La Rave éveillée de Jamie xx à l’Alexandra Palace

Producteur prolifique, DJ incontournable et figure adulée de la scène électronique britannique, Jamie xx a investi fin septembre le grand hall de l’Alexandra Palace pour deux soirées très attendues. Et malgré quelques légères ombres au tableau, l’artiste londonien a une nouvelle fois prouvé son génie technique et sa méticulosité indéfectible.

crédit photo: Joseph Okpako pour NME

Sous une pluie battante, une file indienne de double-decker bus vomit des hordes de Londoniens remontés à bloc. Spectacle inhabituel en ce mercredi de fin septembre, alors que l’automne s’installe confortablement dans la capitale anglaise. Il est vingt heures passées, et depuis plus d’une heure les portes de l’Alexandra Palace (Ally Pally, pour les intimes) voient défiler la lente procession des fidèles de Saint Jamie xx en direction de l’autel-ectronique. Car c’est un véritable tour de force pour le prodige anglais, qui a réussi à sold-out la plus grande fosse du Royaume-Uni deux soirs de suite. Une prouesse qui, forcément, alimente depuis des semaines des attentes aussi élevées que celles de son grand retour.

Messie xx

Sous l’immense nef de l’Alexandra Palace, l’atmosphère crépite déjà d’une énergie survoltée. Une odeur tenace de poulet frit flotte dans l’air (des food trucks étaient carrément dans la salle – quels génies ces Anglais) tandis que la foule se bouscule dans un désordre impatient. Les dernières basses du set de Shy One, qui a chauffé l’assemblée avec une sélection musclée et résolument drum and bass s’évanouissent à peine, lorsque Jamie xx se glisse discrètement sur scène. Pas de grande pompe, pas de lumière aveuglante. Fidèle à sa réputation d’artiste de l’ombre, il se faufile discrètement, seulement éclairé par un projecteur isolé. Une arrivée à l’image de celui qui a toujours préféré rester en marge du tumulte. Paradoxalement, il n’en faut pas plus pour embraser la foule languissante. Et c’est dans ce contraste brûlant, porté par une attente collective, que la grande messe peut enfin commencer.

In Waves, enfin !

C’est avec le génialissime In Waves que Jamie xx choisit d’ouvrir son set, débutant par « Wanna« , un morceau aux sonorités UK Garage qui sample les iconiques Tina Moore, Double99 et Andy Quin. Et la suite d’In Waves ne se fait pas attendre : Jamie xx déroule promptement avec les vocalises 90’s très stridentes de « Treat Each Other Right » et de l’électrique « Still Summer ».

Pendant toute une première partie, Jamie xx jongle brillamment entre In Colour et In Waves, enchaînant les morceaux avec une dextérité insolente. En bon capitaine, il navigue entre dubstep, jungle et UK garage, agrémentant le tout d’une techno affûtée, glissant des titres comme « I Need Space » de Boulderhead ou « Ticket in my Pocket » de Regal86. Puis, avec ses singles phares « KILL DEM » et « It’s So Good », Jamie xx réussit en une trentaine de minutes à nous plonger dans l’atmosphère moite et bouillonnante des raves londoniennes des années 90.

Bien sûr, les grands classiques sont aussi de la partie. Des morceaux comme « Gosh » et « Idontknow » résonnent comme des madeleines sonores pour les quasi trentenaires de la salle. Le mélange est incisif, les transitions sont chirurgicales, Jamie xx prouvant encore une fois qu’il est un maestro de la sélection musicale. L’Alexandra Palace prend rapidement des airs de samedi en club à Hackney, et on en oublie presque que le lendemain, il faudra retourner travailler.

Visuellement, la scénographie se veut simple, mais cohérente. L’atmosphère survoltée des clubs britanniques se mêle au minimalisme caractéristique de l’hôte des lieux. Après 45 longues minutes d’une pénombre zébrée de lasers rouges, bleus et verts, l’écran géant derrière Jamie xx s’anime enfin, projetant des images lives saturées et saccadées de la foule. Un clin d’œil nostalgique que l’on verrait presque comme une vieille archive INA retrouvée dans les tréfonds de Dailymotion.

Attention terrain dansant

Après une heure trente de beats effrénés et une mer de sueur (peut-être l’illustration la plus concrète de In Waves), la soirée prend un virage assurément disco lorsque la gigantesque boule disco au milieu du hall s’illumine, marquant les premières notes tant attendues de « Loud Places ». Pas de Romy à l’horizon, mais qu’importe : la foule s’empare du moment, scandant en chœur les paroles tirées de « Could Heaven Ever Be Like This« . Surfant sur l’énergie collective, Jamie xx enchaîne alors avec un brillant mix de « That’s How the Good Lord Works » et ponctue la séquence de multiples hommages appuyés à notre Cerrone national. Le set reprend ensuite son cours avec des titres phares d’In Waves et d’In Colour comme « All You Children » , « Baddy On the Floor » ou « The Rest Is Noise » .

Mais la mandale de l’année arrive avec le closing follement audacieux, puisque Saint Jamie décide de faire tomber le rideau final sur Whole Lotta Love de Led Zeppelin. Un choc jouissif où les riffs bruts du rock se heurtent aux textures électroniques dont il est maître. Une collision inattendue qui fait l’effet d’un uppercut sonore. Magistral.

Un set trop confortable ?

Mais même mon admiration infaillible pour l’introverti musical le plus brillant du Royaume-Uni a fini par se heurter à un bémol. Il m’a fallu plusieurs jours et une redescente sèche de mon petit nuage pour l’admettre : ce soir-là, malgré la ferveur et l’énergie palpable, il manquait un petit quelque chose. Peut-être un brin de surprise, une présence scénique plus dynamique, ou des guests pour pimenter le tout. Jamie xx, pourtant excellent dans son rôle de DJ, est resté seul sur scène, sans invités ni retrouvailles attendues. Un choix relativement étonnant pour celui qui, quelques mois plus tôt, avait pris d’assaut le Venue MOT club pour dix jours de résidence complètement ubuesques, accueillant des noms tels que Caribou, John Glacier, Jockstrap ou encore Charli XCX (rien que ça). À Alexandra Palace, certains ont trouvé la performance un poil trop sage et édulcorée, avec un Jamie xx s’adonnant religieusement et confortablement à un exercice qu’il maîtrise à la perfection, sans pour autant le réinventer.

Ravissement after all

Malgré cette infime frustration, cette soirée marquera certainement un moment d’anthologie pour beaucoup. Car Jamie xx n’est pas seulement un producteur et DJ brillantissime, c’est aussi la boussole électronique de toute une génération. La bande-son sur laquelle on s’est abandonnés lors de soirées improvisées dans les garages de nos parents ou dans des studios exigus, à vingt ans, jean slim et mèche laquée en étendard. Là où il triomphe, c’est dans sa constance. Un statut de star internationale plus tard, Jamie xx n’en a pas terni son aura auprès de la branchosphère, ni dilué l’affection de ses premiers fans. Et s’il y a bien une chose que sa performance à Ally Pally nous a montré ce soir là, c’est que Jamie xx continue de transcender son art année après année et d’enchanter un public toujours émerveillé par son génie.

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