Mac Miller et son explosion musicale

Décédé en septembre 2018, Mac Miller nous offre, avec Balloonerism, un second album posthume paru cinq ans jour pour jour après Circles. Enregistré en 2014, ce recueil de 14 titres met en valeur la voix sublime et la créativité de Malcolm James McCormick, soulignant avec une certaine mélancolie le talent immense qu’il incarnait.

L’album perdu de Mac Miller

Créé en une semaine seulement entre 2013 et 2014, Balloonerism est le résultat d’une carte blanche artistique de Miller. Positionné entre Watching Movies with the Sound Off et Faces, l’album a été jugé trop audacieux et expérimental pour bénéficier d’une sortie physique ou d’une promotion officielle. Pourtant, certains morceaux ont trouvé leur place sur Faces, témoignant de l’importance de ce projet dans l’univers créatif de l’artiste. Avec le temps, Balloonerism a été surnommé « l’album perdu » avant qu’il ne tombe petit à petit dans l’oubli.

Mais c’est sur la scène du Camp Flog Gnaw Carnival, festival orchestré par Tyler, The Creator, un ami de Mac Miller, qu’une annonce a marqué le 17 novembre 2024. Une vidéo s’est lancée, dévoilant un teaser du film accompagnant le projet, avant de révéler la pochette : une tête métamorphosée et défigurée du visage de Mac Miller, s’élevant dans le ciel. En quelques minutes, ces images ont envahi X, laissant peu de doutes aux internautes : il s’agissait bien de cet album « perdu » du natif de Pittsburgh.

Une tournée mondiale est lancée, faisant halte dans les salles les plus iconiques, où fans et journalistes se pressent pour découvrir cette œuvre signée Samuel Jerome Mason. Déjà remarqué pour son travail sur le clip animé de Colors & Shapes, qui explorait l’univers de l’album, Mason plonge ici dans un récit fascinant. Le film suit un groupe d’enfants transportés dans un monde imaginaire par un orgue magique qui s’est écrasé sur terre. Transformés en souris, ils doivent fuir la tortue du temps et relever des défis pour redevenir humains. À travers une métaphore touchante, le court-métrage raconte le passage à l’âge adulte, teinté par la nostalgie d’une enfance jamais vraiment abandonnée. Il évoque également, avec poésie, l’inexorabilité du temps et l’isolement qui l’accompagne. Dynamisé par des morceaux de Balloonerism, ce court-métrage joue avec une esthétique aussi expérimentale que fascinante.

La création est désormais accessible sur Prime Video, incluse dans l’abonnement à la plateforme. De plus, tous les bénéfices générés par la tournée mondiale du court-métrage seront reversés au Mac Miller Fund, une organisation dédiée à soutenir les jeunes musiciens en leur offrant des ressources, un accompagnement créatif, et un suivi artistique personnalisé.

Un album qui résonne comme une discographie

La période de création de Balloonerism permet de mieux saisir l’évolution artistique et mentale de Mac Miller. Avec Watching Movies with the Sound Off, il amorçait déjà un virage, laissant derrière lui son rap festif pour une approche plus introspective et profonde. Il y abordait ses tourments, entre drogues, dépression et pression du succès. Cette évolution s’est encore intensifiée avec Faces, un projet brut et sincère où il apparaissait plus vulnérable, s’isolant davantage et confirmant son talent dans les sonorités jazz. Cet album se positionne alors comme un pont évident entre ces deux étapes, capturant toute la complexité de cette évolution.

Mais parmi ce mélange d’éléments ayant façonné sa carrière et sa vie, résumé parfaitement dans Rick’s Piano : « Please don’t give me any credit, that’s how people get jaded, Please don’t nod your head, and please, don’t tell me I made it« , un en particulier se détache, obsédant, omniprésent : la mort. Mac Miller plane au-dessus du vide, suspendu entre deux mondes, porté par un fil invisible qui s’effiloche au fil des morceaux. La mort n’est pas un point final brutal, mais une ascension lente, un dernier souffle qui s’étire. Une montée qui pourrait faire référence à son visage recomposé et transformé en ballon sur la pochette du projet. Cette thématique prend une dimension encore plus tragique lorsqu’il lâche sur Funny Papers : « Yeah, somebody died today, I saw his pictures in the funny papers, Didn’t think anybody died on a Friday », et résonne d’autant plus brutalement après son accident de voiture sous influence en 2018. Elle devient presque prophétique sur Shangri-La, où il évoque sa propre disparition avec une lucidité presque bizarre : « If I die young, promise to smile at my funeral, Yeah, it’s just a rule to follow. »

Mais dans ces idées sombres et ces questionnements, une lueur s’entrevoie. Celle du retour à l’enfance. Également très présent dans le court-métrage, Mac Miller semble nostalgique de cette période d’insouciance, où les problèmes d’addictions et de dépression n’étaient pas encore présents. Cette mélancolie transparaît particulièrement dans Excelsior, où il exprime un regret face à la perte de l’imaginaire enfantin et de la légèreté de cette époque, « Me, I used to want to be a wizard, when did life get so serious? »; il se raccroche à des souvenirs simples, évoquant une innocence évanouie, « Whatever happened to apple juice and cartwheels? » À travers ces mots, il semble chercher à retrouver cette joie brute et pure, un refuge loin du poids des années et des désillusions qui l’ont rattrapé.

Thundercat X Mac Miller

Avec Thundercat en complice sur la création et la production, Mac Miller lâche prise et s’abandonne pleinement à son art. Balloonerism est un voyage sonore où se mêlent néo-soul brumeuse, hip-hop psychédélique et éclats de jazz. Un kaléidoscope d’influences qui illustre à merveille sa quête perpétuelle d’exploration. Jamais enfermé, jamais figé, il a toujours cherché à repousser les frontières, quitte à endosser différentes identités : Larry Fisherman, le producteur, Larry Lovestein, l’amoureux du jazz, Easy Mac, son alias d’adolescent, ou encore Delusional Thomas, l’incarnation la plus obscure et expérimentale, qui semble avoir pris le contrôle de ce projet et présent sur le spécial Transformations.

Outre Thundercat, SZA apparaît également sur le projet, et quel bonheur de la voir aujourd’hui au sommet. Dire que Mac Miller l’a révélée serait réducteur. Il serait plus juste de dire qu’il a cru en elle à une époque où peu de personnes percevaient réellement son potentiel. De cette complicité est née une amitié profonde, perceptible sur DJ’s Chords Organ, un titre où leur alchimie artistique transparaît à travers la mélodie psychédélique et faussement brouillonne, sublimée par la magnifique voix de la chanteuse. Mac Miller a toujours accordé une place essentielle à ses proches, et sa générosité se ressentait autant dans sa musique que dans les liens qu’il entretenait. Voir SZA briller aujourd’hui, jusqu’à enflammer la scène du Super Bowl invitée par l’inévitable Kendrick Lamar, témoigne du chemin parcouru. Son émotion lors de la sortie du projet ne laissait aucun doute : elle a su, à sa manière, honorer la main tendue par Miller.

Un dernier au revoir

Il y a dans Tomorrow Will Never Know, le tout dernier morceau du projet, une sorte d’écho lointain, celui d’un artiste qui a toujours cherché à comprendre le monde, avant de finalement se laisser porter par lui. C’est peut-être ça, le plus touchant : ce morceau n’est ni un regret, ni une supplication, mais une acceptation pure et simple. Comme un sourire discret avant de s’effacer, laissant derrière lui une empreinte indélébile. À travers ses paroles et son ambiance vaporeuse, Mac Miller semble nous souffler un dernier message : il n’y a pas de lutte à mener contre le temps, il faut juste être là, maintenant. C’est une conclusion douce et brutale à la fois, qui, avec la fin tragique du rappeur, donne cette impression que ce répondeur résonne comme un dernier au revoir.

Il est compréhensible que cet album ne fasse pas l’unanimité. Son aspect très, voire trop, expérimental pour certains, ajouté à son statut de deuxième album posthume, suscite forcément des débats sur la légitimité d’une telle sortie et sur le respect dû à l’artiste. Pourtant, ce projet méritait de voir le jour de la plus belle des manières. Certes, les coulisses restent en partie inconnues, mais force est de constater que l’ensemble des sorties posthumes de Mac Miller ont été gérées avec soin et respect, sous la supervision de sa famille. Et surtout, au-delà de son importance pour lui, Balloonerism est une nouvelle occasion de plonger dans l’univers d’un artiste dont la créativité unique et sincère continue de résonner bien après son départ.

1 réflexion au sujet de « Mac Miller et son explosion musicale »

Laisser un commentaire