Dans le monde de la pop française, Perez tient une place particulière dans nos cœurs. Que ce soit dans les ambiances ou dans les paroles, le bordelais a toujours réussi à créer chez nous un mélange de trouble et de fascination. On est allé à sa rencontre chez lui un peu avant la sorti de son Surex, pour parler de ce troisième album, de sa relation avec Strip Steve et du besoin d’échapper à la réalité.
La Face B : Salut Perez, comment ça va ?
Perez : Ça va, un peu anxieux comme avant chaque sortie de disque. J’ai hâte de voir comment les gens vont réagir à cet album. S’ils vont ressentir les choses que j’ai essayé de faire passer dedans car un disque c’est beaucoup d’énergie. Donc ouais, j’ai à la fois hâte et à la fois un peu peur du rendu public.
LFB : Tu réfléchis toujours à ce que les gens vont penser une fois l’album fini ou lors de sa création ?
P : En fait, ce n’est pas vraiment réfléchir à ce que les gens vont penser de manière générale, comme une stratégie globale pour réussir. Même si c’était mon souhait, ça ne marche pas comme ça. Souvent les projets cyniques sont rarement des projets à succès car je pense que ça se ressent. Mais c’est clair que lorsque je fais de la musique, j’ai toujours en tête une sorte d’auditeur idéal. Dans ma tête c’est quelque chose d’important le fait que la musique que je fais va être écoutée par d’autres, donc il y a un truc excitant lorsque je fais un morceau. Je pense à tel moment dans tel morceau ou de telle chose choquante dans les paroles… et j’ai envie de voir le feeling du public par rapport à ça.
LFB : Comment as tu choisi le titre du nouvel album ? Finalement, ça veut dire quoi « Surex » ?
P: Pour une fois je n’ai pas trop galéré pour trouver le titre, car généralement c’est toujours compliqué. Je pensais à ce mot car ça fait très conversation sur Messenger ou par SMS, je suis « surex« : je suis « surexcité »… Mais je me disais que ça évoquait aussi la surexposition, ou même un nom de médicament, d’antidépresseur… C’est le même nombre de lettres que Perez aussi, le R est au même endroit donc ça fait quand même un truc assez symétrique que je trouve assez cool. Donc j’aimais bien cette idée et il y avait aussi un côté futuriste avec le fait que ce soit pris hors contexte et que ça allait bien avec ce que je voulais faire passer avec ce disque. Un disque qui est, par rapport au précédent, plus tourné vers le monde contemporain et vers le futur, comme un truc d’anticipation.
LFB : Justement, que ce soit le teasing que tu as fait avec les petites vidéos, j’ai l’impression qu’à chaque album tu as une esthétique visuelle qui correspond à la couleur de la musique. Comment tu réfléchis à ça et comment tu choisis tes collaborations ?
P : Sur chaque disque il y a des intuitions sur ce que devrait être le pendant visuel de la musique, et je vais m’adresser à des personnes de mon entourage ou des personnes que je connais très bien. J’essaie d’élaborer avec eux un monde visuel qui peut prolonger ce qu’il y a sur l’album. Sur ce disque mon point de départ a été Aldéric Trével qui réalise les images 3D. C’est lui qui a donné cette impulsion, en voyant les premières images qu’il a produit ça m’a donné envie de développer davantage, plus que sur les réseaux sociaux. Je trouvais que sur ces images, tu réalises rapidement que malgré le côté réaliste on comprend bien que ce n’est pas de la photo et j’aime bien le trouble que ça crée.
Je trouve que ça colle bien avec le disque, il y a à la fois un côté très pop, très coloré, ça permet de créer assez facilement des situations assez réalistes et en même temps il y a un truc assez flippant, dérangeant.
Je pense que la différence avec les précédents albums c’est qu’il y a moins cette volonté de faire des petites histoires dans les chansons. Et c’est vrai que sur ce disque j’avais envie d’autre chose. Je ne dis pas que je n’y reviendrais pas mais Théo Pozoga avec qui j’ai composé tout le disque, m’a encouragé à aller vers des paroles qui permettrait l’interprétation pour l’auditeur. Bien que ce soit plus abstrait, ça reste assez simple, on sait de quoi ça parle. Je m’autorise une association d’idées plus étranges, des bifurcations à partir de bases qui semblent très normales… J’ai toujours cette idée de jouer entre un côté attendu et un versant un peu délirant de la réalité.
LFB : J’ai remarqué que sur cet album-là, tu utilisais beaucoup plus ta voix comme un instrument. Tu as beaucoup d’onomatopées qui font le rythme de la chanson et qui apportent quelque chose en plus, chose que tu ne faisais pas forcément avant, notamment sur le clip que tu as sorti. D’où t’es venu l’idée ?
P : Une des raisons comme je le disais auparavant, c’est le fait d’avoir lâché ce truc de devoir absolument condenser des histoires dans des chansons. Et cela donne plus de liberté à la voix. Je suis moins contraint par la continuité du sens. Assez naturellement, ça m’a donné des idées pour utiliser ma voix d’une manière plus ludique, que simplement raconter une histoire et que ça soit bien compréhensible du point A au point B. Théo m’a beaucoup encouragé pour chercher d’autres manières que chanter et il avait raison. Avec le temps, comme beaucoup d’artistes, on est pris dans des sortes d’habitudes et j’étais convaincu d’avoir cette voix grave et finalement il me disait « tu peux aussi chanter en aigu, tu as une voix plutôt médium ». Il y a eu par la suite une recherche gimmick qui m’a poussé à chercher ma voix comme un instrument rythmique, comme une sortie de marqueur. Le fait d’avoir dans chaque morceau, quelque chose qui va accrocher l’oreille comme dans les titres Allongé sur la plage ou Feu, ça donne une identité au morceau.
LFB : Je trouve que justement, cette aspérité tu l’as depuis le début, comme une marque de fabrique. On a l’impression qu’à chaque nouvel album, tu ouvres une nouvelle porte qui te mène vers autre chose et qui te permet d’explorer un univers différent tout en restant foncièrement du Perez.
P : C’est gentil merci, c’est un gros compliment ! J’ai du mal à creuser, il y a des artistes qui font ça très bien mais je ne suis pas bon pour ça. J’ai tendance à m’éparpiller, à faire de nouvelles choses et c’est vrai que j’ai un peu ce truc, par disque, de vouloir développer un univers. C’est aussi ce que permet la pop, il y a un fil rouge. Comme c’est un projet solo, il y a l’écriture et ma voix qui font ce fil rouge. Musicalement j’aime bien l’idée qu’à chaque disque, comme tu dis, j’ouvre une nouvelle porte pour poser au maximum mes influences, mes désirs, mes envies… au moment de la production du disque.
LFB : Comme tu m’en as parlé et que c’est une question qui revient, est-ce que tu peux me parler de ta relation avec Strip Steve ? (NDLR : DJ et producteur de musique, originaire de Bordeaux) Quelle relation vous avez ensemble ?
P : On se connait depuis le lycée, même si on n’était pas super potes à l’époque à Bordeaux. Il est parti s’installer à Berlin depuis une quinzaine d’années et quand il a signé chez le label Boys Noize, on est resté en relation. Avec le temps, on s’est rendu compte qu’on avait pas mal de points communs musicaux, que l’on s’intéressait à des choses très larges et aux même sensibilités. J’ai pensé à lui pour un boulot d’arrangeur et de producteur sur des morceaux et j’ai vachement aimé ce que ça a produit. Sur Surex, j’ai eu envie de lui proposer de s’impliquer encore plus. On a composé le disque à deux, 50/50. C’est arrivé à un moment où sur ce projet solo, je souffrais de la solitude et j’avais envie de retrouver l’excitation que j’ai pu avoir dans des groupes à plusieurs. Je suis vraiment content que sa patte transparence dans le disque car c’est quand même un album sur l’amitié
LFB : Justement, ça t’a apporté plus de liberté ?
P : Oui, complètement ! Être seul, c’est à double tranchant. Parfois, on a du mal à avoir le recul nécessaire, à savoir si ce que l’on est entrain de faire est bien car c’est audacieux, ou si c’est à côté de la plaque et qu’on est la seule personne à trouver ça bien. Alors que lorsque l’on a quelqu’un en face de nous, on peut faire quelque chose d’hyper bizarre mais si la personne en face de nous dit « c’est mortel » c’est très excitant. Je me suis dis dès le départ que, lorsque j’enverrais les démos j’accepterais ce qu’il me dirait, en respectant ses goûts. Après, je n’aurais pas fait ça avec n’importe qui mais comme on est dans cette relation de confiance, ça a été très agréable d’avoir quelqu’un qui pouvait me diriger quand je bossais.
LFB : Je reviens sur les paroles. Tu utilises aussi beaucoup les mots pour leurs sonorités, plus que leur sens. Ce bouleversement s’est fait comment ?
P : Je ne sais pas si c’est l’idée de ne pas faire attention au sens mais c’est peut-être le fait d’aller chercher des mots. Il y a des mots que je suis allé chercher car ça se rapprochait plus du yaourt, que j’ai pu faire au départ sur les démos, pour essayer de trouver les idées vocales. Comme les mots qu’il peut y avoir dans le morceau Hiroshima, ça va de truc assez absurdes comme « Eric Cantona » à des moments historiques, qui sont des mots lourds de sens et assez solennel. Au départ, quand ça me venait en tête c’est assez absurde mais j’ai très trouvé que ça prenait du sens parce que il y avait l’idée de montrer comme fonctionne la libre association d’idées, et comment faire pour côtoyer l’anecdotique avec le drame historique.
LFB : C’est un peu du cadavre exquis par moment.
P : Ouais exactement.
LFB : J’ai remarqué que les chansons sur Surex, sont plus courtes que celles d’avant. Parfois, on a l’impression qu’elles font l’effet d’un shoot d’adrénaline, elles vont durer 2min30 et s’arrêtent très rapidement. Est-ce que ça tient à l’esthétique musical ? Est-ce que ça vient de ta collaboration ?
P : Je pense que sur le disque, on n’avait pas envie de faire durer pour faire durer. Il y a un morceau qui s’appelle Du Lait dans les yeux qui est assez long car c’est une chanson assez narrative, il se passe pas mal de choses dans la musique, et donc qui justifient le fait d’être assez long. À contrario, sur des morceaux comme Allongé sur la plage ou Feu, il y a quelque chose de très condensé. On a essayé d’avoir la durée juste, par rapport à l’énergie et à l’intensité qu’il y a dans le morceau. On a essayé de respecter l’énergie propre au morceau.
Il y a surement de l’inconscient mais la musique pop se raccourcit en général car les modes de consommation ont changé et que c’est du streaming que l’on zappe. Je pense que les musiciens ont compris que c’est compliqué de faire un morceau de 5/6 minutes. Les gens ont moins de patience, il faut qu’ils adhèrent dès le départ. Ça rentre surement en jeu.
LFB : On a vraiment l’impression que ton album suit un cheminement au fur et à mesure des morceaux.
P : Même si c’est hyper bizarre de faire un album avec des morceaux qui se suivent, car des gens qui écoutent un album dans l’ordre, il y en a de moins en moins. Mais ça restes quand même un exercice intéressant à faire, rien que pour les journalistes (rires). Ce que l’on voulait à la fois dans les morceaux et dans le disque, c’était faire une musique qui soit à rebondissements. Qu’il y ait des événements, des surprises, des ruptures, des trucs choquants, des bifurcations inattendues… Que ce soit excitant ou énervant pour certains, mais que ça crée de l’émotion. Que ce soit de la musique vivante au sens premier du terme. Dans l’agencement des morceaux, de pouvoir changer de style, de tonalité, de voix, de registres et introduire des effets de ruptures à l’intérieur même des morceaux. C’est vrai que de plus en plus, j’ai envie de ça dans la musique. On va tellement vers une musique lissée car c’est ce que demande le mainstream, mais aussi car les moyens de production sont les mêmes pour tout le monde. Il y a mille disques qui sortent par semaine, on a tous les mêmes logiciels, tout sonne un peu pareil, je trouve que bizarrement il y a une sorte d’unification de la musique même si évidemment il y a des choses hyper fortes qui sortent encore !
LFB : Tu me dis si je trompe mais j’ai quand même l’impression que ta musique est beaucoup inspirée du cinéma de science-fiction et du cinéma d’horreur. Ça se ressent aussi dans les clips, il y a une ambiance cinématographique.
P : J’ai été toujours été influencé par le cinéma. Que ce soit par l’admiration et aussi par la musique. Il y a beaucoup de bandes sons qui m’ont marqué, et Théo aussi. Je me rappelle qu’on était obsédé par le thème de Akira. On a fait des morceaux que l’on n’a pas gardé car c’était trop proche. Mais on avait ça en tête donc je pense que c’est normal que ça se ressente dans le disque. Je m’intéresse presque plus au cinéma qu’à la musique, donc c’est inévitable que ça ne ressorte pas sur le disque.
LFB : Dans les clips, c’est toi qui donne les indications de ce que tu veux ?
P : Je discute toujours avec les réalisateurs pour parler des idées de départ, mais après je les laisse faire. Tous les clips ne sont pas co-réalisés, mais je m’implique dedans car c’est clairement un truc qui m’intéresse. C’est moi qui vais chercher les personnes pour les réaliser, donc je sais automatiquement pourquoi je vais voir telle ou telle personne.
LFB : L’album parle aussi beaucoup de rêves et d’échappées. Est-ce que la réalité de faire peur ?
P : Oui, complètement. C’est un disque qui est assez anxieux. J’ai toujours eu l’impression d’appartenir à une génération assez anxieuse et j’ai l’impression que ça s’accentue ces dernières années. Car il y a des tensions sociales sur fond de crise écologique et ça n’arrête par d’empirer, donc c’est compliqué de garder la tête froide et de trouver du sens à ce que l’on fait. On nous dit que la génération de nos parents pouvait se raccrocher à plein de choses, à des idéologies, à fonder des familles, à faire carrière… Nous on nous dit qu’il n’y a pas de taff, que nos enfants seront peut-être morts avant même d’atteindre l’adolescence.. C’est assez anxiogène et effectivement la vie intérieure comme elle peut stimulée par la pratique artistique ou par le faire d’aller voir de l’art, d’entendre de l’art, de lire de l’art… ça a des vertus apaisantes. Ça permet de donner du sens à sa vie. C’est une fuite sans être déconnecté de la réalité.
LFB : J’ai des souvenirs très forts de tes lives. Un des derniers concerts que j’ai fais après les attentats de Paris, à Tourcoing était le tien. On était dix dans la salle je crois. Est-ce que tu adaptes tes anciennes chansons en fonction de la couleur du nouvel album ?
P : J’ai déjà adapté des morceaux mais je ne le fais pas tant que ça. Je pense que les gens qui ont envie d’entendre ces morceaux seraient déçus d’avoir une version qui n’a rien à voir. Si c’est très bien fait ça peut être cool mais je fais attention aux choix des morceaux en voyant ceux qui pourraient coller avec le nouveau disque. Il y a des morceaux que je ne mettais pas en avant sur les premiers disques mais qui me semblent pertinents maintenant. Blockbuster par exemple je trouve qu’il va assez bien avec le dernier album et je pense le jouer en live.
Par contre, tout les sons que j’ai pu enregistrer auparavant, on essaye de les mettre sur le ton des nouveaux morceaux, de créer une sorte de lien. L’idée c’est de tout orienter vers l’esthétique du dernier album.
LFB : Est-ce que tu as coups de cœur récents à nous partager ?
P: Oui, un morceau de Philip glass qui s’appelle Dance No. 2 et qui dure 24 min. Tout est joué à l’orgue, on dirait de la transe. Ça m’obsède, je l’écoute tout le temps en ce moment ! C’est marrant car je n’aime pas tout de cet artiste mais ce morceau a un truc d’émotion… et en même temps c’est hyper brut. C’est hyper rentre dedans et c’est un super morceau je trouve.
Aussi, un film de Alain Guiraudie, qui date un peu, qui s’appelle Le Roi de l’évasion (2009). J’ai beaucoup aimé.
Et avec un ami, Yann, on a fait un projet photographique sur un auteur américain qui se nomme Harry Crews, un mec qui est mort il dix ans et qui écrivait des romans qui se passent tous dans le sud des États-Unis