Ojos et La Face B c’est une histoie qui dure depuis avant la parution de leur premier titre. On a une véritable affection pour Elodie et Hadrien et c’est toujours avec plaisir qu’on les retrouve à chaque nouveau projet. Le rendez vous était donc obligatoire pour une nouvelle étape importante : la sortie de OUI FUTUR, leur premier album. Avec le duo, on a parlé d’évolution, d’écriture, d’émotions, de variétés mais aussi de trouver sa place dans le monde, réel et celui de la musique, des autres, de l’importance de l’enfance et de l’influence de Noga Erez.

La Face B : Salut Ojos, comment ça va ?
Hadrien : Un peu fatigué mais ça va.
Élodie : Franchement ça va. Comme on le dit, on rentre d’une date un peu fatigante.
Hadrien : La date était cool en soi, c’était très bien.
Élodie : Oui très cool, mais la logistique était compliquée.
Hadrien : C’est l’anniversaire de OUI FUTUR aujourd’hui.
Élodie : Oui, c’est son moisiversaire.
Hadrien : Premier mois de l’album. On est hyper contents, c’est passé super vite ce mois.
Élodie : Oui, au final on a eu pas mal de deadlines, dont le Trabendo qui était un peu la grosse deadline. Limite la plus stressante parce qu’il y avait plus de travail que la sortie de l’album.
Hadrien : Ouais, donc beaucoup de choses en un mois finalement.
LFB : Je vais reprendre une question qu’on vous a posé lors de nos deux dernières rencontres:Comment vous vous sentez dans le monde en ce moment ?
Hadrien : Wow.
Élodie : Assez petits mais on a sorti OUI FUTUR. L’histoire derrière cet album, c’est que c’est une espèce de message d’espoir. Il y a beaucoup de choses qui sont défaitistes mais on peut essayer d’en faire quelque chose de positif.
Hadrien : Ouais de positif. Mais comment on se sent, c’est paradoxal parce que ça dépend beaucoup de nos humeurs quotidiennes respectives. C’est aussi ça ce dont l’album parle. On passe souvent d’une humeur à l’autre, d’une émotion à l’autre. Tout se mélange. Donc parfois on est plutôt optimistes et parfois un peu…
Élodie : Oui, ça dépend de quelle échelle on regarde aussi. À l’échelle de nos vies, je dirais qu’on est plutôt très heureux après c’est sûr que si on dégrossit, c’est plus difficile de tirer une conclusion positive.
Hadrien : Mais en vrai, j’essaie de prendre de la hauteur pour avoir de moins en moins peur et être de moins en moins effrayé sur l’état actuel du monde. J’essaie d’être le plus objectif possible. Notre petit monde à nous se porte très bien.
LFB : J’ai l’impression que cet album-là, encore plus que les EPs d’avant, c’est vraiment la création d’un monde à vous et la création d’une forme de bulle protectrice aussi.
Élodie : C’est vrai. Je pense que ça se justifie surtout par le fait qu’on a fait quasiment tout seul l’album. Du coup, je pense que c’est un album qui nous ressemble plus, avec tous les défauts que ça peut engendrer et tout.
Hadrien : C’est assez juste oui. Comme tu le dis, on a essayé de créer un peu notre univers avec nos outils à nous et nos manières de faire qui sont les nôtres. Donc forcément, il y a parfois des choses un peu qui pourraient sortir de l’ordinaire mais c’est là qu’on se sent le plus à l’aise. On a fait un truc sur lequel on se sent bien.
LFB : Ce qu’il y a de marrant, c’est que l’album s’appelle OUI FUTUR. Si tu regardes de manière extérieure, ça peut être assez positif sauf qu’en réalité, c’est le premier et le dernier titre de l’album qui sont des titres qui ne sont pas du tout positifs.
Élodie : C’est ça qu’on trouve un peu marrant aussi. À l’époque, quand on avait sorti DISCIPLINE, c’était déjà un peu ça. Le titre dit un peu l’inverse du contenu de l’EP ou de l’album. En même temps, le projet c’était d’avoir un truc qui s’appelle Oui mais qui est archi défaitiste et un dernier morceau qui s’appelle Futur qui est hyper défaitiste mais qui finit quand même sur un truc qui dit que le plus beau reste à venir.
LFB : C’est positivement défaitiste.
Hadrien : Voilà.
Élodie : Entre-temps, le chemin est allé vers la quête du bonheur et voilà.
Hadrien : Plein d’autres étapes et plein d’autres émotions.
LFB : C’est intéressant parce que c’est comme si tu prenais OUI FUTUR, tu l’ouvres et tu regardes le voyage qu’il y a à l’intérieur.
Hadrien : C’est ça. En vrai, tout ce chemin passe par plein de choses. Il y a un peu un début et une fin. On trouvait ça cool que ça puisse un peu partir dans tous les sens en essayant de créer un petit monde, une histoire.
LFB : Avec un morceau charnière au milieu : Pas si dangereuse. C’est un peu un point de bascule j’ai l’impression.
Élodie : Clairement, dans sa position déjà. Après faire un tracklisting d’un album, c’est toujours difficile parce que tu ne sais pas si tu dois être cohérent sur le sens, sur la musique. Du coup, finir l’album, c’est toujours difficile je trouve. Moi j’adore les derniers morceaux de l’album, c’est toujours ce que je préfère. Quand j’écoute un album, j’écoute le premier et le dernier morceau. Je trouve que ce sont souvent les meilleurs morceaux. Là, l’idée était d’essayer de clôturer l’histoire que raconte cet album, à savoir le passage à l’âge adulte et tout ce que ça implique en termes de peur d’engagement, etc.
Hadrien : C’était l’idée de clôturer mais en même temps, de pouvoir créer un peu une ouverture au sens littéral du terme. Pouvoir créer un peu un espoir et une fenêtre sur le futur justement.
LFB : Est-ce que c’est ce à quoi vous aviez pensé quand vous avez commencé l’album ou est-ce que l’album s’est fracassé sur la réalité de vos vies ?
Élodie : Un peu des deux en fait. Je pense qu’il y avait ce projet. Parce qu’au final, Oui est un morceau qui est arrivé assez vite dans la construction de l’album. Donc assez vite, on s’est dit que c’était quand même un morceau d’intro pour nous. La thématique qu’il amène peut être une thématique globale et qui nous intéressait. Et en même temps, il y a eu ce qu’il s’est passé dans nos vies et qui du coup est visible en filigrane sur le nom de l’album. Enfin, pas tellement en filigrane parce que c’est quand même assez clair je trouve.
Hadrien : En effet. C’est vrai que cette thématique un peu globale de l’album est arrivée un peu au fil du processus. Mais il y a des petits éléments qui sont venus quand on a commencé à avoir l’idée du « concept ». C’est hyper cool dans la création quand tout commence à s’assembler et à prendre du sens. Faire un tracklisting c’est hyper dur mais en même temps, c’est hyper excitant parce qu’on arrive à avoir une vision globale. On prend de la hauteur, on se demande comment va être le cheminement et ensuite ça se construit petit à petit. Quand ça commence à se construire, ça prend sens.
Élodie : Il y a eu le truc où d’abord on écrivait des morceaux et on voyait un peu ce qui s’en dégageait. Et après, il y a eu justement ce qui s’en dégageait et à partir de ça, on a essayé de créer des morceaux. Il y avait eu cette histoire de conclusion où on voulait que ça finisse par un titre qui s’appelle Futur. Mais on ne savait pas ce qu’on allait mettre dedans. À la fois, faire un morceau ultra positif, c’est hyper dur je trouve. Du coup, il y avait ce truc de vivre les choses pour la dernière fois qui était un thème qui m’intéressait et que je voulais bosser. La difficulté, c’était de l’emmener vers un truc positif à partir de ce thème un peu tristoune.


LFB : Est-ce qu’en termes d’écriture, tu as l’impression d’avoir fait sauter les derniers verrous de la pudeur ? J’ai l’impression que c’est un album qui est très porté sur le je mais un truc beaucoup plus assumé que les textes d’avant.
Élodie : C’est un album qui ne parle que de moi, c’est sûr et certain. Mais en même temps, je trouve ça trop difficile de parler d’autre chose. Je ne connais rien d’autre aussi bien que je me connais moi à priori.
Hadrien : Comme tout le monde sûrement.
Élodie : Oui, mais il y a un truc dont on s’est rendus compte à force d’écrire en français, parce que ça ne fait pas si longtemps que ça finalement, le truc que les gens s’approprient le mieux, c’est souvent quand c’est très personnel. Mais en même temps, c’est très dur de dire des trucs personnels et de ne pas être redondant. Je pense que c’est presque la plus grande difficulté. Parce que raconter des choses perso, ce n’est pas si compliqué parce que parler de moi, je peux le faire. Mais parler de moi sans parler toujours de la même chose, c’est très compliqué. Et j’ai eu presque de la chance là-dedans : cet album s’est construit en même temps qu’il se passait vraiment des choses dans ma vie, même si ce n’étaient pas des choses archi positives dans le fond.
Hadrien : C’est ça. Je pense que dans la plupart des cas, le premier spectateur de tout ça, c’était moi. Du coup, j’étais chanceux de pouvoir découvrir ça et de réaliser que ces thèmes pouvaient être hyper universels et pouvaient toucher plein de gens. Moi le premier, j’étais touché. On avait tendance à croire que ça pouvait toucher d’autres gens. On est hyper reconnaissants de voir que c’est le cas. Les gens peuvent se reconnaître dans des choses hyper personnelles. C’est ça qui est cool. Certes, c’est personnel mais ça reste malgré tout très universel.
LFB : Finalement, quand tu écoutes l’album, tu as l’impression que c’est un peu une psychanalyse musicale des deux dernières années de ton existence mais en même temps, ça parle de l’amour et de l’existence et donc ce sont des thématiques qui vont se rattacher forcément aux gens.
Élodie : Bien sûr. Ce truc de passage à l’âge adulte, de rupture et tout, ce sont des thématiques qui ont déjà été faites un milliard de fois. Mais il n’y a pas de mauvaise façon de le raconter parce que quoi qu’il arrive, ça arrive à beaucoup de gens.
Hadrien : Et comme on le disait tout à l’heure, on a aussi nos outils qui permettent on espère de ne pas faire la même chose que ce qui a déjà été fait.
Élodie : Mais justement parce que ce sont des thématiques très universelles, on est obligés d’en parler de la façon la plus personnelle possible parce que sinon tout le monde l’a déjà fait.
LFB : Il y a le développement d’un vocabulaire et d’une écriture qui sont propres à Ojos aussi. Ce côté à la fois très direct et très fragile.
Hadrien : Ça je pense que c’est venu du fait que par la force des choses, au début on était beaucoup livrés à nous-mêmes, en termes d’écriture, de composition,… On a un peu dû faire avec ce qu’on connaissait et ça nous a permis d’essayer de créer notre langage, notre manière de faire les choses. C’est le meilleur exercice je pense en tant qu’artiste, devoir faire les choses.
Élodie : Après directe et fragile, je pense que c’est un peu ce que je suis dans la vie. Je suis quelqu’un d’assez directe et frontale.
Hadrien : Il y a un peu une forme de thérapie là-dedans aussi.
LFB : On parle du pronom, tout l’album est à la première personne, sauf le dernier morceau où il y a le retour de la pudeur et tu mets le « elle » comme si tu ne voulais pas accepter la recherche du bonheur à la première personne.
Élodie : Carrément. C’est un peu ça.
Hadrien : On trouvait ça cool. Quand ce truc-là est venu, je trouvais ça cool de pouvoir apporter de la distance aussi.
Élodie : À la base, c’était « je » et c’est Hadrien qui m’a dit que pour rendre le truc plus général parce que c’est le dernier morceau de l’album, il fallait qu’on essaie de rendre le truc plus extérieur.
Hadrien : Le fait d’utiliser la troisième personne, il y a certes cette forme de généralité mais il y a aussi un peu ce truc de distance, subjectivité, objectivité. Ça met plus le refrain en hauteur par rapport au reste. Du coup, c’était une histoire un peu de profondeur et de mise en espace de tout ça. Ça permettait aussi de rendre la chose plus distanciée par rapport au « je ».
LFB : Il y a cette peur de voir quelque chose de bien qui peut t’arriver.
Élodie : C’est clairement ça.
LFB : Ça donne un morceau hyper intéressant parce qu’en termes de structures, d’écriture, ça modifie complètement et ça ouvre clairement sur autre chose.
Hadrien : Oui, et encore une fois vu que c’était le dernier morceau, ça permettait comme tu l’as dit de pouvoir ouvrir une fenêtre sur demain.
LFB : Pour parler d’un morceau charnière à la fois musicalement et thématiquement, il y a Pas si dangereuse qui est pour le coup un morceau 100% dans la fragilité. C’est un morceau qui n’aurait pas pu exister dans les autres personnes qui font Ojos. Pour moi, il y a vous deux mais vous êtes un peu la partie émergée de l’iceberg. Il y a des gens qui vous aident et tout.
Élodie : Alors je pense que justement ce morceau, c’est un des rares morceaux… Enfin si, évidemment, il raconte une histoire qui fait intervenir d’autres personnes.
LFB : Est-ce que toi personnellement tu l’aurais mis dans l’album si on ne t’avait pas poussée à le faire ?
Élodie : Alors oui, pour le coup. C’est vrai. Ce morceau-là, au tout départ, je me rappelle juste de l’avoir écrit et j’avais l’impression d’être redondante. C’est difficile de raconter des choses différemment et j’avais l’impression d’avoir déjà raconté ce truc-là dans d’autres morceaux. Ce qui, avec du recul, est assez faux. Je trouve que c’est foncièrement le problème de faire de la musique, c’est toujours hyper difficile de savoir si ce que tu fais est bien ou si c’est de la merde. Je me rappelle avoir écrit ce piano/voix et n’être absolument pas sûre de moi au moment où je l’écris. On était en studio avec Hadri, je lui ai dit que j’avais écrit un truc vite fait. Je lui chante genre archi mal parce que je n’étais tellement pas sûre de moi. Il m’a dit que c’était cool, qu’on dirait un peu un morceau de rap. Je l’ai trop mal chanté, parce que j’étais moi-même pas du tout confiante sur le truc.
Hadrien : Et aussi parce qu’il y avait aussi ce truc un peu en trois temps.
Élodie : Ouais, d’ailleurs il y a un artiste qui a fait une cover en version rap et c’est vrai qu’il y a un truc un peu rap. Bref. Il s’est passé ça et dans ma tête je me disais que ce n’était pas un bon morceau et qu’on passait à autre chose parce que ça arrive. Je me rappelle d’un moment où je bossais sur l’album de Tomasi, il m’avait demandé si je n’avais pas des nouveaux trucs. Je lui ai fait écouter et il s’est mis à pleurer. Il m’a dit que c’était l’un des meilleurs morceaux de l’album. Après, je l’ai fait écouter à Hadrien en l’ayant ré-enregistré bien et Hadri pareil a dit qu’il fallait absolument qu’on en fasse quelque chose.
Hadrien : Il y avait quand même dès le début cette volonté d’avoir ce morceau-là. Au début, on ne savait pas quelle forme il allait prendre mais il y avait cette volonté de faire un titre piano/voix comme ça. Il a mis du temps à venir parce qu’il est arrivé tard dans le processus.
Élodie : Comme toujours. C’est ce que je dis souvent, à chaque fois qu’on fait un EP/album, à chaque fois le morceau piano/voix un peu intime arrive toujours deux semaines avant l’envoi des morceaux au mix. Je me rappelle de Xavier qui a mixé, qui avait commencé à mixer les morceaux et je lui disais de ne pas tout mixer parce qu’il restait un morceau qui allait arriver. Il me disait qu’il fallait avancer mais je savais que le morceau piano/voix allait arriver. C’est toujours comme ça. J’étais assez sûre de moi.


LFB : Est-ce que le fait d’avoir une écriture aussi cohérente sur tout l’album, c’est quelque chose qui vous a aidé à vous libérer musicalement ? Pour moi, c’est un album qui part un peu dans tous les sens et qui en même temps est très chapitré dans ses influences.
Hadrien : Franchement, il y a un truc sur lequel on était rassuré, c’est justement de savoir que la personne… À l’époque où on travaillait l’album, on ne savait pas avec qui on allait travailler le mix mais je pense qu’intérieurement on faisait confiance à la personne avec qui on allait bosser en se disant que le mix allait pouvoir essayer d’homogénéiser le tout. Je pense qu’on ne s’est donné aucune limite en termes de création. S’il y a bien un moment où on peut se faire plaisir et tout expérimenter, c’est à ce moment-là. Donc je pense qu’on a fait confiance à Xavier sans savoir à l’époque que ça allait être lui. On lui a fait confiance en se disant qu’il allait pouvoir rendre tout ça lisible. Sans vouloir dire qu’avant ce n’était pas lisible. Mais en tout cas, c’est le cas on espère. On est hyper content de ce qu’il a apporté.
LFB : Il a mis du vernis.
Élodie : En vrai, il a apporté une vraie couleur. Il a mis la voix très devant. Avant, on avait plus tendance à se cacher sur la voix et tout. Là, c’est plus radicalement pop. Il y a aussi un truc, c’est que moi personnellement l’album part dans tous les sens mais je crois que je préfère écouter un album où il y a mille propositions que d’écouter un album où j’ai l’impression d’écouter la même chanson en boucle.
Hadrien : Moi c’est pareil. Je pense que c’est le cas en concert aussi. Je préfère sortir d’un concert en ayant eu 15 000 infos qu’une seule.
LFB : C’est marrant parce que je le trouve très échantillonné cet album. Il y a des périodes de 3-4 morceaux avec certaines influences. Sur les premiers morceaux, il y a un côté parfois très indus, il y a des trucs un peu plus hip hop aussi. J’ai l’impression que la principale influence de l’album, c’est Noga Erez. Sur les trompettes ou sur certains morceaux comme Krkrkr.
Élodie : Ça restera toujours une référence ultime parce que c’est l’un des projets qui nous rassemble avec Hadrien.
Hadrien : Complètement. Ça rassemble beaucoup de ce qu’on kiffe. Mais en effet, il y a plein d’autres choses. Beaucoup d’influences hip-hop. C’est marrant que tu parles de Noga Erez, parce que c’est un truc que j’adore et qu’on n’a pas forcément conscientisé. Mais c’est toujours là. Ça nous est arrivé d’écouter et d’être influencé par des trucs obscurs assez chelou.
Élodie : Ouais, même parfois des trucs assez mainstream. À un moment, on écoutait grave Miley Cyrus. Ce qui n’est pas forcément la DA de l’album.
Hadrien : Ouais, mais il y a des trucs qui nous parlaient grave. Tu parles d’échantillonnage, c’est un peu ça. Nous on le voit comme un vrai champ d’expérimentation dans lequel on ne s’est pas trop donné de limites. Il y a quand même plein d’autres titres qui ne sont pas sur l’album. On a quand même dû faire un choix. Il y avait vraiment tout et rien. Ça revient un peu sur ce dont on parlait sur le fait de commencer quand on était dans la phase de tracklisting, où il y a dû y avoir des choix qui étaient faits pour des raisons de cohérence. Je pense que c’est ça qui a permis de cadrer les choses. Sur l’histoire et le thème général.
LFB : Tu pars de quelque chose de très sombre et très violent au départ vers quelque chose de beaucoup plus lumineux et apaisé à la fin. Même dans le choix musical, on parlait de fragilité mais il y a des morceaux de colère, de rejet.
Élodie : Ce qui est intéressant, c’est aussi le décalage entre ce que tu peux ressentir musicalement et ce que tu peux ressentir dans le texte. Il y a des morceaux qui sont fondamentalement pop comme Adieu, qui est une grosse chanson de rupture, mais qui a un format hyper pop et coloré.
Hadrien : Je pense que c’est ça la thématique globale de l’album. Tu parlais de l’ambivalence qu’il peut y avoir avec DISCIPLINE;) qui est au final complètement indiscipliné. Là, ça fait un contrepieds au No Future qui pour le coup avait une thématique bien directe. On trouvait ça cool que OUI FUTUR ça pouvait être une vision punk de dire ça. Malgré le fait que ça soit l’inverse de No Future. Donc en effet, tu parlais d’Adieu qui parle de quelque chose qui est assez dur mais avec une forme coloré. Cette ambivalence-là nous parle grave.
LFB : Même qu’est-ce qu’il reste à détruire, c’est un morceau qui pourrait être très dark mais tu as une espèce d’emphase qui fait que ça l’amène complètement autre part.
Hadrien : Exactement. En live, il y a une partie un peu « électronique » qui précède Et puis au revoir qui est un morceau relativement sombre et triste au final. On se dit que ce n’est pas parce qu’on est triste qu’on n’aurait pas le droit de danser. Du coup, c’est cool de pouvoir jouer avec les émotions. Ça nous parle.
LFB : L’évolution est assez flagrante depuis le début d’Ojos. J’ai l’impression que comme dans la thématique, il y a aussi cette idée de trouver sa place musicalement en tant qu’Ojos. Dans cet univers hyper concurrentiel de la pop française.
Élodie : Trouver sa place, c’est une chose mais je n’ai pas l’impression qu’il faille pour autant se priver de continuer d’expérimenter des choses. On parlait de Noga Erez par exemple mais quand tu pris du recul sur sa carrière, son premier album était archi-électronique. Le deuxième était assez hybride. Le troisième est un truc archi organique avec un gros truc soul. Je trouve que c’est ce qui fait la force d’un projet. Être capable de proposer différentes choses en gardant une forme de logique et d’identité.
Hadrien : C’est clair. Et tu soulèves un point important. Tu parlais de tout ce qui sort aujourd’hui et d’essayer de ne pas être noyé là-dedans. Je pense qu’on a essayé de ne pas trop penser à ça parce que ça peut devenir très anxiogène. On a essayé de dédramatiser un peu la chose en se disant qu’on ne faisait « que » de la musique et que rien n’était grave. Si on commence à se comparer avec tout ce qui sortait, au-delà de ça, ne serait-ce que la date de sortie de l’album où il y avait dix albums qui sortaient. On s’est dits que si on commençait à penser à tout ça, ça pouvait devenir flippant.
Élodie : En vrai, la volonté de cet album c’était de le sortir, bien sûr de parler de choses qui nous arrive, bien sûr d’essayer de toucher des gens mais c’était aussi de nous présenter en tant que producteurs parce que c’est la première fois qu’on essaie de faire un truc au maximum tout seul. Du coup, il y avait un peu cette volonté d’apprendre dans plein de directions. On apprend en faisant. Il y a des morceaux hyper électroniques parce qu’à ce moment-là, on a eu envie d’apprendre à faire ça.
LFB : Il y a peut-être aussi le fait d’avoir fait naître et mourir un projet avant. Ça vous aide à prendre du recul sur le milieu dans lequel vous êtes.
Hadrien : Ouais, peut-être.
Élodie : Est-ce qu’on a vraiment tiré beaucoup de leçons de ce projet ? Je ne saurais pas dire si on arrive avec un recul supplémentaire avec ce projet-là.
Hadrien : Je ne suis pas sûr parce qu’on a vraiment essayé de le voir comme une ancienne page. Du coup, certes on a appris beaucoup de choses mais je ne suis pas sûr qu’on ait tiré beaucoup de leçons de ça.
Élodie : Pour moi, c’est plus une nouvelle histoire.
LFB : Je parlais plutôt du côté de se protéger en tant qu’être humain.
Hadrien : Oui, oui.
Élodie : Alors c’est vrai que les angoisses sont les mêmes. On fait un album, on l’écrit, etc. On travaille en amont mais ce qu’il se passe derrière, c’est un peu de notre ressort mais pas seulement. C’est ça qui est le plus anxiogène je pense. Il y a une partie que tu peux maîtriser mais il y a une partie que tu ne peux pas maitriser.
Hadrien : Ouais, il y a une part de mystère qu’on ne maîtrise plus.
Élodie : Ouais, pas forcément de hasard.
LFB : Il suffit parfois qu’il y ait un morceau qui se retrouve dans une pub ou dans une série pour que ton projet soit mis en avant.
Hadrien : C’est en partie le thème de l’album qui parle de rupture comme ça. Cet espèce de moment de rupture que les projets peuvent connaître. C’est pour ça que c’est assez bizarre parce que tu ne peux pas forcément calculer. Comme tu ne peux pas calculer une rupture amoureuse, le fait d’un coup de te réveiller et de te dire que t’es un adulte.
Élodie : L’idée de tout ça, c’est de dire que c’est hyper dur.
Hadrien : Il n’y a pas de réponse à ça.
Élodie : Et on n’est pas obligés. On a beau se responsabiliser et être stables dans tous les domaines possibles, ce n’est pas fait pour tout le monde. Il faut l’accepter aussi.

LFB : Pour reparler de Noga Erez, est-ce que vous vous verriez faire OUI FUTUR Against the Machine ?
Élodie : Ouais, grave. Le rêve.
Hadrien : On y pense tous les jours.
Élodie : À bien y réfléchir, je crois que je préfère l’album qu’elle a fait en acoustique.
LFB : Moi Kids against the machine, je crois que je préfère l’album acoustique.
Hadrien : Il est trop bien.
Élodie : Kids, ça a tellement été une référence que je ne peux pas dire que je préfère la version acoustique même si elle est extraordinaire. On y pense littéralement tous les jours.
Hadrien : On est un peu d’éternels insatisfaits et du coup on a toujours besoin de nous réinventer. D’essayer de trouver de nouvelles formes d’expression. Notamment dans les titres de l’album qu’on joue en live. On a envie de réinterpréter, de ré-arranger. Le fait de pouvoir re-bosser l’album dans une autre forme, il n’y a rien de plus excitant. En plus, c’est trop cool parce qu’il n’y a pas la phase de patte blanche.
Élodie : Exactement, ce sont juste des arrangements. En même temps, c’est dur parce que le but, ce n’est pas de copier un projet. Déjà que Noga Erez a fait tout ce qu’on a envie de faire, y compris le feat avec Robbie Williams. On pensait être les derniers de notre génération à être fan de lui. On a joué aux Vieilles Charrues l’année dernière ou il y a deux ans, il jouait le même soir que nous. J’ai tanné tout le monde pour venir avec moi et personne n’a voulu m’accompagner. Je suis arrivé au concert, il n’y avait que des daronnes de 50 ans. Vraiment le concert était quasi vide. Il n’y avait aucune personne de mon âge, personne ne chantait. Et Noga Erez a sorti un feat avec lui.
Hadrien : Pour revenir à Against The Machine, je pense qu’il y a un truc aussi qui nous trotte beaucoup dans la tête. C’est le fait de pouvoir aussi retravailler les morceaux avec d’autres gens. Autant en live, pour l’instant on a vraiment réussi à trouver notre safe place. On est très bien à deux sur scène parce que c’est comme ça qu’on a envie d’être. Mais en vrai, sur des versions acoustiques, ça nous ferait trop kiffer de faire venir jouer les potes.
Élodie : Bien sûr. Mais je pense que même, il y a plein d’artistes qui font ça. Je trouve ça trop classe.
Hadrien : Ça aurait plus de sens de retravailler des versions acoustiques avec des vrais instruments qu’un live électronique avec d’autres gens.
Élodie : Oui, ça c’est ce qu’on fait déjà en concert.
LFB : C’est un moyen intéressant aussi de contrer un peu la durée de vie réduite d’un album. Proposer quelque chose qui le fasse vivre à travers le temps.
Hadrien : Oui, tu soulèves un point grave cool parce que c’est vrai qu’on n’en a jamais trop parlé mais ce qui est cool là-dedans, c’est le fait de retrouver l’essence même des titres. Il ne faut pas se cacher qu’au final, ça reste des morceaux pop qui viennent parfois d’un piano/voix, d’un guitare/voix et tout, qui sont simples dans leur format. De pouvoir leur donner un peu une deuxième vie en gardant l’essence du titre et en essayant juste de garder l’essentiel du titre, c’est hyper cool comme process. Ça permettrait un peu parfois peut-être de faire comprendre aux gens, de leur faire réaliser que les titres restent des morceaux simples de pop.
Élodie : Justement, je trouve ça intéressant sur les morceaux très produits, je pense à Krkrkr, je suis archi curieuse de voir ce que pourrait donner une version acoustique.
Hadrien : Exactement, de voir ce que c’est de garder l’essence même du titre.
LFB : Llorona peut être hyper intéressant aussi. Ou 100 fois qui a déjà ce côté.
Hadrien : Grave. Avec de vrais cuivres, ça pourrait être fou.
LFB : Si vous pouviez ranger OUI FUTUR à côté d’un album, d’un film et d’un livre, vous choisiriez quoi ?
Élodie : Alors un livre, je dirais Les enfants terribles de Cocteau. J’ai lu ce livre juste avant l’album et ça a été un peu une réf tout au long. C’est l’histoire d’un frère et une sœur. Le frère se retrouve blessé et du coup, il se retrouve avec sa sœur dans une chambre. Sa sœur est obligée de s’occuper de lui pendant plusieurs mois. Du coup, ils se créent un peu leur monde dans cette chambre.
Hadrien : Ça nous a beaucoup parlé. On trouvait ça hyper cool cet imaginaire un peu d’enfants terribles, d’éternels enfants qui se créent leur propre monde. L’imaginaire à l’air fou. En termes de film, c’est compliqué.
Élodie : J’ai Moonrise Kindgom en tête.
Hadrien : Ouais, je pense que ça rejoint cette idée d’éternels enfants et d’univers coloré.
Élodie : Je me suis rendu compte de ça récemment. Quand je lis un livre ou quand je regarde un film, plus que ce que ça raconte, c’est le ton qui m’intéresse. Récemment j’ai lu Des souris et des hommes de Steinbeck. Tout le long, il y a ce ton là sur le personnage qui est une espèce de grand enfant. J’aime trop comment c’est raconté parce qu’il y a grave un côté enfantin dans tout ça. Dans les films, c’est un peu la même chose.
Hadrien : Pour l’album…
Élodie : Franchement Kids.
Hadrien : Si on veut rester dans une thématique de l’enfance, oui let’s go.
Retrouvez notre chronique de OUI FUTUR de OJOS par ici
Crédit Photos : Félix Hureau Parreira