Patrick Watson laisse la parole aux femmes dans Uh Oh

Patriiiiiiiiiiick ! Bon, c’est pas le même mais c’est quand même Patrick Watson ! Après une petite attente teintée d’angoisse depuis son dernier album en 2022 Better in the Shade, et surtout son incident de santé, l’artiste montréalais nous a sorti une petite pépite le 26 septembre dernier avec un nom évocateur Uh Oh, interjection signifiant qu’on a fait une grosse bêtise dans le langage enfantin.

Flûte

Vous vous êtes déjà retrouvé dans une situation où le premier mot qui vous vient à l’esprit c’est “oups !” ? Pour Patrick Watson, c’est un peu ce qu’il s’est passé ce soir-là à Atlanta en 2022, lorsqu’il chantait Here Comes the River devant le public du Terminal West. Un peu trop de fatigue, une voix que l’on pousse un peu trop, ou même, comme il aime le dire dans Silencio, parce qu’il parle trop fort, sa voix lâche, paralysie des cordes vocales. Trois mois sans parler, c’est un gros “uh oh”. Mais “uh oh” aussi sur la situation dans le monde, sur toutes ces choses où l’on n’a aucun contrôle et où on regarde le monde autour de nous qui s’écroule, incapable de faire quoi que ce soit, un peu comme quand on dévale les escaliers en rouler boulet. Au moment où l’on sait que l’on va tomber, on ne peut que se dire “flûte” parce que dans tous les cas, on va les dévaler ces trente marches, et il n’y a rien que l’on ne peut y faire.

Crédits photo : Lawrence Fafard

Comment se réinventer

Bon, spoiler alert, Patrick a retrouvé sa voix. Mais de cet incident et de l’incertitude qui en a découlé de ne pas savoir si il allait pouvoir, un jour, rechanter ou non, est né cet album. 11 titres tous plus beaux les uns que les autres et surtout, 10 titres en duo. Lors de sa convalescence, la voix ne fonctionnait pas mais le cerveau, lui, allait très vite ! Que faire si on ne peut plus chanter ? Et bien composons ! Est alors née l’idée d’écrire et de composer pour les autres. Lorsque sa voix est revenue, il n’en est pas resté là et a continué à vouloir collaborer avec des personnes et ayant une voix qu’il n’avait pas pour s’apporter mutuellement. Des françaises Solann et November Ultra, en passant par l’iconique Martha Wainwright, Patrick Watson a su s’entourer de voix de femmes d’horizons et de textures complètement différentes.

Mais ces duos ne sont pas des béquilles pour le chanteur, ce sont avant tout le fruit de 20 ans d’expérimentation musicale et d’une envie de dialogues dans ses chansons.

Crédits photo : Nick-Helderman

L’album

Commencer l’album avec la pièce Silencio fait tout son sens. Ici, Patrick Watson nous raconte dès ses premiers mots qu’il a perdu sa voix. Cette chanson d’ouverture, en duo avec November Ultra, nous pose cette première question : Comment va la vie ? Comment ça va d’être actuellement dans le silence ? Comment les autres te perçoivent quand tu ne parles plus autant et aussi fort ? Patrick Watson conclut ce titre en disant que depuis qu’il ne parle plus, les gens qu’il rencontre le pensent plus intelligent. 

La douce voix de November Ultra vient ici poser les bonnes questions et aussi, les pose en espagnol. Ici, il n’y a pas que de l’anglais et du français qui sont chantées dans cet album. A travers les différentes collaborations de Patrick Watson sur Uh Oh, il a aussi fait appel à des chanteuses aux différents langages pour exprimer les idées de manières différentes. On n’utilise pas les mêmes mots pour exprimer une même idée d’une langue à une autre, et aussi, on ne va pas utiliser les mêmes mots pour obtenir une bonne mélodie de phrase. C’est un exercice que Patrick et ses complices ont brillamment réussi !

Dans Peter and the Wolf, en duo avec l’artiste autochtone Anachnid de la communauté oji-cree Patrick réinvente le conte de Pierre et le Loup, inspiré par un séjour dans le bois ainsi que les rues de la Nouvelle Orléans qui pour lui sont remplies de fantômes.

On continue l’album avec The Wandering en duo avec la chanteuse portugaise MARO, une pièce enveloppée de rêve et de quelque chose de vaporeux qui nous illustre bien l’errance et cette envie de bouger mais mollement et sans but précis, de se laisser aller sur ce qui arrivera et de profiter des moments de lumière.

Choir in the Wires est la seule pièce de l’album où Patrick Watson n’est pas en duo. Accompagné d’un chœur de femmes, il raconte dans cette chanson les potentiels conversations qui peuvent se passer au téléphone, celles qui passent dans les nombreux câbles téléphoniques que l’on voit dans les rues de Mexico, on essaie de deviner ce que peuvent bien se dire tous ces gens.

Uh Oh, la pièce éponyme de l’album est une chanson écrite il y a 15 ans par Patrick Watson, nous interrogeant sur les différentes technologies “My telephone learned how to sing / Does that mean the cables and wires will start to dream”, mais fait surtout le constat de ce qui se passe dans le monde et à chaque fois que l’on regarde les nouvelles on se dit “uh oh”. Ici, il chante en duo avec son amie Sea Oleena qui vient sublimer la pièce.

Pour The Lonely Lights, Patrick Watson s’associe à sa complice La Force qui est également sa choriste depuis plusieurs années, c’était donc logique de faire un duo avec elle. Cette chanson très intime nous parle de la solitude et est inspirée par le souvenir qu’il a du corps de sa mère dans son cercueil, sous la neige, que l’on ne peut pas enterrer parce que la terre est gelée, et le souvenir d’une photo de lui projetée sur les écrans de Times Square, à 4h du matin, dans les rues désertes, comme un géant lumineux abandonné.

Ami imaginaire, en duo avec Klô Pelgag est l’une des seules pièces en français de l’album et aussi, l’une des seules où l’on entend clairement des influences électro, amenées par la chanteuse québécoise.

A l’instar de son titre, Postcards est une chanson très courte avec des paroles pouvant tenir sur une carte postale. Le duo avec l’artiste britannique Hohnen Ford s’inspire de l’album Bookends de Simon & Garfunkel.

House on Fire, en duo avec Martha Wainwright est sûrement l’une des chansons les plus fortes de l’album. Il n’en fallait pas moins que la voix forte de Martha pour contraster celle de Patrick beaucoup plus feutrée, pour exprimer la dichotomie d’une relation qui ne fonctionne plus et ce sentiment d’être pris entre deux feux, que l’on veuille être en petite boule dans un coin mais en même temps crier notre mal-être.

Gordon in the Willows est une ode au premier piano de Patrick Watson qui s’appelait Gordon. Cette chanson, très technique vocalement, était parfaite pour être chantée par Charlotte Cardin dont Patrick adore la voix et voulait montrer à travers cette chanson qu’elle a une technique incroyable et que elle seule pouvait la chanter. La preuve, on n’entend pas le chanteur dessus. Sa voix, comme le vent à travers un saule, flotte sur la mélodie.

On finit par le duo avec Solann, Ça va, qui boucle la boucle. On commence avec une Française, on termine avec une autre mais surtout, elle répond à la question de November Ultra de “Como va la vida ?”. Finalement, ce n’est pas si pire.

Sur ces deux dernières chansons, Patrick Watson laisse presque entièrement la place aux deux chanteuses, on l’entend peu voire plus, presque comme si ce n’étaient pas ses cordes vocales qui lui ont coupé la parole, mais plutôt House on Fire. Tout au long de l’album d’ailleurs, il devient de moins en moins présent pour laisser la place à ces femmes et à ce qu’elles ont à dire.

Merci Patrick ! 

Avec Uh Oh, Patrick Watson nous offre un magnifique 8ème album que l’on aime autant écouter assis confortablement près d’une fenêtre à regarder la pluie tomber, que en marchant le nez au vent.

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