Il y a presque un mois, Laura Cahen sortait son deuxième album intitulé Une Fille. Un album dont la beauté organique s’est mêlée à l’excellence du virtuose Dan Levy. Dans cet album, Laura Cahen y verse son intimité, chante la féminité, fait écho à ces filles qui l’entourent et évoque sa sexualité. C’est donc à l’occasion de cette sortie que l’on s’est empressés d’aller à sa rencontre pour y parler de son besoin de retirer costume et masque mais aussi des films qui l’ont inspirés lors de la composition de ce disque et de son amour passionné envers la littérature de Goliarda Sapienza. Retour sur cet échange.
La Face B : À une semaine de la sortie de ton deuxième disque, Une Fille, (interview réalisée le 29 avril dernier, ndlr), quels sont les sentiments qui t’animent ?
Laura Cahen : C’est assez complexe, je suis à la fois très impatiente, très contente et puis un peu terrorisée.
LFB : Concernant ce nouvel album, je trouve qu’il s’en dégage une certaine grandeur, une puissance et une force indéniables. Selon toi, est-ce que ce sont des attributs non négligeables pour un album réussi ?
Laura Cahen : Je ne me pose pas vraiment cette question en le faisant sinon ça serait assez présomptueux de me dire que je vais faire quelque chose de grand et puissant (rires) mais je suis très heureuse que tu l’aies perçu comme ça, ça me fait vraiment plaisir. Je ne sais pas si mon album est réussi ou pas mais pour qu’il le soit, ce qui est important, c’est d’y mettre de l’amour, du sentiment, de l’âme. Le but est de réussir à transformer quelque chose d’intime en quelque chose d’universel, que les gens puissent se reconnaître dedans. Quand on va chercher les choses les plus intimes, c’est là que ça peut être touchant et c’est ce que j’ai essayé de trouver.
LFB : Comme tu viens de le dire, Une Fille dévoile donc des textes plus intimes que son prédécesseur. Cela vient-il d’une volonté pour toi de ne faire qu’un avec ceux qui t’écoutent ? D’entretenir avec eux un rapport plus sincère qu’auparavant ?
Laura Cahen : C’est vrai que dans mon album précédent il était plutôt question du passé, je parlais de mes ancêtres, d’une migration du sud vers le nord que mes grands-parents et ma mère ont vécu, ce qui était assez intime mais d’une manière différente. Et là, avec Une Fille, j’avais envie d’être plus au présent. Enfin, c’est ce qui s’est passé en écrivant car lorsque j’écris je ne me pose pas la question de ce qui va sortir, j’essaie de laisser filer les mots comme de l’écriture automatique puis après je fais le point sur tout ce que j’ai. Et visiblement, il était ici question de moi, de ma féminité, de ma sexualité et aussi des filles autour de moi, des femmes qui m’inspirent, des héroïnes et de l’actualité qui m’a traversé. J’ai été très touchée par tous les récits de féminicides terribles. J’avais envie d’affirmer la personne que je suis aujourd’hui, c’est-à-dire une femme qui aime une autre femme.
LFB : Bien que tes textes soient personnels, ils engagent des thèmes pour le moins universels et permettent donc des lectures multiples. Lorsque tu écris, est-ce qu’il y a ce désir de permettre à chacun de s’approprier tes histoires ?
Laura Cahen : Ce n’est pas très conscient je crois et j’ai également l’impression que c’est le but de l’artiste de partir d’un terreau intime pour créer quelque chose qui pourrait devenir universel. J’espère que les gens vont pouvoir s’approprier mes chansons.
LFB : Alors que ton premier album se voulait ancré dans le passé, Une Fille semble plus en phase avec le présent, ton présent en l’occurrence. C’était nécessaire pour toi de renouer avec ce dernier ? De t’y reconnecter ?
Laura Cahen : Disons que c’est un fait, il fallait que je prenne ma place et que j’arrête de me cacher. C’est une nécessité de parler au présent, de faire tomber les masques et la reverb.
LFB : Si Une Fille se démarque de Nord sur plusieurs points, il y a malgré tout quelques similarités qui subsistent. Parmi elles, l’influence du septième art qui reste importante. Quels sont alors les films qui t’ont nourri lors de la composition de cet album ?
Laura Cahen : Il y a toujours mes films préférés comme La Leçon de piano qui me hante. Il y a une chanson qui n’a pas été retenue sur l’album mais qui a été grandement inspirée du film Girl. Dans la chanson Poussière, il y a également plusieurs références comme Les Heures sombres et La Leçon de piano encore une fois. Brume électrique a été influencée par The Voices de Marjane Satrapi. Il y a aussi Portrait de la jeune fille en feu qui m’a beaucoup inspiré. Je regarde beaucoup de films et j’aime bien m’imaginer d’autres vies grâce au cinéma.
LFB : Sur ton compte Instagram, tu dresses brièvement le portrait des femmes avec qui tu as travaillé sur ce nouveau chapitre, tu mets des mots sur ces rencontres. C’est essentiel pour toi de t’entourer de personnes avec qui tu as une complicité, avec qui tu as établies une véritable relation de confiance au préalable ?
Laura Cahen : La relation se crée parfois dans le travail et avec ces portraits, j’avais envie de mettre en valeur ces femmes qui m’entourent et qui sont importantes pour moi. L’idée c’était de rapprocher ces femmes de leurs métiers, j’avais envie de valoriser certains postes dans le sens où si une petite fille tombe dessus, elle pourra se dire qu’il est possible pour elle de devenir chef opératrice, que ce n’est pas que pour les garçons. Toute ma démarche autour de ce disque c’est autant que faire se peut de mettre des femmes en valeur à des postes où elles sont encore trop invisibles.
LFB : Dan Levy a réalisé ce disque. Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble ?
Laura Cahen : J’adore son travail depuis longtemps avec notamment The Dø et ce qu’il a fait avec Jeanne Added. J’avais un rêve secret de faire un disque avec lui mais je ne pensais pas que ce serait possible. Et il se trouve que grâce à mon éditrice, on s’est parlés, il avait écouté ma musique, on s’est bien entendus et il a accroché de suite avec mes maquettes. On a fait un premier essai avec la chanson La complainte du soleil dont on était très contents tous les deux et en même temps, il se trouve qu’il travaillait sur la musique du film d’animation J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin et par une folie il a proposé cette chanson au réalisateur pour la mettre dans le film et ça a été assez magique car ça a été le début de notre collaboration. Après ce début heureux, on a décidé de faire le disque ensemble.
LFB : Quelle a alors été son influence sur la partie instrumentale ?
Laura Cahen : J’avais apporté des maquettes assez produites, j’en avais apporté trente et on a choisi ensemble les douze qui composent le disque. Il a mis un coup de pied dans mes productions et on est repartis un peu de zéro. L’influence dépend vraiment des titres, il y en a certains où c’est plus proche de ce que c’était au départ, il n’a pas fait grand chose si ce n’est étoffer et sublimer. Mais il y en a où c’est complètement renversé.
LFB : Penses-tu qu’avoir mêlé l’organique au synthétique t’a alors permis d’accentuer la portée émotionnelle de tes morceaux ?
Laura Cahen : Je ne sais pas trop, sûrement (rires). Mais en tout cas, j’avais envie de ça, j’avais envie de garder mon identité, ne pas perdre mes guitares classiques qui faisaient sens aux morceaux et en même temps, je suis allée chercher Dan car j’aimais vraiment ce son qu’il avait fait sur le troisième album de The Dø et le premier disque de Jeanne Added, j’avais envie d’aller vers ça tout en gardant mon identité et je suis assez contente du résultat.
LFB : Ta voix semble d’ailleurs moins voilée, moins noyée que dans le passé. Est-ce quelque part la marque d’une plus grande confiance en toi ? D’une volonté d’assumer qui tu es vraiment ?
Laura Cahen : C’était vraiment l’idée oui. Dans le premier disque j’avais besoin de mettre un costume, j’avais besoin de ça, mettre un costume comme Superman pour pouvoir m’exprimer. Mais là j’avais envie de balayer tout ça pour être plus simple, plus directe au niveau de l’image et de la prod. Je n’avais pas envie de faire deux fois le même disque car ce n’était pas très intéressant de faire deux fois la même chose et j’avais cette volonté de remettre la voix au centre de l’histoire.
LFB : Récemment, tu as dit dans une interview qu’il était temps pour toi de prendre ta place en tant que femme dans la société, en tant que femme qui aime une autre femme. Est-ce qu’un jour il t’est venu à l’esprit la possibilité que toi, en tant qu’artiste féminine et homosexuelle, tu pouvais être un repère voire un modèle pour ceux qui t’écoutent ?
Laura Cahen : Je me suis surtout dit que moi, si j’avais envie de parler à la petite fille ou l’adolescente que j’étais, je lui dirais de ne pas s’inquiéter, qu’il y en a d’autres, qu’elle a le droit et je pense que j’ai un peu manqué de ça. J’aimerais mieux que ce ne soit plus un sujet mais il se trouve que ça l’est encore complètement d’où mon besoin de prendre cette place.
LFB : Vis-à-vis du titre de ton album, le terme une fille peut sembler infantilisant lorsqu’il est question de parler d’une femme, c’est un terme qui peut éventuellement la rabaisser, l’empêcher d’accéder à un statut, un pouvoir, une certaine maturité. Toi qui as d’ailleurs décidé d’appeler ton album Une Fille et non une femme, quelle distinction fais-tu entre ces deux termes ?
Laura Cahen : C’est marrant car je vois plutôt ça dans l’autre sens. Je trouve que femme c’est hyper pressurisant, je ne me reconnais pas vraiment dans ce terme, je n’aurais pas pu appeler mon album une femme car ça ne connote pas la même chose. Une fille c’est plus farouche, plus libre, pétillant et sauvage. Je comprends cette nuance mais je ne suis pas d’accord. Souchon disait qu’il ne pouvait pas parler des femmes en disant femme, il disait toujours fille dans ses chansons parce qu’ il était resté un grand enfant et je crois qu’il y a un peu de ça chez moi aussi.
LFB : Le romantisme est omniprésent chez toi. J’ai également pu comprendre qu’il y avait un tableau issu de ce mouvement culturel qui te marque particulièrement, celui du Voyageur contemplant une mer de nuages. Que ressens-tu lorsque à ton tour, tu le contemples ?
Laura Cahen : Je ressens une espèce de sérénité face à une tempête environnante, je ressens quelque chose de l’ordre du calme intérieur face au monde complètement bouillonnant à l’extérieur. Je ressens une détermination, la possibilité de traverser toute cette mer de nuages en étant très calme, très zen. J’ai envie de m’y noyer, je le trouve magnifique.
LFB : Pour parler un peu de la scène, comment comptes-tu faire vivre cet album en live ? Quel.le.s seront les musicien.nes qui t’accompagneront ?
Laura Cahen : Sur scène j’ai commencé à travailler avec deux musiciennes, une batteuse (Zoé Hochberg) et une bassiste qui joue du clavier aussi (Audrey Henry), Zoé joue notamment avec Hyphen Hyphen et Naive New Beaters, Audrey était sur la tournée de Jeanne Added sur le précédent album, ce qui donne vie au power trio. Et j’espère que les concerts vont reprendre très vite.
LFB : Enfin, aurais-tu des coups de cœur à partager avec nous ?
Laura Cahen : Je suis en train de lire tous les livres de Goliarda Sapienza qui sont très beaux dont Les certitudes du doute et Rendez-vous à Positano que j’aime beaucoup. En musique, ce n’est pas vraiment une découverte mais mon coup de cœur du moment c’est Arlo Parks. J’ai aussi vu un film que j’ai beaucoup aimé et qui s’appelle Shirley de Josephine Decker avec Elisabeth Moss, vraiment superbe.