Le 13 octobre dernier, Nous Étions Une Armée s’apprête à monter sur la scène de la chaufferie du Moulin Rouge, dans le cadre du festival professionnel MaMA. Je suis habituée à les voir en concert, et à avoir à chaque fois les poils qui se dressent. L’occasion était trop belle pour les laisser filer. Interview avec un duo au sens de l’humour tenace et à la poésie affirmée.
Crédit photo : Céline Non
La Face B : Quand vous montez le projet, vous parlez de Sprechgesang, à mi-chemin entre la déclamation parlée et le chant…
Léo (voix, guitare) : C’est dans les archives ça (rires)
LFB : Maintenant, vous utilisez plutôt le terme de chansons rocks parlées chantées. D’après vous, quel est votre public actuellement ?
Rémi (machines, clavier, guitare) : wow, très bonne question.
Léo : Pour notre tourneuse, Nous Étions Une Armée peut marcher dans énormément de créneaux et de publics différents. Au début, on a joué sur la scène post-rock, on s’y retrouvait et c’est comme ça qu’on pensait le projet. Mais on se disait aussi qu’on avait certains aspects qui pouvaient parler à un public plus large. On a fait par exemple la première partie de Feu Chatterton et on va faire celles de Benjamin Biolay.
Rémi : Exclu La Face B ça (rires)… On a senti le public de Feu Chatterton très réceptif et puis, on a de plus en plus de morceaux pop donc on se dit que ça peut peut-être marcher un peu partout. On espère. Public mondial ?
Léo (rires) : En fait, ce n’est jamais nous qui décidons quel public on trouve. Quand on écrit, on a toujours l’ambition d’écrire pour l’humanité toute entière. Et puis, ça dépend vraiment des hasards du réseau et dans quelle case tu te retrouves. Au début, on était vraiment catégorisé dans un truc très indé-underground. Là, on a signé avec un très gros tourneur (ndlr : Décibels Production). Dans le catalogue, on est à côté de Soprano et Michel Polnareff..
LFB : La première fois que je vous ai vu c’était à Bastille il y a déjà quelque temps. Comment vous sentez-vous depuis vos premières dates. Vous avez commencé en 2019, c’est ça ?
Léo : Nous, quand on parle du groupe, on dit que ça a commencé fin 2020. C’est là qu’on a débuté les concerts. Moi, j’ai l’impression que ça a quand même beaucoup évolué, que l’énergie qu’on cherchait, on commence à la trouver. Mais c’est une remise en question permanente.
Là, on a encore modifié notre disposition sur scène. Ce sont des détails techniques mais qui changent beaucoup de choses. Ce soir, on sera un peu comme au Supersonic; c’est une sorte de première fois.
Rémi : On a de nouveaux morceaux assez pop avec des refrains, et en même temps le son de scène s’est vraiment épaissi avec les amplis, les retours, tout ce dont parlait Léo. Je pense que notre interprétation aussi s’est durcie, vers quelque chose de plus rock.
Nous Étions Une Armée au MaMA le 13 octobre 2023. Crédit photos : Cédric Oberlin
LFB : Vous êtes passés par les Inouïs du Printemps de Bourges, le Post In Paris, la Cigale et maintenant il y a le MaMA. Une consécration ? Est-ce que vous êtes nerveux ?
Léo : (rires) Moi je n’ai pas arrêté de faire la blague sur cette idée de consécration. Pour les Inouïs, on avait publié un post sur les réseaux en mode : « Ma maîtresse de CP m’avait demandé ce que je voulais faire plus tard. J’ai dit que je voulais être Inouïs 2023 ». J’ai envie de la refaire pour le MaMA parce qu’en effet ce sont des consécrations, mais finalement, uniquement pour les gens du milieu. La Cigale, oui, c’était un truc car on en entend parler à la télé, même si, professionnellement, cette date a peut-être été moins importante pour nous que les Inouïs.
Rémi : Pour moi la première et encore la plus grande consécration ça a été Feu Chatterton : pour l’admiration que j’avais pour le groupe et aussi la taille de la salle, qui était beaucoup plus grosse que ce qu’on avait fait jusque là à l’époque.
Léo : On est quand même au tout début d’un truc. Là, on commence à être repéré par le milieu, mais en fait on s’en fout du milieu. C’est être repéré par le public qui importe, qui fait que ça devient ou non une consécration.
LFB : Vous clippez autant que possible vos morceaux, vous réalisez des vidéos backstage avec Clara Griot, qui vous suit maintenant à chaque fois. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de votre univers ? À quel point c’est important finalement de montrer les coulisses etc ?
Rémi : En fait, nous, on adore regarder les documentaires de tournée, de rock. Je pense que c’est pour ça à la base qu’on a appelé Clara. Et l’univers dans les clips… Ça fait longtemps qu’on n’en a pas fait. Là, on va s’y remettre pour la sortie de l’EP. Les précédents ont été réalisés par Léo. On va sûrement continuer comme ça, avec ce côté fait maison.
LFB : Charlie Rano joue quand même dans un de vos clips. Vous la connaissez ?
Rémi : On lui a envoyé un message sur Instagram.
Léo : C’est une pote d’un pote et c’était un peu fou. Elle a aimé le morceau et a dit « go », et nous… On était tellement cons (rires)… On avait prévu une semaine de tournage parce qu’on voulait aller à l’autre bout de la France. Donc on lui dit : « ouais trop bien, quelle semaine t’arrangerait ? », alors qu’on avait même pas de quoi la payer pour une seule journée (rires). Bref, on a fini par faire ça à Fontainebleau, et c’était super. C’est une très grande actrice.
LFB : Les mots sont importants chez vous, ils sont mis en valeur dans les clips et sur vos post Instagram. Je pense aussi à la compilation CD que vous aviez faite main. Léo, comment tu choisis les mots ?
Léo : Je dirais qu’avant, les mots s’entre-généraient. Ça partait vraiment du son des mots et comment j’arrivais à les poser sur la musique. Finalement, je comprenais le sens du texte une fois que je l’avais écrit en entier. C’est un peu cette technique d’écriture surréaliste où tu te laisses guider par la sonorité des mots et par les liens sémantiques inconscients qui en découlent.
J’en suis un peu revenu parce que je voulais construire un truc plus direct. Je cherche aussi à faire plus simple, plus droit et moins alambiqué. Du coup, ça me force à travailler d’une autre manière les textes. Mais en tout cas, ce qui reste sûr, c’est que si la phrase ne sonne pas à l’oral et sur la musique, ce n’est même pas la peine. Entretemps, je me suis mis à vraiment écrire de la poésie. Des bases de poèmes me servent parfois comme bases de chansons, mais ce sont vraiment deux manières d’écrire très différentes.
LFB : On sent une certaine complicité entre vous. Léo, tu écris et compose. Rémi, tu mixes et masterises. Est-ce que c’est venu naturellement ? On perçoit aussi une certaine pudeur chez vous. C’est assez touchant je trouve.
Rémi : Pendant longtemps, Nous Étions Une Armée c’était surtout Léo tout seul dans sa chambre. Il y a eu un premier EP, qui est dorénavant introuvable. Quand il a voulu faire des concerts, il m’a appelé et je l’ai alors rejoint comme musicien. Depuis, il m’envoie ses morceaux lorsqu’ils sont presque finis, et je lui donne mon avis, le plus honnêtement possible. Que ce soit pour finaliser les structures, les instrumentales, etc.
Léo : Pour l’EP qui va sortir, on s’est enfermé ensemble dans une maison et on a produit les titres tous les deux. Et pour le premier EP introuvable, il avait déjà suivi l’élaboration des morceaux, il les avait écouté avant les autres. Une fois que c’est sorti, je lui ai dit : « on fait un groupe de rock ? ». Il m’a dit « oui ». Et si ce n’était pas lui, je ne l’aurais pas fait. En fait, on était déjà meilleurs amis. Et si ce n’était pas une relation si forte, je n’aurais jamais cherché un musicien pour m’accompagner. Donc oui, il y a une complicité parce que même quand on ne répète pas, on est tout le temps ensemble. Forcément, ça se ressent.
LFB : On en a déjà parlé tout à l’heure mais c’est difficile de ne pas penser à Fauve ou Feu Chatterton quand on vous écoute. Vous avez fait la première partie de ce dernier. C’était quoi vos rêves un peu fous quand vous avez commencé la musique ?
Rémi : Jouer au MaMA… (rires)
Léo : Jouer à la Chaufferie du Moulin rouge (rires)
Rémi : Déjà moi j’ai du mal à croire qu’on fasse cette interview (rires) Non mais sinon, faire une date en notre nom ça serait un rêve. Et ça devrait arriver cette année…
Nous Étions Une Armée au MaMA le 13 octobre 2023. Crédit photos : Cédric Oberlin
LFB : Vous chantez principalement en français mais l’anglais vient parfois se mêler sur quelques morceaux. Pourquoi et comment se fait l’équilibre ?
Léo : Wow. Il se fait parce qu’on n’a pas le choix. Je me suis mis à parler-chanter en français parce que je trouvais que ça sonnait faux de chanter dans une langue qui n’est pas la mienne. Mais je me sens tout aussi con de chanter des mélodies en français, du coup, c’est hyper rare.
Là on arrive à le faire dans un morceau (Mais le ciel est sublime) mais parce que c’est une voix complètement autotunée et glitchée. Donc on ne comprend même pas vraiment ce qu’elle dit, et on arrive à le faire passer comme ça. Mais dès qu’il y a un morceau qui nécessite vraiment une ligne mélodique, on fait de l’anglais parce que ça nous paraît plus juste de faire une voix chantée en anglais qui n’est pas notre langue plutôt que de faire une voix en français à laquelle on ne croit pas vraiment. Peut-être que je n’ai pas trouvé la manière d’écrire pour le français chanté…
Rémi : dans les paroles
Léo : ouais dans les paroles…
LFB : Pour ceux qui vous ont découvert récemment, la frustration doit être grande, parce que vous avez tout enlevé de Spotify. Il reste uniquement quelques morceaux sur Youtube. Pourquoi ?
Rémi : Alors il faut savoir que j’ai découvert en même temps que le public que Léo (rires de Léo) avait viré les morceaux de Spotify. Il l’a fait juste avant les Inouïs du Printemps de Bourges. Les morceaux qui étaient en ligne ne nous représentaient plus tellement, on avait envie de présenter autre chose. On a juste laissé le morceau récent qui est encore sur Spotify. On est super fiers du live et on ne voulait pas que les pros qui viennent nous voir aient entendu quoi que ce soit avant. Depuis, on a remis les clips des anciens morceaux.
Léo : On a eu des retours de pros qui nous disaient : « c’était vachement bien le live, mais j’avais pas envie de venir parce que les démos étaient éclatées, quoi » (rires) Mais on va sans doute les remettre. Moi j’aime bien le fait qu’on puisse voir aussi le chemin de l’artiste, comprendre comment il est arrivé à ce qu’il fait maintenant. Mais quand on est un jeune groupe, des fois on ne peut pas trop se le permettre.
Rémi : Là, c’est la première fois qu’on va faire une sortie un peu soutenue par l’industrie musicale. On a un tourneur et donc peut-être plus de gens pour nous soutenir.
LFB : Je voulais y venir plus tard mais vous venez de signer chez Decibels Prod. C’est quoi la suite ? Un EP donc ?
Léo : Ouais, il y a un EP qui sortira au printemps 2024, qu’on a fini de produire, d’enregistrer et qui va bientôt être mixé. Et on va faire beaucoup de concerts avec Decibels Prod. En fait, dès qu’on les a rencontrés, ils étaient super chauds, ils voulaient foncer. Il n’y a pas eu ce jeu de poker qu’il y a eu avec d’autres en mode : « c’est vachement bien, mais on attend un peu… « .
Avec eux, et avec Pierre-Antoine Vertadier en particulier, c’était direct, c’était vraiment bien. Benjamin Biolay qui est avec eux va nous prendre sur quelques dates. Puis on a une super bookeuse, Peggy, qui nous trouve plein de dates autant chez des gros comme ça, que dans un milieu plus rock et indé qu’elle connaît bien aussi.
LFB : Et l’EP ce sera des nouveaux morceaux ?
(Léo casse la lampe du MaMA ) : ouais, il y aura Rendez-vous qu’on avait sorti en démo pour les Inouïs et qu’on a retravaillé. Il y aura aussi deux autres morceaux qu’on joue en live et un autre totalement inédit, qui est le plus beau, mais qu’on ne joue pas en live. Ce sera sans doute une pépite qu’on ne jouera jamais ou alors peut-être dans 20 ans.
Crédit photo : Céline Non
LFB : En live les morceaux explosent et on sent bien l’aspect cathartique chez vous. Sur Solstice, tu cries Léo. Il y a Se Perdre, qui me bouleverse, Jour Et Nuit où tu cries à la fin sans micro. D’où puisez-vous vos influences ?
Léo : Ces passages criés ça vient finalement des groupes post-hardcore screamo/emo/punk. Ceux qui font du spoken word comme La Dispute ou mewithoutyou, ou d’autres comme At the drive In, ou Refused. J’ai vachement écouté ça quand j’étais plus jeune.
On aimerait que les disques et les concerts soient deux expériences bien distinctes, mais complémentaires, deux facettes de notre musique. Sur disque, on a envie de sortir des morceaux vraiment produits, qui sonnent et qui sont accessibles, mais on veut aussi garder le caractère presque sacrificiel de nos concerts. J’espère que ça pourra aussi amener un certain public à découvrir ces influences dont je parlais avant.
LFB : Ce soir vous allez nous jouer de nouveaux morceaux…
Léo : Ouais on peut plus se dégonfler là !
LFB : J’ai l’impression que vous êtes super prolifiques. A chaque fois que je vous vois en live vous avez de nouveaux morceaux. Est-ce que ça vient d’un seul jet, est-ce que vous faites des allers retours ? J’ai lu qu’ils étaient finis une fois que vous les aviez beaucoup testé en live.
(rires x2)
Léo : Ouais, c’est vrai ça aussi.
Rémi : Depuis le début, on joue les morceaux sur scène très longtemps avant qu’ils sortent. Leur interprétation est très liée au live. C’est hyper important.
Léo : Je compose aussi par période, c’est-à-dire que je passe par des grands passages à vide. Ça, il ne faut pas le dire, mais je le dis, je m’en fous. Mais là, j’ai fait 5 ou 6 nouveaux morceaux en très peu de temps. Après Bourges, j’ai vraiment trouvé un truc que je cherchais depuis longtemps et que je n’arrivais pas à faire au niveau de l’écriture.
LFB : Vous étiez en résidence en mars entre Le Mans et Nantes. Vous pouvez nous en parler ?
Léo : On fait souvent des résidences de son. On se met dans une salle de concerts, on écoute notre set, et puis on modifie tout ce qu’on avait fait à la précédente résidence (rires). Et puis on fait ça dans chaque scène, c’est un cercle vicieux. (rires)
Rémi : Les dernières résidences ont quand même changé un gros truc d’un point de vue technique : on ne joue plus avec des ears moniteurs dans les oreilles mais avec des wedge, c’est-à-dire des retours sur scène. Donc ce soir, ça va être un peu comme notre premier concert où on va être pour la première fois sur scène avec le public.
Léo : Sans écouteurs dans les oreilles.
Rémi : Je ne pensais pas, mais ça change vraiment tout. Avec ce système, on se sent sur scène pour la première fois. On entend le public mais aussi le son de la salle, l’ampli guitare qui tape l’oreille. Ça va être une grosse première ce soir pour ça. Même si c’est un peu technique, ça va changer tout dans l’interprétation, dans ce qu’on vit et ce qu’on donne.
LFB : Si vous aviez un livre, un film, une série, une musique, finalement une œuvre, qui vous touche et vous bouleverse, qu’est-ce que ce serait ?
Rémi : Wow, moi je peux parler de mon artiste musical préféré..
Léo : Guns N’ Roses !
Rémi : Non mais ça ressemble un peu. (rires) C’est un mec qui s’appelle Phil Elverum et qui a un projet qui s’appelle Mount Eerie. C’est un des trucs qu’on écoute le plus avec Léo. Je lui ai fait découvrir quand on s’est rencontrés, et depuis, c’est pour nous un des artistes les plus beaux et les plus influents, même si notre musique ne lui ressemble pas du tout. Donc si vous ne connaissez pas, je vous encourage à aller chialer sur ses albums.
Léo : Je vais parler d’un film qui est lié au projet. C’est Boy Meets Girl, le premier film de Leos Carax. J’ai beaucoup samplé Carax avant de chanter en français et j’ai commencé à chanter parce que je n’avais plus de sample de lui à utiliser.
Et je pense que ça a vraiment façonné ma manière d’écrire. C’est hyper poétique et en même temps très naïf. Ce n’est pas de la poésie qui se prend pour de la poésie. Et les dialogues sont magnifiques, spécialement quand ils parlent d’amour, c’est époustouflant. C’est un film en noir et blanc.
De manière générale, les films de Léo Carax avec Denis Lavant, m’ont vraiment beaucoup beaucoup marqué.