The American Dream, the American way of life … Autant de crédos que le peintre new-yorkais Norman Rockwell a illustré à travers la multitude de peintures expressives qu’il a produite dans les années 1950 et 1960, saisissant une Amérique glorieuse, en plein âge d’or. Une Amérique aujourd’hui portée par des problématiques toujours plus sombres et peu réjouissantes à l’aune d’un 21e siècle semblant faner même les choses les plus pures. Cette vision, Lana Del Rey s’en est souvent joué, au détour d’un imaginaire glamour et mélancolique dans lequel on l’a vu s’épanouir depuis ses débuts. Une douce nostalgie que l’artiste narre une fois de plus dans ce 5e album, en peignant, comme le faisait Rockwell en son temps, le portrait d’une société qui semble aujourd’hui avoir un peu trop laissé ses rêves au placard.
Pour celle qui sait si bien chanter son pays et ses états d’âmes, Norman Fucking Rockwell ! résonne ainsi comme une œuvre sans surprise mais qui s’avère, au fil des 14 titres de l’album, résolument intimiste. Même les compositions aux couleurs trip-hop et psychédéliques apportées par le musicien et producteur Jack Antonoff n’auront éludé la crainte d’un album bon pour ce que l’on connaît de l’artiste, sans brillance pour celui qui en attendait l’audace.
Sensibilité à fleur de peau, langueurs monotones et désillusion moderne sont donc une nouvelle fois au rendez-vous sur cet album. Une ritournelle plaisante depuis qu’on a découvert l’artiste avec Born To Die en 2012, moins savoureuse quand on s’attendait à des titres plus ambitieux. Pourtant, ce n’est pas la sincérité qui manque, Lana Del Rey démontre une fois de plus qu’elle reste une artiste complète, une poétesse habile dans l’art de saisir avec justesse les sentiments les plus complexes, mobilisant une mosaïque de références musicales, artistiques et littéraires, le tout habillé d’une composition musicale planante. L’album s’ouvre ainsi avec le mystérieux titre Norman Fucking Rockwell qui nous invite à écouter l’histoire d’un poète immature et sauvage dont la chanteuse esquisse les traits. Animée par la nécessité d’accéder aux vérités les plus banales par une poésie à la fois tendre, crue et incisive, tant sur Mariners Apartment Complex que sur Love Song, il n’y a rien de surprenant à retrouver un talent d’écriture intact sur les sujets iconiques de l’artiste. Globalement, la composition des morceaux s’articule autour d’une guitare acoustique, de riffs de guitare électrique ou encore de mélodies plus accessibles au piano. Un ensemble qui tend à essouffler l’album au fur et à mesure que les titres défilent. D’autant que le morceau le plus long, Venice bitch, placé en 3e position, déroule pendant 9 minutes 37 une ballade musicalement peu convaincante et qui continue de relater la vie de la côte ouest américaine pour laquelle l’artiste a quitté New York. Une longe ballade donc, qui semble tâtonner à grand renfort de sonorités psychédéliques parvenant à raviver un peu le tout tandis que les paroles distillent cette douce nostalgie : « Paint me happy in blue Norman Rockwell ».
Faut-il attendre Doin’ Time, la pépite de l’album pour se rasséréner? Toute la crème de ce que l’artiste sait explorer se retrouve ici, l’atmosphère vaporeuse, les notes oniriques du synthé flirtant avec les accents hip-hop du titre. On dirait bien que la chanteuse s’amuse, mi-boudeuse, mi-assurée sur ce titre, dévoilant une palette vocale qui délivre un imaginaire sombre et intriguant. Il s’agit en réalité d’une reprise du titre de 1996 du groupe Sublime. Sans que ça n’enlève la beauté des arrangements et la réinterprétation de l’artiste, c’est une petite déception. En revanche, là où la chanteuse emporte toute la ferveur qu’elle mérite reste pour le titre sensiblement touchant et musicalement plus percutant The greatest. Réveillant l’énergie romantique et ce bon vieux spleen qui fait du bien, l’artiste évoque l’ambiguïté des relations dans ses joies et ses travers, le monde qui semble partir en vrille et l’admiration infinie qu’elle porte à cette époque dorée de la musique ayant vu éclore le rock’n’roll et la surf music. « The culture is lit, and if this is it I had a ball. I guess that I’m burned out after all / L.A. is in flames, it’s getting hot » assure t-elle avant d’asséner une pique à Kayne West faisant référence à l’engouement du rappeur envers Trump : « Kanye West is blond and gone ». Pour l’anecdote, elle décriera par ailleurs en 2018 dans un commentaire posté sur l’Instagram de la star : « Trump becoming our president was a loss for the country but your support of him is a loss for the culture ». La composition du morceau sonne, lui, comme une ballade des années 1960, puisant sa texture dans le rock britannique des groupes populaires de l’époque, enfin habité par ces éclats de guitare bien placés et ces sentiments irrésistiblement beaux de tristesse et d’espoir mêlés.
L’espoir est en effet encore là puisque le sublime titre Cinammon girl rassure tout autant dans les rondeurs que les basses apportent au morceau, tandis que le côté intimiste semble plus précieux et plus chaud. Le sujet universel de l’amour qui fait mal, des relations malsaines et le cri de désespoir qui en résulte est ici complètement prenant à travers les tonalités mobilisées par la chanteuse. Riche par ses nombreuses références musicales, The Next Best American Record évoque à nouveau la nostalgie des 70’s et l’âge d’or de la musique. Cette époque où les préoccupations artistiques supplantaient d’avantage le succès économique, la chanteuse y fait notamment allusion en citant l’album Houses Of The Holy de Led Zepplin sorti en 1973 et considéré comme le meilleur album du groupe.
Écouter Lana Del Rey, ce n’est pas seulement avoir le regard perdu dans le vide et aimer ça. N’en déplaise à ses virulents détracteurs et malgré un album qui peut sembler n’avoir rien de grandiose, l’artiste nous montre une fois de plus qu’elle est dotée d’un singulier pouvoir de création. Lana Del Rey, c’est une personnalité, une voix qu’on pourrait fustiger par moment mais qui habite une musique ne ressemblant à aucune autre, délivrant toujours autant de magie par les cordes sensibles qu’elle titille. Malgré un album en demi-teinte, il en ressort que la qualité de certains textes sublime un ensemble sinon peu original. Enfin, si l’on devait retenir quelque chose de tout cela, c’est que lorsque l’écriture de l’artiste survole cette fragilité face à l’existence, le message qui en résulte demeure l’espoir, définissant la meilleur facette de l’être que nous sommes car « There’s a new revolution, a loud evolution that I saw », assure l’artiste dans le titre qui clôt l’album : Hope is a dangerous thing for a woman like me to have – but i have it.