Les Forces Contraires : l’inextinguible lumière de Terrenoire

La vérité est à l’unanimité préférée au mensonge. Alors soyons honnêtes : quelle joie d’enfin tenir entre nos mains et nos appareils le premier album de Terrenoire. Un album généreusement offert par notre duo stéphanois favori et qui se présente à nous tel ce livre plein d’amour et d’espoir. Un livre dont on a évidemment apprécié chacune des lignes et dont on se plaît aujourd’hui à vanter la beauté.

En 2018, le premier EP de Terrenoire nous avait certes abusivement chamboulés, mais avait aussi comme attrapé notre cœur avec une aisance déconcertante. Moins dans l’intime, mystérieux avec ce goût prononcé pour la subtilité et par dessus tout qualifié d’un premier sans faute. Alors comment doubler cette première réussite unanime ? Probablement avec un album poussé par une sincérité et un optimisme innés. Créé à partir de la mort de leur père, Les Forces Contraires engage un flux de pensée bien précis et structuré, donnant ainsi lieu à un ensemble d’une justesse et d’une richesse absolues.

Se défaire du malheureux, d’un au revoir prématuré n’a rien de facile et constitue en soi une véritable épreuve. Et c’est ce dont traite Le temps de revenir à la vie, délicat morceau d’ouverture faisant du temps un élément précieux. De ce titre sont alors énoncés les quatre piliers sur lesquels repose le reste de l’album : l’amour, la mort, la mer et la lumière, piliers assemblés à des fragments de souvenirs familiaux, des péripéties sentimentales et des désirs inassouvis. La machine est donc lancée et on se voit captiver par ce magnétisme si particulier qui habite Théo et Raphaël. On a alors envie de ne faire qu’un avec leur intimité et de connaître les quelques secrets qu’ils se sont gardés de nous conter jusqu’à aujourd’hui. Dis-moi comment faire, titre au rythme enjoué déverse interrogations et paradoxes infinis, délivre l’histoire de protagonistes dérangés par la fatalité de l’existence, essayant tant bien que mal de se raccrocher à quelques bribes d’espoir. Sur une note moins dramatique mais plus romantique avec une prose des plus sensuelles, Baise-moi engage une familiarité où les corps sont liés et l’alchimie puissante. Et cet écho de l’amour passionné revient à galop dans cette lettre ouverte qu’est Mon âme sera vraiment belle pour toi où à mi-chemin de cette traversée musicale, on se surprend totalement épris de leur poésie.

Ce qu’il y a de sublime chez Terrenoire et d’agréablement surprenant, c’est qu’à eux deux ils parviennent avec brio à extraire le beau du malheureux. Derrière le soleil est le résultat de l’union de ces deux âmes désormais plus apaisées que perturbées, un titre hommage à leur père. Le constat douloureux de ce drame qu’ils ont petit à petit appris à accepter, résulte en ce morceau poignant où le duo guidé par cette lumière solaire, semble comme progressivement se déposséder de leurs maux passés. Et dans ce disque où les belles contrariétés s’attirent, la vie se défend comme toujours plus grande, plus forte face à la mort, toujours prête à contrer avec poigne l’amertume de ces aléas. On retrouve notamment ces opposés dans Jusqu’à mon dernier souffle, d’une sensibilité déstabilisante, porté par la nostalgie et ce piano aux accords mélancoliques. L’émotion est semblable avec Ça va aller, où l’accent est mis sur la nécessité de trouver à travers l’absence d’un être, cette once de lumière. Des morceaux contrebalancés par ce triptyque dramatico-romantique qu’est Margot dansait sur moi, porté par une grâce quelque peu érotique, le bouleversant La fin du monde manifestant l’audace d’une envie voire d’un besoin naïf de donner sens à une relation fusionnelle malgré ce monde instable. L’ensemble se trouve finalement enveloppé par Là où elle est qui conclut ce premier album et raconte une intimité aussi personnelle que familière, une intimité à travers laquelle celui qui écoute se retrouvera certainement. L’histoire d’un amour attendu, idéalisé, à la fois trop espéré et qui nous lasse autant qu’il nous fascine. Cet album atrium comme il est défini, se montre sous une forme audacieuse, avec ses péripéties non sans conséquences mais à l’origine de cet optimisme, cette lumière qui les porte vers une existence plus radieuse.

Avec Les Forces Contraires, Terrenoire aura réussi à créer un album porteur d’une sincérité inouïe et d’une preuve irréfutable qu’il est nécessaire de voir la lumière malgré une obscurité omniprésente. Cet album se qualifie ainsi comme cette ode à la mort mais surtout son opposé qu’est la vie, le tout à la seule force de leurs fêlures mais également de l’amour et la bienveillance qui les animent depuis toujours.

© Crédit photos : Pierre-Emmanuel Testard & Inès Ziouane