C’est sur les hauteurs de Belleville, un début d’après-midi ensoleillé, que nous avons rencontré Tiago Caetano. Il nous a présenté son tout nouvel album Eco da Baía, tissé d’images et de sons puisés au Brésil, le tout assemblé de l’autre côté de l’Atlantique, en Bretagne. Voilà un mélange, dont lui seul connaît la recette.
La Face B : Salut, enchantée. Comment tu vas ?
Tiago Caetano : Bien, très bien.
LFB : Tu viens d’arriver à Paris c’est ça ?
Tiago Caetano: Oui depuis un mois.
LFB : Donc c’est un peu tout nouveau pour toi ?
Tiago Caetano: Ouais, j’ai l’impression d’être un touriste encore, mais c’est cool.
LFB : On va parler de ton nouveau projet qui s’appelle Eco da Baía, c’est ton premier album, qui va sortir le 15 novembre. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton parcours, et ce qui t’a amené à réaliser ce projet ?
Tiago Caetano: Alors j’ai commencé la musique quand j’étais enfant. Quand j’avais 11 ans à peu près, j’ai commencé la guitare, et à mon adolescence j’ai commencé à avoir des groupes de musique avec des potes. Au fur et à mesure je me suis professionnalisé, notamment avec un groupe que j’avais qui s’appelait Born Idiot.
LFB : C’était quoi comme genre de musique ?
Tiago Caetano: C’était indie pop, indie pop-rock quoi. Ensuite j’ai commencé mon projet solo qui s’appelait Niteroy que j’ai arrêté parce que… Enfin, j’ai arrêté. J’aime bien dire que j’ai fait un reboot de tout, parce que c’est arrivé très très vite Niteroy. J’ai sorti un single, ensuite j’ai eu un label très vite, j’ai eu Trans Musicales l’année d’après. Tout est allé tellement vite que je n’ai même pas eu le temps de réfléchir le projet. Donc j’ai un peu l’impression d’avoir mal commencé le projet.
LFB : Et c’était un projet solo ?
Tiago Caetano: Un projet solo, oui. C’était moi qui composais les titres. J’ai enregistré beaucoup avec Guilherm Frénod qui m’accompagne sur scène encore aujourd’hui, qui est batteur. Avec qui j’ai fait pas mal de studio sur ce projet-là. Et en revenant du Brésil, c’était cet hiver, j’avais déjà enregistré l’album. Je ne savais pas encore sous quel nom j’allais le sortir. Et j’ai eu envie de changer de nom et de faire un reboot de tout.
LFB : Tu ne voulais pas que ça soit lié avec Niteroy ?
Tiago Caetano: Ouais, je sais pas, c’est un peu étrange j’ai eu envie de… comme si je voulais assumer mon prénom, mon nom de famille. C’est le nom de famille de ma mère Caetano. Et du coup j’avais envie de faire quelque chose qui me ressemblait vraiment. Je n’avais pas envie d’avoir un pseudo, il y avait un truc qui me dérangeait là-dedans.
LFB : Plus de transparence ? Mais sur cet ancien projet tu chantais aussi en portugais ?
Tiago Caetano: Oui, carrément. Même musicalement, je pense que j’ai pris un peu en maturité. Enfin, pas forcément de la maturité, mais je sais plus ce que je veux faire maintenant. Du coup j’assume plus et je me suis dit que ça avait du sens pour moi de changer, à ce moment-là en tout cas. En plus je déménage à Paris, tu vois il y avait vraiment un truc de… je voulais tourner la page quoi.
LFB : Ta mère est Brésilienne, et ton père est Portugais mais toi tu es né en France. De quelle manière tes origines influencent ta musique ? Peut-être même plus sur ce projet-là que sur le précédent ?
Tiago Caetano: Ça influence dans le sens où depuis que je suis enfant, j’écoute de la musique brésilienne. Ma mère m’a fait écouter beaucoup de samba, Caetano Veloso, Gilberto Gil, les grands noms de la musique brésilienne. J’écoutais beaucoup de fado, c’était du côté de mon père, qui est Portugais. Après, ça n’a jamais été une musique… J’étais plus bercé dans la musique brésilienne.
Sinon j’ai grandi en France quand même. Donc j’ai quand même une influence de musiques dans une ville comme Rennes. Je suis né à Rennes d’ailleurs. Et il y a les Trans Musicales là-bas, donc j’y suis allé régulièrement. J’ai découvert la musique à travers ces festivals, à travers la scène rennaise, le rock, la pop, tout ça, à la base. Et j’ai switché vers la musique brésilienne plus tard. Je me suis rapproché de mes origines en voyageant notamment beaucoup au Brésil.
LFB : Et tu as déjà habité là-bas ou c’était de façon temporaire ?
Tiago Caetano: Je n’ai jamais vécu là-bas. Mais j’y suis allé vraiment pas mal de fois depuis que je suis enfant. Dès que je peux, j’essaie d’y aller parce que c’est un endroit que j’aime beaucoup. Ma mère elle est originaire de Rio. Elle est carioca. Mais quand je vais au Brésil, j’essaie de découvrir les autres états, parce que ça m’intéresse.
LFB : Tu trouves qu’il y a, entre le fado et la musique brésilienne, des liens qui peuvent être faits ?
Tiago Caetano: Oui, quand tu découpes la musique, harmoniquement ça se ressemble beaucoup. C’est des musiques très mineur, majeur. Surtout quand tu écoutes de la vieille samba, je trouve, genre Cartola, des artistes comme ça. Tu sens l’héritage du fado quand même. Tu ressens même dans les instrus de guitare classique, des instruments à cordes déjà. Donc oui je comprends le lien, après la samba d’aujourd’hui, la pagode et le fado tu sens que c’est un peu différent, mais ouais c’est lié en tout cas.
LFB : Et tu jouais d’un instrument traditionnel quand tu étais enfant ?
Tiago Caetano: Non pas traditionnel. J’ai appris un petit peu le pandeiro. Le cavaquinho aussi je sais jouer un petit peu.
LFB : Ça je ne connais pas.
Tiago Caetano: C’est la petite guitare qui fait « kunskunsks.. » *bruitages.
LFB : Et tu n’as pas beaucoup de cordes ?
Tiago Caetano: T’as 4 cordes dessus, métal. C’est vachement utilisé dans la samba principalement, et dans le choro aussi. C’est un peu l’ancêtre du ukulélé je crois, je dis peut être des conneries. *Rires. Mais ça ressemble à un ukulélé en tout cas.
LFB : Je chercherai. Et pour revenir à l’album qui arrive, est-ce que tu peux nous parler du titre, Eco da Baía, pour commencer peut-être. Par rapport à mon expérience j’ai juste voyagé à Bahia au départ, j’adorais la musique, l’ambiance, les gens, et on m’avait dit « ah oui mais quand tu reviens en France, il ne faut pas que tu dises que t’as aimé le Brésil, il faut que tu dises que t’as aimé Bahia, parce que c’est tellement différent ». Est-ce que ça te parle ? Est-ce qu’il y a un peu de ça dans le titre ?
Tiago Caetano: Il y a de ça dans le sens où la musique brésilienne de l’état de Bahia, c’est quelque chose qui me touche beaucoup. J’aime beaucoup toute la musique du nord-est. Et puis des artistes comme Gilberto Gil qui vient de Salvador. Forcément ça me parle. Mais l’album il s’appelle Eco da Baía, c’est pas lié à l’état de Bahia, c’est lié à la baie de Guanabara qui est à Rio. Qui est la baie qui sépare Niterói et Rio de Janeiro. Tu vois il y a un pont qui traverse.
LFB : Oui oui.
Tiago Caetano: C’est cette baie-là.
LFB : Et les gens vont voir le coucher de soleil à Niterói.
Tiago Caetano: Oui c’est excellent parce que du coup, c’est lié à ça. T’as un endroit qui s’appelle le Parque da Cidade. Et tu as un super coucher de soleil, depuis ce parc, qui est un point de vue un peu en hauteur, où tu peux voir Rio. Et moi j’y vais depuis que je suis petit, mes parents m’emmenaient voir le coucher de soleil là-bas. Ce qui s’est passé c’est que j’ai découvert la musique brésilienne à travers notamment Jorge Ben Jor, c’était vraiment la rampe de lancement de mon amour pour la musique brésilienne. J’ai poncé ses albums comme un fou, et ça m’a mis à fond dedans. J’avais 18 ans je pense.
Ensuite, je connaissais déjà mais j’ai commencé à approfondir le reste de la musique traditionnelle brésilienne. Et à chaque fois que j’écoutais Jorge Ben Jor je m’imaginais les refrains de tous ses grands morceaux, genre tous ses albums il y a un son dedans qui est spécial, une réverbe dans la voix qui est spéciale et moi j’imaginais toujours que ça résonnait dans Rio.
T’as des montagnes, je trouvais que ça avait trop de sens dans ma tête et quand j’ai enregistré mon disque on essayait de trouver une ligne directrice avec Sasha Philippot, le mec avec qui j’ai enregistré mon album. Son nom de scène c’est LaBlue, et je lui ai fait cette image-là. Je lui ai dit « moi ce que je veux c’est qu’on ait l ‘impression que ça puisse résonner dans une baie, toute la baie, comme un écho ». Après j’ai cherché le nom pendant hyper longtemps de l’album, et à un moment j’ai dit « mais en fait faut que ça soit un truc qui me parle » et la première image que j’ai eue c’était ça.
LFB : Donc le nom est arrivé assez tard au final ?
Tiago Caetano: Ouais carrément, au moment de la pochette d’ailleurs. C’est avec Evan Lunven que j’ai trouvé, c’est celui qui a réalisé tous mes clips et qui a pris la photo de ma pochette de disque. On trouvait que ça avait du sens aussi parce qu’un écho ça peut arriver, on ne sait pas jusqu’où ça peut arriver… jusqu’à la France par exemple.
LFB : Ça peut partir du Brésil et…
Tiago Caetano: Traverser l’Atlantique et arriver jusqu’en Bretagne où j’ai grandi. J’ai passé beaucoup de temps au Nord de la Bretagne, vers Saint-Malo depuis que je suis enfant. Le fait qu’il y ait la mer à cet endroit-là et le fait que ma mère ait grandi à Rio et que c’est une ville en bord de mer aussi, ça me fascine toujours un peu de me dire.. Après si tu regardes tout droit de Saint-Malo, t’arrives en Angleterre. Il y a toujours un truc, je me dis « ah ouais putain c’est la même mer ». C’est marrant.
LFB : Ce qui est intéressant c’est que parfois t’as le nom, et du coup ça devient le fil rouge des morceaux. Toi t’avais plutôt les morceaux et tu cherchais le nom ?
Tiago Caetano: Dans un sens il y avait quand même un fil rouge avec ça. C’était l’image vraiment que j’avais. Je ne pensais pas utiliser ce nom-là pour le disque. C’est vraiment un fil conducteur de l’album. D’avoir une sensation de légèreté, un truc qui puisse se chanter en chœur. Même si tous les morceaux n’ont pas ce truc-là, je trouvais une chaleur dans cette image.
LFB : Je comprends. C’est un album de neuf morceaux. Nous on a ressenti quelque chose de très tendre et lumineux à l’écoute de l’album. Est-ce que tu pourrais nous le décrire en quelques mots, ou quelles émotions tu as voulu mettre à l’intérieur ?
Tiago Caetano: C’est vachement lié à tous les voyages que j’ai pu faire au Brésil. J’ai voulu mettre quelque chose de rassurant. Ça c’est un truc auquel j’essaie de faire attention maintenant. Je pense que tout est un peu politique dans ma tête. Je sais qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec ça, mais je pense qu’une belle musique c’est politique.
LFB : Depuis quelques années ?
Tiago Caetano: Non, j’ai toujours été intéressé par la politique, mais quand je dis que c’est politique, c’est… Par exemple, pour moi, un beau morceau ça peut faire sortir quelqu’un de son quotidien, de sujets liés à l’actualité. Du coup c’est politique.
Pour moi c’est important la musique parce qu’on est tous confrontés à énormément d’informations, et tout le monde est plus ou moins sensible à ça. Je comprends qu’il y ait des gens qui ont envie de faire des trucs un peu punk, qui ont envie de casser des codes, dire des insultes, enfin tu vois c’est quelque chose que je comprends totalement. Moi ma démarche, quelque chose que j’aime défendre… ça me fait du bien d’écouter des musiques douces et des choses qui me font un peu m’évader. Je suis sensible à ça en tout cas. Entre les réseaux sociaux, les guerres, au bout d’un moment, je me suis dit que je voulais quelque chose qui pouvait faire en sorte que les gens s’évadent un peu, tout simplement.
LFB : Du quotidien et de ces questions-là… Et c’est quelque chose qui est déjà dans la musique brésilienne ? Quand tu parles de Jorge Ben Jor par exemple ?
Tiago Caetano: Ouais carrément. Surtout pour un Français, ça le dépayse, forcément. La samba n’est pas une musique traditionnelle française, donc les gens ça les évade forcément directement. Et moi qui ai toujours vécu en France, j’ai eu envie de partager aussi à peu près la même émotion que quelqu’un qui écoute de la samba. Mais en gardant quand même une direction pop, occidentale entre guillemets, pas faire de la musique trad quoi.
LFB : Jouer avec ces références sans faire quelque chose de forcément nostalgique ou rétro.
Tiago Caetano: Oui voilà, c’est ça. J’ai voulu quand même faire mon truc en lien aussi avec… Moi j’ai grandi à l’époque de l’indie pop. C’est ce qui m’a bercé, genre Connan Mockasin ou Mac DeMarco. Ces artistes, c’est des choses qui m’ont énormément inspiré. Donc je ne cache pas non plus ce genre de références dans ce que je fais, dans ce que j’enregistre. Je n’ai pas envie de me détacher de ça non plus, c’est vraiment de l’instinct. Vouloir faire quelque chose de doux en tout cas.
LFB : Il y a aussi beaucoup d’images, quand on parlait du carnaval, tu parles de l’île de Boipeba, la vallée du Pati, que tu partages dans cette expérience de ta musique.
Tiago Caetano: Ça a dû te parler du coup toi.
LFB : Oui trop ! Je ne suis pas allée à Boipeba, et j’ai fait le carnaval à Salvador et pas à Rio. Mais ça m’a évoqué des images, ou quelque chose que je connais depuis pas très longtemps.
On retrouve des rythmes de la samba dans ton album, ou le bruit de la rue dans Na Casa Da Verusca qui est très instrumental, le son de la mer dans Percepção. Et pourtant, tu l’as imaginé et réalisé en Bretagne, à Saint-Malo. Donc je me demandais comment ça s’était passé dans le processus de création. Est-ce que c’est des sons que tu as enregistrés là-bas ou est-ce que c’est des choses que tu as reconstituées ici ? Est-ce que tu t’es entouré de gens, comment tu as réussi à faire ce pont entre les deux ?
Tiago Caetano: Les bruits, l’ambiance, c’est des choses que j’ai enregistrées au Brésil. Tu vois, justement ce que je te disais juste avant, il y a un petit côté quand même format pop dans ma musique, des arrangements un peu plus modernes entre guillemets. Enfin en tout cas un peu moins trad’ que dans la musique ancienne. Ça c’est lié à Saint-Malo, Rennes, Dinan, où j’ai passé beaucoup de temps. Et même aujourd’hui encore, des fois je fais des morceaux et ça sent un peu sombre. Je me dis « ah, c’est vraiment mon côté breton qui ressort ». Je ne sais pas si c’est lié à ça ou pas.
LFB : Ça ne vient pas de là-bas. *Rires
Tiago Caetano: Ça ne vient pas de là-bas, ça vient vraiment de la France. En même temps c’est des choses qui m’inspirent aussi. En tout cas je trouve que c’est assez cool, intéressant, de mettre des petits extraits sonores, ça permet de contextualiser, de donner un cadre à la musique aussi. C’est quelque chose que j’aime bien dans la musique.
LFB : Et cet album tu l’as réalisé assez vite, c’est ça, quand t’es rentré du Brésil. Et tous les arrangements, ça s’est fait en Bretagne.
Tiago Caetano: Oui, tout fait en Bretagne, on a un studio à Rennes. Il y a eu des violons qui ont été enregistrés, il y a eu des percussions. C’est un percussionniste brésilien qui s’appelle Marcelo Costa, qui est un super joueur de pandeiro, vraiment. Il est venu faire toutes les percussions du disque. Le violon, ça a été fait par Manuel Decocq. C’était trop cool. Il y a une choriste aussi qui est venue.
LFB : Il y a beaucoup de chœurs sur beaucoup de morceaux. Est-ce que tu vois le chœur comme un instrument qui te rappelle le Brésil ? Ou c’est plus ta touche ?
Tiago Caetano: Ouais, moi je vois ça comme un peuple qui chante en chœur tout simplement. C’est quelque chose qui me fait kiffer. J’ai l’impression que, même s’il y a une seule voix à l’octave, j’ai l’impression que ça crée comme un truc populaire dans ma tête. Je sais pas comment expliquer ça. Parce que dans la samba, il y a beaucoup ça. Une voix à l’unisson avec plusieurs timbres de voix différents. Je trouve ça chaleureux en fait.
LFB : Et tu penses que ça fonctionne qu’on connaisse ou qu’on ne connaisse pas la samba ?
Tiago Caetano: Je pense que les gens kiffent. Ils danseront au pire. Je trouve que c’est difficile de rester de marbre. La samba, c’est obligé. Tu vois des gens chanter, tout le monde est ensemble. C’est une musique ancestrale.
LFB : Et hyper communicative.
Tiago Caetano: Oui, c’est ça. Ça rassemble des gens.
LFB : Le chœur revient dans beaucoup de tes morceaux, mais peut-être moins dans le dernier qui s’appelle A Brisa. Moi je l’ai trouvé un peu différent. Ta voix et le chant, sont vachement plus mis en avant. Est-ce que t’as ressenti ça aussi ? Est-ce que c’est volontaire ?
Tiago Caetano: C’est bien, t’as remarqué ça. Ça a été enregistré dans deux studios différents. Et ça n’a pas été du tout enregistré à la même époque.
LFB : Seulement le dernier morceau ?
Tiago Caetano: Oui, seulement le dernier morceau. Et du coup, j’ai un autre timbre de voix, oui. Je n’utilise pas la même technique vocale en fait. C’est quelque chose dont j’avais envie, c’est pour ça que je l’ai mis en dernier morceau. Je trouvais que c’était un petit test un peu.
LFB : Tu l’as fait avant ou après ?
Tiago Caetano: Avant. T’en as pensé quoi ?
LFB : En fait je crois que j’ai beaucoup aimé aussi parce que j’ai aimé ton album mais je trouve qu’il y a une même couleur sur les huit morceaux. Et le dernier… je crois que j’aime bien être surprise d’un morceau à l’autre. Et là, c’était chouette parce que je me suis dit que ça s’ouvrait vers autre chose, enfin qu’il était différent.
Tiago Caetano: Cool. C’est bien parce qu’à la base, on ne savait pas si on allait le mettre sur le disque ou pas. On s’est dit « bon, on va le mettre à la fin, c’est un peu épique ».
LFB : Non moi je trouve ça cool. Et quand je parlais de Na Casa Da Verusca, là c’est surtout instrumental.
Tiago Caetano: Ouais il y a pas de parole.
LFB : Et il est un peu au milieu et ça crée aussi une petite surprise, du relief.
Tiago Caetano: Carrément. En fait, moi je pensais à l’auditeur qui écoute le disque en entier. Je suis très attaché à ce format, du disque. Je trouve que le format single… En vrai c’est des mots durs et j’assume. Je trouve que ça détruit presque un peu l’industrie de la musique dans un sens.
LFB : Parce que c’est trop rapide ?
Tiago Caetano: C’est trop rapide, c’est du fast food. On est tous là à vouloir être sur des playlists, sur un single. Après, il y a des gens, c’est souvent un single qui marche et derrière ils ont… Je ne sais pas, je trouve que c’est trop étrange comme truc. Ça fait trop fast food, t’es sur la playlist, la semaine d’après tu n’y es plus.
LFB : Mais est-ce que ce n’est pas un peu un teaser, tu vois ?
Tiago Caetano: C’est ça ! Pour des gens, c’est un teaser. Sauf que du coup, on mélange tout le monde. Par exemple la playlist “French music” ça ne veut rien dire. Je sais pas, je suis peut-être un vieux con mais je suis attaché au fait d’aller chez un disquaire. Tu vas lui dire ce que tu aimes, et lui il va te conseiller.
LFB : Et tu vas écouter tout l’album.
Tiago Caetano: Oui, puis ça crée un lien entre les gens. Ça crée des discussions, du lien social. C’est primordial. Moi, ça me fait flipper qu’on soit dans une société où il n’y ait plus ce genre de choses. C’est un algorithme qui décide ce qu’on écoute. C’est complètement fou.
LFB : Puis ça veut dire que tu ne prends que ça, du coup, enfin une toute petite part. Alors que… Je pense que le single il sort de tout un album. Ou même s’il y en a deux qu’on retient sur 15. En fait il y en a eu 15.
Tiago Caetano: Ouais exactement. Tu finis aussi par apprécier un album, même si tu aimes juste deux morceaux. Je suis attaché à ce format-là en tout cas, vinyle, CD.
LFB : Donc tu as vraiment construit le projet, comme un album ?
Tiago Caetano: Oui, je l’ai pensé comme un disque quoi. Même au moment où je devais choisir les singles, je ne savais même pas quels morceaux ça allait être. Après je comprends tout à fait, enfin l’industrie elle est comme ça. Moi j’aime bien, je sais pas, ça me rappelle quand j’étais petit. T’écoutais un CD, au début t’avais l’impression que tu l’aimais pas, puis à la fin c’est ton préféré. Je trouve ça sain comme approche.
LFB : Là-bas j’avais beaucoup entendu parler, de ce sentiment de saudade. Même si c’est un peu cliché, en vrai, quand je suis rentrée à Paris, j’ai vachement ressenti ça. Je me demandais si le fait de t’être inspiré des sons et des images du Brésil, et d’être revenu, il n’y avait pas quelque part, un peu ça dedans ? Ce sentiment. Peut-être pas hein.
Tiago Caetano: Non mais si, si. De toute façon j’ai tout le temps de la saudade du Brésil, de ma famille qui est là-bas, de la chaleur des gens, de la facilité des gens à parler entre eux, de la nourriture, de la feijoada, du feijoa.
LFB : Moi je n’aime pas trop…
Tiago Caetano: Ah ouais ? *Rires. Je ne sais pas, de tout ça quoi. Après moi c’est depuis que je suis enfant, je bouffe des haricots. Moi je kiffe trop ça tu vois. Il y a un truc qui me manque. Au moment où j’ai fait l’album, en vrai j’étais concentré. Je pense que, évidemment ça m’a inspiré, j’y repensais forcément à des moments. Mais c’est marrant parce que quand je l’ai fait je n’étais pas nostalgique, j’étais plus en mode focus. “Bon là t’as un travail d’écriture.”
LFB : Plutôt de partage, enfin de donner quelque chose.
Tiago Caetano: Ouais de donner son maximum parce qu’il fallait que je synthétise ce que j’avais. Donc il fallait que je sois objectif, il fallait que je retranscrive mes émotions. J’étais concentré en fait, je n’étais pas en mode saudade. Ça c’est plutôt quand il y a les premiers rayons de soleil de l’été qui arrivent. Plutôt quand il fait froid l’hiver en France, où je me dis « putain je serais bien sur une plage au Brésil. Ou juste assis sur une chaise à boire une bière bien fraîche avec mes potes brésiliens » tu vois, plutôt ça.
Quand j’entends de la musique aussi, en live. Je vais voir Tim Bernardes. C’est un chanteur brésilien, c’est magnifique ce qu’il fait. Il a sorti un album, qui a retourné la tête de plein de gens. Il a une voix vraiment incroyable. Et je l’ai vu à Paris en concert, je venais juste de revenir du Brésil. Franchement j’ai pleuré devant son concert, et là ça m’a mis de la saudade. Mais sinon non, pendant le processus, pas forcément.
LFB : C’est plutôt donner quelque chose, plus que d’être dans la nostalgie d’un truc passé. Et je me demandais, j’ai écouté tes singles et j’ai aussi regardé les clips. On a beaucoup parlé de tes références musicales. Mais est-ce que t’as aussi des références autres dans le cinéma, qui t’inspirent ?
Tiago Caetano: C’est Evan Lunven qui réalise les clips. Donc je pense que c’est plutôt lui qui a toutes les références cinématographiques poussées. Mais oui, Agnès Varda, des vieux films français. Moi j’aime bien les vieux films. Ça m’inspire les vieilles vidéos, les vieilles archives, genre même Saravah, le film. En fait j’adore quand il y a un Français et un Brésilien. C’est quelque chose qui me parle parce que je suis franco-brésilien, donc j’ai toujours trouvé ça trop cool. Après je m’inspire de plein de choses en art. J’aime la peinture, j’aime le ciné. Je trouve que tout art nourrit un artiste et un musicien, même la cuisine. Mais l’architecture aussi, je trouve que c’est inspirant. Je trouve qu’il faut se nourrir de tout. Moi en tout cas c’est quelque chose qui me fait du bien, et que tout est lié.
LFB : Est-ce que, comme cet album marque un nouveau tournant, un nouveau départ, tu as une vision plus claire de là où tu aimerais aller maintenant ? Je veux dire, même après cet album.
Tiago Caetano: J’aimerais garder un certain fil conducteur quand même dans le projet. Après, je suis encore en période de réflexion un peu, sur ce que j’aimerais faire. Ces temps-ci j’écoute beaucoup de soul musique, mais ça, ça ne veut rien dire, je crois que tout le monde aime la soul normalement. Mais je veux garder quand même quelque chose d’organique. Je ne pense pas que je vais rajouter plein de synthés et tout. J’essaie de garder quelque chose d’assez minimaliste quand même. Je ne dirais pas que c’est minimaliste ce que j’ai fait, mais j’aime bien l’idée qu’il n’y ait pas non plus plein d’arrangements, plein d’instruments. Je veux garder une certaine clarté.
Peut-être dans le process d’enregistrement, aller chercher quelque chose de différent. Essayer d’emménager un endroit de manière à ce que ça devienne un studio d’enregistrement. Essayer de vivre une expérience plus longue d’enregistrement. Peut-être que tu as un mois au lieu d’une semaine d’enregistrement, mais dans un endroit où tu n’auras pas forcément une meilleure acoustique, mais tu fais avec les contraintes que tu as. Je commence à penser à des choses comme ça.
LFB : Est-ce que tu appréhendes la sortie de ton projet ou au contraire tu as super hâte ?
Tiago Caetano: J’ai hâte, parce qu’il est fini depuis un an quasiment le disque. Enfin non, j’ai enregistré en novembre, donc il est fini depuis mars. Le mastering, je dirais en avril. Donc oui, c’est toujours un soulagement. En vrai, une fois que c’est sorti, tu te dis “bon, ça c’est fait”. Tu te sens léger. Tu te dis “bon, allez, je peux faire autre chose, je peux commencer à jouer ça en live”. C’est bon. J’ai lâché le truc, le gros morceau.
LFB : Et tu as déjà des lives de prévus à Paris ?
Tiago Caetano: Oui, le 27 novembre au Trois Baudets, avec Miira en première partie, qui est une artiste brésilienne aussi. Et sinon j’ai une date le 14 décembre à La Rochelle pour l’anniversaire de mon label qui fête ses 10 ans, Yotanka, avec plein d’artistes du label qui se produisent.
LFB : Trop cool. Pour finir, donc tu chantes seulement en portugais, mais il y a un morceau où tu as un tout petit passage en français.
Tiago Caetano: Oui. T’as bien écouté le disque, franchement.
LFB : Je ne me rappelle plus exactement ce que tu racontes. Enfin, ce que t’as voulu ajouter.
Tiago Caetano: C’est au tout début de Percepção. En fait, je n’avais pas fini mon disque et j’allais au studio la semaine d’après. On était jeudi, du coup je dis “On est déjà jeudi, j’aurais bien aimé avoir un petit jour en plus ».
LFB : Parce que ça faisait vraiment comme une petite note. T’as envie que les gens l’entendent et en même temps pas trop.
Tiago Caetano: Oui, ben c’est ça. En fait c’était au début de ma démo. J’avais laissé parce que je trouvais ça marrant. En studio les gars ils étaient là “Ah ben vas-y, on le laisse”. Ça fait un petit clin d’œil à la langue française, à ma langue du quotidien.
LFB : Super, merci. Est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?
Tiago Caetano: Mon album sort le 15 novembre !
LFB : Merci. On te souhaite un beau départ pour ce nouveau projet.
Tiago Caetano: Merci à toi. Tu fais une bise à toute l’équipe de La Face B.