Mitski, ou la sérénité retrouvée

The Land Is Inhospitable and So Are We. Avec un titre comme celui-ci, on ne s’attendait guère à moins qu’un énième classique de la part de la prodige Mitski. Et on ne s’est pas trompés.

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Crédit : Ebru Yildiz

On vous le dit d’entrée de jeu ; ce nouveau projet est certainement l’un des meilleurs que Mitski ait pu proposer jusqu’à aujourd’hui. Non pas que le choix soit facile, au vu de sa discographie d’une rare cohérence en termes de qualité, et ce depuis son premier album sorti il y a plus de 10 ans. 10 ans marqués par six projets remarquables, et une année charnière ; 2021, durant laquelle l’artiste a connu une ascension aussi fulgurante qu’inattendue.

Une popularité soudaine, loin d’être déméritée, soulevant tout de même de nouvelles attentes venant d’une audience plus jeune, à la fois considérablement et subitement élargie. Attentes qui s’accompagnent également d’une problématique, liée à l’ancienneté relative des morceaux à l’origine de cette popularité subite ; comment évoluer artistiquement tout en continuant à intéresser ce nouveau public, qui commence paradoxalement tout juste à apprécier des titres déjà sortis plusieurs années auparavant ? 

Problématique à laquelle a déjà tenté de répondre l’excellent Lauren Hell, sorti l’année dernière, regrettablement trop peu considéré, sans être non plus totalement passé sous les radars. Un manque de reconnaissance probablement dû à la proximité de sa sortie avec l’émergence de cette nouvelle audience seulement une année plus tôt, que l’on peut supposer alors encore trop occupée à digérer le reste de sa discographie.

Problématique à laquelle répond cette fois-ci avec succès le tout aussi excellent The Land Is Inhospitable and So Are We.

The Land Is Inhospitable and So Are We se distingue nettement du reste de l’oeuvre de Mitski. Une distinction qui réside davantage dans la forme des morceaux que dans leur qualité. Les sujets traités restent les mêmes que dans les précédents projets, mais la perspective adoptée est moins dramatique, et semble même bercée par une touche d’espoir.

Et ce, sans pour autant se détacher complètement de la nostalgie aux relents destructeurs qui a toujours caractérisé la musique de Mitski, et sans laquelle cette dernière perdrait probablement de sa saveur. Seulement, l’aspect cathartique y est moins prononcé, au profit de l’émergence d’une sérénité presque déstabilisante tant elle est inattendue.

L’énergie ne se perd pas, elle se transforme. Ainsi, l’approche moins tragique avec laquelle Mitski aborde son existence ne fait pas pour autant perdre sa musique en intensité, ni en profondeur. On découvre simplement l’artiste grandie, plus réfléchie, et surtout moins fataliste.

Dès l’introduction, Bug Like an Angel, qui compte sans aucun doute parmi les morceaux les plus aboutis de sa carrière, on est instantanément embarqué dans l’univers de ce que l’artiste décrit comme son “most American album”. Une qualification assez floue, qui se traduit et se comprend très rapidement par l’incorporation d’éléments sonores caractéristiques de la folk et de la country tout au long du projet.

Partant d’un simple air de guitare, un chœur est introduit sur le premier couplet, accompagné d’un orchestre apportant une dimension plus théâtrale qui se poursuit au fil de l’album. Mitski s’y livre sur ses problèmes d’alcool, et ses relations chaotiques, le tout bercé par des harmonies réconfortantes qui contrastent avec la brutalité des expériences qu’elle décrit.

Au cœur d’un album qui semble introduire une toute nouvelle facette de l’artiste qui nous était jusqu’alors inconnue, notre admiration sans faille pour l’écriture de Mitski demeure, elle, inchangée. Une poésie émouvante au possible, dont la capacité bluffante d’exprimer tellement de choses en pourtant si peu de mots ne cesse de nous impressionner. Honnête, poignante, et truffée de métaphores singulières toutes plus obscures les unes que les autres, des insectes du premier morceau au buffalo du second, sans pour autant passer par des schémas d’écriture alambiqués. 

Une poésie sublimée par les compositions de son acolyte de toujours, Patrick Hyland, qui l’accompagne depuis 2013. Des productions assez simples, lentes, qui laissent avec justesse la vedette aux paroles, sans pour autant s’effacer totalement. Une place de choix est accordée aux instruments plus traditionnels dont la guitare, le piano, ou le violon, qui viennent renforcer la portée théâtrale des morceaux.

mitski

“So glad to have found it

That love is like a star

It’s gone, we just see it shining

It’s travelled very far,

I’ll keep a leftover light burning,

So you can keep looking up

Isn’t that worth holding on ?”

Star

Les relations amoureuses restent un sujet de prédilection pour Mitski, mais c’est cette fois-ci plus apaisée qu’elle les aborde, loin des regrets perçants qu’elle évoque habituellement. Elle se remémore les souvenirs d’un amour certes révolu, mais qui l’emplit maintenant de gratitude, et non plus de rancœur. Elle apparaît plus reconnaissante d’avoir connu une passion si forte, que dévastée de l’avoir perdue.

Une prise de recul qui se traduit par des titres comme Star et Heaven, construits tous deux sur un schéma similaire, dont l’intensité déjà bouleversante des paroles se voit renforcée par une production onirique, avec un climax instrumental impressionnant en fin de morceau.

Mitski aborde également le thème de l’amour avec My Love Mine All Mine, mais cette fois sous un prisme purement personnel. Elle y évoque en effet sa plus grande fierté : l’amour dont elle est emplie, et qu’elle a à donner. Il représente la trace qu’elle souhaite laisser sur terre, ce pour quoi elle souhaite que l’on se souvienne d’elle, et surtout et avant tout, sa raison de vivre.

Un contraste frappant avec son registre habituel, au ton souvent bien plus dramatique, que rappellent When Memories Snow et I Don’t Like My Mind, faisant état d’une culpabilité qui la ronge constamment face aux souvenirs et remords qui remontent malgré elle. Son mal-être est si prenant qu’il nous envahirait presque si il n’était pas contrebalancé par les notes d’espoir dispersées à travers l’album.

Le projet se termine par le superbe I Love Me After You, au sein duquel elle évoque ses problèmes persistants d’amour-propre et de dépendance affective. Une conclusion adéquate pour un projet particulièrement réussi, dont la petite trentaine de minutes qui le composent suffit amplement. À une époque où les projets conceptuels se multiplient, Mitski nous offre une véritable bouffée d’air frais avec cet album qui prend lui la forme d’une collection de souvenirs mise en musique. Et on l’en remercie.