Retrouvailles avec Martin Luminet et Benjamin Geffen

C’est dans la pénombre du parc d’Ohlain, après leur concert au Bivouac Festival, que nous avons retrouvé Martin Luminet et Benjamin Geffen. L’occasion de parler avec eux d’Après Deuil(s), du travail de transformation d’un album qui influe la vision des morceaux et de leur relation de travail qui évolue avec le temps.

Je pense qu’il ne faut pas oublier que ce n’est pas nous l’important, c’est les chansons, c’est ce qu’on met entre les gens et nous. C’est ça la chose la plus à chérir.

La Face B : Comment ça va ?

Martin : Ca va très bien !

Benjamin : Ca va très bien !

Martin : Ca dépend sur quel critère se base ton « comment ça va ». Est-ce que c’est humain, musical… ?

LFB : C’est sur ce que tu veux.

Martin : Ben je crois que, étrangement, ça va bien de partout. (rires)

LFB : On n’ose pas trop le dire. On se protège des malheurs.

Martin : Oui c’est ça, il ne faut pas le dire trop fort. Non mais on a de la chance. Enfin moi j’ai de la chance, on se préserve bien en tout cas.

Benjamin : Oui, on a passé une année et demi trop bien. On a passé un bel été. On finit excellement ici.

Martin : Grave ! Franchement c’est trop bien.

LFB : J’ai une question stupide pour Martin. Est-ce que tu penses qu’on a encore des choses à se dire ?

Martin : C’est une très bonne question. Parce que tu sais moi, j’ai beaucoup de copains, quand j’ai sorti l’EP puis l’album, qui m’ont dit « ah ben super, encore un article sur La Face B. Qu’est-ce que tu leur racontes ? » et je pense que tu as toujours quelque chose à dire. C’est comme en amitié, c’est comme en amour, en fait. Temps que tu t’intéresses à l’autre pour les bonnes raisons, tu auras toujours des trucs à dire. Et je pense que la façon dont tu fais ton boulot fait que toi tu as toujours des questions qui te sautent aux yeux, ou des choses que tu as envie d’explorer. Et moi, de mon point de vue, je pense que quand t’es autant habité par ta passion, ben c’est un sujet qui est inépuisable pour moi. Je trouve qu’il suffit de trouver l’angle, l’axe… C’est comme quand on parle de sport ou de cinéma, on peut se mettre des tunnels sur le même film pendant des heures et des heures parce qu’on est fascinés par ce truc. Donc oui, je pense qu’on a encore des choses à se dire.

LFB : C’est marrant que tu parles de cinéma parce que moi je suis très méfiant des réédition d’album.

Martin : Ha ha oui, parlons-en !

LFB : Mais du coup, après avoir regardé, d’avoir suivi un peu, je me suis demandé si c’était pas plutôt une director’s cut qu’une réédition ?

Martin : En tout cas, il y a plusieurs façons de faire une réédition. Moi je suis pas fan non plus du format de réédition à la base. Parce que je trouve que, souvent, le réflexe de l’industrie c’est de servir le même album avec les chansons qu’on avait pas gardées la première fois. Et je trouve que quand tu ne les a pas gardées une première fois, ça sert à rien de les mettre un an après. Elles ne sont pas meilleures.

Et là où on s’est accordés avec Ben, avec le label, avec Marion (Marion Richeux, sa manager, ndlr) sur le fait que ça pourrait être une bonne idée de faire une réédition, c’est de vraiment prendre le risque, comme si on refaisait un album, et surtout comme si on se redemandait qu’est-ce qui avait fait le deuil de nous, un an après, tu vois ? Parce que la chance qu’on a, c’est qu’on a réussi à tourner pendant un an sur le premier album. Du coup, c’est quand même un sujet lourd, un sujet que tu portes tous les jours sur scène, que tu portes en interview… A la fin du dors avec ton deuil quoi. Il est omniprésent. Et c’est bien aussi de savoir où est-ce qu’on en est dans nos vies parce que c’est pas un maigre sujet. Moi j’ai toujours de la peine pour les personnes qui finissent par être définies par blessure. Et moi je voulais pas finir comme ça. J’avais pas envie. Enfin, je sais que tu le décides pas mais des fois une blessure est tellement forte, elle t’a tellement façonné quelque part, qu’elle en devient confortable. Et tu te sens bien dans ta blessure parce qu’elle te ressemble, tu lui ressembles, et à la fin tu fusionnes avec ta blessure et t’es plus que ça. Et je pense que tu finis par faire des erreurs parce que tu choisis un peu un truc, non pas qui te fait du bien, mais que tu connais. Et tu préfères être dans un truc que tu connais plutôt que tu ne connais pas et qui pourrait te faire du bien.

Donc là l’idée, ça a été vraiment de reprendre le deuil et d’en parler un an après. Donc on est partis de chansons qu’on avait jamais composées, on est repartis à zéro pour les nouvelles chansons. Et moi j’ai trouvé que cette énergie était positive, d’un point de vue musical, parce que tu sers pas aux personnes un disque réchauffé. Parce qu’on a aussi fait un rework des chansons qui avaient bien vécu sur scène qu’on avait envie d’adapter avec le live parce qu’elles vivaient bien sur le live. Et à la fois pour nous, enfin moi j’ai eu l’impression d’apprendre beaucoup, et j’ai surtout eu l’impression de pouvoir fermer la porte derrière moi pour pouvoir passer à l’album d’après. Et ça c’est rare. Quand on a la chance de pouvoir dire au revoir à ce qu’on vient de faire, et d’être en paix avec son deuil et de laisser partir sa tristesse.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant c’est qu’en changeant la tracklist, tu changes l’histoire de l’album, et tu changes aussi ta vision et l’image que peuvent avoir certaines chansons dans l’album par rapport à où est-ce qu’elles étaient placées avant et par rapport à où elles sont placées maintenant.

Martin : oui complétement. Ben ça pour le coup, le truc de cinéma on l’a bien avec Ben. Et je pense que faire une tracklist, c’est un vrai truc de mise en scène. Et je pense qu’il y a des chansons en effet qui ont été reconsidérées. Parce qu’aussi le temps est passé, le live est passé dessus et ça faisait du bien. Mais ça Ben il l’aurait plus à interviewer que moi.

Benjamin : Non mais je pense que c’est exactement ça. Le gros changement qu’il y a eu entre les deux c’est le passage de la scène effectivement. Et ça, ça a fait beaucoup de bien aux morceaux. Et comme a dit Martin, on a tellement appris sur nous. On a appris à se connaître aussi musicalement. Je pense qu’on a la chance, cette grande chance dans la vie, de pouvoir se remettre en question et de pouvoir avancer, évoluer. Regarder la personne qu’on était il y a un an, deux ans, cinq ans, dix ans, et de voir celle qu’on est devenu et d’essayer de rapprocher le chemin entre la personne qu’on veut être et celle qu’on est actuellement. Cet album, cette réédition a aussi permis de faire cette photo, de nous repencher sur ce qu’on était il y a un an et ce qu’on est maintenant. C’était marrant cette histoire de setlist. Ouais, il y a ce côté director’s cut. Mais c’était déjà le cas à l’époque. De ressaisir les choses et, comme disait Martin, quel chemin on leur donne maintenant. Et c’est marrant que ce ne soit pas le même justement oui.

LFB : En ajoutant des titres, comme Pardon par exemple, en en modifiant d’autres, en invitant Brö par exemple sur Piège… Tu apportes encore plus de nuances. Comme un réalisateur qui choisit des scènes à rajouter et qui rapporte du sens à l’histoire.

Martin : Ca c’est sûr que c’est un luxe parce que tu ne peux pas le faire tout le temps. Et comme dit Ben, mine de rien, c’était une année importante. C’était notre premier album, notre première tournée. Ça a été que des choses nouvelles pour nous et que des choses heureuses. Et dans ces choses-là, c’est comme étrange de vivre des moments heureux sur des sujets comme le deuil, et sur des sujets aussi où, dans nos vies, on va être aussi traversés par plein de petites tempêtes. Et je crois que, ce qu’il y avait de cool avec l’album, avec l’entourage humain qu’on avait, c’est qu’on pouvait remettre beaucoup de choses en question sans changer les fondations. Et ça c’est cool parce que ça veut dire aussi que t’as la confiance des gens autour. Et mine de rien, ça compte en musique. Parce qu’un premier album tu restes très fragile. On te demande encore de faire tes preuves. Donc j’ai trouvé qu’on avait de la chance de pouvoir le faire, et on a été très libres. C’est ça qui est cool. C’est qu’on a été très libres, comme tu dis, de se repencher sur des morceaux, d’insister sur d’autres, de voir qu’en fait le live était autant un moment de création que le studio. Et nous, c’est vrai qu’on y attache beaucoup d’importance au live.

LFB : Du coup, maintenant, l’album a un générique. Je vais demander un truc, vous allez me dire si je me trompe ou pas… Mais le thème musical de Générique est le même que Baudemont ?

Martin : Exactement !

LFB : Baudemont est la fin officielle de l’album non ? Pour moi Générique est une chanson sur quelqu’un qi est en colère sur la vie alors que Baudemont est une chanson hyper soft qui accepte la mort.

Martin : Oui ! Tu vois la réédition c’était aussi l’occasion de faire des réponses aux chansons entre elles. Je pense que Pardon elle répond à Epoque, que Amourfou elle répond à Etouffer, et le Générique à la base ça aurait dû être un générique de fin. Et en fait tu as raison, ce Générique en fait il raconte comment tu remercies aussi les choses de t’être passé dessus. Je suis content que tu relèves ce truc parce qu’en effet c’est ça. Moi Baudemont c’est la dernière chanson que j’ai écrite pour l’album la première fois, où j’avais demandé justement si je pouvais partir quelques jours en plus parce que je n’avais pas l’impression d’avoir fait le tour du sujet. J’avais besoin d’écrire et que ça allait peut-être faire une chanson qu’on n’allait pas garder. Mais moi j’avais besoin au moins d’écrire là-dessus. Et je me suis vraiment senti en paix quand Baudemont a été terminée, et j’étais vraiment heureux que tout le monde dans l’équipe accepte de la mettre dans l’album. C’est une chanson dont je suis super content. Et c’est vrai que pour moi, c’est vraiment si tu déshabilles l’album, il ne doit rester que Baudemont. Pour moi ça raconte tout l’album. C’est une chanson douloureuse mais t’as raison en fait. Je l’ai écrite à un moment où ça m’apaisait, ou peut-être c’est cette chanson qui m’a apaisé. Et, en effet, le Générique raconte à quel point, au bout d’un moment, t’es sous pression. T’as ta colère qui est en train de monter et tu résistes, tu résistes contre beaucoup de choses mais surtout contre l’effondrement qui est un peu intime, un peu extérieur, un peu tout. T’as un moment où tu te dis « tout est fait pour que je m’effondre ». Et t’as des gens qui ont envie que tu t’effondres, ça leur plairait bien. En fait tu tiens, tu tiens, et tu te rends compte qu’en fait, ce qui traverse le plus le temps, qui traverse le plus les années, c’est plutôt l’apaisement que la colère, je pense. Donc moi ça m’a aussi fait beaucoup de bien de boucler la boucle.

LFB : Il y a un autre truc qui est, pour moi, hyper intéressant. C’est que Silence est un morceau qui était placé plus en fin et qui est désormais au cœur de l’album. Elle prend, je trouve, une couleur. Et même dans l’interprétation, tu as quelque chose de totalement différent par rapport à ce qu’elle pouvait être avant. Et vous l’avez retravaillée aussi. Tu vois, il y a cette idée je trouve de pas avoir peur de dire mal les choses et tout, qui était là un peu sous-entendu avant, mais qui a un écho complétement différent sur Après Deuil(s).

Martin : Exactement, oui. A chaque fois je trouve qu’une chanson se termine quand elle passe à travers les oreilles, les yeux du public. C’est con à dire mais en vrai, je le pense. Et nous, je sais qu’il y a des chansons qu’on avait de l’EP à l’album, qu’on s’était dit qu’on ne mettrait pas sur l’EP parce qu’elles n’étaient pas encore prêtes scéniquement. On sentait qu’il ne se passait pas quelque chose. Notamment Silence, tu vois, qui a vécu quand même pas mal de refontes et de refontes. Et moi je sais que la vérité d’une chanson, nous on essaye peut-être de l’induire, mais la vérité finale, le point final, c’est le public qui décide. Et je suis très ok avec ça moi. Je pense qu’on fait de la musique aussi pour partager, pour créer un lien. Non pas dans une envie de plaire, mais dans une envie de se comprendre, de se faire comprendre, de se sentir moins seul. Et Silence, ça a été une chanson qui, en effet sur le premier album, était un peu plus en fond de cour. Et en fait su scène elle a été tellement aimée, tellement portée, tellement réclamée, qu’on l’a même reconsidérée nous. Et aujourd’hui c’est une chanson qui a connu une vraie évolution.

LFB : Est-ce que vous l’avez retravaillée aussi ?

Benjamin : Ah ben oui ! Je pense que quand j’ai commencé à être avec Martin, c’est le seul morceau qui existait déjà à ce moment-là et qui existe encore maintenant. Tous les autres, il y a toute une période de construction. Pour moi c’est vraiment le morceau qui est le plus ancré dans le live. Pour moi c’était pas du tout une évidence qu’il soit sur l’album par exemple. C’est un des morceaux qui a eu le plus de versions. Je vois le dossier dans ma tête et il faut faire dérouler tellement il y a eu de trucs. Il a eu plusieurs vies, plusieurs paroles etc. Et c’est marrant je trouve, on est allés la retravailler avec Gaspard (Gaspard Murphy, producteur, ndlr) là pour l’album, et quand on a fini de l’enregistrer je me suis dit « ah, ça y est ! C’est la version de Boubou la plus parfaite quoi ». On l’a vue sous toutes ses formes. Une forme qu’on a aimée un court instant, qui nous a dégoutés, puis qu’on a aimée au fur et à mesure, et là d’un coup. C’est vraiment l’expérience de la scène pour moi, et aussi j’ai l’impression qu’avec Martin on a affûté le projet, on a affûté le son, enfin en tout cas c’est plus cette partie-là pour moi et avec Marion. Et c’est marrant, je pense que le fait d’avoir réussi à amener ce morceau exactement là, ça prouve à quel point maintenant on a une arme précise pour toucher exactement là où on veut toucher. Ouais, c’était une vraie joie en fait de la mettre là dans la version finale. C’est vrai qu’elle était pas cachée dans la première version de l’album, mais le fait de pouvoir la mettre plus devant dans la première version, ça montre aussi quelque chose quoi.

LFB : Puis elle fait écho aussi à Epoque malgré tout.

Martin : Clairement !

LFB : Il y a aussi ce truc de point central aussi de bascule politique, malgré tout, qui est un peu de l’intime aussi. Tu disais qu’avant comme les morceaux étaient séparés tu les voyais un peu moins.

Martin : Oui c’est vrai. Puis sur scène c’est pas pour rien. Elles sont collées, on les joue vraiment l’une après l’autre. C’est le rebond, c’est la réponse à Epoque, c’est la suite d’Epoque. C’est quand la société, au bout d’un moment, rentre dans ta peau et que tu te rends compte qu’il n’y a plus besoin qu’on te fasse peur. C’est toi qui a peur à la place de l’oppresseur. Ça raconte ça.

LFB : Je ne t’ai pas fait venir pour rien...

Martin : Tu vas me faire du beatbox ? (rires)

LFB : Je vais rester sur une thématique cinématographique mais pour moi, un bon réalisateur n’est rien sans un bon directeur de la photo ou sans un bon compositeur derrière. Et du coup, pour moi tu es un peu son directeur de la photo. Mais je me demandais, comment votre relation travaille ? Pour moi on en parle pas assez, comme on parle pas assez de ton importance sur la couleur et sur l’ambiance de l’album. Je me demandais comment votre relation de travail a évolué et comment elle se faisait maintenant ? Parce que j’ai l’impression que tu prends plus de place sur certaines parts que ce qui était au départ, tu vois ?

Ben : Oui c’est vrai, c’est une réalité…

Martin : On fonctionne comme un groupe maintenant.

Ben : Oui clairement. On fonctionne comme un groupe maintenant. C’est marrant, il n’y a pas longtemps, on a fait un podcast avec Olivier Bas, qui est venu me voir aussi. On parlait justement de ça. Et je lui disais que je considère que j’ai beaucoup de chance dans ce projet parce que j’ai l’impression que la place que j’occupe dans le projet de Martin, j’ai pas l’impression que c’est quelque chose qui existe ailleurs. Donc moi je considère que j’ai énormément de chance. Et je pense que t’as exactement résumé le truc, qui est qu’on s’est rencontrés avec Martin, lui il cherchait quelqu’un parce qu’il avait tout en tête mais il savait pas comment le faire. Donc c’est exactement comme un réalisateur qui sait ce qu’il veut comme plan, qu’il sait ce qu’il veut réaliser mais qui ne sait pas, qui n’a pas le savoir technique quoi. Et c’est vraiment devenu un travail de groupe parce qu’en fait, j’ai l’impression que maintenant il y a le fait qu’on ait notre propre identité à deux. Maintenant effectivement, je peux proposer des choses à Martin et ça se fait très naturellement. Ça s’est développé. Au début c’était plus de l’enrobage de morceaux qui existaient. Et en fait je pense qu’il y a vraiment cette idée que Martin est rentré un peu dans ma tête et que je suis un peu rentré dans la sienne et que du coup, la façon dont je compose de la musique pour Martin, c’est pas du tout la même que quand je compose pour Two Faces par exemple, puisque c’est mon autre projet, ou même pour moi. C’est pas pareil. Là je compose en sachant, je connais tellement bien Martin et je sais tellement bien ce qu’il veut faire et de quoi il veut parler dans ses textes… Parce qu’il y a une partie de lui qui compose avec moi dans ma tête, même quand il n’est pas là. Donc il y a vraiment cette idée-là. Maintenant j’ai vraiment l’impression de faire partie du projet, même si ça reste son projet parce que c’est ses choix, c’est ses envies, et je trouve ça super. C’est trop bien d’avoir cette forme de caméléon, moi j’adore ça. Mais ouais, effectivement, elle évolue super bien, la relation. Et oui, c’est fou que maintenant je puisse proposer, que ça puisse partir de moi aussi, et que Martin puisse me confier des textes. J’ai vraiment l’impression que, maintenant, ça puisse se faire sous toutes ses formes et que de toute façon, ça arrivera à la même finalité.

Martin : Là en plus, sur le nouvel album, Ben m’a même lancé sur des textes, sur des thématiques. Et ça c’est cool parce que moi on m’a jamais trop challengé comme ça. Chacun peut rester à sa place et en fait moi j’aime bien parce que ça bouge, chacun ne reste pas à sa place. Moi je me sens libre de proposer des débuts d’arrangement et des atmosphères, même si je maîtrise pas. Ben là, pour les nouveaux titres du nouvel album, il m’a envoyé des textes qu’il avait écrit et moi ça m’a inspiré et du coup je suis rentré dedans et j’ai retravaillé ça. Moi j’ai commencé la musique avec des copains donc je t’avoue que dans ma tête, la musique ça se fait pas tout seul. Je pense que je serais malheureux si je faisais de la musique tout seul, ça m’intéresserait pas d’avoir un projet solo où il n’y a que moi qui réfléchis, qui cogite. Sans doute parce que c’est aussi plus facile de partager les doutes. Mais je crois que ça m’excite pas plus que ça d’avoir tout le mérite pour moi. On est dans une phase de la musique où on a beaucoup plébiscité des auteurs-compositeurs-interprètes et autrices-compositrices-interprètes, là où on oublie que parfois, la collaboration amène des meilleures chansons, sans déposséder l’un ou l’autre. Je pense qu’il ne faut pas oublier que ce n’est pas nous l’important, c’est les chansons, c’est ce qu’on met entre les gens et nous. C’est ça la chose la plus à chérir. Il vaut des fois beaucoup mieux enlever un bras du projet pour que quelqu’un mette le sien et que ça porte un peu plus les choses, plutôt que de vouloir à tout prix avoir son nom sous tous les posts. On en connaît des réal’ qui font ça, tu sais, un réal’ canadien qui le fait beaucoup et que j’adore, mais qui fait son montage, sa réal’…

LFB : Ses costumes…

Martin : ses costumes (rires), sa musique et tout. Mais il est super.

LFB : Alexandre Astier le fait !

Martin : Exactement ! Sauf que moi, j’attends aussi le moment où ces réalisateurs – et ces réalisatrices aussi, parce qu’il y en a plein – vont aller au bout du risque de se frotter à quelqu’un. Parce qu’en fait la question ce n’est pas tellement de se frotter à n’importe quelle personne. Moi l’exploit que je vois, et la grande chance que j’ai, c’est la rencontre. Ce n’est pas tellement le résultat. Parce que, le résultat, on a de la chance, mais quelque part s’il n’y a pas cette rencontre, si humainement il ne se passe pas quelque chose, on n’en arrive jamais là, tu vois.

LFB : Ce qu’il fallait c’était trouver la bonne personne, où quand ça frotte, ça fait des étincelles.

Martin : Exactement.

LFB : Les cailloux, tu les frottes, ça fera rien…

Martin : Exactement ! Et tu vois, j’ai bossé avec plein de gens estimables, qui étaient vraiment super forts, mais je n’avais pas de relation humaine et du coup ce n’était pas inspirant. Je me sentais dépossédé presque, de mon envie de faire de la musique. Parce que j’avais l’impression que je ne faisais pas de la musique avec les bons ingrédients. En fait, moi, j’ai besoin d’amitié, j’ai besoin d’une histoire qui se trame à travers ça parce que je vois plus Ben que mes proches et je ne veux pas que ma vie soit au détriment des gens que j’aime. Donc Ben est devenu quelqu’un que j’aime, Marion c’est quelqu’un que j’aime, tu vois on a de la chance, on a une équipe franchement… C’est presque le critère principal. Et c’est hyper bien d’avoir cette exigence à la fois en musique, et cette exigence aussi humaine. Parce que la vie est bien assez dure comme elle est et l’poque est bien assez dure pour négliger la chose la plus importante à savoir : être entouré d’amour. Je trouve que l’amour fait aussi progresser les gens et moi je progresse et Ben progresse. Je vois quand on s’est donné rendez-vous pour le nouvel album, moi j’ai trouvé qu’il avait évolué sur sa façon de faire. Moi j’ai l’impression d’avoir bougé aussi dans ma façon d’écrire. Et on arrive à se surprendre en se disant moins de choses. C’est ça qui est fou, tu vois. Avant c’est vrai qu’on avait besoin de beaucoup détailler ce qu’on voulait faire, et là aujourd’hui Ben il m’envoie une prod’, en fait elle me parle tout de suite. C’est assez déroutant.

LFB : C’est la personne aux deux personnes quoi. Mais c’est marrant parce que finalement le projet continue à porter son nom. C’est les mêmes sur scène. Je l’ai vu moi, à force de vous voir, ce truc de groupe et de symbiose, évoluer.

Martin : Ben même avec Rémi hein (Rémi Ferbus, le batteur, ndlr). Rémi il est intégré sur l’album. Je trouve ça cool qu’on fasse des interviews à deux parce que, mine de rien, c’est la vérité ce qu’on fait là. C’est hyper courageux de la part de Ben de se mettre hyper en retrait sur un projet où il bosse autant que moi, auquel il mériterait autant d’avoir son nom sur le projet. Moi j’essaye de lui rendre au maximum pour que, justement, il y ait quelque chose où on comprenne bien que ce n’est pas parce qu’il n’y a qu’un seul nom, qu’il n’y a qu’une personne qui bosse. Et je trouve que ça, c’est encore une fois un petit truc à enlever de la tête de tout le monde. Ce n’est pas parce que tu fais tout que tu es un superhéros. Les superhéros, les Avengers, c’est une équipe (rires). On l’a bien vu, contre Loki ils se font tous éclater un par un ; dès qu’ils se mettent en équipe, ils l’éclatent.

LFB : Vous en parliez un peu, mais du coup, il y a quoi après Deuil(s) ?

Les deux : Ben…

LFB : Parce que comment on se réinvente mais tout en continuant ? Parce qu’il y avait quand même un concept assez fort. Du coup le deuxième album c’est un peu un challenge malgré tout.

Martin : D’un point de vue de l’écriture, c’est un vrai truc. Parce que le premier album, il y avait un fil rouge, qui te tient malgré tout. A plein d’égards ça me tenait parce que j’étais triste, mais aussi ça m’aidait à garder le cap pour mon écriture. Là moi, c’est un peu ce que je me suis dit, j’aimerais bien arriver à écrire sans avoir de béquille. De vraiment faire confiance à ce que je ressens donc être, quelque part, un peu plus dans l’intime mais sans être dans l’introspection, sans avoir besoin de mettre un concept qui guide ce que je veux écrire. J’essaye à chaque fois de trouver un bout de risque à relever, tu vois. Il y a une phrase de Truffaut que j’aime bien, je ne sais pas si je vais réussir à le faire, mais lui il dit « j’ai toujours fait des films pour détruire le film d’avant, ou pour le contredire ». A savoir que ton film d’après ne doit pas ressembler à celui d’avant, mais à la fois il prend en considération ce qu’il était avant. Et donc tu dois quand même évoluer, tu dois quand même trouver des ponts, de savoir pourquoi de ce film à ce film ce personnage a évolué, pourquoi ces plans ont évolué… Et quand tu regardes sa cinématographie, tu as une grande harmonie alors qu’il a cherché à chaque fois à se réinventer. Et c’est sûr que moi je suis beaucoup plus inspiré par des artistes qui prennent des risques, quitte à, des fois, un petit peu s’éloigner ; plutôt que des artistes qui ont trouvé une fois la recette et qui servent toute leur vie le même plat. Voilà. Master chef. (rires)

LFB : Et toi Ben, le prochain défi pour toi c’est quoi ?

Benjamin : Oh, il est multiple le défi. Moi je me dis qu’un premier album c’est autant un film et une série à lui-même, qu’un épisode pilote de quelque chose de plus grand. Je le vois aussi comme ça. J’ai l’impression qu’on a essayé des choses, qu’on a tâté le terrain, qu’on a passé beaucoup de temps à se connaître nous deux, à se connaître à trois avec Marion, à s’entourer etc. La beauté de ce projet, au-delà de la beauté de l’écriture de Martin, ce qui tient tout ça c’est la bienveillance qu’il y a au centre de tout ça. Et l’idée de rencontre qu’il y a. De la même façon, Martin disait qu’il faisait de la musique pour partager quelque chose, et moi c’est vraiment comme ça que j’ai construit ma vie et la musique. Je pense que c’est ça qui lie tout le monde dans ce projet, c’est qu’on est juste des gens qui ont envie de partager quelque chose de fort avec les autres, plutôt que de mettre la musique au-dessus de tout. Et du coup, je vois qu’il y a beaucoup de choses à faire, au niveau des textes justement. Il y a le fait que le premier album, mine de rien, ça paraît quelque chose de précis, du coup on peut aller à la rencontre de plein de choses. Moi, tel que je vois les choses, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de colère tenue dans ce premier album. Et j’ai l’impression qu’en jouant ces morceaux sur scène et qu’en rencontrant le public, ça nous a adoucis, je trouve. Et, comme disait Martin, la colère est évidemment présente parce que c’est une chose qui nous heurte tous les jours, mais on la vit différemment donc j’ai hâte de voir comment, justement maintenant, on va pouvoir parler de ces choses-là. Enfin je pense que de toute façon, on évolue en permanence et que le son va évoluer en permanence. Au niveau de la sonorité j’ai plein d’idées, plein de trucs à explorer. Puis effectivement, maintenant on a Rémi sur scène, on a rencontré plein de gens donc ça va être aussi l’opportunité de partager encore plus les choses.

LFB : J’ai une dernière question, classique : est-ce que vous avez des coups de cœur récents, quelque chose culturellement ou qui vous a marqué, que vous avez envie de partager ?

Martin : Oh oui ! Attends, je me suis posé la question il n’y a pas longtemps…

Benjamin : Moi, ce n’est pas nouveau, mais je relis une énième fois la série de mangas Beck. Je sais qu’on en a déjà parlé sur internet. C’était mon cadeau de l’année dernière, parce qu’on a fait une très belle année. Je me suis dit « tiens, je vais m’offrir toute la série » et là je suis en train de lire le dernier, il est avec moi là. Alors ce n’est pas du tout nouveau, mais pour les amoureux de mangas et d’amitié -parce que ça parle surtout de ça et de musique- je conseille.

Martin : Moi j’ai la série, qui n’est plus du tout un scoop, mais c’est la série Samuel, qui est la chose qui m’a fait le plus de bien cette année. De par son écriture, sa réalisation et de voir aussi ces gens qui l’aimaient bien. J’ai retrouvé beaucoup d’amis autour de ça et c’est le dernier objet artistique que j’ai envoyé aux gens que j’aimais. Et ça m’a fait du bien vraiment, de me dire « j’envoie cet épisode à un copain ». Même, on en a fait une après-midi avec Ben et Terrier, on a maté tous les épisodes. On a dû s’arrêter au bout d’un moment tellement on était émus.

Benjamin : C’est marrant moi cette série j’ai pris plaisir à la revoir avec plein de gens différents. Je pense que je l’ai vue dix fois, avec dix personnes différentes à chaque fois. Tu ne l’as pas vue encore ? Ça va te faire un bien fou.

Martin : Ah oui moi vraiment. Et je ne peux pas ne pas parler, en 2024, de l’album de Poppy Fusée que je continue de saigner et que j’adore. Et on parle beaucoup de Samuel aussi ensemble, donc… (rires) Vraiment moi, ça a été mes deux grands coups de cœur artistiques.

Crédit Photos : David Tabary

Retrouvez notre chronique de Deuil(s) ici et notre précédent échange avec Martin Luminet ici