers la musique, c’est très compliqué de faire tourner un projet émergent ou un projet un peu plus trop émergent, mais qui n’a pas encore tout cassé, à plus de 3 sur scène.
Et même ça, c’est compliqué.
Je me suis dit « OK, on a une contrainte économique, comment on peut essayer de créer quelque chose d’unique en s’amusant, en ayant une contrainte économique ? »
Et quand j’étais au milieu de l’écriture du disque je me suis dit « j’ai envie de partir avec une batteuse sur ma tournée » et en fait c’est ce qui va se passer.

J’avais quand même très envie de repartir avec Simon Bérard qui m’a accompagnée sur le premier album qui est un bassiste incroyable mais ça coûtait trop cher et du coup il est assez vite arrivé le moment de prendre la décision qui n’a pas été facile à prendre. Mais je pense qu’on va vraiment s’amuser avec ma batteuse et on est en train de préparer un live pour La Maroquinerie, pour d’autres dates aussi cet été, j’espère qu’il y en aura encore qui vont s’ajouter… Mais juste de s’amuser et de créer aussi une sorte de mise en scène, de théâtraliser le fait qu’il n’y a pas beaucoup d’instruments sur scène, mais il y a quand même de l’énergie à fond, il se passe des trucs.
J’ai envie que le public sorte de mes concerts en ayant réfléchi, en ayant ressenti plein d’émotions différentes en se sentant un peu mis à nu eux-mêmes, que ce ne soit pas que de la musique, parce que je raconte plein de choses dans les chansons sur cet album, et c’est des vrais questionnements que je me pose, et j’ai envie que, en live, on se pose ces questions avec moi.

LFB : Avec un échange.

Julia Jean-Baptiste : Voilà. Et qu’on sorte de là en ayant vraiment une sorte de petit bagage, en mode, « ok, vas-y, je vais réfléchir à ces sujets là », et ça m’excite beaucoup de créer ce live avec ma batteuse, avec un directeur musical, on va avoir des super lumières et tout, on va créer tout ça, mais ça va être une sorte de création en fait, plus qu’un concert au sens propre du terme. Tu as vu, c’est le suspense. (rire)

LFB : On parlait de réduction des instruments, j’ai l’impression que tu as créé une équipe resserrée autour de toi. Il y a J.S. mais il y a aussi, pour moi, deux autres personnes qui sont hyper importantes. Qu’est-ce qui t’a apporté le mix de Yuksek ? Parce que Yuksek, c’est quelqu’un qui est très reconnu dans l’électro, mais qui, pour moi, a fait deux albums de pop absolument incroyables avec Living on the Edge of Time ou Nous Horizon et tu sens aussi cette patte-là.

Julia Jean-Baptiste : Ouais, complètement. Yuksek, c’est un mixeur avec qui j’ai toujours rêvé de travailler. Je savais qu’on arriverait à un moment où on travaillerait ensemble et je savais que ce n’était pas sur le premier album.
Et quand on est arrivé à un moment de la prod, de l’album, de Toujours Plaire, je lui ai proposé de mixer Eternité.
Et il nous a envoyé un mix qui défonce, mais genre vraiment il a apporté ce qu’il faut, il a compris le projet il a compris la voix, il a compris les intentions du morceau. Après ça, tout a été naturellement, avec simplicité. Ce disque en fait il n’a pas du tout été fait dans la douleur, à aucun moment.

Bon, il y a eu des moments de bad et des moments de « mon dieu, on va jamais s’en sortir avec ce morceau ».
Je ne parle pas d’Eternité, je parle de 2-3 morceaux où vraiment, on n’avait juste pas de solution, et puis d’un coup, tu prends du recul et tu trouves la solution.
Mais ce qui est sûr, avec Yuksek c’est qu’il y a un parti pris, par exemple, sur Eternité, de mettre des gros flangers, et ça a donné une couleur à l’album, à la suite des morceaux.

Franchement, je suis trop contente qu’on ait fait cet album ensemble, je suis hyper contente du résultat du mix. Il a compris ce disque. Il a compris aussi ce que je ne voulais pas faire.

LFB : La troisième personne importante, je pense, c’est Lucas Donaud qui a apporté un rendu visuel hyper intéressant et hyper fort. J’ai l’impression que si on parle d’évolution avec Cinérama, il y a un changement de colorimétrie déjà.

Julia Jean-Baptiste : Lucas, franchement, ça a été une des plus belles rencontres artistiques de ma bébé carrière.
C’est la première fois que je travaille avec quelqu’un qui me met assez en confiance pour m’affirmer à ce point, on va dire et j’avais très envie de travailler avec lui sur ce disque, sur les pochettes des deux premiers singles et de l’album.
Il a une patte qui est la sienne. Il travaille avec quatre couleurs, c’est aussi pour ça que je voulais travailler avec lui. Je n’avais plus envie de multicolore, j’avais envie de me recentrer au niveau de l’image et j’avais envie que ça claque, quoi. J’avais envie que ça soit racé, que ça soit femme, que ça ne soit pas petite fille, que je ne m’excuse pas d’être là.


Et Lucas, il est très fort pour ça. Il n’a pas peur de partir dans des choses qui sont très marquées, qui très proches de la peau aussi.
Franchement, ça a été un bonheur de bosser ensemble et je suis hyper contente du résultat. Je me reconnais dedans, il y a quelque chose aussi de très femme en fait. J’ai 34 ans et je suis heureuse d’avoir 34 ans et je pense que ça se voit que j’ai 34 ans dans les images. Ça ne s’excuse plus d’être là, les yeux dans les yeux.

LFB : J’ai une dernière question pour toi. Si tu devais ranger dans une bibliothèque Toujours Plaire à côté d’un disque, d’un livre et d’un film, tu choisirais quoi ?

Julia Jean-Baptiste : Alors d’un disque… Écoute, c’est moi qui décide, donc je dis ce que je veux. Je pense que le disque, ce serait YOLO, Ziggy Stardust and the Spiders from Mars de David Bowie parce que c’est un disque que j’ai énormément écouté, je l’ai découvert à 13 ans et vraiment c’est ma bible et j’y suis revenue ces derniers temps et ce truc de lâcher prise et de personnages aussi que j’adore. Ce personnage de Ziggy Stardust me fascine et je ne m’étais jamais autorisée à incarner un personnage et j’adore l’idée de le devenir là.
Un film… Putain, c’est hyper dur… je ne sais pas pourquoi j’ai envie de te dire taxi driver. Je ne sais pas pourquoi j’ai ça qui me vient en tête.
Et un livre… elle est dure ta question.

LFB : Ouais, c’est fait exprès. (rire)

Julia Jean-Baptiste : J’ai lu beaucoup de polars, donc j’aurais… Ouais, j’ai lu pas mal de thrillers et de polars ces derniers temps. Surtout qu’ils font un peu peur.

LFB : C’est marrant parce que moi, on en avait déjà parlé la dernière fois, ça pourrait se rapprocher de Sally Rooney, tu vois.

Julia Jean-Baptiste : Ah ouais, j’adore. Bah ouais, normal people. En plus, je l’ai lu il n’y a pas très très longtemps, normal people.

Crédit Photos : Félix Hureau–Parreira
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