À la Face B, on avait envie de donner la parole à celles et ceux qui accompagnent la musique au quotidien sans jamais être sur scène. Parce que ce sont, avant tout, des passionné.e.s de musique, et que sans eux, vos artistes favoris seraient peut-être encore inconnus. Troisième épisode de notre rubrique avec Benjamin Delobelle, coordinateur du pôle création artistique à FGO Barbara.
La Face B : J’aimerais bien que l’on commence cette interview par parler de ta relation avec la musique depuis le début. Tu pourrais nous raconter ta rencontre avec la musique ? Il y en avait chez toi lorsque tu étais plus jeune ?
Benjamin Delobelle : Oui, tout à fait. Mon père jouait de la batterie dans un groupe de hard-rock. Alors, dès 5 ans, j’ai été habitué à me retrouver dans les coulisses… Même si c’était plutôt un groupe qui tournait essentiellement sur les scènes locales. Plus tard, il est devenu technicien d’une salle de spectacle. Ça fait un autre lien avec la musique. Il faut aussi dire que, à ma demande, mes parents m’ont rapidement inscrit au conservatoire en piano classique. J’ai fait tout mon cursus à Melun, en parallèle de l’école. De fil en aiguille, ça m’a amené à faire un lycée avec option lourde musique, puis un cursus de musicologie à la Sorbonne… Mais plutôt pour devenir enseignant, à l’origine. Je ne connaissais rien du tout au business de la musique…
LFB : Qu’est-ce-que tu écoutais en grandissant ?
Benjamin Delobelle : J’ai commencé par rejeter complètement le rock et le hard-rock, et à me passionner pour la musique classique. J’en écoutais beaucoup… Après, il y avait l’influence des copains, qui écoutaient du rap et du r’n’b, mais je ne saurais même pas te donner de noms précis. Puis, en arrivant à Paris pour les études de musicologie, j’ai redécouvert le rock, avec toutes ses mouvances : électro-rock, rock indépendant…
LFB : C’est intéressant que tu aies rejeté le rock dans un premier temps. Maintenant, tu t’es complètement réconcilié avec les musiques actuelles, puisque tu travailles à FGO…
Benjamin Delobelle : Tout à fait. Parce que j’en ai fait en arrivant à Paris, j’ai rencontré des musiciens et musiciennes… J’ai testé des choses, je faisais du clavier par-ci par-là. Puis, quand on arrive à Paris et qu’on a besoin de payer son loyer, on cherche un travail, alors j’ai d’abord été vendeur, puis, en discutant avec des gens, j’ai appris qu’une maison de disques recherchait « une standardiste ». J’ai passé les entretiens, même si j’étais un garçon, et, finalement, je suis resté 10 ans dans ce label qui s’appelle Naïve…
LFB : J’allais en parler. Lorsque tu débarques chez Naïve, tu as quel âge ?
Benjamin Delobelle : 23-24 ans.
LFB : Super jeune ! Et tu avais déjà un master ?
Benjamin Delobelle : Non non du tout, j’ai repris les études à 35 ans !
LFB : Pardon, j’avais la chronologie dans le mauvais ordre. Alors, qu’est-ce-que tu as fait pendant 10 ans chez Naïve ?
Benjamin Delobelle : Plein de choses. Je suis resté deux ans et demi à l’accueil, puis j’ai commencé à faire des remplacements dans divers services. Au marketing, à l’artistique ; il fallait parfois organiser des séminaires commerciaux, rédiger des bios pour les artistes… Puis j’ai été assistant de la vice-présidente du label pendant cinq ans, avant, enfin, de travailler pour la direction artistique où j’étais talent scout.
LFB : Tu pourrais nous parler un peu du métier de directeur artistique ? Comment est-ce-que tu approchais la chose ?
Benjamin Delobelle : Dans mon cas, c’est un peu particulier. À l’époque, j’étais DA focus recherche de nouveaux talents. Donc je ne m’occupais pas d’artistes bien établis, mais mon travail c’était d’être pro-actif. Il y avait beaucoup de lieux à Paris qui programmaient, peut-être même plus qu’aujourd’hui, et j’allais beaucoup voir des concerts. Je recevais aussi beaucoup de disques, de liens soundcloud…
Tous les mois, j’avais un rendez-vous où je devais présenter dix artistes émergents à l’équipe du label. Après avoir fait écouter les artistes, on m’aiguillait en général sur deux ou trois profils avec lesquels approfondir. C’est à ce moment que je les contactais pour que l’on se rencontre. Souvent, ils ou elles avaient un concert et j’allais les voir. La chose se faisait petit à petit, il y avait du temps avant la signature, on déjeunait ensemble, on échangeait beaucoup avec eux et leur entourage professionnel avant de prendre une décision…
J’ai quitté le label en 2014. Ça a été une expérience super enrichissante, parce que j’ai pu voir toutes les strates de fonctionnement d’un label indépendant, qui plus est, un label où on trouvait beaucoup d’esthétiques différentes. Ce que je fais aujourd’hui a quand même un lien profond avec ce que je faisais chez Naïve. Même s’il y a un côté politique culturelle puisque les structures dans lesquelles je travaille appartiennent à la ville de Paris, je côtoie finalement la même typologie d’artistes.
LFB : Et donc, tu as quitté Naïve pour faire un master ?
Benjamin Delobelle : Oui, un master d’administration et gestion de la musique. Je voulais me rapprocher des politiques culturelles… Quand je regarde mon parcours de loin, j’ai eu l’expérience de la musique enregistrée, et aujourd’hui, le spectacle vivant et la politique culturelle, vers laquelle tout m’a dirigé. Pour avoir un rapport différent à la musique, qui ne soit pas uniquement un rapport contractuel, financier, d’investissement… Par chance, ce genre de rapport n’existe pas à l’endroit où je travaille.
LFB : C’est la spécificité de ce genre d’endroit : votre regard est désintéressé, dans le sens où vous n’avez pas besoin d’avoir un retour sur investissement de la part des artistes que vous accompagnez… C’est très précieux pour eux, non ?
Benjamin Delobelle : Bien sûr. On est désintéressés financièrement, contractuellement… On signe quand même une convention avec eux, ils ont un concert à faire, mais ça ne va pas plus loin. Pour nous, ce qui est important, ça n’est pas l’objectif, c’est le chemin qui est fait, le laboratoire…
LFB : Donc, à FGO, vous avez plusieurs dispositifs d’accompagnement. Tu peux nous les présenter ?
Benjamin Delobelle : Il y a notamment Variation(s), un dispositif parisien dans lequel on choisit dix lauréats et lauréates par an. On y propose un soutien d’une durée d’une année, pendant laquelle les artistes ont accès à des studios de répétition et d’enregistrement, ainsi que de danse pour l’expression corporelle. On a également deux salles pour organiser des résidences sur plateau, FGO et Les Trois Baudets. C’est un dispositif très prisé, c’est à dire que l’on reçoit énormément de candidatures.
LFB : Pour avoir une idée, quel volume de candidatures vous recevez pour 10 élu.es ?
Benjamin Delobelle : L’année dernière, on avait 887 candidatures pour 10 lauréats/lauréates. C’est un travail d’écoute très particulier… On a mis en place une plateforme d’appel à candidatures qui permet de fluidifier les écoutes. On crée une sorte de profil pour chaque artiste, avec une photo, des liens, une bio, ce qui nous permet d’uniformiser les candidatures et donc de ne pas écarter trop vite des projets qui sont très émergents. Il y a aussi une bourse de 4000 euros à la clé.
LFB : C’est un dispositif plutôt bien doté !
Et pour donner une précision sur l’attribution de la bourse : auparavant nous avions un regard sur les dépenses afin de vérifier qu’elles soient bien fléchées sur le projet artistique. Depuis le Covid, où nous avons pu remarquer la précarité dans laquelle vivaient certains artistes, nous avons décidé de leur remettre directement l’entièreté de la bourse sans qu’ils ou elles aient à justifier quoique ce soit. Parce qu’habiter à Paris quand on est artiste, avec toutes les dépenses du quotidien, cela représente un coût non négligeable pour se loger, se nourrir, etc… Et cela fait aussi partie de la construction d’un projet.
Dans Variation(s) on essaye enfin de mettre les artistes en relation avec les autres professionnels de l’industrie. Ils peuvent rencontrer des chorégraphes, des danseurs, des danseuses, des intervenants qui peuvent les accompagner sur la technique vocale, la mode, l’attitude sur scène… C’est une sorte de plateforme, d’incubateur d’artistes. On a envie qu’elles et ils se sentent chez eux, qu’ils puissent avoir une écoute sur toutes les problématiques qu’ils rencontrent en tant qu’artistes.
LFB : Et de ton point de vue, quelles sont les problématiques les plus récurrentes ?
Benjamin Delobelle : Elle portent sur des choses très matérielles, d’abord : ils ont besoin d’un plateau et de studios pour répéter et enregistrer. Ensuite, d’un point de vue plus global les artistes ont besoin d’être soutenus et écoutés. Lorsque l’on est artiste, on est constamment dans une forme de séduction, notamment à l’égard de toute personne qui peut-être un futur partenaire professionnel. Et nous, comme tu le disais tout à l’heure, on a pas besoin du tout d’être dans ce genre de rapport là puisqu’il n’y a pas d’objectif de résultat ; les rapports dans le travail sont beaucoup plus sereins et respectueux.
Aussi, pour certains artistes émergents, il y a une sorte d’écran de fumée à dissiper entre eux et l’industrie, ils ne savent pas trop à quelle porte frapper, où aller… Mais c’est d’ailleurs pareil pour les professionnels de la musique qui débutent. Il y a plein de dispositifs qui existent, des conventions comme le MaMA, mais le chemin n’est pas encore limpide.
LFB : J’ai l’impression que les salles comme FGO/Les Trois Baudets et de manière générale les salles qui ont des dispositifs d’accompagnement comme les SMAC (scènes de musiques actuelles conventionnées, NDLR) sont le premier partenaire pour les artistes. Lorsqu’on ne sait pas à quelle porte toquer, c’est en général vers celles-ci que l’on nous dirige…
Benjamin Delobelle : Oui bien sûr. Et c’est vrai qu’on le voit dans l’évolution du nombre de candidatures… C’est vertigineux, le nombre d’inscriptions a doublé en quatre ans. Peut-être que c’est lié à la période Covid aussi, beaucoup de gens se sont révélés chez eux à cette période – et c’est tant mieux !
LFB : Donc, ça, c’est le dispositif Variation(s). Quels autres dispositifs existent à FGO/Les Trois Baudets ?
Benjamin Delobelle : On a aussi le prix Cécile Pollet, qui récompense une autrice compositrice interprète de chanson française. C’est un très beau prix, en partenariat avec la fondation de France, avec une bourse de 10 000 euros, un soutien d’un an sur tous les aspects du projet et un concert aux Trois Baudets. Ce qui est intéressant dans ce prix c’est de soutenir la toute jeune création dans un lieu emblématique de la chanson française à Pigalle.
On a aussi des offres sans concours comme des sessions d’écoute. Tous les mercredis matin, on reçoit des artistes à tout stade de développement qui souhaitent parler de leur projet. Nous sommes trois personnes, dont moi, à s’occuper de ces sessions. On leur demande de nous faire écouter deux extraits de leur projet, puis on leur fait un retour à chaud. On fait ces sessions dans un cadre extrêmement bienveillant… Nous ne portons pas de jugement sur la qualité artistique de ce qui est proposé, notre objectif est vraiment d’essayer de répondre au mieux aux questionnements de l’artiste, puis d’essayer de positionner son projet dans tout ce qui se fait aujourd’hui… De l’aiguiller. Il arrive d’ailleurs que l’on reçoive des artistes auxquels nous suggérons de s’inscrire à Variation(s) et qui sont pris par la suite.
LFB : J’ai l’impression qu’il y a une forme d’exception à Paris en ce qui concerne la politique culturelle des musiques actuelles, dans la mesure où ces dernières sont prises au sérieux et donc subventionnées en conséquence. Mais beaucoup de mairies n’en font pas autant, et financent leurs SMAC avec des bouts de ficelle tandis que d’autres salles comme l’opéra bénéficient de sommes astronomiques. Qu’est-ce-que tu en penses, est-ce-que cette situation te semble réelle ?
Benjamin Delobelle : Complètement ! J’en discutais il y a encore une heure avec un collègue. De ce que j’observe, les musiques actuelles sont souvent le parent pauvre des domaines artistiques en lien avec la musique. Par rapport à la musique classique, ou d’autres domaines comme la danse… En termes de subventions, notamment. Le nerf de la guerre reste les moyens, notamment financiers, et parfois il en faut pour être à la hauteur de ses ambitions.
Il y a aussi une différence dans la manière dont en on parle. Il y a quelques années, on a réfléchi à faire évoluer la terminologie employée pour parler de nos activités et de nos dispositifs en musiques actuelles. Je me suis intéressé au vocabulaire qui était utilisé dans les autres esthétiques. Cette réflexion nous a conduit à ne plus parler d’artistes accompagnés mais de résident·es, à ne plus utiliser le mot accompagnement mais parler plutôt de soutien, et d’intervenant·es plutôt que d’accompagnateur·ices… Et ainsi nous redéfinir en Pôle création artistique (anciennement Pôle accompagnement). L’objectif étant de valoriser nos activités et nos pratiques qui évoluent sans cesse. D’autant plus que notre principale mission est de soutenir la création, et cela passe aussi par le langage qui est employé.
LFB : Tu as l’impression que cette langue de bois est nécessaire pour rendre légitimes les musiques actuelles ?
Benjamin Delobelle : Il y a clairement un problème de légitimité aussi, oui, mais cela évolue. Même si à Paris c’est particulier et, comme tu dis, exceptionnel. On est au centre névralgique de ce qui se passe en musiques actuelles car il y a sûrement plus de moyens qu’ailleurs. En région, je ne suis pas rentré dans ce genre de discussions avec les SMAC, mais il y a peut-être quelque chose de cet ordre là…
Les politiques culturelles ont commencé à s’intéresser aux musiques actuelles seulement à partir des années 90. C’est à ce moment qu’on a commencé à se demander comment elles existaient et étaient réparties sur le territoire. Mais aussi, que l’on a commencé à vouloir les définir : qu’est-ce-que c’est au juste, que les musiques actuelles ? Ça désigne une palette esthétique extrêmement large.
LFB : Ça me paraît en tout cas extrêmement important que la puissance publique subventionne aussi ces musiques, justement, pour en proposer et aider d’autres formes que celles qui sont déjà rentables pour le secteur privé…
Benjamin Delobelle : Bien sûr. On parlait de vertige tout à l’heure parce qu’il y a énormément de projets, mais en musiques actuelles, la richesse esthétique des projets est absolument incroyable. On est dans une époque où il est possible de faire tellement de choses différentes au niveau créatif… Après, la question c’est comment se positionnent les politiques publiques au niveau de la création, et que faire de cette profusion de projets, comment les soutenir. Je pense qu’il faut absolument qu’elles soient au même niveau en musiques actuelles que pour toute autre forme d’art, en particulier en ce qui concerne l’émergence car il y a tout simplement un enjeu de création important.
LFB : Et alors, comment tu vois l’avenir à FGO/Les Trois Baudets ? Qu’est-ce-que tu imagines, il y a des projets en cours ?
Benjamin Delobelle : Dans un futur proche, le prochain temps fort à FGO Barbara est Ici Demain festival fin novembre. En janvier nous relançons fOCUS les rencontres autour de la création et des métiers en musiques actuelles, puis l’appel à candidatures de Variation(s) sera lancé en avril 2025. Pour le reste je ne peux pas encore en parler précisément, mais des réflexions sont faites pour essayer de développer des projets, pas seulement sur Paris, mais au niveau national et international.
LFB : Le mot de la fin, qu’est-ce-que tu écoutes en ce moment ?
Benjamin Delobelle : Ça va paraître bateau, mais j’écoute beaucoup les candidatures d’artistes que l’on reçoit. En ce moment, nous sommes en plein dans l’étude des candidatures pour le Prix Cécile Pollet.
LFB : Mais alors, et ton écoute pour le plaisir ?
Benjamin Delobelle : J’ai déménagé il y a pas longtemps, alors j’ai redécouvert ma vieille collection de vinyles. Un peu à l’ancienne, je mets un disque sur la platine, et j’écoute… Pas forcément des choses récentes donc, mais Astrud Gilberto par exemple, un vieux disque de Madonna qu’on a ressorti avec les copains… Et puis aussi le premier album de Rahim Redcar -c’est un des artistes qui m’a le plus touché en 2024, son live à Rock en Seine était juste incroyable !
Merci à Margaux Charmel et au MaMA d’avoir rendu cette interview possible.
Découvrez les lauréat.e.s du dispositif Variation(s) 2024 ici !