Muddy Monk est de retour en cette rentrée musicale avec Bingo Paradis, un album sur lequel il garde sa singularité tout en faisant évoluer sa musique vers des territoires plus pop et lumineux. Décryptage.
Une longue ride de nuit qui mène vers la lumière. Si l’on prend un peu de hauteur sur la carrière musicale de Muddy Monk depuis 2018, l’image est assez évidente.
Ainsi, depuis l’exceptionnel Longue Ride, donc l’écoute s’avère toujours aussi surprenante et saisissante de beauté, Guillaume Dietrich de son nom au civil s’était enfoncé dans une nuit noire et orageuse. Si l’on fait exception double single Athènes/Petit Soldat, sorte d’avant goût béni de Bingo Paradis, Muddy Monk, avec Ultra Tape et Ultra Dramatic Kid, repoussait toujours plus loin sa radicalité et son sens de l’expérimentation.
Explorateur musical, il s’enfonçait alors dans une épopée faite de bruit et de fureur à laquelle il confrontait sa voix cristalline, signature évidente de sa musique qui revient nous hanter album après album. Il fallait sans doute explorer cette noirceur, aller au bout de cette envie de musique totale dans laquelle les mots et le sens se perdaient parfois au profit de l’expérience auditive aussi dissonante que fascinante.
Mais que faire après un album aussi intense qu’Ultra Dramatic Kid ? Où allait mener la chute du héros de la pochette ? Comme le disait si bien La Haine : « l’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage« .
« Mais girl tu vois
Qu’on est là, qu’on est barges
Et que c’est ça l’éternité
J’voudrais toujours t’avoir »
Et celui-ci prend les contours surprenant d’un nouvel album intitulé Bingo Paradis. Et comme son nom l’indique, c’est une nouvelle fois un carton plein.
Parce qu’entre-temps, l’amour est tombé du ciel comme un bout de paradis auquel Muddy Monk ne pensait pas avoir droit. Depuis toujours, la musique de Muddy Monk, la vie musicale et personnelle de l’artiste se retrouve souvent mêlée. Dans une sorte d’ego-trip naïf et attachant, il ne peut, et ne veut, écrire que sur lui même, ce qui le touche, ce qui l’émeut.
C’est donc un garçon apaisé, heureux et surpris que l’on retrouve dans les onze morceaux qui composent ce Bingo Paradis. Un album limpide, chaleureux et accueillant, qui forme avec Ultra Dramatic Kid une sorte de yin-yang musical, opposé mais relié ensemble par l’envie inextinguible du musicien pour la recherche musicale.
Car être accessible et pop signifie pour autant devoir renier à sa radicalité ? La réponse est évidemment non et Bing Paradis le prouve avec brio.
On pourrait tout d’abord parler de l’agencement de l’album, de cette manière de placer ici et là des respirations, des petites pauses dans l’histoire avec Arpailles, plage instrumentale atmosphérique qui montre tout le sens du bidouillage mélodique cher à Muddy Monk, ou Fnk Intrl, confession funky parfaite et élégante. Même dans Melo Outro, titre conclusif qui reprend et malaxe la mélodie et les paroles d’Aare Melo comme une sorte d’écho lointain venu du futur qui confirme à Muddy Monk que la voie choisie, celle de l’amour, est définitivement la bonne.
« T’es arrivée comme un gangster
J’ai appris à me taire et à l’ver les mains, le cœur en l’air »
On pourrait aussi voir la manière d’écrire les morceaux, la finesse d’une plume retrouvée, la simplicité directe qui en ressort. Car l’aventure de Bingo Paradis, se vit sur plusieurs ligne : à travers ses morceaux, il nous fait vivre différentes perspectives, entre les missives écrites pour l’être aimés (Chaki Queen, Toujours t’avoir, En Tadem), les tracks où il explore ses propres émotions et ressentis ( Lili Pacino, Aare Melo, Fnk Intrl) et celles où il nous explique la portée définitivement universelle des sentiments qu’il vit et qu’il nous raconte (Fake Friends, Bingo Paradis).
On évolue ainsi dans une histoire à personnages multiples, entre le je, le tu et le on, une histoire toute simple, celle d’un mec frappé par l’amour qui réalise à quel point la vie est plus simple et évidente quand on décide d’en profiter au jour le jour, d’arrêter de se poser trop de questions et de juste exister pour exister.
Autour de ça, Muddy Monk créé un édifice sonore toujours aussi impressionnant dans ce qu’il développe en nuances, en mélodies et en beauté. Comme un cœur qui bat et s’emballe, les deux premiers morceaux, Chaki Queen et Lili Pacino vibrent d’un duo basse/batterie bien senti, sur lequel Muddy Monk vient ajouter des textures et chantent de manière directe et intelligible.
On pourra d’ailleurs noté, comme un clin d’œil à son passé de producteur, comment Chaki Queen semble se relancer à la fin comme si la boucle redémarrait par erreur.
Ah, douleur, tais toi
J’ai encore envie du temps qui tape
Ah, douleur, sois seule
J’ai dans le ventre la faim d’l’éternité
La batterie toujours bien en avant, laissant revenir le sens de l’épique, mais ici policé et atténué, Tic Tac démarre et surprend avec l’arrivée de l’italien Giorgio Poi qui donne au morceau des accents italo-disco aussi inattendu et rendent le morceau encore plus attachant. Ainsi, comme en amour, la musique de Bingo Paradis se partage et évolue au contact des autres.
Autre morceau, autre tube : Toujours t’avoir. C’est aussi le morceau qui montre à quel point la musique de Muddy Monk a évolue dans une direction, certes différente, mais qui cohérente aux précédents projets. Musicalement, le morceau aurait pu s’offrir des envolées, laisser l’intensité prendre le pas sur la mélodie, mais ici tout se condense, se « formate » pour transformer une expérimentation sonore en vrai bonbon pop addictif.
Cette sensation, on la ressent aussi dans Fake Friends. Le morceau impressionne et prouve une nouvelle fois que la radicalité de Muddy Monk est toujours bien présente. Le morceau est évident, intense et brillant, notamment dans le traitement de la voix et des chœurs qui l’accompagne comme des chants de sirènes qui, ici, nous entrainent vers la vie plutôt que vers la mort.
Définitivement apaisé, En Tandem nous rappelle Baby, cette clarté fulgurante qui nous transperce le cœur avec bonheur. Tout le travail de l’album se vit dans ce dernier tiers d’album.
Et ce n’est pas Bingo Paradis, vraie-fausse de l’album auquel elle donne son nom, qui nous fera dire le contraire. Avec ce morceau, Muddy Monk se rapproche définitivement d’Odezenne, dans cette manière de sublimer le quotidien, de raconter la vie de manière limpide et pourtant si poétique.
Et tu sais que y a tout qui se tasse boy
Même si on n’est pas vraiment fait pour cette merde
On a fini par savoir rider cette vie boy
Avec Bingo Paradis, l’album, Muddy Monk surprend et enchante. Le garçon fait un pas vers une musique plus populaire, lui permettant d’étendre son aura et son auditoire, tout en gardant sa radicalité et sa singularité, restant au fond ce garçon timide qui s’amuse à tirer le meilleur de ses synthétiseurs dans son home-studio. Un garçon désormais heureux, amoureux et apaisé et qui nous invite, le temps de 11 chansons, à l’être avec lui.