La Battue : Farrago un premier album « À l’unisson ! »

Il est des projets musicaux dont on aime prendre le temps de les découvrir et les explorer, tant on se doute que les paysages qu’ils desservent sont vastes. La Battue fait partie de ceux-ci. Composée d’Ellie, Yurie et Bertrand – que l’on avait déjà croisés respectivement dans Mermonte, YachtClub et Totorro – La Battue synthétise ses multiples influences en une Pop solaire où s’entremêlent synthétiseurs et voix. On pourrait croire à un Au revoir Simone qui aurait migré sur la côte Ouest des États-Unis sous le soleil de la Californie. Farrago est leur premier album et pour rien ne vous cacher, on l’adore.

La Face B : Comment allez-vous ?

Ellie : Ça va bien. Nous sommes excités par les actus du moment. À la fois, soulagés que ce soit enfin sorti après une année d’enregistrements, d’attentes, de retard, et ravis de pouvoir partager ces chansons sur scène. Il y a eu quelques beaux jours et je suis, personnellement, dans un bon mood. Hyper contente de pouvoir défendre cet album.

Yurie : C’est assez étonnant quand on sort un album après tant de mois de préparation. Il y a un truc : « Ouais ». Ça ne fait plus partie de nous. Il deviendra ce qu’il va devenir. Nous essayons de faire de notre mieux pour le rendre visible, mais je crois qu’aujourd’hui ce n’est plus de notre ressort. Il est sorti et on attend de voir comment cela va se passer. On a également réalisé un clip dans lequel on a mis pas mal d’énergie. Surtout Ellie qui a beaucoup œuvré pour. On s’est vraiment amusés à le tourner. Fiers de ce qu’on a fait et l’on aimerait que cela fasse aussi plaisir à tout le monde.

Bertrand : Je ne vais pas avoir grand-chose à rajouter. Il y a toujours ce décalage que j’ai connu dans tous mes groupes, celui d’investir énormément de temps et d’énergie dans la composition et l’écriture de morceaux et se soumettre ensuite à une inertie extrêmement forte. C’est poussif et lent. En général, quand je sors un album, je suis déjà passé à autre chose. Les morceaux sont nouveaux pour tout le monde sauf pour toi qui as déjà passé des années dessus. Néanmoins, je suis hyper content que les gens puissent les écouter. Pour les groupes à notre échelle qualifié « en développement », le contexte musical après la reprise post-Covid est encore difficile. La place qu’on accorde à la « musique défricheuse » est inquiétante. On fait de la pop, mais pas que. Professionnellement, c’est un endroit qui commence à poser question et qui semble devenir un peu périlleux.

Yurie : On ne peut pas te contredire. La situation dans laquelle on se retrouve après deux ans de Covid a généré comme une espèce de bouchon. Autour de nous il y a beaucoup d’autres groupes de copains qui sortent des choses. On se demande si l’on peut encore tous exister. Est-ce qu’il y a de la place pour de nouvelles choses ?

La Battue : « Cassons ce métronome »

La Face B : C’est d’autant plus vrai que votre projet a débuté avant le Covid. La crise sanitaire a été très problématique pour les groupes qui commençaient à apparaître et qui ont vu leurs développements s’arrêter en 2020 pour rester en stand-by. Mais le côté positif, c’est que vous avez surmonté cette épreuve et que vous avez pu sortir votre album qui, de surcroît, est très chouette. Pour revenir à La Battue, et même si on a déjà dû vous le demander de nombreuses fois, d’où vient votre patronyme ?

Ellie : En général, c’est moi la préposée pour cette question [Rires]. On a cherché assez longtemps. Comme Bertrand et moi avons des origines anglaises, on cultive un type d’humour un peu décalé. On aimait bien cette idée de partir à la recherche de quelqu’un de disparu, un peu à la Sherlock Holmes avec notre petite gapette. D’ailleurs, sur la pochette de notre premier EP Search Party apparaît un chien déguisé en Sherlock Holmes. Derrière La Battue, il y a cette idée de retrouver l’être disparu dans un champ au petit matin avec du brouillard partout autour. On s’est rendu compte plus tard que ça collait parfaitement avec ce que l’on faisait. Bertrand vient d’un univers très math rock avec une place importante pour le rythme et une battue rythmique, c’est aussi le métronome. Pour trouver cette autre vision de La Battue que l’on aime : « Cassons ce métronome ».

La Face B : Pour en finir avec les dénominations, le titre de votre album Farrago provient d’un terme agricole correspondant au mélange de graines qu’on sème ensemble pour obtenir du fourrage tandis qu’au sens figuratif, il peut aussi désigner un mélange confus d’idées ou de choses. Avant de créer La Battue, vous avez fait partie de groupes tout aussi divers que singuliers, Totorro pour Bertrand, Mermonte pour Ellie, YatchClub pour Yurie. Comment La Battue se nourrit-elle de la diversité de vos parcours ?

Yurie : Je pense qu’avant même de venir de groupes différents, nous sommes trois individus différents. Je n’ai pas grandi avec Ellie et Bertrand. Même eux, étant sœur et frère, ont suivi leur propre chemin, chacun de leur côté. Mais nous avons un espace commun, très grand, celui de la musique pop avec un peu de rock, même s’il existe aussi d’autres points sur lesquels on diverge. On ne cherche pas à savoir ce qui nous sépare de ce qui nous rassemble, mais plutôt  de faire de nos approches musicales un patchwork. Il y a cette volonté pour tous les trois de composer, d’écrire, de produire.

Ellie : Comme nous avons des univers différents et des aspirations assez singulières, pour reprendre ce que tu avais dit, les premiers EP ont constitué un travail préliminaire pour comprendre ce qu’est La Battue – « Quel est notre son ? » – pour arriver à Farrago, ce mélange qui n’est plus si confus au final. Il prend sens. Quand nous sommes allés dans le sud de la France enregistrer l’album chez Benoît, nous avions nos maquettes. Comme on avait amené chacun nos inspirations et nos arrangements, je craignais que cela fasse plus medley que La Battue. Que l’on se retrouve avec une compilation de chansons plutôt que devant un album cohérent.

Pendant l’enregistrement, tous les doutes se sont dissipés, grâce à l’aide de Benoît, mais aussi et surtout grâce à l’énergie que l’on a déployée. Et lorsque nous avons écouté ce que nous avions enregistré, je me suis dit : « C’est bon, c’est nous ! ». C’est à ce moment que le terme farrago m’est venu. Toutes ces influences qui arrivent et qui créent une chose nouvelle. Ce mélange de graines que l’on infuse dans La Battue « agricole » et qui crée notre son.

Bertrand : Quoiqu’il arrive, quand tu t’assois à plusieurs que ce soit autour d’un bureau ou derrière des instruments pour écrire, tu le fais infusé de tes influences et de ce que tu as fait auparavant. Les idées que tu vas avoir, de placement rythmique ou mélodique, même si tu as l’impression qu’elles viennent de nulle part et qu’elles sortent de ton imagination, proviennent du cheminement suivi dans ta vie de musicien, de ta culture musicale. On est tous tributaires de cela.

Ellie : Ce qui est intéressant, c’est la place que chacun a eue pour s’exprimer. À chaque fois, on allait jusqu’au bout des idées de chacun et chacune. Notamment grâce au Covid, parce que comme on ne pouvait pas se retrouver dans la même pièce, on s’envoyait des Wetransfers. Et plutôt que de se retrouver à se dire : « Bon ben là c’est bon, j’ai mon idée. On peut passer à autre chose ». On pouvait prendre le temps d’explorer nos univers profonds et de créer cette synergie.

La Battue : « Faire de choses épurées, c’est ce qui est compliqué »

La Face B : À propos d’univers, nous avons une question spécifique pour Bertrand. Comment passe-t-on d’un groupe de math rock minimaliste et instrumental à un groupe plus pop où les voix sont prédominantes et construisent toutes les mélodies ?

Bertrand : Ça a été hyper intéressant. C’est la première fois que j’écris de la musique où il faut laisser de la place pour le chant. Dans la chronologie des choses, La Battue, c’était tout au début des boucles de voix que faisait Ellie son ordi. Après, je suis arrivé pour faire de l’arrangement. Ensuite, Yurie est venue bosser avec nous. C’est comme cela que l’on a commencé à composer ensemble, tous les trois. Ça a été d’autant plus rafraîchissant et intéressant que je sortais de dix ans de Totorro.

C’était en même temps grisant et un saut dans l’inconnu. Écrire de la pop quand tu es habitué à faire des trucs hyper fournis et fouillés, il y a quelque chose qui fait peur dans la simplicité. Tu te dis que c’est trop simple, que c’est trop con, qu’on ne peut pas faire ça. En fait, faire des choses en même temps simples, efficaces et bien sentis a été, au début pour moi, un challenge. Un truc auquel il fallait s’adapter.

Yurie : Et qui ne sont pas si simples à chanter !

Ellie : C’est ce que j’allais dire aussi. Faire des choses épurées, c’est ce qui est compliqué. Chaque instrument a sa place et il faut vraiment l’assumer. Pendant les sessions d’enregistrement, on a enlevé les choses qui prenaient trop de place, pour les autres instruments.

Yurie : Pour ma part, avant La Battue, je n’avais jamais eu de groupes où l’on chantait à trois voix. C’est une formation super intéressante parce qu’on apprend à nous écouter et à respirer ensemble. C’est un exercice ultra exigeant. Quand on a été que chanteuse lead, cela change énormément. J’ai beaucoup aimé ce travail à trois voix. À l’unisson ! On aurait voulu qu’il y en ait encore plus, mais ce n’est pas si simple à écrire. Il faut trouver le juste milieu pour ne pas avoir un effet « chorale« .

La Face B : Autre défi, réussir à mélanger les nappes de synthétiseur de façon à avoir quelque chose d’homogène. Comment vous y prenez-vous ?

Ellie : J’ai capté il n’y a pas longtemps que tout au début, lorsque l’on écrivait nos morceaux on réfléchissait au synthé pour « remplacer » : « On va trouver un son de synthé pour remplacer la guitare« , « On va trouver un son de synthé pour remplacer la basse » … Après avoir acquis des habitudes et des connaissances sur la composition, compris le fonctionnement des synthétiseurs analogiques et affiné nos talents d’arrangeurs synthétiques, la question ne se posait plus. On n’est plus en train de remplacer quelque chose. On laisse de la place aux synthés. Comme on n’a pas d’éléments organiques hormis le violon de Yurie, on a pas mal geeké sur la production du son. Pour les synthés, il y a eu un gros travail d’arrangements pour pouvoir, à chaque chanson, créer son paysage. Il ne fallait pas que cela soit trop récurrent.

Yurie : C’est vrai que la toute première fois que je suis venue composer chez vous, à l’exception du minilogue, il n’y avait pas les synthés que l’on utilise aujourd’hui. Des évolutions se sont faites progressivement sentir dans les matériels utilisés pour composer et jouer sur scène, de même que chez Benoît, il y avait plus de synthés qu’on aurait imaginés. Ce qui nous a permis de les explorer. C’était comme un parc d’attractions rempli de « manèges » synthés. On s’est bien amusés !

Bertrand : Pour préciser parce que l’on ne l’a pas encore fait. Benoît, c’est Benoît Bel. On a enregistré chez lui et il a également a coproduit l’album avec nous.

La Face B : C’était à Hossegor ?

Bertrand : Oui, c’est ça.

La Battue : « On sort de la Bedroom Pop pour passer à une étape »

La Face B : Du coup, bien que vous soyez arrivés avec vos maquettes, vous a-t-il fallu reprendre quasiment tout le travail ?

Bertrand : C’est le cas parfois pour certains groupes, mais nous sommes arrivés avec des maquettes assez précises. Par conséquent, nous pensions que Benoît allait avoir un travail d’arrangeur avec nous et toucher un peu à la composition. Finalement, on est resté fidèle à la forme déjà présente mais on a refait tous les sons hormis quelques lignes déjà enregistrées de façon appropriée. Mais sinon, on s’est servi des clips midi des pistes en les envoyant dans les synthés. On a écouté ce qu’il en sortait. Et puis on réglait les filtres au petit poil de cul pour être sûr que cela sonne vraiment bien.

Ellie : C’était dans un contexte très safe, très familial, très bienveillant. On était dans sa maison de famille pendant les vacances scolaires pendant que ses enfants étaient chez les grands-parents et nous occupions leurs lits. Mes prises chants, je les ai faites à côté du lit superposé de sa fille. Mais il y avait quand même un piano à queue dans le salon. Yurie a fait des arrangements de cordes qui ont été enregistrés sur place. Nous avons pu faire des expérimentations au niveau des chants et des instruments dans la limite du temps dont nous disposions car c’est tout de même un budget important d’enregistrer dans un studio et de payer quelqu’un. Cela nous a pris 12 jours pour enregistrer 10 chansons.

La Face B : C’est vrai que cela rentre en résonance. Ellie disait, les EP c’était « chercher La Battue ». Et Farrago, c’est « On s’est trouvé ».

Ellie : On sort un peu de nos chambres et de la Bedroom Pop. Nous avons plus d’assurance et nous sommes prêts à parcourir de nouveaux sentiers.

La Face B : On peut caractériser votre musique comme solaire. Pour autant, il se dégage une certaine mélancolie des paroles. Pour ne prendre qu’en exemple le titre Arisaig, on est transposé dans un petit village de la côte ouest des Highlands en Écosse.

Ellie : Il y a une nostalgie profonde ancrée en nous. Tout au début, quand j’ai lancé le projet dans ma chambre – il y a six-sept ans – j’avais envie d’aller à l’encontre de ce côté un peu lascif où on se morfond dans cette nostalgie et de kiffer les sad songs. Je venais tout juste de découvrir la joie de jouer dans Mermonte où, à l’époque, nous jouions des chansons pleine d’énergie, très solaires. J’avais envie de recréer cet univers avec La Battue.

L’album contient des chansons très hot beats, assez dansantes ou qui donnent le sourire. Je crois que la chose qui me parle le plus c’est de voir des smiles quand on fait des concerts. Les thèmes assez deep et dark des morceaux sont contrés par la musique avec ses accords joyeux aux rythmiques solaires. C’est important pour moi. Et ce n’est pas quelque chose de travaillé. Cela vient naturellement. C’est ce qui nous définit.

La Face B :  Crois-tu que l’on puisse parler de choses graves de façon calme ?

Ellie : Carrément, et avec le smile ! Je suis une éternelle optimiste. Pourtant je vois toute la merde qui se passe partout dans le monde. Il y a des chansons comme Five to Nine où j’aborde des faits de société un peu trash sur les inégalités, l’accroissement des riches, l’endormissement des pauvres par les médias. Ce sont des thèmes sombres, mais quand on le chante sur une rythmique qui fait danser ça devient plus simple.

La Battue : « Avant, j’avais très peur de mélanger militantisme et art »

La Face B : Il y a une autre chanson très forte au niveau du sujet abordé. C’est d’ailleurs la seule que vous chantez en français. 1/100 marque une saine réaction face à des faits qui ne devraient pas exister. Au-delà de la musique, il existe également les messages qu’elle peut porter. Et c’est important.

Ellie : Avant, j’avais très peur de mélanger militantisme et art. C’était peut-être une facilité de se dire que j’allais rester en surface avec mes chansons ou parler de choses plus personnelles qui ont, bien sûr, autant de valeurs. Mais en vieillissant, j’ai acquis une conscience politique qui fait que je milite et m’intéresse davantage aux faits sociétaux. Si je peux utiliser le peu d’oreilles qui m’écoutent pour défendre des sujets qui me tiennent à cœur, il faut que j’en profite et que je le fasse.

Tous les trois, nous avons amené nos bases sur certains morceaux. Et 1/100 a été une de mes bases. J’avais ce riff de batterie très rapide et des accords de piano. J’ai commencé à chanter une mélodie en français, chose qui ne m’arrive jamais. Là, je faisais du yaourt en français. Je me suis dit que c’était le destin. Et si c’est en français, il fallait que ce soit un thème qui vaille le coup. Pour une fois que l’on comprend les paroles, il ne fallait pas parler de choses futiles.

Il y avait cette première phrase « Où était-elle hier soir ». Je l’aimais beaucoup parce que ce qui me fait peur dans la langue française ce sont les consonnes fermées, les plosives, tous les « on » « an » « u » qui n’existent pas en anglais. Ce sont des choses qui sont plus compliquées à faire sonner. Dans « Où était-elle hier soir », il n’y a que des voyelles hyper ouvertes. J’avais essayé de construire la chanson sur ces voyelles ouvertes et au bout d’un moment le thème est devenu beaucoup plus important que mes constructions. Je suis partie sur le texte, peu importe qu’il y ait des « an » ou des « u » dedans. J’arrivais à les faire sonner quand même.

Et puis comme on est deux femmes dans le projet. Yurie comme moi, on est de plus en plus éveillées sur l’oppression du patriarcat en général. La musique est un milieu très, très masculin. Et la musique professionnelle l’est encore plus. En tant que musiciennes professionnelles ; il est important que l’on puisse parler de ces thèmes. Que cela puisse déjà évoluer dans notre milieu et pourquoi pas en dehors de notre milieu.

La Battue : « On a joué avec des espèces d’hallucinations auditives »

La Face B : Parmi les autres chansons marquantes de l’album, figure également Second Gear. Elle clôt l’album en nous menant littéralement vers un ailleurs et finit dans un brouillement musical assez jubilatoire. Ce titre Second Gear est-il là pour nous inciter à ralentir pour retourner aux choses essentielles ?

Ellie : En fait, c’est marrant. Il y a un peu un double sens. Second Gear, c’est aussi « On passe à la deuxième vitesse », au level d’après. Et du coup, c’était amusant de l’avoir en fin d’album. On vient de faire notre premier album et, pour la suite, on va passer à l’action. Vous parlez de ralentir alors qu’à la base j’avais cette idée de vitesse. En plus, c’est un morceau un peu transe où l’on a voulu explorer les synthés, les arpèges. Partir dans un truc presque électro, hyper Steve Reich dans ses boucles.

Et les seules choses qui altèrent, ce ne sont pas les notes, mais les filtres, et donc la perception du son. On a joué avec des espèces d’hallucinations auditives, des choses qui se décalent. On est vraiment dans l’idée d’un mouvement perpétuel. Du coup, c’est hyper cool de se dire qu’il en existe une double lecture et qu’il est aussi possible de le prendre avec un step en arrière. De s’octroyer le temps d’analyser et de faire une petite respiration pour envisager la suite. Je trouve cela hyper poétique. C’est beau.

La Face B : C’est drôle, on voyait la rétrogradation, le fait de ralentir. Et le bouillonnement de la fin qui correspond à un retour au vital.

Ellie : Et pour ce morceau, c’est marrant parce qu’on parlait de l’enregistrement chez Benoît. C’est le seul où l’on ne savait pas trop ce que l’on faisait [Rires]. On avait le début de la chanson, on savait que l’on voulait une deuxième moitié répétitive avec des boucles. Mais on ne savait pas quoi. Ça a été, au final, une chanson remplie d’émotions. Il y a de la frustration, de l’incompréhension. Je ne sais pas si tu te souviens, Yurie, mais quand on parlait de cette chanson, un moment j’étais perdue parce qu’on ne savait pas où on allait.

En parlant de vitesse, ça a encore du sens. On est sur un chemin, mais on était perdus. Et Benoît a vraiment réussi à nous canaliser. On a expérimenté en direct et je crois que c’est l’expérience que j’attendais d’un enregistrement en studio. C’est aussi se laisser guider et laisser la magie de l’instant opérer.

Yurie : C’était le moment où l’on a eu l’impression d’avoir un quatrième membre du groupe. On lui a laissé de la place pour réinterpréter le morceau. On avait déjà la moitié et le temps coulait. C’était un des derniers jours. On avait accumulé pas mal de fatigue. Je nous revois avec plein de synthés en train de faire la fête.

Ellie : On dansait comme des dingues, ensemble dans le studio.

Yurie : Cela nous a permis de relâcher la pression.

Ellie : Et l’on ne savait pas que cela allait être le dernier morceau. Mais c’est devenu une évidence. On s’est dit que, c’est sûr, c’est le morceau qui doit clore l’album.

La Face B : L’album contient dix pistes, il est très unitaire et en même temps on sent un travail différent sur chacune des pistes. Second Gear a été enregistré à la fin. Vous avez tout enregistré dans l’ordre ?

Ellie : Non, on a d’abord enregistré les batteries pendant les deux premiers jours. Benoît avait loué un autre studio parce que, comme je le disais, on a enregistré chez lui, dans sa maison. On avait un jour et demi pour rentrer les dix batteries. C’était un peu le défi, mais comme Bertrand est très doué, ça l’a fait. C’était même cool, on a même eu le temps d’expérimenter. Ensuite, Yurie comme moi, on a déjà eu cette expérience horrible de faire tous les synthés ou tous les instruments et de devoir faire, seulement à la fin, toutes les voix le dernier jour. Et tu charbonnes.

Cette fois-ci, on a essayé de faire un morceau par jour, pour les voix en tout cas. On avait donc déjà les batteries. Donc le matin, on se levait et on faisait les synthés, ou du moins on dégrossissait les synthés. Et après on faisait les prises de voix l’aprèm. Le soir on réécoutait et on fignolait les arrangements. On faisait des tests, voire on commençait le mix. Au final, on a fait à peu près un jour une chanson sur les dix jours où nous étions chez Benoît.

Finalement, c’est rassurant, car c’est vraiment terrible de devoir caler toutes les voix à la fin alors que tu es fatiguée, que tu viens de donner beaucoup d’énergie pendant 10 jours. Alors qu’il faut chanter juste et mettre de l’émotion. Ce n’est pas évident pour quelque chose comme le chant, un instrument tellement mental.

Yurie : c’est le plus dur à vrai dire, arriver à bien chanter.

Ellie : Heureusement quand Yurie chantait, j’étais là pour la coacher et quand je chantais, Yurie était là pour me coacher. C’était bien d’avoir cette solidarité. On n’était que trois, mais tous les trois, présents et hyper investis dans tout ce qu’on faisait. . Même Bertrand, bien que ce soit uu peu moins que sur les EP, chante quand même beaucoup et on était là pour le coacher.

La Face B : Avec Elliott Armen, vous avez été tous deux lauréats du Fair 2022 session 2 (Mermonte l’avait été en 2014). La scène rennaise est toujours bien active. Existe-t-il une synergie entre les groupes ?

Yurie : Une synergie qui n’existe que si on la souhaite. Avec Elliot effectivement, on a enregistré avec lui, dans une église, un morceau qui figure dans notre précédent EP, avant Farrago (In the Attic, 2022). Et à Rennes, lorsqu’il y a des co-plateaux ou autres événements, on a l’opportunité de rencontrer d’autres artistes. Ce n’est pas à chaque rencontre que l’on a envie de collaborer avec les artistes, c’est certain. Mais avec Elliot on s’entend super bien. Après on a envie d’être dans le soutien avec tous les groupes qui viennent de notre région, mais ça ne s’arrête pas là. Avec Ellie on a surtout envie de soutenir des projets portés par des femmes. C’est plus cela que la région Bretagne [Rires].

Ellie : Même si c’est vrai qu’en Bretagne, on a cette chance – et c’est pour ça que c’est dur de la quitter – d’avoir un environnement qui soutient les groupes en développement. Que ce soit par des dispositifs d’accompagnement ou par le nombre de festivals qui s’y déroulent. Le nombre de festival au mètre carré en Bretagne, l’été, c’est un truc de ouf. Maintenant qu’on a ces 10-15 ans d’expérience à Rennes, on a créé notre réseau et l’on est identifié.

On a donc beaucoup de chance d’être dans cet endroit qui est très propice à la création et au développement. Elliott Armen est là, mais on a aussi beaucoup de chance d’avoir des groupes comme les BOPS, Laura Perrudin. Il y a beaucoup de choses foisonnantes. Il y a aussi beaucoup de lieux alternatifs, je pense notamment à Quincé, à la Basse-Cour. Ce sont des fermes urbaines, des tiers-lieux comme on les appelle. On a la chance d’avoir l’Antipode bien sûr, mais aussi d’autres lieux où des groupes qui sont à d’autres niveaux de développement peuvent venir pour se retrouver, se rencontrer et partager leurs musiques dans les bars et ailleurs. Nous, on se retrouve beaucoup là-dedans.

La Battue : « J’ai trop hâte de savoir quelle musique fera La Battue dans 10 ans »

La Face B : Et quelles sont vos prochaines actualités en termes de concerts, de clips ou autres ?

Ellie : On a fait un clip qui a accompagné la sortie de l’album. The Little Joys, avec ce télé-achat des années 50-60.

La Face B : Rempli de couleurs chatoyantes !

Ellie : Oui et ça nous définit bien ça. Ce type d’autodérision. On n’est clairement pas un groupe qui se prend au sérieux et ça se ressent dans nos univers visuels. Sinon, on a pour projet de faire un nouveau clip pour le morceau Five To Nine. On a une dizaine de dates qui vont tomber, dont certaines qu’on ne peut pas annoncer. Mais voilà, il y a des choses qui se passent au niveau du live. On aimerait pouvoir faire une certaine date parisienne. Voilà pour les lives. Sinon c’est vrai que c’est très bizarre comme disait Bertrand, car il y a des morceaux qu’on a écrits il y a maintenant plus de trois ans et c’est maintenant qu’on les défend sur scène.

La grande suite de La Battue, c’est donc de défendre ces morceaux, et de faire exister l’album le plus longtemps possible – ce qui n’est pas évident dans cette période où tout se consomme très rapidement, où tout est jetable. Donc il faut qu’on arrive à exister autour de ces dix chansons. Et après pourquoi ne pas envisager la suite, mais disons que pour l’instant on n’est pas du tout dans cette dynamique d’écriture. On est plus dans la perspective de profiter de cet album et on verra bien où ça nous mène.

La Face B : Et en vous projetant, vers où souhaiteriez-vous mener votre projet ?

Ellie : Depuis que j’ai lancé La Battue dans ma chambre il y a six ans, je me suis dit que ce ne serait pas un groupe qui s’arrêtera après le premier album. On n’aura pas le syndrome du groupe qui fait tous les tremplins, qui fait un album et qui s’arrête. Même si on a toutes et tous d’autres projets, parce que c’est compliqué d’arriver à vivre avec un seul projet aujourd’hui et qu’on s’épanouit également avec d’autres collaborations artistiques.

En fait, j’aime beaucoup le parcours de Mermonte. Mermonte sort un album tous les quatre ans, on ne se prend pas trop la tête, on vivote à notre rythme, mais on est là, on compose ensemble et on existe encore. J’ai trop hâte de savoir quelle musique fera La Battue dans 10 ans. Je pense que ça va encore bien évoluer en suivant nos envies. Peut-être que ce sera un duo violon, à vrai dire on n’en sait rien.

Yurie : Ça peut virer complètement Beyoncé en fait. Beyoncé fera de la folk et nous on fera du Beyoncé !

Ellie : Est-ce qu’on sera dans un trip « on veut que des meufs » ? Est-ce que mon chien sera sur scène avec nous aussi ? On fera des featurings canins (câlins). On ne sait pas, mais on sait qu’on sera encore là en tout cas !

Yurie : On espère, en tout cas, d’être vivantes.

La Face B : Et du coup, ça rejoint la dernière question, de ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite. Être toujours là dans dix ans !

Ellie : Oui, franchement, et d’être épanouis et d’être heureux. On fait de la musique et tout cela, mais ce qu’on peut se souhaiter, c’est d’être heureux dans ce qu’on fait. Parce qu’on est des gentils, des petits mignons. On ne pourra pas faire de la bonne musique si on est malheureux. Et donc il faut prendre soin les uns des autres dans ce milieu.

Yurie : On essaye de casser le mythe de l’artiste maudit qui prend plein de drogues, qui fait du mal à son entourage et pourrit les salles où il se produit.

Ellie : On est les bienveillantes et les gentilles. Et c’est pour ça qu’on fait de la musique pop.

La Face B : Et en tant qu’auditeurs, nous avons aussi besoin de cela. On a besoin de super concerts, de super disques et le vôtre fait plaisir à écouter.

Ellie : Merci et ça compte pour nous, car on a mis beaucoup d’amour, d’énergie et de temps sur cet album et de le savoir écouté, ça nous fait du bien. C’est même un peu irréel, car on est toujours quelque peu les Ellie et Yurie adolescentes dans nos chambres qui ont du mal à réaliser qu’il y a des gens qui ont envie d’écouter ce qu’on fait. Et ça rend humble.

La Face B : Et c’est un album qu’on prend plaisir à réécouter aussi.

Ellie : Oui il y a plusieurs couches. C’est un petit oignon à analyser.

Yurie : c’est un petit Shrek !

La Face B : Et même au-delà de ça, pour avoir beaucoup repassé les EP, ces derniers temps, on s’aperçoit que c’est un groupe qui a déjà une histoire, avec différents chemins pris depuis 6 ans.

Ellie : Oui, je pense que c’est un accouchement qui a été en plusieurs étapes. Il y a des groupes qui te sortent un premier album direct. Nous, on a eu besoin de pousser très fort plusieurs fois avec les EP pour pouvoir accoucher de Farrago.

La Face B : En tout cas, merci pour toutes ces informations et cet entretien !

Ellie : Merci à vous et on espère se revoir en live !

Un grand merci à Tanguy qui a rejoint le côté clair-obscur de La Face B pour nous épauler lors de cette l’interview !