Muddy Monk : « le format chanson, c’est celui que j’admire le plus »

Avec Bingo Paradis, Muddy Monk a pris une trajectoire plus douce mais toujours cohérente dans son univers musical. On a eu plaisir à retrouver le Suisse lors de la dernière date de sa tournée 2024 pour parler avec lui de ce dernier album, mais aussi de création sonore, d’écriture et de sa nouvelle formule live.

La Face B : Salut Guillaume, comment est-ce que ça va ?

Muddy Monk : Ça va bien. C’est une belle période et je suis content d’avoir sorti cet album.

LFB : Je me demandais comment tu avais vécu l’après Ultra Dramatic Kid, qui était quand même un album assez intense et assez sombre quand même.

Muddy Monk : Ouais, carrément. Il est sorti un peu à la fin d’une période qui était assez dure pour moi. Une fois que j’ai finalisé ce projet, j’ai pu me pencher sur la suite et j’ai eu des nouvelles énergies à ce moment-là, des nouvelles choses qui se sont mises en place dans ma vie et ça n’a fait que d’aller mieux. Du coup, j’étais content.

LFB : Et justement, puisque tu as sorti aussi entre-temps un EP collaboratif, est-ce que c’était un peu une récréation, une respiration qui t’a fait du bien aussi ?

Muddy Monk : Exactement, c’était vraiment l’idée. C’était un moment où j’avais déjà beaucoup avancé sur Bingo Paradis. J’étais un peu fatigué d’avoir toujours le nez dedans et j’avais l’envie de faire un truc aussi avec quelqu’un d’autre, vu que je suis beaucoup seul dans ma musique. Et c’était vraiment super.

LFB : Ça t’a permis de prendre du recul un peu aussi ?

Muddy Monk : Ouais, carrément. De voir une autre façon de travailler, enfin de revoir Jimmy (Whoo ndlr). Travailler, c’est toujours inspirant. C’était vraiment chouette.

LFB : Du coup, on est là pour parler de ton nouvel album. Moi, j’aime beaucoup la pochette de Bingo Paradis parce que je la trouve drôle en fait. Je la trouve drôle parce qu’elle masque un peu tout ce qui nourrit l’album, c’est-à-dire l’amour et le couple.

Muddy Monk : Ouais, c’était l’envie de pouvoir utiliser justement cette photo de photomaton qui est un peu un symbole de la relation que j’ai avec ma copine mais en même temps restant vraiment pudique, comme tu dis. Et du coup, assez vite, il y a eu cette idée un peu de gribouiller sur les visages.

J’avais fait une première maquette et après, c’est ma copine qui a fait la pochette finale et qui a fait le boulot, l’artwork et tout. On a ensuite bossé avec un graphiste, Eliott Grunewald.

LFB : Ce qui est drôle, c’est que ce qu’on disait, c’est que sur les albums d’avant, à part Ultra Tape, tu apparaissais toujours sur les pochettes, mais les paroles étaient hyper cryptiques. Et là, c’est l’inverse.

Muddy Monk : Moi, de base, quand je faisais mes albums avant, genre Ipanema et tout ça, je ne me mettais jamais sur une pochette et tout. Après, c’était un peu un truc pour les gens qui veulent pouvoir identifier la personne… Enfin, c’est un peu des trucs de label, ce qui n’est pas forcément une impulse personnelle, je crois, de mettre une photo de soi.

LFB : Mais c’est intéressant parce que justement, cette idée d’être drôle à travers la pochette, c’est aussi un reboot de ta personnalité que les gens ne connaissaient pas forcément et qui réapparaît aussi dans le dernier clip que tu as sorti, qui est à mourir de rire.

Muddy Monk : Ouais, je suis trop content de ce clip. C’est un ami à moi, Geordy Couturiau, qui l’a réalisé. C’est lui qui a eu l’idée, justement, d’ajouter des parties un peu scénarisées et de mettre une petite histoire. Il y a un truc très europhiste. Ouais, dans l’humour, c’est clair.

LFB : Pour moi, il y a un morceau qui tranche un peu dans l’album, qui parle d’une autre relation de l’album, c’est Funk Interlude, qui est hyper intéressant comme morceau, parce que pareil, on met aussi dans cette idée de creuser dans ta personnalité, mais qui raconte quelque chose. Et je me demandais comment tu t’étais senti, justement, parce que pour moi, c’est ce qu’il raconte son morceau, en trouvant les sonorités de Bingo Paradis.

Muddy Monk : En trouvant les sonorités de l’album, ouais. J’étais assez euphorique, parce qu’au début, j’avais l’idée de contraster complètement avec Ultra Dramatic Kid, justement, de quitter un peu la disto et les trucs un peu musclés, et de retourner vers quelque chose de très doux et de très boucle, et de très confortable aussi.

Et pour ce faire, je me suis dit « il me faut une palette un peu de sons pour ce nouvel album ». Et j’en avais aussi marre un peu des synthés. Donc je me suis créé une nouvelle palette de sons avec un sampler.

Tous les sons de cet album, c’est un peu des claviers que « j’ai créé », et qui font l’identité de ce projet.

J’ai commencé à avoir mes instruments qui sont un peu … comment dire ? Ils ont beaucoup de personnalités, mais à la fois, ils sont assez fragiles. Il y a beaucoup d’artefacts et de problèmes dedans. Et j’étais vraiment très content d’avoir trouvé ça.

LFB : Est-ce que tu as l’impression, pour chaque album, de te retrouver comme un enfant qui a besoin de découvrir des nouveaux jouets ?

Muddy Monk : Ouais, ouais, ouais. J’ai toujours besoin de, soit de trouver des nouvelles machines, soit des nouveaux procédés, soit des nouvelles solutions pour composer.

C’est ça qui m’anime le plus dans la musique.

LFB : Est-ce qu’il y avait vraiment cette volonté de faire un album de pop ? Parce que pour moi, Bingo Paradis, c’est un album de pop.

Muddy Monk : Ouais, je suis assez attiré par beaucoup de styles différents, mais le format chanson, c’est un peu le format que j’admire le plus. Et c’est rare que l’exercice soit bien réussi. C’est vrai que depuis quelque temps, si je peux réussir un couplet refrain classique, et qu’il soit bien, ça me fait kiffer. Mais là, je repars sur autre chose déjà pour la suite.

Parce que là, c’est vraiment ce que tu disais, c’est que pour moi, c’est un album qui est doux, en fait, à écouter, qui a des sonorités purement medium.

J’ai l’impression que le curseur vers les pics, il est un peu tourné de l’autre côté.

LFB : C’est-à-dire que ces sonorités qui auraient pu être très dur dedans, là, elles font des câlins, en fait.

Muddy Monk : C’était l’idée de contraster vraiment, et je suis content que tu le ressentes comme ça.

LFB : Des morceaux comme Lili Pacino ou Fake Friends, on sent vraiment, ta patte, elle reste là mais sans agressivité. Ultra Dramatic Kid, on était sur un album très agressif.

Muddy Monk : Très inconfortable. C’était ça. Mais c’était un peu ma déception pour Ultra Dramatic. J’ai l’impression que j’aurais aimé avoir ce genre d’énergie, mais sans qu’il soit aussi agressif que ça à l’oreille, quand même. Pouvoir avoir la violence du propos qui se tienne, mais un peu plus confortable pour l’oreille.

LFB : Ce que tu avais fait sur Ultra Tape juste avant.

Muddy Monk : Ouais. Ça, je le trouvais plus équilibré, je pense. Ultra Tape se réécoute mieux, je pense, que certains morceaux d’Ultra Dramatic qui sont trop violents, trop agressifs.

LFB : Est-ce qu’on peut dire que Bingo Paradis, musicalement, c’est un peu un temps ciel sans tempête ?

Muddy Monk : Ouais, carrément. C’est ça. C’est l’apaisement, c’est tout le chemin qui a été parcouru, qui amène à un truc pas si dégueu que ça, sans que ce soit un paradis utopique ou quoi que ce soit. Juste, c’est OK.

LFB : Et du coup, musicalement, moi, ce qui m’a marqué, ce qui m’a beaucoup intéressé, c’est que c’est un album qui laisse aussi, dans cette idée justement de chanson, beaucoup plus de place à la basse et à la batterie.

Muddy Monk : J’avais cette envie. C’était aussi une des directions de ce projet, de partir sur des batteries plus acoustiques. De base, je voulais vraiment des drums, vraiment des dead drums, tu vois, comme il y a chez Marc DeMarco par exemple, et quitter un peu les boîtes à rythme. Ça a été tenu sur certains morceaux, et sur d’autres, ça a quand même été bien trituré.

LFB : Oui, il y a ton côté producteur qui reprend toujours. Mais c’est marrant, parce que tu vois, par exemple, le clin d’œil au côté producteur. Chaki Queen tu as la boucle justement qui démarre à la fin, comme s’il y avait un bug sur la version.

Et juste après, sur Lili Pacino, tu as des sonorités d’oiseaux qui ramènent aussi justement un truc très organique et très réel.

Muddy Monk : Vraiment, c’est des recherches de petits détails hyper intéressantes à chaque fois. J’ai plus fait ça justement sur ce projet. C’était un peu un truc que j’avais retenu de Ultra Dramatic Kid aussi.

C’était un peu… Comment dire ? C’était trop… Trop droit au but. Et il manquait un peu les petits sucres pour les oreilles et les petites subtilités qui sont importantes aussi et sur lesquelles j’avais un peu oublié de passer du temps, je pense, à des moments et qui sont très chouettes à faire.

LFB : Est-ce que t’as l’impression qu’il est plus perfectionniste, cet album-là ?

Muddy Monk : Non, parce qu’il était très technique Ultra Dramatic Kid. Il était vraiment… C’est la prod qui est plus poussée encore. C’est plus dur à maîtriser un truc comme ça que des formes à ballade. Non, je pense que j’ai un niveau d’exigence qui est plus ou moins équivalent au normal.

LFB : Moi, j’aime bien parler de ça, du côté « control freak » des artistes, de savoir quand s’arrêter, justement, sur un morceau.

Muddy Monk : J’en ai parlé dernièrement avec quelqu’un. Je n’ai pas l’impression d’être le plus perfectionniste. Parce que je suis conscient de l’importance des défauts dans un morceau. Que ça ne va pas être parfait, en fait.

Je pense, au tout début de mes projets genre « Ah, je vais délivrer ça, c’est trop important.» Mais maintenant, c’est plus genre :« OK, je peux de nouveau expérimenter un nouveau truc.» Et genre, j’ai envie d’aller là et le plus librement possible. Après, je perfectionne quand même. Je passe du temps.

LFB : Tu te vois évoluer, quand même.

Muddy Monk : Ouais, ouais, bien sûr.

LFB : Moi, j’ai une question un peu bizarre sur l’album. Est-ce que tu l’as créé en chapitre ?

Muddy Monk : Non, alors j’ai peu de vision globale sur mes albums.

Après, il y a une couleur et un propos un peu global, mais ça s’arrête un peu là.

Après, l’installation de la setlist, par contre, l’idée est que ça se répartisse bien et que ce soit évident à l’écoute. Mais j’étais content de retourner vers des morceaux instrumentaux aussi. C’est vraiment chouette à faire. Ça raconte une autre histoire, en fait.

LFB : Ce sont des morceaux qui sont intéressants dans l’album parce qu’ils laissent place aussi à l’imagination de celui qui l’écoute.

Muddy Monk : Moi, je viens vraiment de là, tu vois. Je viens de Si l’on ride et avec trois paroles. Et que de l’instrumental. C’est un truc que j’ai tendance à oublier de faire parce qu’il y a des mécanismes qui se mettent en place. On veut remplir. Plus le temps passe, plus il faut parler finalement.

LFB : On parlait de la pochette. Si l’album est malgré tout très explicite, je trouve que tu gardes quand même une part de pudeur dans ton écriture.

Muddy Monk : Oui, toujours. Là, il y a des textes moins cryptiques, mais c’est important, quand même. Je pense que ce serait vulgaire d’être trop frontal et de passer de trop frontal dans la production à trop frontal dans les paroles.

Après, il y a certains styles où ça s’y prête bien, mais je ne le pense pas dans la chanson française.

LFB : Est-ce que c’était un truc important pour toi d’avoir quand même une écriture très simple et directe tout en ayant une vraie sonorité sur les mots ?

Muddy Monk : Ah oui, oui. Pour moi, j’écris toujours des toplines qui sont purement sonores. Et du coup, c’est important pour moi que les mots en français, après, matchent quand même assez bien sur les harmonies qui sont créées avec le yogourt que je fais.

LFB : Et est-ce que l’un des grands défis de l’album, ce n’était aussi de ne pas être niais en parlant d’amour ?

Muddy Monk : Mon fond de commerce, c’était quand même le drame et la déprime. Et c’est vrai qu’arrivé à ce moment de ma vie où j’étais bien et tout, je me suis dit « bon, je fais quoi ? » Je ne me sentais pas de mentir ou de refaire des trucs.

Il y a cette idée aussi de trouver ta propre sincérité, je trouve, dans l’écriture, tu vois.

J’avais envie d’assumer ça et j’avais envie de réussir l’exercice de la chanson heureuse sans que ce soit dégoulinant ou genre un peu indigeste. Le challenge c’était de trouver un peu le contraste.

LFB : Est-ce que t’avais peur de la réaction justement des gens, parce que c’est un album qui se tranche énormément par rapport aux propositions de ce que t’avais fait avant ?

Muddy Monk : J’étais un peu inquiet ouais, toujours un peu inquiet à la sortie mais pas trop non plus. Franchement, je suis très content de pouvoir être libre dans ce que je fais, de ne pas être verrouillé dans un style et genre, j’ai l’impression que c’est ma chance d’avoir toujours fait un peu ce que je voulais. Ça fait qu’après, ton public, je pense il te laisse bien libre aussi. Et j’étais étonné, au contraire, quand on a fait les premières dates de concert, alors que les gens chantent les paroles de ces chansons, j’étais là : « ok, c’est cool ».

LFB : Et justement, en parlant de live, je sais que c’est un format qui t’a toujours un peu effrayé, ou rebuté, si on peut le dire.

Muddy Monk : Clairement.

LFB : Est-ce que dès que t’as créé cet album-là, tu as senti justement la nécessité d’être avec des musiciens sur scène ?

Muddy Monk : De base, moi je voulais pas refaire de la scène parce que ça m’avait saoulé.

En plus, pour Ultra Dramatic Kid, il devait y avoir un tour et ça a foiré. Et du coup, je voulais plus trop, mais j’ai signé avec un nouvel éditeur qui m’a vraiment motivé, et il m’a mis une équipe autour de moi, c’est que des gens super.

Du coup, j’ai eu Paul Prier en directeur musical, et après des musiciens, Carlos Loverboy, Hannah Miette, qui sont trop forts, et qui sont des super humains.

Aux lumières , on a Simon Voulande, qui est super cool aussi. Elsa Grelot au son, et genre, c’est une super ambiance. J’ai commencé à kiffer le live parce que j’en ai moins sur mes épaules aussi et tout. Je suis chanteur.

LFB : Je t’avais vu sur les précédentes tournées. Le fait d’être seul amenait toute l’attention sur toi.

Muddy Monk : Ah ouais, c’était impressionnant. Après je reste timide, je ne suis pas le plus à l’aise des gars sur scène.

LFB : Et est-ce que les morceaux, tu les as refondus, justement, pour garder, pour avoir une couleur un peu uniforme propre à l’album ?

Muddy Monk : J’ai essayé de garder l’identité des morceaux pour lesquels l’identité des sons est importante. Il y a des parties qui ont été adaptées pour la guitare, aussi, qui est un instrument que je n’utilise jamais, mais qui est assez intéressant sur scène. On a des jolies choses avec ça. Et puis, pour les batteries, on s’est un peu cassé la tête pour trouver des bonnes solutions. Mais sinon, non, j’essaie de garder, quand même, ma formule.

Parce qu’au fond, mes chansons, pour une grande partie, j’ai l’impression que c’est quand même les sons et les sonorités. Donc, je verrais pas trop l’intérêt de faire des pianos voix rouges.

LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter, justement, pour 2025 ? Est-ce que tu penses déjà à la suite de Bingo Paradis ? Ou est-ce que t’as envie de continuer à le faire vivre, cet album ?

Muddy Monk : Pour la suite de 2025, ouais, j’aimerais bien encore présenter un peu le show qu’on a développé, là. Je pense jusqu’à l’été ou quelque chose comme ça. Et puis, à côté, faire de la musique. Créer la suite.

LFB : Pas faire d’acteur ? parce que j’ai vu que tu avais un court-métrage.

Muddy Monk : C’est mon pote Geordy qui a fait ce court-métrage. Ça, c’était trop bien c’était il y a deux ans, deux ans et demi. Il m’a demandé au dernier moment. Il ne trouvait pas d’acteur pour son truc. Je lui ai dit, « vas-y, je viens le faire ». Et on a fini avec des prix. C’était super.

LFB : Si tu pouvais ranger Bingo Paradis à côté d’un film et d’un album tu choisirais quoi ?

Muddy Monk : C’est dur, ça. J’ai vraiment une mauvaise mémoire. Il y a beaucoup de films qui ont ce propos où ça finit par aller.

Je sais pas. Ça pourrait être un Kusturica, où il y a toujours tout d’un coup de la fête, qu’un Happiness Therapy. Ils n’ont rien à voir, mais ce genre de truc.

Et l’album… peut-être This Old Dog de Marc DeMarco. Sans que ce soit trop cousin, mais dans le propos, je pense qu’il y a un truc assez relax.

Retrouvez notre chronique de Bingo Paradis par ici

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