Juste avant son passage aux Francofolies de la Rochelle ce 14 juillet, on vous dévoile notre dernier échange automnal avec Les Louanges, autour de son excellent dernier album, Crash. On y parle de prise de conscience, d’amour, de films des 90s et de pain aux bananes.
La Face B : Comment ça va?
Les Louanges : Ça va bien, ça va bien. Un peu enroué de la veille (ndlr: interview réalisée à l’automne 2021, au lendemain d’une soirée d’écoute de Crash à Paris) mais à part ça…
LFB : On est là pour parler de ton nouvel album Crash. Si j’ai bien compris hier, tu l’as enregistré l’été dernier?
Les Louanges : Ça fait deux ans qu’on le travaille, ça a vraiment commencé avec la pandémie. En fait, il a fallu faire une quarantaine en revenant de Marseille en mars 2020. Là, j’ai comme fait une ou deux semaines au chalet des parents de Lina (ndlr: sa gérante) avec mon claviériste, on avait encore tout notre stuff de tournée. J’étais passé à Montréal tout emmitouflé pour ne pas laisser passer de germes puis je suis allé voler des trucs dans mon appart, car j’avais des colocs que j’avais peur de contaminer (rires). Après, en se retrouvant dans le chalet, je n’avais pas envie d’avoir à réfléchir (rires). En continuant de travailler comme un malade, je n’avais pas à repenser à tout ce qui s’écroulait autour. Les deux semaines que j’ai faites là ont posé les bases musicales de l’album. Pis après, la vie a suivi son cours, j’ai continué à vivre des affaires de mon bord, ça me fuelait pour écrire, pis on l’a terminé l’été dernier.
LFB : En fait, je me demandais si c’était vraiment un album de pandémie, car j’ai l’impression que certains morceaux sont inspirés d’expériences un peu lointaines, il y a une track qui parle d’adolescence…
Les Louanges : C’est comme ma Tercel dark (rires)
LFB : Disons que ça ne ressemble pas à un album qui se concentre sur une période de 6 mois. Il y a comme un background derrière.
Les Louanges : Ça faisait comme deux ans que ma vie ne s’arrêtait pas trop trop. Pis là, tout s’est arrêté d’une shot, super drastique. Aussi drastique que comment c’était parti, un peu. Le côté pandémique de l’album, c’est que ça m’a forcé à prendre un break et à regarder derrière moi. Il y a des trucs plus actuels que j’écrivais au jour le jour, mais la moitié de l’album reste un espèce de retour : « Qu’est-ce qu’il s’est passé, finalement, depuis 3 ans? ». C’était une petite chronique du passé.
LFB : Le mot « crash » évoque quelque chose de violent, on retrouve des tounes qui ont un truc très intense et rapide. Ça se ressent aussi sur la production, qui tape un peu plus que sur des choses que tu as pu faire avant, qui étaient plus groovy et jazzy. Ça me donne l’impression qu’il y a eu un point de rupture, est-ce que c’est comme ça que tu le définirais?
Les Louanges : Je n’avais pas de plan clair, genre « OK, là je vais changer mon son ». C’est sûr que je n’avais pas envie de faire ce que je faisais déjà, ça c’est juste plate (rires). Le crash, c’est vraiment la vraie vie qui fesse, tu sais. Donc évidemment, c’est sûr qu’il y a des tracks qui parlent de ça. Ça a fait remonter des trucs, parfois je ne savais pas forcément de quoi la track allait parler mais certaines émotions ressortaient. Tout s’est fait assez naturellement. Même Crash je l’ai trouvé au dernier moment. Il me manquait la toune avec Corneille, je savais pas comment j’allais l’appeler!
LFB : Cette notion de crash m’intéresse, cette espèce de désillusion, un trop plein dans les relations personnelles et professionnelles car il me semble que tu as beaucoup tourné au Québec. Je trouve qu’il y a quelque chose de mélancolique et bittersweet dans l’album mais pas vraiment de trace de rancune : prendre ces deux années-là pour faire l’album a du t’aider à process certaines choses et prendre du recul pour mieux appréhender ces trucs là?
Les Louanges : La joke, c’est qu’en plus toute cette partie là de l’album ça fait même pas un an que c’est écrit (rires) j’ai vraiment pas de recul, je suis crissement dedans en fait!
LFB : (rires) Ça parait pas!
Les Louanges : Par contre, je me suis ben rendu compte de la portée et de l’impact qu’écrire des chansons pouvait avoir. Sur le dernier EP, j’ai fait une toune qui s’appelle Attends moi pas et une toune qui s’appelle Parc-ex. C’est fucking raide pour la personne d’entendre ça quand t’es plus avec. Il y a une partie de moi qui a réalisé à quel point ça avait de la force, une chanson. Faut pas trop niaiser avec ça. Si tu veux dire quelque chose, t’es mieux de l’assumer car ça va rentrer dedans. On parle de rancune, en amour tu peux pas en vouloir à quelqu’un. Bon, tu peux avoir des raisons d’en vouloir à quelqu’un, mais le but ce n’est pas d’envoyer chier. Là le but, c’était de faire état de comment je me sentais puis j’imagine que des gens peuvent se reconnaître là dedans. Tu peux avoir de la rancune, mais ce n’est pas quelque chose de joli.
LFB : Je te rejoins là dessus. Je pense que la plupart du temps, les gens ne font pas les choses exprès pour nous blesser dans le fond. C’est dur d’en vouloir aux autres quand c’était pas mal intentionné de leur part. Toi, tu es donc plus partisan de peser tes mots? Pour certaines personnes, l’écriture sert vraiment à libérer tout ce qu’ils ont en eux à chaud. Ton approche est un peu comme une prise de recul en soi.
Les Louanges : Ouais, en fait il faut comme intégrer cette vision. Admettons Facile, ça a été écrit en deux jets… En même temps c’était assez simple, j’étais comme « Ouais, faudrait que je mange là » pis « Fuck man, j’en ai fumé des topes depuis hier » (rires). Donc y’avait cette partie là qui est pratiquement comme juste parler normalement.
LFB : Il y a quelque chose d’assez honnête, assez brut, j’avais noté de quoi sur un morceau en particulier mais il faut que je retrouve mes notes. D’habitude j’ai mon petit carnet et je suis ben professionnelle, mais là je l’ai oublié.
Les Louanges : Pis moi je suis en train de manger en face. T’en veux-tu un bout? Je vais t’en pogner un avec du fluffy dedans. Un bon vieux pain aux bananes.
LFB : Je trouve que la banane, ça goûte vraiment meilleur quand c’est cuit dans des affaires de même. Cru, c’est vraiment le pire fruit.
Les Louanges : Moi, je suis fan de bananes, je trouve ça convenient.
LFB : Ça par contre, je suis vraiment d’accord. Bon, sinon dans le fond ce que je voulais dire, c’est que je trouvais qu’il y avait quelque chose d’assez brut même dans la production, y’a moins de fluff autour.
Les Louanges : Oui, pour moi c’était le but : à force de faire des chansons, j’ai appris à raffiner la manière dont je produisais ma musique. Il y avait une envie de faire un truc super clair et premier degré. Dans la vie, je suis un gros tripeux de rap, je suis un gros tripeux d’electro et de R&B et c’est des styles de musique avec pas grand chose, en fait. J’avais envie de faire passer ma voix de la manière la plus claire possible, de choisir les bons éléments et de ne pas en mettre trop. Puis finalement, ça fit aussi avec les textes qui sont beaucoup plus francs, straight to the point. Dans la vie, c’est plus facile de rajouter plein de trucs que de synthétiser quelque chose. Là, je pense que tranquillement-pas-vite je commence à avoir cette capacité.
LFB : En effet, je trouvais qu’il y avait une grande cohérence entre les textes et cette nouvelle approche pour la réalisation du disque. D’ailleurs, peux-tu nous parler des gens dont tu t’es entouré pour construire cet album?
Les Louanges : Mon vieux Félix Petit qui est mon sensei, c’est le premier avec qui j’ai travaillé pour vrai. C’est avec lui que j’ai fait La nuit est une panthère. Je ne suis pas trop compliqué comme gars, j’ai pas changé après ça (rires). J’ai fait l’EP avec lui et après cet album, en plus on tourne ensemble… C’est un peu comme un grand frère finalement dans ma vie. Et sinon, les gens qui jouent sur l’album restent principalement les gens du band, qui sont les mêmes avec qui je joue depuis le premier album mettons. C’est une équipe assez close, même au mix c’est le même. Je crois en ça, faire durer des relations dans la vie. Si ça va bien, ça peut juste aller mieux si tout le monde s’y met. Par contre, j’ai beaucoup fait par moi-même et c’est vrai qu’il y a beaucoup de trucs qu’on a fait juste tous les deux avec Félix. La track Facile, c’est vraiment juste nous autres devant l’ordinateur. Mine de rien, le band était quand même impliqué aussi : j’arrive avec mes bases, tout est composé et enregistré avec les genres de tones que j’ai envie d’avoir, mais on s’était fait un trip un peu Pink Floyd au B12 (ndlr : studio à Valcourt au Québec). On essayait plein de trucs qui finalement sont restés dans l’album. Donc c’est toujours la bonne vieille équipe, avec ce bon vieux Félix Petit à la barre!
LFB : Ça s’entend un peu que Facile a été fait à deux, elle est vraiment intimiste, ça se ressent.
Les Louanges : Ouais, on s’est un peu fait chier avec la toune, on arrivait pas à ce qu’on voulait puis finalement on a pris plein de chemins, on a rajouté pleins de trucs pour finalement revenir là-dessus.
LFB : Je voulais te parler de Chaperon, c’est un sujet qui résonne en masse en ce moment. Dans le climat actuel, c’est devenu important pour toi d’aborder des sujets ancrés dans une réalité plus générale que tes expériences personnelles? Même si j’imagine qu’un évènement dans ta vie a-du t’inspirer… Il y a quand même eu pas mal de dénonciations au Québec.
Les Louanges : Oui, j’ai l’impression qu’on avait un petit peu d’avance là-dessus au Québec. Cet album là, c’est des chroniques, des comptes-rendus. C’est l’idée du crash, chaque chanson est un impact de la vie. Donc ça aussi, je l’ai vécu, et je l’ai vécu très proche, avec les dommages collatéraux. Par contre, je n’ai pas essayé de prendre le point de vue de la fille. Je me disais, « Qu’est-ce que je peux raconter, moi? ». Je vivais avec son chum en fait, qui était un de mes meilleurs amis. On a tous•tes vécu ça ensemble finalement, en pleine pandémie donc en genre de lockdown en plus. Comment je peux aborder ce sujet? Je peux parler de moi en tant que spectateur, de ce que j’ai vu, de ce que j’ai eu à dealer avec, je trouvais ça intéressant de prendre le parti d’une autre personne extérieure. Ça parle un peu de la réaction de violence que t’as par rapport à ça, finalement on est une gang de boys à vouloir casser la gueule à un autre, ça sert à rien! C’est de la violence sur de la violence. Mais j’étais pas en mode « je veux écrire une chanson à message, je vais m’attaquer à ce sujet ». C’est plus « ça m’est arrivé, fuck ». J’étais content de pouvoir en parler un peu. Le message dans une chanson est important, mais ça fuck un peu le concept s’il prend trop le dessus parfois. C’est ce que j’ai vécu, je le sais, j’en ai témoigné. C’est fou, le sentiment d’impuissance que ça crée autour. C’est tellement une bombe qui explose.
LFB : Et puis tu ne peux rien faire pour empêcher ça, c’est de la faute de personne d’autre.
Les Louanges : Non, tu peux juste constater. C’est tough de se dire qu’il faut laisser passer le temps et se guérir. Faut être tough. (rires)
LFB : À chaque fois, il faut se dire qu’on finira par aller mieux d’une manière ou d’une autre.
Les Louanges : Là, ils sont ben corrects. Ils sont heureux, ils ont acheté une maison! Tout va bien.
LFB : Au niveau des vidéoclips, il y avait un gros travail sur les images. Tu travailles souvent avec les mêmes personnes là aussi, il y avait une volonté de donner une grande importance au visuel?
Les Louanges : Là, les deux premiers ont été fait avec Soleil Denault avec qui j’ai complètement bondé, elle est vraiment sick. Dans la vie, je suis un fan de Tyler (ndlr: The Creator) depuis les premiers Odd Future qu’on écoutant quand on était ados. Un jour, je pense que je vais être capable d’avoir cette vision d’avance, de savoir de quoi l’album va parler et de connaître l’histoire visuelle autour. Mais finalement, ça s’est encore fait de manière organique. J’ai certains guidelines que j’essaie de suivre pour savoir où aller niveau image, un peu comme quand tu écris un livre et que tes personnages ont déjà un gros backstory. Je suis un fan de tous les 90s movies à la Trainspotting, Run Lola Run, Natural Born Killers, tous ces trucs là. En même temps, mes parents sont super jeunes, ils ont 50 ans. Ça fait que moi je m’appelle Vincent un peu à cause du personnage de Vincent Vega dans Pulp Fiction (rires). On a beaucoup écouté ce genre de films chez nous. Au niveau esthétique, j’ai voulu essayer de m’approcher de ce genre de trucs là. Et en même temps, ça s’est organisé autour d’où est-ce que j’avais envie d’aller, de ce que j’avais envie de dégager… On est comme partis avec ça. Puis j’ai décidé que je commençais à me mettre les cheveux de couleur (rires). Mon idée avec l’autre album, c’était les tuques, là c’est rendu les cheveux qui changent à chaque clip. Mais c’est pas comme s’il y avait un blueprint ou un truc de super défini. À chaque fois, j’ai envie de représenter un certain univers. Pigeons, ça avait la vibe des films de Sofia Coppola, Somewhere ou Lost in Translation. Chaussée, c’était un espèce de Bonnie and Clyde…. On a étudié toute la colo de ces films pour voir ce qu’on fait ressortir. Et après, il y a le trip de vouloir tous les accessoires, se dire qu’il faut qu’il y ait du turquoise dedans, se demander quelle autre couleur va ressortir… J’ai toujours trouvé ça vraiment trippant à travailler. Il va venir un moment où moi aussi je vais avoir ma perruque blonde et mon kit bleu comme IGOR (rires). Un jour, je vais arriver avec mon Ziggy Stardust.
LFB : Dans le fond, tu es venu en Europe pour 3 semaines comme tu me le disais hier. Comment ça se passe entre Paris et Bruxelles?
Les Louanges : C’est nice. Ça faisait longtemps que j’étais venu. Je suis vraiment stoked, c’est tellement le fun. Je veux dire, j’ai la chance d’être en Europe pour la job… Aller chercher mon café le matin, c’est un peu un petit luxe. C’est dur de pas voir ça un petit peu comme des vacances-travail. L’Europe m’intéresse et je pense qu’il y a une opportunité pour les Québécois ces temps ci. J’ai envie d’essayer de la prendre. C’était aussi pour aller faire des collaborations avec d’autres artistes, justement on a un studio la semaine prochaine à Bruxelles, moi j’ai du nouveau stock depuis un boute. Ça fait depuis cet été que l’album est fini, fait que j’ai d’autres affaires. C’est comme pour se retremper l’orteil avant de revenir avec l’album. Il va y avoir des festivals cet été, plein d’options de shows qui se présentent…
LFB : Es-tu plus concentré sur la francophonie ou est-ce que le reste de l’international t’intéresse aussi?
Les Louanges : Oh, je vais tout prendre (rires). Si on m’invite, j’ai envie. On avait déjà jasé avec du monde pour des festivals au Mexique, il y a des régions où il y a des évènements de musique francophone quand même huge là bas. Bon, là on va déjà essayer que ça marche en France, en Suisse et en Belgique et après on regardera (rires). Mais ça ferait plaisir de pouvoir dire « Je suis allé faire un show au Sénégal ».
LFB : As-tu des coups de cœurs à nous partager?
Les Louanges : Je vais checker mon cell. Qu’est-ce qu’il y a dans ma bibliothèque… Oh, il y a un groupe américain, ou peut-être que c’est un artiste, je ne sais pas trop, c’est Dijon. C’est vraiment bon, pour vrai. L’album est débile. C’est un petit retour à la musique organique, vraiment organique. Il y a comme un mix de prises de son super live tu sais, t’entends pleins de bruits autour. C’est un peu tout croche pis c’est vraiment beau. Quand le gars chante, ça vient chercher. Sinon, je me suis retapé Natural Born Killers l’autre jour, fuck que c’est bon, man. Qu’est-ce que c’est weird aussi, toute la DA là dedans, la direction photo… La trame sonore est folle. Des takes d’eux-autres dans le désert avec du Cohen 80s era là…