C’est avec impatience et curiosité que l’on attendait le premier album de Petit Prince. Son écoute nous a comblé tant son projet a gagné en ampleur et en maturité. Les plus Beaux Matins est un premier album attachant qui réaffirme son virage vers un rock psychédélique.
Petit Prince est un projet qui peut sembler être mené de façon solitaire. En effet contrairement à son précédent EP, Je vous Embrasse, mixé par Dilip Harris, Elliot Diener a fait en sorte de maitriser toute la ligne de conception de son album. Néanmoins, il sait, aussi, s’entourer et s’appuyer sur les compétences de son cercle d’amis et de collaborateurs. On retrouve dans cette démarche l’état d’esprit Pain Surprises – son label qu’il a cofondé en 2015. Au-delà des fonctions inhérentes à un label, il porte aussi des valeurs de partage – toutes compétences, toutes disciplines confondues.
Certains de ses complices sont des amis intemporels comme Arthur Vonfelt (JOKO, FREEZ,..) qui, lorsqu’ils étaient lycéens à Strasbourg, l’avait accueilli dans son groupe de musique et aussi dans sa cave, devenue au moment de l’adolescence, leur lieu de repli au milieu de batteries, de guitares et d’ampli.
D’autres sont des collaborations plus récentes comme avec Victor Le Masne (Housse de Racket, Juliette Armanet) qui l’a accompagné avec ses talents d’arrangeur et de musicien (piano, batterie).
Endors-toi, n’a rien à voir avec le titre de Tame Impala publié sur l’album Lonerism. Même si la filiation est présente au travers des basses rondes qui accompagnent le morceau. Le rythme est doux et ouateux comme le battement d’un cœur au repos – 60 Bpm. On y trouve ce qui va être le fil rouge de l’album, le rapport de Petit Prince à la nuit. Sa traversée de la nuit en solitaire entourée de ses « chimères et mirages » au moment où les autres sommeillent. Il y a un côté Rohmerien dans ces moments qui se vivent en parallèle comme dans la scène des Nuits de la pleine lune où Louise (Pascale Ogier) rencontre un illustrateur de livre pour enfants qui a trouvé refuge dans un café le temps que ses insomnies passent. « Je dessine pendant qu’ils dorment. C’est le rêve qui m’inspire ».
Ce premier titre se finit avec l’aube qui se lève accompagnée par les chœurs de Zoé Philippot et les oiseaux qui commencent à chanter.
Tout comme écouter les oiseaux chanter au petit matin, il est des choses simples qui savent nous rendre heureux sans qu’on n’y prête attention. « Faire couler un bain, se masser le dos, allumer pleins de bougies ». Tendresse sur canapé fait l’éloge de ces petits plaisirs quotidiens. Un chant avec un effet vibrato obtenu par répétition des derniers mots des vers donne un rythme singulier à la ligne musicale. Ce titre a donné naissance à l’un des clips les plus désopilant et surprenant de l’année, n’hésitez pas à le regarder.
Chien Chinois, est le morceau le plus ancien de l’album, son morceau fondateur. Il a été esquissé lors d’un jam avec Artur Vonfelt et Emile Larroche (UTO) après un concert dans un bar bruxellois à l’été 2018. Une ligne mélodique à la guitare, un son de basse trouvé ensuite en studio – celui qui contribuera à la signature sonore de Petit Prince – le cadre était en place. « José tu es – J’ose espérer – Inspiré par moi comme je le suis de toi ». Joséphine n’est pas celle de la chanson de Bashung mais son Sharpeï, son chien chinois, à qui il délivre un message d’amour.
Avec Club med 2002 ou 2003 nous plongeons dans nos souvenirs, ceux entre la fin de l’enfance et le début de l’adolescence. Là où l’amour, le temps des vacances d’été, se vit en secret. La mélancolie nous parcourt et les images nous reviennent en mémoire. Certes ce ne sont pas celles d’Émilie évoquées par Petit Prince, mais les nôtres. Nous en avons tous en nous. La guitare électrique se fait trainante, là une réverbération marque la mesure puis l’atmosphère devient vaporeuse comme dans un flou artistique. Il existe à la fin de ce morceau une réminiscence des slows de notre enfance. On pense alors au film La boum et son célèbre Reality que Vladimir Cosma avait signé en utilisant un pseudo.
JSP – Pour « je ne sais pas », prend pour sujet les fausses questions que l’on se pose et qui n’ont pas de réponse car leurs problématiques nous échappent. Zoé Philippot accompagne en duo Petit Prince sur la partie chantée du morceau lui conférant comme un écho multi tonal.
« Pourquoi le matin tu te réveilles avec un goût amer
Un café croissant le métro tu descends sous la terre
Tu te demandes pourquoi tu vis dans cette énorme fourmilière
Souvent quand tu croises un regard il est glacial et austère »
Dans Pas tout à fait presque, les regards se font complices, remplis de sous-entendus. Ceux que l’on échange lorsque que l’on sent qu’une attirance réciproque est en train de naitre. Ce sont des moments pendant lesquels le temps semble s’arrêter. On ressent cet effet tel un ralenti au cinéma ou lorsque la trame musicale se met en suspend par un effet d’échos.
Les amis de mes amis, Elliot est une personne qui s’est construit au travers de rencontres, autant d’aventures humaines sur lesquelles il a su capitaliser ses envies, ses inspirations. Arthur Vonfelt, Jacques – rencontré adolescent dans un parc à Strasbourg jouant de la guitare grimé en Angus Young – Pablo Padovani, Etienne Piketty et beaucoup d’autres. C’est un morceau qui, c’est certain, leur rend hommage.
Dans tout groupe il y a toujours un élément qui cherche à se démarquer des autres. Dans l’album de Petit Prince, c’est Conte Breton. C’est le seul morceau instrumental de l’album et il ne ressemble, musicalement, en rien aux autres compositions. Néanmoins on s’y attache. Les notes de flutes qui s’en échappent produisent peut-être cette même attirance que celle du conte du joueur de flûte des frères Grimm. À moins que ce ne soit un effet Jacques, crédité pour toute la vibe qu’il a envoyée sur ce morceau. Notons qu’après avoir traumatisé toute une génération de collégiens et de parents de collégiens, la flute à bec revient de nouveau à la mode (Vladimir Cauchemar, Etienne Jaumet, Maxenss,…). Tremblons de tous nos ouïes.
Maman 67 évoque son attachement à la famille, à ses racines et le spleen que l’on peut ressentir quand on s’en éloigne.
Les deux derniers morceaux ont une forte teinte cinématographique. Avec sa partition de piano accompagnée de violoncelle, l’intro de Tombe dans mes bras ferait une bande son parfaite. Une guitare vaporeuse à la Pink Floyd prend le relais. On louvoie alors entre rock psychédélique et progressif. La ligne chantée a, dans sa façon d’accompagner la musique, comme un parfum Moodoïdesque. Il faut dire qu’Elliot et Pablo Padovani (Moodoïd) partagent les mêmes studios depuis un certain temps.
Les Plus Beaux Matins clôt le disque en décrivant les souvenirs rattachés aux matins qu’ils soient associés aux balades au petit matin après une nuit festive ou aux matinées passées à flâner au lit. Ce sont autant de moments fondateurs promesses de plaisirs futurs. Le disque s’achève donc sur une ouverture vers de nouveaux lendemains. Le piano/voix apporte une touche « chanson française » au début du titre. Le chant s’efface ensuite pour ne laisser place qu’au piano qui par sa douceur et sa mélancolie, nous fait penser au Clair de Lune de Debussy. Comme un clin d’œil à la scène finale du film Ocean Eleven. Celle où les personnages se séparent devant les fontaines de l’hôtel Bellagio comme si tout n’avait été que les bribes d’un rêve qu’ils ont vécu ensemble. Le titre se finit par quelques mesures de silence pour nous laisser le temps de reprendre notre respiration et de prolonger notre rêverie.
Sortir un disque en pleine crise sanitaire peut sembler relever d’une gageure. Pourtant, c’est peut-être la période où on en a le plus besoin. En ces temps où la distanciation sociale est reine, où les gestes barrières et les saluts du coude sont devenus la norme, cet album apporte sur le plan musical un enlacement qui nous fait tant défaut actuellement sur le plan humain. On aime à se lover au milieu des basses, des envolées de guitares et des lignes chantées.
On retrouve aussi cet humanisme dans les sujets abordés. Les plus beaux matins parlent beaucoup et surtout d’amours, d’amitiés en s’appuyant sur ces instants plaisirs, ceux que l’on partage ensemble, ces moments fugaces dont on se souvient en souriant.
Bref Il a tout d’un album doudou que l’on écoute et que l’on continuera à écouter avec délectation tant les thèmes abordés sont intemporels.