La Lettre #1 : Adam Green

Quelque part à Paris
Le 20/09/2019

Salut Adam, je ne sais pas trop pourquoi je t’écris cette lettre, sans doute la sortie de ton nouvel album Engine Of Paradise m’y a poussé. On m’a demandé si je comptais en parler, la réponse était oui, mais je ne savais pas trop comment, alors plutôt que d’y réfléchir trop longuement, c’est à toi que j’ai décidé de parler.

C’est sans doute étrange, et ça trahit aussi toute la structure classique d’une chronique, mais parfois une lettre ouverte est le moyen le plus facile d’exprimer son admiration à quelqu’un. Parce que oui je t’admire, il faut le dire simplement sans chercher à pervertir ce mot très fort. Tu es dans ma vie depuis un petit moment déjà, ta musique a influencé ma vision de ce que devait être une relation amoureuse à travers un film formidable où Michael Cera et Ellen Page chantent Anyone Else But You en se regardant dans les yeux sur les marches d’un seuil de maison. Pour moi ça devait être ça la vie, et ça doit toujours l’être, pouvoir regarder l’autre dans les yeux et lui chanter une chanson d’amour le plus simplement du monde. Ça fait bien quinze ans que tu es une présence dans mon existence, depuis le superbe Friends Of Mine que je me réécoute encore et encore de tout temps. Tu es passé par toutes les étapes : chantre du lo-fi et de l’anti-folk, crooner, rocker, partenaire dans le crime avec Binky Shapiro mais durant toutes ces étapes, tu n’as jamais cessé d’être toi-même, ce bonhomme qui aime provoquer autant qu’il aime émouvoir, qui n’hésite pas à jouer plus qu’il ne faut de son personnage mais qui laisse toujours une porte entrouverte pour que l’on puisse voir du coin de l’œil ce qui se cache derrière ce regard pétillant et toujours enfantin. Chaque album est une tenue qui t’habille à la perfection jusqu’à ce que tu décides d’en changer pour nous offrir la suivante. Aujourd’hui tu reviens avec ton dixième album solo, Engine of Paradise, que tu accompagnes d’une bande-dessinée censée le prolonger autant que s’y confronter. Il faut le dire, je reste à nouveau charmé.

Tu reviens une nouvelle fois à ce que tu sais faire de mieux : conter des histoires en toute simplicité. Ta voix me berce toujours aussi facilement, il suffit que je ferme les yeux et je me vois transporté, emmené ailleurs dans ton monde que tu protèges férocement, ne nous laissant entre-voir qu’une infime partie de ton univers mental, créant toujours une forme de frustration, l’envie d’en avoir toujours plus. Il faut dire que je suis gourmand, et je ne dois pas être le seul, j’aimerais tout savoir, mais sans doute cela gâcherait la poésie de ta musique, la part de mystère restante étant en grande partie ce qui nous pousse à continuer à te suivre, à la manière d’un Petit Poucet qui disséminerait année après année des morceaux pour qu’on le retrouve ou qu’on le cherche. Ton nouvel album est court, mais c’est tant mieux, parfois certains artistes en font trop et nous poussent à l’overdose. Ça n’a jamais été ton cas et ce ne l’est pas non plus ici. En à peine plus de 20 minutes tu nous montres l’étendue de ton songwriting tranquille, où tu t’interroges autant sur toi que sur ton époque, sur l’amour et sur la technologie. C’est avec plaisir qu’on peut entendre le retour des cordes dans ta musique, la transformant une nouvelle fois en bande-originale d’une époque, d’un instant. On se sent tout de suite bien, comme si l’on retrouvait un ami que l’on n’avait jamais vraiment quitté. Engine of Paradise ouvre ce bal en douceur, une douceur qui ne nous quittera plus. Que tu te fasses prêcheur sur Gather Round, que tu reprennes un peu ton rôle de crooner sur Freeze My Love, que la mélancolie nous submerge sur Escape From This Brain ou Rather Have No Thing, ou que tu clôtures ce chapitre entre amis sur l’exceptionnelle Reasonable Man (ce que tu ne seras jamais, on le sait tous les deux), le lyrisme n’est jamais loin, tu es toujours sur cette ligne fine, comme un équilibriste.

Certains sombreraient avec malheur dans le mauvais goût, ce n’est jamais ton cas, ça ne l’a d’ailleurs jamais été, tout semble si naturel et si vrai chez toi. Tu réussis une nouvelle fois la gageure de nous offrir un album qui semble aussi familier qu’il est neuf, de garder ainsi toujours présente ton âme d’enfant, ce côté doux et rêveur dans ton regard qui me rassure autant qu’il me fascine. Adam, c’est avec ces mots que je te quitte, en écoutant encore cet Engine Of Paradise qui me surprend écoute après écoute et qui me répare d’une certaines manière. Merci pour tout et à bientôt.

Charles